Full text of "Romania"
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ROMAN lA
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ROMANIA
RECUEIL TRIMESTRIEL
CONSACRÉ A l'Étude
DES LANGUES ET DES LITTÉRATURES ROMANES
PUBLIE PAR
Paul MEYER et Gaston PARIS
Pur remenbrer des ancessurs
Les diz et les faiz et les murs.
Wace.
3e ANNÉE — 1874
PARIS
LIBRAIRIE A. FRANCK
(f. VIEWEG, propriétaire)
67, RUE RICHELIEU
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PHONÉTIQUE COMPARÉE
Rien ne contribuerait plus, suivant moi, aux progrès des études lin-
guistiques que de poursuivre séparément chacune des deux directions dans
lesquelles elles s'étendent, d'examiner à part, si l'on peut s'exprimer
ainsi, la coupe verticale et la coupe horizontale de la langue.
D'un côté il s'agit d'embrasser et de présenter, dans l'ensemble de ses
phénomènes, un dialecte bien déterminé, autant que possible celui d'un
seul endroit ; d'autre part, de poursuivre un phénomène isolé dans ses
conditions variées à travers tous les dialectes, d'en établir la base phy-
siologique et d'en déterminer le domaine géographique. Je veux essayer
de résoudre ici quelques problèmes de la seconde espèce, sans me dissi-
muler que ces recherches resteront défectueuses tant qu'on n'aura pas à
sa disposition un plus grand nombre de travaux du premier genre. Je
commence par un essai qui réclame doublement l'indulgence.
I
Les modifications syntactiques de la consonne initiale dans les
dialectes de la Sardaigne, du centre et du sud de l'Italie.
J'avais l'intention de retravailler soigneusement la lecture que j'ai faite
en juin 1872 au Congrès des philologues ù Leipzig: j'y ai renoncé,
parce que j'ai reconnu que je ne suis pas en état de livrer sur ce sujet
un travail définitif. Les documents écrits, à peu d'exceptions près, nous
font très-imparfaitement connaître les phénomènes dont il s'agit. D'autre
part, un séjour en Italie, même long et répété, n'avancerait guère un
étranger quand il s'agit de tenir compte des nuances phonétiques les plus
fines et les plus fugitives. Je publie donc ici le mémoire presque dans sa
forme première ; seulement j'avais ù la lecture omis une foule de cita-
tions et de remarques que je crois bon de réintégrer dans le texte, parce
que divers points douteux, la plupart, il est vrai, d'une importance
secondaire, y sont abordés.
Romania, 111 '
2 H. SCHUCHARDT
Je demande plus d'une fois des éclaircissements au lieu d'en donner :
j'aurais été contraint de le faire bien plus souvent si M. G. Vitelli de
Santa-Croce di Morcone ne m'avait point assisté de ses conseils pour
l'italien méridional.
Les phénomènes qui ont pour cause la rencontre ou l'influence réci-
proque de deux ou plusieurs sons peuvent avoir leur siège, aussi bien
que dans l'intérieur du mot, dans l'intérieur de la phrase, entre différents
mots. Tantôt la fmale d'un mot et Pinitiale du mot suivant prennent à un
changement de ce genre une part tout à fait égale, que ce soit seulement
comme cause (ainsi dans l'italien non istarà pour non staràj ou en même
temps comme objet du changement (ainsi dans le sanskrit abalêyam pour
ahalâ iyam) ; tantôt la participation de ces deux éléments est différente ;
ainsi, c'est l'initiale qui modifie la finale dans le sanskrit tan dêvam pour
tani dcvam, la finale, à l'inverse, qui modifie l'initiale dans le kymr. yn
when pour yn pen. Il est clair a priori que ce sont les mêmes lois qui
président aux changements phoniques dans l'intérieur des mots et dans
l'intérieur des phrases. La différence des résultats provient de la nature
du contact, plus lâche ici, plus étroit là '.
Il faut noter ici diverses gradations. Du mot simple (dans lequel il faut
encore distinguer entre la racine et la terminaison) on arrive à la construc-
tion syntactique par plusieurs intermédiaires : d'abord la composition,
puis l'enclise (qui a en commun avec la composition l'unité tonique des
différents membres, mais non leur séparabilité), ensuite l'union intime
qui existe entre le substantif et son épithète, le verbe et son régime, enfin
tous les groupements qui se produisent dans l'intérieur d'une proposi-
tion; car une pause oratoire empêche d'ordinaire l'influence des sons les
uns sur les autres. Naturellement la limite de ces différents domaines est
plus large ou plus étroite dans les diverses langues; les langues litté-
raires européennes n'admettent et n'expriment les modifications syntac-
tiques de ce genre qu'avec une grande réserve, tandis que les patois les
favorisent généralement. Il n'y a que l'apostrophe qui soit d'un usage
universel. D'ailleurs il est rare que la fmale et l'initiale aient des droits
égaux. Plusieurs langues accordent une grande liberté à la finale, qui,
généralement, se trouve dans la plus grande dépression tonique et appar-
tient à une terminaison flexionnelle ou dérivative, mais se font scrupule
d'entamer l'initiale, comme si le mot risquait de perdre son individualité.
En outre la langue peut accorder plus d'influence aux sons suivants sur
I. Ainsi, par exemple, pour éviter la rencontre d'une n avec une s impure
suivante, l'italien emploie dans l'intérieur du mot un autre moyen qu'entre deux
mots : comparez costanza avec con istanza. Dans ce dernier cas, \'i appartient
aussi bien à un mot qu'à l'autre. Pour non istarà, on écrivait souvent autrefois
nonne starà.
PHONÉTIQUE COMPARÉE J
ceux qui précèdent ou aux sons précédents sur ceux qui suivent.
Si en sanskrit les consonnes finales sont les plus mobiles, ce caractère
appartient dans d'autres langues aux consonnes initiales. Partout on
observe une différence entre l'influence d'une consonne précédente et
celle d'une voyelle précédente.
L'influence la plus naturelle parait être celle qu'une voyelle exerce sur
la consonne qui la suit. Un voyelle a deux qualités essentielles, la sono-
rité et la durée ; elle peut donc exercer de deux façons son influence
assimilatrice: elle peut changer une consonne sourde en sonore ou une
consonne explosive en continue. Les explosives sourdes ou ténues sont
donc sujettes aux deux genres de changements. La chute complète d'une
fricative sonore primaire ou secondaire après une voyelle n'est pas
rare. Parfois aussi, dans l'émission d'une continue, la voyelle empêche
la clôture de la bouche, en d'autres termes change une nasale en frica-
tive. Il y a bien plusieurs consonnes qui sont, comme les voyelles, à la fois
sonores et continues, mais c'est avec les autres consonnes plutôt qu'avec
les voyelles qu'elles se mettent ordinairement d'accord, parce que les con-
ditions des rapports des consonnes entre elles sont essentiellement autres
que celles des rapports des consonnes avec les voyelles : elles leur sont
souvent directement opposées. Ainsi après les consonnes, précisément
à l'inverse de ce qui se passe après les voyelles, nous trouvons que les
sourdes et les explosives sont favorisées au détriment des sonores et des
continues. Toutefois on ne doit pas toujours admettre une influence tout
à fait spontanée d'une consonne sur l'initiale suivante ; souvent l'opposi-
tion, née d'une action vocalique, entre la position faible de l'initiale
faprès une voyelle) et la position forte (après une consonne) s'est géné-
ralisée, et le point de départ s'est déplacé, si bien que de la formule
a ba (^^ a pa) : at pa est sortie la formule at pa (== aï hd) : a ha. On
devrait pouvoir regarder le commencement de la phrase ou de la propo-
sition comme position indifférente, assurant à la consonne sa valeur ori-
ginaire; mais il équivaut souvent à la position forte, même quand celle-
ci offre un changement de la consonne. Passons aux exemples :
L Consonne originaire dans la position forte : consonne affaiblie dans la
position faible.
En hébreu, à l'initiale aussi bien qu'à la médiale, les moyennes ^,y, "i
et les ténues C), =, n ne prennent point après les voyelles (y compris
le schwa mobile), le signe du dagesch lene ; c'est-à-dire qu'elles ont la
valeur de fricatives, à peu près celle des lettres ê, y, 2, ?, /., 0 en grec
moderne. De même, l'irlandais, après une finale originairement voca-
lique, remplace les ténues et les moyennes (aussi bien que la nasale m)
4 H. SCHUCHARDT
par les fricatives correspondantes ' qui, dans la langue actuelle, se sont
changées en une simple aspiration, sont devenues muettes ou se sont
autrement modifiées; s, après une voyelle, se change en // ; / devient
muet. Dans l'autre rameau de la famille celtique, les moyennes et m sont
sujettes aux mômes modifications qu'en irlandais (g disparait complète-
ment). Seulement une explosive sourde ne se change pas en fricative
sourde, mais en explosive sonore '. En breton, \'s sourde se change aussi
en z sonore.
II. Consonne originaire dans la position faible : consonne renforcée dans la
position forte.
Nous trouvons dans l'ancien haut allemand de Notker les moyennes
b, g, d fane, b, g, ^) après les voyelles et les liquides; mais après
d'autres consonnes, elles se durcissent en ténues.
Ainsi : dem golde — des koldes;
du bist — ili pin ;
in dih — ih tih.
Le rapport de l'/au v est le même :
dem vater — des fater.
De même qu'en britannique la ténue originaire en position faible se
change en moyenne, de même, au moins en comique et en breton, la
moyenne originaire peut en position forte être remplacée par la ténue, la
fricative sonore issue d'une moyenne par la sourde. Mais on se trouve en
présence de conditions tout à fait nouvelles en ancien irlandais, où la
moyenne dans la position forte devient ténue, tandis que la ténue s'affai-
blit, non point en moyenne, mais en fricative. Mais la ténue elle-
même, en britannique, est, dans certains cas, susceptible d'être élevée à
la fricative sourde, si bien qu'ici il semble qu'on doive admettre^, pour
la position forte, la même transformation qu'on a en irlandais pour la
position faible. Je dis «il semble», car en irlandais la fricative n'est point
1. On peut comparer ce qui se passe dans l'ancien haut allemand deTatien et
d'Otfried : l'ancienne ténue gutturale persiste dans l'intérieur du mot ou à l'ini-
tiale après une consonne, et est remplacée par la fricative après une voyelle.
Le rapport est encore aujourd'hui le même, Kalt, Volk; mais wachcn, rekh.
2. L'irlandais moderne adoucit à la médiale en moyennes les ténues que l'an-
cienne langue n'a pas changées en fricatives, en sorte qu'il se produit une coïn-
cidence partielle entre ce dialecte et le groupe britannique dans lequel le même
adoucissement est également de date récente. Comparez :
irland. kymr. irland. kymr.
* Ictan — 1
^ pupall — papdl \ i litan
2' — ) > kthan '
3e — puball — pabdl ) llydan
période, 'j
PHONÉTIQUE COMPARÉE 5
née, comme en britannique, de la ténue par l'intermédiaire d'une aspirée.
Enfin, en kymrique, de / et r naissent par renforcement deux sons nou-
veaux : / et r sourdes (// et rh) .
III. Consonne originaire non conservée : consonne renforcée dans la position
forte : consonne affaiblie dans la position faible.
Ce cas se présente en irlandais pour le v qui ou bien s'élève à Vf
ou disparaît; par exemple lat. vinum = anc. ir. fin, in.
Il ne faut pas oublier que la loi des finales celtiques a perdu depuis
longtemps son caractère euphonique. Les conditions qui l'ont produite
sont tout à fait effacées à l'initiale, tandis qu'on peut encore les recon-
naître à la médiale. Cette langue a perdu non-seulement des voyelles,
mais des consonnes finales. Je n'ai point encore parlé de l'influence par-
ticulière des nasales finales qui se fait sentir dans les deux rameaux
celtiques; cette influence pourrait se formuler tout extérieurement pour
l'irlandais, où elle est désignée sous le nom d'éclipsé, de la manière sui-
vante : après un certain nombre de mots terminés originairement par n,
les ténues se changent en moyennes, les moyennes en nasales et Vn
ainsi produite finit par tomber. Mais si arn tir devient arn dir, puis
ar dir (écrit ar d-tir), arn doras devient arn noras, puis ar noras (écrit ar
n-doras) : ainsi c'est l'initiale qui a disparu plutôt que la finale. Il s'agit
donc là de deux phénomènes essentiellement distincts.
Ainsi nous voyons que l'écart entre l'initiale forte et la faible peut
devenir considérable, soit que le son originaire se modifie dans des direc-
tions diflférentes ou qu'il se modifie dans la même direction à plusieurs
reprises (par exemple kymr. gwr, 'ghwr, wr); mais d'un autre côté
cette différence peut se réduire jusqu'à devenir presque microscopique,
si bien que nous avons affaire, non plus à des consonnes différentes, mais
aux degrés différents d'une même consonne. Ces différences quantitatives,
comme nous les appellerons par opposition aux autres ou qualitatives,
reposent sur une double circonstance : sur la force de l'expiration et sur
sa durée. On peut parler, pour les consonnes aussi bien que pour les
voyelles, d'accent et de quantité, si ce n'est que l'un et l'autre ne sont
pas également applicables à toutes les consonnes.
Les continues sourdes, comme /et s, sont susceptibles de l'un et de
l'autre au plus haut degré.
Les continues sonores, comme / et n, ne connaissent aucune limitation
pour la quantité, mais si on essaye de les accentuer au-delà d'une certaine
limite, elles deviennent sourdes '.
Le kymrique ne connaît pas .seulement 17 cl Vr sourdes dont |'ai parle
6 H. SCHUCHARDT
Les explosives sourdes peuvent être prononcées avec l'accentuation
la plus forte (comparez les lettres emphaticjues des Arabes, les ténues
énergiques des Ossètes, des Géorgiens et autres peuples caucasiques,
des Magyares, etc.) ; mais, en tant que momentanées, elles ne sont point
susceptibles de quantité.
Ce qui est le plus difficile à préciser, c'est la nature des explosives
sonores. Il est certain que, chez elles, comme chez les consonnes sonores
en général, la force de l'expiration est limitée; elles risquent toujours
de passer aux ténues '. D'autre part elles diffèrent des ténues en tant
que la dénomination de momentanées ne leur est attribuée qu'impropre-
ment. Il est vrai que l'ouverture de la clôture buccale par laquelle on
les produit est momentanée, mais la sonorité qui les caractérise exige
une certaine durée; elle doit donc se produire pendant la clôture. Ce
son bourdonnant qu'on appelle « le son de Purkinje » peut être considé-
toul à l'heure; il possède encore les nasales sourdes. Après «, de même
qu'une explosive sonore devient une nasale sonore, de même une explosive sourde
devient une nasale sourde. Par exemple yn nydd = yn d. ; ynnharnas = yn t.
En Allemagne, on entend Vn sourde dans la prononciation emphatique; par
exemple, na (nun), ne (nein). Mais !'/ et \'n sont surtout fréc^uentes, principale-
ment à côté de certaines ténues. L'I se produit après le t latéral (j'exprime tous
ces sons particuliers par les lettres grecques). Ainsi la prononciation la plus
habituelle de Tlcpokrnos, Atlns, Mittel est Tlcpolcmos, A-x).t35, Mi-xX. Ce /
latéral appelle la fricative ). et le d latéral appelle 1'/ fpar exemple, A-ilcr ,
Ta-U) aussi naturellement que le f et le (^ ordinaires appellent 5 et z. En
dehors du groupe qu'elles forment avec ),, /, ces muettes dentales latérales
(dont je ne sache pas que les physiologistes aient jusqu'à présent fait mention)
sont prononçables, mais je ne les ai jamais entendues. La grande intimité des
groupes tX et S/ (qui sont très-fréquents dans diverses langues africaines et amé-
ricaines) explique comment, dans plusieurs dialectes allemands et dans deux ou
trois patois romans du Tirol, il ont pris la place de kl, gl ; par exemple, ■z'^ein,
ô/ji — -zlamé (ou aussi ■ùJamè, cf. Brùcke, Principes de physiologie, etc., p. 58)
= chmare, 8Heza = ecclesia. Peut-être avons-nous ici une indication utile pour
l'explication de l'ombrien çl = cl. Si la plupart des Romans prononcent à l'in-
verse cl pour tl, c'est pour préserver 1'/ de l'absorption dans le son dental dut.
En allemand, Vn sourde se rencontre après un t, mais après un t qui provient,
non point de la brusque rupture d'une clôture buccale, mais de celle d'une
clôture nasale, qui lui ressemble beaucoup pour l'oreille; on la trouve, par
exemple, dans kannten, prononcé kaniy ou kantvn. Ici t est moins un son qu'un
élément phonique, car v en est inséparable. Ainsi on prononce Ah-m (pour
Athem), T^mcsis, Pimeumatisch, etc. Ces prononciations sont-elles aussi connues
en français, ou bien prononce-t-on toujours TUpolenu, t'mese, p'neumatique ?
I. Il faut remarquer qu'en dravidien on ne peut avoir de ténue qu'à l'initiale,
de moyenne qu'à la médiale. Par exemple tanda-m =^ sanscrit danta {Rev. de
ling. V, 288). Ceux des Allemands dont le dialecte natal ne distingue pas la
moyenne et la ténue auront à lutter avec des difficultés de plus en plus grandes
pour prononcer les mots italiens suivants : Icda, datdre, tedcsco, data. En général,
ces Allemands seront toujours portés à l'assimilation; ils ne prononceront pas
tout à fait, comme les Français le leur reprochent, projel pour brochel et réci-
proquement, mais bien ou prochet ou brojet; de même que pour beaucoup d'Alle-
mands inutile devient initile ou unutulc.
PHONÉTIQUE COMPARÉE y
rablement prolongé, bien qu'il ne se compare pas sous ce rapport aux
sons qui se forment avec la bouche ouverte. Ce sont des moyennes de ce
genre que certains sons du sindhi, desquels on a dit à tort qu'ils
n'existaient dans aucune autre langue, discutant bien inutilement pour
savoir s'ils étaient simples ou doubles '.
Ainsi, il n'y a absolument que les ténues qui soient incapables d'allon-
gement, mais elles ont une compensation dans ce qu'on appelle le redou-
blement, tel qu'on l'entend par exemple dans l'italien /a«o. Ce mot con-
tient deux ténues, mais en réalité elles sont diversement formées : la
première est une implosive, la seconde une explosive. Il ne s'agit donc
pas, rigoureusement parlant, du redoublement d'un seul et même son.
Mais la valeur acoustique de ces ténues qui se suivent varie avec la durée
de la pause qui se produit entre les deux, de même qu'on tient compte
des pauses dans la mesure des séries rhythmiques : ainsi fat-to, fat — to,
fat — to répondent exactement à a/z/îo, annno, annnno. La règle générale
({ue ùoxmQ K\m\\it\\.(^Le système naturel des sons. Halle, 1869, p. 109)
pour la quantité des sons est donc parfaitement exacte : « Un son dure
tant que les organes qui le produisent persistent dans la position néces-
saire à sa production. » Au reste je ne conçois pas comment presque
tout le monde s'accorde à regarder en allemand le signe double d'une
ténue comme l'expression d'une vraie ténue double. Quand les Alle-
mands du nord-ouest prononcent réellement comme doubles ou allongées
les lettres écrites doubles, nous sommes choqués de cette particularité
de prononciation. Et l'oreille ne saisit-elle pas tout de suite une différence
entre l'allemand Latte, Suppe, et l'italien latte, zuppa, aussi bien qu'entre
l'allemand Mamma, Anna et l'italien mamma, Anna ?
Toutes les autres consonnes peuvent être réellement redoublées :
an-na, am-ma, al-la, etc. Mais la langue n'emploie pas ce redoublement^.
Ici le double caractère indique toujours le son allongé. Ce mode
de notation qui a souvent aussi été appliqué aux voyelles (p. ex.
anc. lat. Maarcus, ail. See^ a déjà plus d'une fois empêché la juste
appréciation de phénomènes linguistiques. L. Salviati {DegU avverti-
menti dclla lingua sopra il Decamerone I, xxxviii, édit. de Naples,
1712, p. 220 s.) remarque déjà: « Non per tanto non ci dobbiamo fare
a credere, che le due consonanti due volte si protferiscano : perciocchè
1. Des deux principaux grammairiens du sindhi, J. Beames et E. Trumpp,
le premier compare la prononciation de ces lettres à celle de /' et m dans l'ita-
lien cbbi et marcmma ; l'autre le décrit comme il suit : « On terme la bouche et
on fait entendre par pression un son sourd [le son de Purkinje]; on ouvre ensuite
la bouche et on lait entendre le son g (/, d, b). «
2. Je dois remarquer à ce propos que les explications physiologiques de Bcr-
gaigne et Havet [Mémoires de la Soc. de ling. de Paris,l\, 1) ne me convainquent
point du tout.
8 H. SCHUCHARDT
se ciô fosse, due fiate altresî.d'essamedesima consonante, nella bocca di
chi favella, si faria la battuta, e sentirebbesiespressamente.làdove altro,
che una non vi si fa giammai, ne far vi si potrebbe senzachè suono di
vocale tra l'una e l'altra vi si sentisse interposto. Per la quai cosa, corne
s'è detto, più per consenso che per ragione, fu questa usanza introdoUa
del soggiugner nella scrittura la medesima consonante : e più diritta, chi
ben riguarda, fu la costuma che nel latino idioma, e forse in altri,
secondo il testimonio d'approvati autori, prevalse per alcun tempo, ciô
fu di porre in quella vece una linea torta sopra la consonante, la quale
con doppia forza doveva pronunziarsi : il che ancora nelle nostre scrit-
ture si costuma da' copiatori, cosî scrivendo fiàtna e dàno per fiamma,
danno. « On croit souvent que la moyenne est soumise aux mêmes con-
ditions que la ténue, mais c'est là une erreur. Dans l'italien jreddo, il
n'y a pas d'arrêt dans l'émission de la voix; il se produit un allonge-
ment de la moyenne, tel que je l'ai expliqué plus haut. D'ailleurs si l'on
voulait prononcer fred-do, on aurait quelque chose de semblable à an-na
et non à fat-to, car à mon avis, la nature des moyennes n'admet pas de
différence entre l'explosive et l'implosive.
Les dialectes italiens emploient à l'initiale ces différences quantitatives
régulièrement, les qualitatives seulement dans des cas isolés. On exprime
ici par le redoublement du caractère le renforcement quantitatif du son,
aussi bien à l'initiale qu'à la médiale : nno n'est pas plus déraisonnable
que anno. Mais il s'agit de savoir si nous devons ici admettre toujours et
exclusivement un allongement de l'initiale, ou s'il n'y a pas plutôt, au
moins pour les consonnes sourdes, accentuation. Salviati, /./.,p. 721, ne
décide pas si la « doppia forza » avec laquelle la consonne est émise
provient d'un « doppio spirito » ou de l'émission plus rapide du a spi-
rito. )) En tout cas, il ne voit pas qu'il s'agit là le plus souvent d'un
allongement. Je crois que l'accentuation, d'après la nature respective
des différentes consonnes, peut se produire aussi bien seule qu'avec l'al-
longement ; peut-être est-elle favorisée par une voyelle accentuée immé-
diatement suivante; peut-être son application est-elle arbitraire, et le
renforcement, pourvu qu'il soit bien marqué, peut-il être produit par l'un
d'une façon, par l'autre d'une autre. On n'arrive guère à des résultats
plus sûrs par l'observation directe. Mais quant à l'existence en général
de consonnes accentuées dans l'italien, elle est hors de doute. Les
ténues qui se trouvent au commencement de la phrase ou après les
consonnes, c'est-à-dire qui sont des initiales propres, ne peuvent
être redoublées, tandis que les initiales dont il s'agit ici d'ordinaire ,
c'est-à-dire qui se trouvent comprises dans le mouvement rapide
du discours (même en dehors de l'enclise proprement dite) ont
absolument les propriétés des médiales; Salviati, /. l, p. 222, a tort
PHONÉTIQUE COMPARÉE 9
quand il dit que le c de Carissime a le même son que le ce de tocca. Je
reparlerai plus bas du renforcement des ténues à l'initiale propre. En
outre, il y a, en napolitain par exemple, certains mots dont l'initiale est
toujours considérée comme forte; de ce nombre sont ccà (ici), cchià
(plus). Ainsi ici le c est marqué d'un accent, et ce c accentué repose
dans ccà sur un double c {ecce hac), de même que du latin illac, illic,
illorum, inde, ipso (lat. vulg. isso), le napolitain a fait lia, llï, lloro, nne,
sso. L'initiale renforcée de cchiù est due peut-être au sens de ce mot.
Ainsi nous remarquons dans ce cas que l'accent remplace l'allongement
ou le redoublement. En général, les deux modes du renforcement quan-
titatif sont tout à fait équivalents et nous avons vu qu'ils s'expriment de
même. Nous avons beau allonger une consonne autant que possible, elle
ne change pas pour cela, tandis qu'en augmentant la force de l'expira-
tion, nous faisons passer comme on l'a vu la consonne sonore à la
sourde. Cependant l'initiale accentuée n'est pas seule intermédiaire entre
l'initiale originaire et le renforcement qualitatif, l'allongement peut aussi
bien servir de transition (comparez les notations celtiques, telles que
anc. irl. bb,gg, dd=^p,c,t, kym. //=/ sourde,ff=f,f^=v). Il semble qu'en
italien il y ait aussi des exemples de ce renforcement qualitatif, tandis
que le redoublement n'indique qu'un renforcement quantitatif. Les sons
composés g et z dolce peuvent être allongés de telle sorte que ggiù, zzelo
se prononcent ddzu, ddzelo ; mais le renforcement dans les mots de ce
genre se produit peut-être plutôt par l'insertion de l'accent seulement
après l'ouverture de la clôture dentale : tzu, tzelo. Le second élément des
sons composés en question est toujours égal à lui-même, aussi bien dans
la durée que dans la qualité.
Avant d'examiner, au point de vue qui nous occupe, les différents
dialectes italiens, je veux jeter un coup d'œil sur le sarde, qui ne peut
en aucune façon, même en supposant qu'une classification des langues
romanes soit possible', être rangé parmi les dialectes italiens. Mais
comme il s'en distingue en ce qu'il a conservé dans une large mesure
les consonnes finales originaires, il est le seul dans ce domaine où on
puisse encore clairement discerner l'influence des finales consonantiques
ou vocaliques. Je parle ici du sarde archaïque, celui du centre ou de
Logudoro. L'initiale est dans la position faible après les voyelles; dans la
position forte : i" après une pause oratoire; 2" après des consonnes qui
se prononcent réellement; 5° après des consonnes qui ne se prononcent
plus, mais qui d'habitude s'écrivent encore, ainsi après le d de ad (a), le
1. Dnns la leçon d'ouverture de mon cours de 1S70 à Lcip/ig, |'ai css.iyo do
démontrer qu'il est impossible d'établir une classification des lanj^ues romanes, et
que leurs rapports historiques ne se laissent pas représenter par l'image d'un
arbre généalogique.
10 H. SCHUCHARDT
t de et et la y personne sing. de toutes les formes verbales, par ex.
bénit prestu (venit praesto) pron. béni prestu , mais béni prestu (véni
praesto) pron. bcni brcstu (devant les voyelles, ce t se fait encore
entendre, mais comme un d: bénit ipse, pron. benid ipse) ; mais non par
exemple après y't! (jam), en sorte que ja qui se prononce ja ghi = ital-
giacchc. Les modifications des consonnes sont pour la plupart qualita-
tives. En règle, la position forte conserve le son originaire. Les ténues
passent aux moyennes; les fricatives s et/ deviennent sonores, le vtombe
ou est remplacé par l'aspirée. Le b devrait passer au v. Mais il descend
un degré de plus, c'est-à-dire qu'il disparait, tandis qu'à l'inverse v dans
la position forte est renforcé en b. Pour le;, il se produit de même un
renforcement à la position forte, il sonne g. Entre g et y, l'intermé-
diaire est gj, que nous retrouverons en napolitain. Pour les consonnes d,
r, m, n (mais non pour g, l) il existe d'après Spano {Ortografia sarda
nazionale, Cagliari, 1840) une prononciation dure et une douce, c'est-
à-dire qu'il s'agit seulement d'une différence quantitative. A l'initiale, on
n'écrit jamais que la consonne originaire (ou, si elle manque, son renfor-
cement, ainsi b=^v], tandis qu'à la médiale, qui se comporte sensiblement
comme l'initiale, les modifications quantitatives sont notées dans l'écri-
ture. Dans le tableau suivant, j'abandonne, pour l'initiale, l'orthographe
sarde pour représenter autant qu'il est possible la prononciation.
position forte:
consonne originaire
sas cosas
SOS ■poveros
SOS tempos
SOS ûzos
position faible :
consonne affaiblie.
— una gosa
— su hoveru
— sa dcmpu
— su vizu {films)
(à Bitti su \iizu)
non sô — co fo [sum)
SOS hocs — su oc (bove)
sosgiaos (pour ghiaos) su jau (clavus)
(à Osile sos ciaos
pour * chiaos)
consonne renforcée.
comp. la médiale :
connosco— formiga
ispingo — pohulu
posta — istadu
falsu-n£u
accrhU'taula
sas giannas (pour ghj)
, SOS ddepidos —
Renforcement! sos xamuros —
quantitatif > { sos nnostros —
f duos vTcgnos —
consonne renforcée.
sas giannas (pour ghi)
sos binos
consonne originaire.
sa ^anna (janaa)
sa depidu (debitum)
su mura
sa nostru
unu régna
consonne affaiblie.
sa janna aggiunghere-ma^u
su inu2 cumhennere-naes
! . Je regarde toujours la consonne qui est quantitativement forte comme
la secondaire, la faible comme la primaire ; mais il est aussi impossible de dé-
montrer cette hypothèse que l'inverse.
2. Spano (I, 12, n. 5), dit : a Se le voci parimenti latine principiano da v,
PHONÉTIQUE COMPARÉE M
Ajoutons quelques remarques :
1° L'échange entre b et une aspiration plus ou moins faible, comme
dans ^05 boes et sa oe, ou sos binos et su inu, a eu pour conséquence la
prosthèse du b dans quelques mots qui primitivement commençaient par
une voyelle : p. ex. bessire (exire,, bocchire (occidere)\ a bessire à côté de
pro essire semble répondre exactement à a bière (bibere) à côté de pro iere,
tandis qu'il s'agit ici du renforcement de l'initiale tout aussi bien que
dans sas giannas à côté de sa janna ;
2" Une série de mots qui commencent par b ne subissent pas le chan-
gement en question; c'est qu'ils sont empruntés à l'italien (Spano, 1, 12);
5° Il y a de même plusieurs mots commençant par v qui sont sous-
traits à la règle (cf. p. 10, note 2);
4° Quelques mots commençant par t comme tin (Gcîsç), tittone [tiîio-
nem), n'adoucissent pas le / ;
5° Il y a un mot où le d subit un changement qualitatif : dans la posi-
tion faible, il tombe comme le b (et comme le g en britannique). Ce mot
est dinari (denarins^ : par exemple qnantos dinaris, leo (levo) inari. A la
médiale d tombe d'ordinaire entre voyelles : cnm, nuigu, etc.;
6" A la médiale, on trouve, suivant les dialectes, g ou j pour cl. La
forme ordinaire pour oculus est ojii; à Bosa, oggiii (ailleurs ogru, ocru,
orgu).
On pourrait croire que ces changements de l'initiale sont inconnus au
sarde méridional ou dialecte de Campidanu, car G. Rossi n'en dit rien
dans ses Elementus de grammatica de su dialettu sardu méridionale e de sa
lingua italiana {C2^s\tàù\x , 1842). Mais le prince L.-L. Bonaparte, dans ses
Osscrvazioni sulla pronunzia del dialetto sassarese (en tête de // vangelo di
S. Maîteo volgarizzato in dialetto sardo sassarese dal Can. G. Spano, Lon-
dra, 1866), parle en général des modifications syntactiques du cagliari-
tain, et nous apprend particulièrement que le c palatal dans la position
faible sonne comme z [su celu ou su xelu, pron. su zelu). Il y a d'ail-
leurs plus d'un indice qui montre que des lois analogues à celles du
dialecte de Logudoro ont dû être en vigueur ici aussi. Par exemple,
la plupart des mots qui devraient commencer par un v prennent un b :
bMliri (yalere),bcnniri {yeniré), binti {yiginti , bôlliri{'yolcre), brcnti iycntre^ ;
mais V est conservé, par exemple, dans yanu, yena, yida ; b est préposé
dans bessire [exire] ; vest tombé dans 05 (vo5;commeenesp.).Fuchs(KtT/'a
irréguUerSy p. 189) cite expressément comme des formes coexistantes f«//
et vcnit, bolis et olis, bosta et ostu [vostro], os et bosu {vobis).
si fa scntire un' aspirazione, v. gr. su liinii, pro hcndcrc, Int. vinum.vendcre, ecc,
salve vclemi, vitiii, vohuUadc. » IMus haut il tcr'xi su entn, sa este, de iii<}mr que
unu oc; c'est donc la môme aspiration qui remplace un ^ et un v originaires.
12 H. SCHUCHARDT
Le dialecte qui se parle au nord de la Sardaigne ou dialecte de Gal-
lura est généralement d'accord avec celui de Logudoro dans le traite-
ment des consonnes initiales. Ce dialecte a pour subdivisions ceux de
Tempio et de Sassari. Nous devons des renseignements sur le dernier à
l'écrit du prince Fionaparte cité plus haut. Le dialecte de Sassari n'exprime
point en général dans l'écriture les modifications dont je donne ici le
tableau.
consonne originaire.
a cori
ctin pobbulu
c terra
lin Rgliola
cun saïUu
m zclu
in gf^gw
consonne renforcée.
a Giuanni
Rre
consonne renforcée.
a hhatti
consonne affaiblie.
lu gori
lu hobbulu
la derra
lu xigliolu
lu iantu
lu zclu (caeliim)
la jcsgia (cccksia)
consonne originaire.
cil Juanni
lu re
consonne affaiblie.
vulianl ^attl
médiale.
manca — amiggu
tcmpiu — cahhu
iltclla—daddu
forsi — co£a
folza — giultizia
— cu^ubà
Remarques :
1° En ce qui concerne la dernière des modifications indiquées ci-des-
sus, Bonaparte remarque que le b dans la position forte a le son du b
double italien, mais que dans la position faible on entend un b « debole
si, ma di pronunzia spagnuola. « J'ai noté ce b par un ^.
2° Bonaparte remarque, au sujet du v dans cun vinu, qu'il a le son
du V dans l'italien avvicina, tandis que le v de lu vinu a le son du (.(b spa-
gnuolo meno labiale che il b italiano. » D'après cela, le b elle v dans la
position faible auraient la même prononciation; seulement ils la devraient
dans l'un des cas à un renforcement, dans l'autre à un affaiblissement.
N'ayant pas trouvé la chose bien claire, je n'ai point admis vv — [3
dans mon tableau. A la médiale, on trouve, comme on doit s'y attendre,
après une voyelle è(=p), après une consonne v; par ex. v/fci' mais ^a/i'u.
Dans le dialecte de Logudoro, b et v sont traités de même en position
faible mais aussi en position forte ; des mots isolés, dans celui de Sassari,
indiquent une tendance vers la même identification, par exemple : bbozi
— ^ozi (voce).
3° Pour le g—j, on peut répéter ici ce qui a été dit du dialecte de
Logudoro. Le son intermédiaire entre ; et g, à savoir ghi, se trouve
I. On trouve aussi b pour le v italien, lat. b, par exemple abiani (habcbant),
amaba, tandis que le b italien =: lat. b est rendu aussi bien que le p italien et
latin par bb, par exemple, subbiddu, abbita ; comparez logudor. hapo (habco),
depet (débet).
PHONÉTIQUE COMPARÉE 1 J
dans celui de Tempio, par exemple ghiaddu sass. giaddu (gallus), ghiun-
ghï sass. giugnï (jungere).
Quant aux influences particulières que dans le dialecte de Sassari
17 de l'article // et de la préposition pal exerce sur la consonne suivante
pour s'éteindre ensuite devant elle, je n'en parle pas ici.
Le dialecte de Tempio, d'après Bonaparte, ne connaît que la modifi-
cation du V qui, dans la position faible, devient muet. Nous manquons
de renseignements précis sur les modifications de l'initiale dans le sarde
septentrional ; en général il parait soumis aux mêmes conditions que les
dialectes italiens. Car s'il diffère considérablement du sarde propre,
celui du centre ou du sud, c'est surtout par rapport au caractère des
finales (il n'y a de terminées en s que les formes du pronom de la
^* pers. plur.: eddis et /i5 devant une pause oratoire ou une voyelle, eM,
// devant une consonne. Je l'ai cependant réuni au sarde, parce qu'il
s'en rapproche étroitement dans les modifications, surtout qualitatives'.
Je laisse tout à fait de côté les dialectes du nord de l'Italie; je n'y
connais pas de phénomènes du genre de ceux qui nous occupent 2. Dans
la plupart d'entre eux, la finale est le plus souvent une consonne, non
pas la consonne latine comme en sarde, mais une consonne de formation
nouvelle; les deux dialectes du nord de l'Italie qui se distinguent des
autres en ce point et se rapprochent de l'italien du centre et du sud, le
ligurien et le vénitien, diffèrent de celui-ci par une prononciation moins
énergique des consonnes. Comme, dans l'italien du centre et du sud, la
voyelle finale (bien que souvent fort obscurcie) est la règle, et la con-
sonne finale l'exception, on comprend que s'il y a une distinction entre
la position faible et la position forte de l'initiale, elle est déterminée non
plus par l'opposition entre une finale consonantique ou vocalique, mais
avant tout par la nature de la voyelle finale elle-même. Effectivement
nous remarquons d'une part que l'existence originaire d'une consonne à
la finale après une voyelle non accentuée ne donne lieu à aucun renfor-
cement de l'initiale ip. ex. andava via) et d'autre part que ce renforce-
ment se produit même après une finale qui originairement ne contenait
pas de consonne (p. ex. andro vvia). Il semble donc tout naturel de voir
i . Bonaparte avait promis un mémoire spécial « On the Initial Mutations ot
the Sardinian Dialccts compared with those of the Cellic and BasqueLanguagos, »
mais il n'a pas paru, que je sache. D'après ce que j'ai dit plus haut, Bonaparte
se trompe quand il dit (1.1. p. XXXVll) : « Mentre ne' dialetli sardi la ragione
di cotali cainbiainenti si è sempre eutonica e dipendente dalla natura dclla IcUcra
finale délia vocce che précède, ne' collici e ne' baschi non in una sola Jettera,
ma nel senso délia voce tutta si debbe riconoscere una causa diversa producente
i medesimi effetti. »
2. Je ne sais à quoi Ascoli fait allusion en disant {Archivio glottolo^icoiuiluno,
I, p. L) : « Il seconde caso, frequentissimo, corne ognun sa, negli idiomi celtici c
non estraneo pure ail' Italia Superiore. n
14 H. SCHUCHARDT
dans l'accentuation de la voyelle finale la principale cause du renforce-
ment de l'initiale.
Toute voyelle finale accentuée en italien est brève. Par conséquent,
si l'on ajoute par exemple à andrà l'enclitique vi, pour que la voyelle o
conserve sa quantité, il faut que le v s'allonge et que le groupe devienne
androvvi, car on ne peut avoir de voyelle brève dans aucune syllabe ac-
centuée et ouverte, à la seule exception de la syllabe finale. Mais cette
explication suffit-elle aussi pour des cas comme a ccasa, e ttu, dans les-
quels i? et e sont proclitiques? Non; on observe évidemment ici l'ac-
tion continuée d'une consonne finale originaire. Comparez à ces cas
d'autres comme la casa, mi yede, dans lesquels l'initiale n'est pas renfor-
cée, parce que la et mi n'ont jamais eu de consonne finale. Il s'agirait
donc, pour la production du renforcement, de deux conditions diffé-
rentes : d'un côté, l'accentuation de la voyelle finale, de l'autre, l'exis-
tence d'une consonne finale originaire. C'est aussi en général l'avis de
Francesco d'Ovidio dans sa dissertation intitulée : Di alcune parole che
nella pronunzia îoscana producono il raddoppiamento délia consonante ini-
ziale délia parola seguente (tirage à part du t. V du Propugnaîore, cf. Rom.
I, 264). L'analogie de ce qui se passe à la médiale autorise cette double
explication de phénomènes extérieurement identiques. Ainsi nous avons
acquictare de adquietare, mais acqua de àqna : la consonne est allongée
dans le premier cas à cause de la chute d'une consonne précédente, dans
le second pour sauvegarder la brièveté de la voyelle qui précède. On
voit même un grand nombre de formes, comme femmina, nippi, tutto
(cf. lat. querella, littera, etc.) où la longueur a passé de la voyelle à la
consonne suivante. Au lieu d'une voyelle longue, suivie d'une consonne
brève ou simple, nous avons maintenant une voyelle brève suivie d'une
consonne double ou longue. Je crois nonobstant qu'un examen moins
superficiel découvrira une cause commune à tous les cas de renforce-
ment de l'initiale.
Il faut en effet remarquer :
1° Que dans les polysyllabes terminés par une voyelle atone, comme
ama, amava, la consonne finale originaire était tombée, en Italie du moins,
(nous avons vu qu'il en est autrement en Sardaigne) dès une époque
très-ancienne. Dans le latin de la décadence ou le roman primitif de
l'Italie — car c'est à celui-ci et non au latin classique qu'il faut se repor-
ter — on prononçait déjà ama, amaba (cî.Jonrnal de Kuhn, XXI, 458);
2° Que la grande majorité des mots qui se terminent par une voyelle
accentuée ont perdu une consonne finale, et par conséquent que cette
consonne peut fort bien avoir occasionné le renforcement de l'initiale
suivante. Si nous considérons l'histoire d'un mot de ce genre, non point
isolé, mais réuni à un mot suivant, nous trouverons l'explication juste.
PHONÉTIQUE COMPARÉE I 5
De bontate vera est né bontàt vera, puis, d'après la même loi qui règne à la
médiale bontât vera (cf. ciel sereno, amâr costei); puis non pas, comme on
pourrait le croire, bonîa vera, mais tout de suite bonta vvera, de même
que cUnla ''cunula , cûnla a àonné directement culla sans passer par cûla. Ces
parole tronche semblent être en contradiction avec une tendance expresse
de l'italien : on sait en effet qu'il préfère, à la différence surtout du
roman du nord- ouest, la chute trochaïque et même dactylique à l'iam-
bique. Mais dans la langue la plus ancienne existait et dans les dialectes
italiens du centre existe encore à côté de chaque forme oxytonique 'même
pour les monosyllabes) une forme paroxytonique qui tantôt repose sur
l'étymologie et tantôt provient de l'addition d'une voyelle (souvent avec
insertion d'une consonne), par ex. virtude, piede, puoîe, à côté de rirtù,
piè, puo, et amoe, abilitae, piue, à côté de amd, abilità, pin. Ces deux
séries de formes étaient certainement, dans la plus ancienne période de
la langue littéraire, d'une application distincte, comme elles le sont
encore aujourd'hui dans les dialectes. On employait la forme oxytonique
dans le cas d'une union étroite avec le mot suivant, en sorte que la
finale cessait pour ainsi dire d'être finale et devenait médiale ; la forme
paroxytonique on l'employait devant n'importe quelle pause. Ainsi^ en ro-
main ou en toscan, on reçoit aujourd'hui à une question ou bien la courte
réponse : sie, nôe, ou bien la réponse plus polie : sissignore, nossignore.
Devant une pause le romain emploie amane, piune, mais dans le dis-
cours rapide amà, più ; les textes écrits en dialecte romain violent d'ail-
leurs très-souvent cette règle. C'est donc proprement la cohésion d'un
membre de phrase en un seul mot qui agit à la fois sur la finale et sur
l'initiale. La brièveté de la voyelle finale accentuée, qui ne provenait
originairement que de la chute d'une consonne, a fini par devenir la
règle pour tous les autres cas, bien plus rares : sur andrà, giù se sont
modelés andrâ, tu, ou plutôt l'analogie de andra vvia, già vvieni a fait
naître andro vvia, tu vvieni pour andrô via, tu vieni, auxquels on peut
comparer à la médiale des cas comme femmina pour fcmina. Si les
groupes a ccasa, e ffa n'ont point pu susciter de même des formes comme
la ccasa, mi ffa, l'explication s'en trouve dans l'atonie et par conséquent
dans la brièveté nécessaire de a, e, la, mi; 1 casa est aussi impossible
que âmâto. C'est précisément l'union étroite des petits mots de ce genre
avec le mot suivant qui a préservé dans beaucoup d'entre eux la con-
sonne finale, soit toujours : //;, con, /jerCdialectalement co, pe), non (mais
quand il est isolé, no), soit seulement devant les voyelles : ad, ed, dans
l'ancienne langue aussi od, clicd, sur. Les anciens, prenant le (/ dans ces
mots pour un son euphonique, ont dit aussi abusivement : mad, ncd,
sed {magis, nec, si) ' .
i. Dans la traduction calabraise de la GcrusaUmmt llbcrala par Carlo Cusen-
l6 H. SCHUCHARDT
Je m'attends à une objection, non point contre la théorie que je viens
d'exposer, mais sur la possibilité de la concilier avec ce que j'ai dit plus
haut. On dira : dans né ttu = nec tu il s'est produit une assimilation ; or
cette assimilation, qui a lieu après les voyelles, qu'a-t-elle de commun
avec le renforcement des consonnes après une consonne? ne sont-ce
pas là des phénomènes d'un ordre tout à fait différent? Cette difficulté
m'amène à rechercher ce qui se cache ici sous le nom impropre d'assi-
milation. Une consonne a disparu, une autre a été allongée ou redou-
blée : avons-nous là deux phénomènes successifs? Non, car quand une
fois une consonne a tout à fait disparu, il ne se produit pas pour elle de
compensation : la langue n'élève pas de monuments à ses morts. L'allon-
gement de la seconde consonne est tout au moins contemporain de la
chute de la première, mais il peut lui être antérieur, ainsi de cun'la
peuvent s'être formés cunlla^ culla. Ne peut-on pas supposer qu'après
une consonne finale, la consonne initiale a été renforcée ('qu'elle l'ait été
tout de suite jusqu'au degré actuel, ou d'abord à un moindre degré), et
qu'ensuite, devant cette consonne renforcée ou entrain de se renforcer, la
première a disparu? C'est ainsi que W. Hartel 'Etudes homéric^ues. Obser-
vations sur la prosodie et la métrique d'Homère, 2" édit. Berlin 1 873 , p. 55)
explique aussi, par la nature des continues grecques qui avaient autrefois
un son plus plein, l'absorption et la chute de certaines consonnes ini-
tiales. Cet écrit contient d'ailleurs plusieurs autres remarques qui méri-
tent d'être prises en considération dans l'étude qui nous occupe, et
l'auteur (p. 48 s.) renvoie expressément aux modifications de la con-
sonne initiale en italien. Une consonne finale suivie d'une ténue initiale,
ou bien se conformait à l'analogie des autres cas Qna ttu comme ma
llui = mas lui), ou bien portait la ténue à renforcer d'abord son accent,
puis sa quantité. Cf. p. ex. kymr. a thi = ac ti. On lit dans la Gram-
matica celtica {2" éd., p. 193) : « In allatis exemplis [a thi, a chledyf]
transiit et in th, ce in ch ut in mediis vel extremis vocibus. » A chledyf est,
en effet, identique à sych = siccus. Mais d'après la loi des médiales ac ti
aurait dû donner ai thi comme tact donne laith. Th est pour tt, que le t
soit vraiment redoublé ou prononcé emphatiquement : saeth = sagitta,
laith = laitt = lactt, a thi = a tti = ac tti.
Nous voyons en même temps par ces exemples, si nous voulons conser-
ver la désignation reçue, que l'assimilation entre la finale et l'initiale et
celle qui se produit entre médiales ne sont point du tout identiques. iVè ttu
n'est point tout à fait semblable à /uHo, parce qu'il est identique à Ne rre,
tandis qu'à la médiale on ne trouve pas rr pour cr. Il y a aussi, bien
tino d'Aprigliano (Cosenza, 1737), on remarque la très-fréquente addition d'un
d final devant une voyelle initiale, p. ex. jocad, praticavad, aperïud (3* pers. sg.
parf.), ed {est), sud (sunt), staud istant), cud (cum), ped (per), etc.
PHONÉTIQUE COMPARÉE I7
qu'elle soit moins évidente, une différence entre l'ancien italien amallo et
le romain amallo, parce qu'on ne dit pas en anc. ital. ainacci, comme
ici amacce. A la médiale, ce sont certaines consonnes seulement qui tom-
bent devant certaines consonnes; à la finale, c'est toute consonne devant
toute consonne; l'assimilation est sans réserves. La préposition ad en
composition montre la même liberté. Il faut que la consonne finale se
soit encore maintenue devant les voyelles longtemps après qu'elle était
devenue muette devant les consonnes. Il faut qu'il y ait eu un temps
où è amara était un hiatus aussi bien que plus tard o a lui ou qu'aujour-
d'hui a amici.
Il s'agit maintenant de savoir si dans les dialectes italiens une con-
sonne reçoit après une consonne un renforcement quantitatif, mais c'est
un point sur lequel je ne veux pas m'exprimer avec trop d'assurance.
En effet, je n"ai presque jamais trouvé dans ce cas la consonne ini-
tiale exprimée par un double caractère. Cependant le prof. Vescovi
(Fanfani, Vocabolario dell' Uso Toscano, p. 775) dit expressément que la
consonne possède, après une consonne ou une voyelle accentuée, le
« Suono forte, gagliardo e vibrato ; « que par ex. l'm dans nel mondo sonne
précisément comme dans è mondo et non pas comme dans questo mondo.
En ce cas nous aurions pour les différences quantitatives le même rap-
port que pour les qualitatives. Car, après une consonne, c'est toujours
la consonne forte qu'on prononce à l'initiale^ non-seulement quand elle
est primitive, mais encore quand elle est secondaire. Ainsi, dans plusieurs
dialectes, au lieu de non va, on dit non ha ou plutôt non hba et dans
d'autres /jofc/?a. Cesformes sont tout à fait entre elles dans le même rapport
que // mondo, il mmondo et (florent. vulg.) immondo. Je suis donc con-
vaincu qu'après uneconsonne la consonne initialea un son quantitativement
plus fort qu'après une voyelle non accentuée ; mais si ce renforcement
quantitatif est un allongement, il n'a pas besoin d'atteindre le même
degré qu'après une voyelle accentuée, et il ne l'atteint pas. Au reste ce
sont là des nuances qu'il est bien difficile de vérifier dans la pratique.
Après avoir exposé l'état général des choses dans les dialectes italiens,
je veux appeler l'attention sur les particularités les plus importantes que
montre sur ce point chaque dialecte. Je commence par le florentin. Les
modifications quantitatives qui se présentent ici sont regardées comme
faisant partie de la langue écrite. Le son fort se fait entendre au com-
mencement des phrases à ce qu'assure Salviati, /. /., 1, 222 ; je me suis
demandé plus haut si on doit l'admettre après les consonnes. Les mots
terminés par une voyelle qui produisent un renforcement peuvent se
ranger dans les catégories suivantes (je suis ici pour le détail l'article
cité de d'Ovidio, p. 4 ss.) :
I. Tous les mots accentués sur la finale, qu'ils se soient originairement
Romania,lll 2
|8 H. SCHUCHARDT
terminés par une consonne ou non, ainsi (uj louiez les parole tronche ,
{b) tous les monosyllabes qui ont un accent propre. Sont exceptés :
i) Les mots qui sont apostrophés. C'est ce que dit Salviati tout à fait
généralement; d'Ovidio ne parle que des mots qui peuvent perdre un /
final. Ainsi ha' = hai, e' = el {egli), pé =^ pei, etc. Les impératifs, qui
d'après lui sont aujourd'hui plus usités, vai, fai, 5/^/(pour les anciens va, fa,
sta),r\e sont pas autre chose que des 2'-' pers. sg. ind. prés. Mais le renfor-
cement n'est-il pas également abandonné après i' = io, vo'^=voglio, etc. ?
Il est vrai que bien des mots reçoivent une apostrophe tout à fait abusive,
et ceux-là, bien entendu, ne font pas exception à la règle. Ainsi d'O-
vidio écrit fe' aussi bien pour fè = fede (comme rè = rege) que pour
fè =fecit (cette forme est àfei, qui seul appellerait une apostrophe, ce
que vende est à vendei), di' pour dï = die.
2) Les interjections ah, eh, ih, oh, uh. D'Ovidio dit de ces mots,
p. 1 1 : « Non producono di nécessita raddoppiamento, benchèquesto per
maggior enfasi possa farsi. )> Il faut réfléchir que dans les interjections
qui "se terminent par une //, la voyelle n'a pas un son aussi aiguisé que
les autres voyelles fmales accentuées, mais est plus ou moins allongée ; en
outre ces interjections se trouvent souvent devant une pause et alors,
après la pause, on a une initiale forte.
II. Tous les monosyllabes proclitiques qui se terminaient origi-
nairement par une consonne comme a {ad), e (et), 0 (aut), ne {nec), ira
(trans], mais non point mi, ti, si, ne (inde), di [de], etc.
Rem. Se {si^ suit l'analogie de e, ne, etc. On peut rapprocher le fait que
ce mot dans l'ancienne langue otïre devant les voyelles un d inorga-
nique.
m. Un petit nombre de paroxytons: corne, dove, qualche, contra, infra,
intra, sopra. D'Ovidio ne dit rien de oltra, dont la tendance à renforcer
la consonne suivante a cependant laissé des traces. A la finale de ces
mots sont venues se mêler soit la conjonction e = et, soit la préposition
a= ad. Dans le dialecte natal de d'Ovidio, celui de Campobasso,
corne, quand il est employé à la comparaison, s'unit à e, ou plutôt \'e final
est compris comme une particule copulative (qu'on songe à l'origine du
mot : quomodo, lomb. comôd, cors, cùmed devant les voyelles), par ex.
cumm' é tté {corne te). De même en Logudoro com' et, coniente et tue, à
Rome com' e tte, absolument comme là quant' et tue, ici quant' e tte pour
quanto le, et tal' e cquale pour taie quale. C'est tout à fait de même qu'on
dit dans le florentin vulgaire quand' é, quant' e pour quando, quanto
[-a, -i, -e), p. ex quand' ettu vendei, quant' e vvo' tu scommette ?
t' ha' arruggini quant' e tiu voi. En outre la particule copulative est inter-
calée dans l'italien tutt'edue, tutt'eîre, etc.; Diez Gram.i,U\, 40) s'efforce
à tort de contester ce fait. Dans bell' e fatto aussi, à mon avis, Ve est
PHONÉTIQUE COMPARÉE I9
pléonastique ; à Rome on dit encore p. ex. mezz'e accomidate. Enfin nous
trouvons le même phénomène dans des composés comme altrettanto,
aîîrettale (« in alîresï l'e non produce raddoppiamento, forse per la
forma anapestica délia parola » d'Ovidio, 1. 1. p. 1 1 , mais cf anc.
it. altresslj, et plus clairement encore dans qualcheduno, ciascheduno (cf.
frioul. ognidun). Je ne regarde pas comme impossible que dans ambedue
aussi, pour ambi duo, se cache, comme dans tutt'e due, la préposition et (cf.
esp. ambos d dos, pg. ambos de dos), bien que le d ne soit pas redoublé;
dans l'arch. amendue la seconde syllabe a été renforcée d'une autre façon :
Vm a engendré après elle une autre nasale, tout à fait comme dans le
roumain amùndoi (cf. anc. it. ognindi). Ou bien la nasale serait-elle un
développement du son bourdonnant de Purkinje, comme dans la forme
dialectale einbè — ebbene (cf. Briicke, Eléments, p. 56) ? Quelquefois
dans ces combinaisons la préposition a remplace la conjonction e; ainsi
on dit à Naples cumm 'a tte, quant 'a tte, et en Toscane aujourd'hui,
comme au temps de Villani, tutt' a due. Dans les mots diciassetîe, dician-
nove aussi, qu'il vaut donc mieux écrire par s et n doubles, a s'est
introduit. Comparez encore l'usage de a, entre povero poverino et les
pronoms personnels, dans des dialectes toscans. Par ex. à Florence poer
'a mené, poerin 'a ttene, à Tornia porammc, poarinanno, dans la Valle di
Chiana puarin'amme,puann'a nnoK Dans contra, intra qui se font suivre
d'une initiale forte, on peut aussi songer à une influence de tra (trans)
(cf. anc. fr. entreiz — * in~trans Jahrb. VI, ^66, 20); de même infra
semble s'être modelé sur intra comme fra sur tra.
On peut encore citer dans le florentin vulgaire, comme paroxytons
produisant le renforcement, les infinitifs de la 3* conjugaison latine. Ainsi
esse mme, esse lladri, prétende ddi crede cchc, pour csser me, etc.
La langue écrite n'exprime pas le renforcement de l'initiale. Si elle
veut indiquer le renforcement il faut qu'elle change l'initiale en médiale,
et c'est aussi ce qui arrive plus souvent que cela n'arriverait sans ce
motif. Non-seulement (sans parler de véritables composés les enclitiques
mais souvent encore les proclitiques sont jointes par l'écriture au mot
auquel elles se rapportent; p. ex. accanto, altato, ncppure, sebbene; dans
evviva se cache et (non. point e' = egli ou une interjection comme le
suppose Blanc, Grammaire de la langue italienne, p. 598) ; cbbcne aussi
est plutôt et bcne que eh bcne. Des formes comme locchc, dijfatti, diggiù,
dippià sont fautives au point de vue toscan, bien que souvent appuyées
par la prononciation d'autres dialectes; d'Ovidio remarque, p. 9 : « Fer
I. Cf. Potslc incdïtc di Giuscppc Gloachlno Bclli Ronuno, Renia i86j, II, 164 :
Pord vccchia; avec cette remarque: « Fovc/j. Quando si usa, si annette
con prestezza alla parola seguente con suono c in caso di compassione c di
tenerezza. n
20 H. SCHUCHARDT
un méridionale p. es. non è possibile pronunziare dipiù e digià con un
p e con un g solo senza un particolare exercizio ad hoc. » Enfin, l'ita-
lien a en grand nombre des combinaisons lâches comme chicchessia, per-
ciocché, soprattutto, pour lesquelles on écrit aussi bien clii che sia, per
cio che, sopra tutto.
Après oltra la consonne est tantôt redoublée , tantôt non ; oltra cchè
oltrachè, oltra ccià, oltracio (les deux premières formes peuvent être
comprises, ainsi qu'on l'a vu, comme représentant oltre a chè, oltre a cio),
oltraddic]uesto, oltrammisurato, olîrainondano. D'Ovidio remarque p. 12 s.
que quelque mots paraissent avoir une tendance à redoubler d'eux-
mêmes leur initiale, en dehors de l'influence de la finale précédente. On
dit g// ddei, la ddea, mio ddio ; mais il est difficile d'expliquer avec d'Ovi-
dio ce dd par le dd de Iddio = // Dio (Domemeddio aussi pourrait bien
avoir subi l'immixtion de et : Seigneur et Dieu ; mais cf. aussi les jurons
populaires florentins affededdonda,-ddina,- ddieci, caltadeddina, catta-
dcddua, dans lesquels les deux dernières syllabes sont une altération de
dio). On dit aussi spiritossanto et ognissanti, où d'Ovidio suppose avec
raison une provenance directe du lat. spiritus sanctus, ornnes sancti.
Mais il a tort de prétendre que « ogni unito a nome plurale è asso-
lutamente latino e punto italiano, » et que ogni ne peut être la cause du
renforcement de la consonne suivante, car il est sûr, comme nous le
verrons, qu'ogni exerce cette influence dans certains dialectes.
Les anciens allaient beaucoup plus loin que les modernes dans l'usage
d'écrire les proclitiques avec les mots suivants ; dans les manuscrits du
moyen-âge nous trouvons tout à fait habituellement : elle, massi, cheffu,
arriccieri, datte, = e lo, ma si, che fu, a Riccieri, da te. Après des formes
verbales apostrophées, la consonne initiale de l'enclitique est ici régu-
lièrement représentée par un caractère simple, ainsi /am/, diele, votene
= f ai-mi, diei-le, vogUo-tene. Mais après se' le redoublement peut avoir
ou ne pas avoir lieu : settu ou setu. De même après tra' et après diè
(diede) : tranne trane, dielle diele.
Il vaudrait la peine d'étudier de plus près, à ce point de vue, les anciens
manuscrits. On reconnaîtrait probablement certaines différences entre
eux pour les modifications de l'initiale, suivant le temps et le lieu où ils
ont été écrits. On trouve le commencement d'une étude de ce genre dans
la dissertation de Pio Rajna : Osservazioni fonologiche a proposito di un
manoscritto délia biblioteca Magliabecchiana (tirage à part du tome V du
Propugnatore), p. 8 ss. Le manuscrit auquel se rapportent ces observa-
tions appartient au commencement du xv« siècle. L'auteur établit que
dans des conditions absolument identiques, certaines consonnes sont
d'ordinaire redoublées, les autres non. Ces dernières sont h, d, g, m, v.
Mais les prononçait-on réellement simples ou brèves ? C'est ce qui me
parait beaucoup moins assuré que ne le pense M. Rajna.
PHONÉTIQUE COMPARÉE 2 1
Le renforcement des consonnes initiales dont il vient d'être parlé
n'est pas seulement florentin, il est général en Toscane, et s'étend
constamment du côté du sud ; jusqu'où il arrive au nord et à l'est, je
l'ignore; il ne se rencontre point à Lacques. D'Ovidio, p. 4, note i,
dit qu'il est également étranger au pays d'Arezzo, mais je ne sais s'il
faut l'en croire . Dans les Poésie giocose in dialetîo chianajuolo di Raffaele-
Luigi Billi di Casîiglion Fiorentino (Arezzo 1870), après des infinitifs
abrégés (même paroxytons) la consonne initiale est régulièrement redou-
blée, p. ex. vedè'lla mi figliola, dê'vvolîa, crede' cche, esse' ggaliardo (cepen-
dant rompece, rompeme) quelquefois après d'autres parole tronche (surtout
en ô = ère) ou monosyllabes, p. ex. Signo' vve, Signa' cche, a qquie, che
Itu, pià cche, à côté de Signa cureîo, Signa' sera, a vinl, che me, pià te, etc.
{Ddio est ici la forme usuelle). Je ne suis pas sûr que l'a renforce toujours
l'initiale suivante, parce que les composés avec a offrent la consonne
simple (acadere, aloggêre, apontère, etc.).
Dans un spécimen du dialecte voisin de Tornia (La Castagna. Lunario
di Mariangolone Cerro da Tornia, 1872. Rome 1871), les consonnes ne
sont pas redoublées au commencement du mot. Cette orthographe est-
elle bien d'accord avec la prononciation, ou des formes isolées comme
s'haffunl, p. 69, ne seraient-elles pas une trace de la véritable pronon-
ciation ?
D'ailleurs le florentin, dans les mêmes conditions, ne connaît pas
seulement des modifications quantitatives^ il en a aussi de qualitatives,
savoir :
i) C en position faible est changé en forte aspiration', p. ex. il carallo,
mais questo havallo, in croce, maïs la hroce, parti contenta, mais sono hontcnto.
On retrouve la même chose à la médiale, c'est-à-dire que le c est, comme
on dit improprement, aspiré, quand il n'est pas double ou précédé d'une
consonne. Le prof. Vescovi (Fanfani, Voc. deW uso tosc, p. 771 ss.)
n'a donc pas tout à fait tort, quand il dit, pour défendre la fameuse
gorgia fiorentina, qu'elle provient d'une loi qui règne généralement en
Italie. Au reste les Florentins ne sont pas les seuls qui souffrent de cette
gorgia; d'autres Toscans en sont affectés, mais à Lucques, à l'ise, à
Livourne, à Pistoja et ailleurs le c disparaît tout à fait : pour questo
cavallo, on dit questo avallo, pour la croce, on dit la rocc, etc.; de même
qu'au milieu des mots cuoo, dio, neviarc = cuoco, dico, ncvicare. C'est
du moins ce que dit Fanfani, /. /. p. I9^ Mais G. Gigli.dans son Vocabo-
lario gatcriniano, dit de Pistoja .• u Questa non ha gorgia, se non insen-
sibile, » et de Pise : « Pare a taluno, che al volgo siasi attaccata alcuna
1. Ascoli (Corsi di glotlologia, I, 25 n. 0 'a désigne comme scmplicc spiiito
aspro, mais ailleurs (Aichivio glottologico iuluino, l, p. XLV) comme continua soi Jj
de l'ordre des gutturales, analogue au ch allemand dans Liclicn.
22 H. SCHUCHARDT
cosa di Rorgia, ma i Pisani dicono esser quella /'quando pur sia) gorgia
venerabile, etc. » (Fanfani, p. 760 ss.). A Sienne et à Volterra, \a gor-
gia est inconnue. D'après Vescovi on n'aspire pas seulement le c mais
encore le g (mais je manque tout à fait de renseignements sur ce point) .
2) Le cet le g en position faible se prononcent sans la clôture dentale,
p. ex. divien célèbre, mais presque uomo scelebre, gran gelo, mais presque
molîo zelo : car ces deux sons faibles ne sont pas tout à fait iden-
tifiés aux français cli, j ; on les désigne seulement comme en étant très-
rapprochés; d'après Ascoli (Corsi di glotîologia, I, 22), ils s'en distin-
guent « sol per minore stretta orale. » La même chose s'observe à la
médiale.
3) Le V en position faible disparaît complètement, mais, tandis que
les autres modifications se produisent même dans le langage des
gens cultivés, cette dernière appartient à la langue de la plus basse
classe, telle que nous la représentent les Sclierzi comicidi Gio. Batt. Zan-
noni (éd. de Milan, 1850). On dit anda via, par vero, mais mi enne,
la ia, de même à la médiale caallo , laoro, proo. Dans le texte de Zannoni
que j'ai sous les yeux, il règne une extrême inconséquence ; la langue lit-
téraire induit souvent à mettre un v là où il devrait manquer, surtout
dans les formes du verbe volé, p. ex. : i' adia, /' eggo, i' enissi, i' oglia
et à côté i' vo, i' voglio^ i' vorre, V vo' ; e' vadia, e' enga, é* endea, e' enissi,
e' oie, et à côté e' voil, e' voilse, e' vorrà; la a —la va (cela va), la erità
— la verità, to' antaggio — îo' villanaccio, do oitte — do vorîe ( — due
volté), etc. Ve = vi persiste toujours. Cette particularité non plus n'est
pas restreinte à Florence. Dans les poésies de Billi, en dialecte chiana-
juolo, la chute du v se remarque dans les formes de volere dans lesquelles le
radical n'a pas l'accent, ainsi c/2' olete, ch' olesse, ci'uribbe, m'urristi (mais
vurrimmo, nun vurrï, che vurrlj ; et en outre gli occhêbili (vocaboli) et ia
(via !) Au reste, dans le chianajiiolo tout à fait comme dans l'italien du
sud, il y a quelques mots qui offrent à l'initiale g, g/u' = ital, g — /, sans
que la finale du mot précédent paraisse y être pour rien, aussi a Ghisù et
de Ghisù, con. ghiustiziaet laghiustizia, elghiudisio, gran Ghiesafatte (= Jo-
saphat).
Je dois insérer ici une remarque qui est d'une portée générale, mais
qui s'applique surtout au sarde. A regarder les choses de près, on a en
florentin vulgaire non point andà via et la ia, mais andà vvia et la ia, en
face l'un de l'autre. Dans la position forte, ce renforcement se produit
même dans la langue des gens cultivés. Mais là où s"ofFre une opposition
qualitative, je n'ai point eu d'égard à ces renforcements quantitatifs, parce
que presque toutes les indications manquent sur ce point et qu'il est
bien difficile de saisir à l'initiale le son renforcé quand le son primitif
n'existe pas à côté de lui pour le faire ressortir. Bonaparte, 1. 1., p. XI,
PHONÉTIQUE COMPARÉE 2]
dit qu'à Logudoro, dans Quantos dinaris en face de meda inari^ « d
non solo si fa sentire, ma esige pronunzia forte di doppio d ; ;> c'est que
d fort était ici plus sensible, parce que le d ordinaire se maintient habi-
tuellement dans la position faible. Le florentin des gens cultivés a pro-
prement, non point deux^, mais trois prononciations du c initial, puisque
— même si l'opinion, citée plus haut, de Vescovi est juste — la ténue
ne peut pourtant point être allongée après une consonne : a ccavallo, il
cavallo, questo havallo ; Lucques n'en a que deux : a cavallo, il cavallo,
questo avallo.
Dans le dialecte de la Sabine régnent, autant que je puis le voir, les
mêmes conditions qu'en toscan. Dans les Poésie di Loreto Mattei patrizio
Reatino nato nell' anno 1615 ^ i^orto 170s (sec. ediz., Rieti 1857),
les changements qualitatifs sont seuls indiqués; v, d, g tombent dans la
position faible, p dans la position forte devient b, p. ex. quae [qualche)
bota — onne ota, piii de illu — iia e igné (de v.), metterianu ola — a gustu,
tout à fait comme à la médiale laa, troanu — beneeiîa, ciitaini — litià,
maazzini — sbariu, sbeglià. Le b originaire persiste d'habitude à la posi-
tion faible, cependant on a occa, otte. Vse rencontre quelquefois écrit dans
l'une et l'autre position 'è rero, te vea) ; mais à l'exception de re (ital.
vi) et peut-être de mots comme virli-varli, cette notation est sans doute
fautive. On remarque de nombreuses inconséquences, comme onne doe
[ogni dove), onne guisa à côté de onne ota, onne i — ugni ï [di), —
au commencement d'une phrase ou d'un vers inii, ice mais ba, boglio,
etc., fa otà, fa ennetta, po eni, mais sa de, se icc, mais se bo' (hypoth.),
sempre ba, sempre bo, ail' antri baie, quanti bo, sdiiini bo', è rannc, sa
rasse [gr.), a ccrinà (decl.), etc.
Rome s'accorde assez bien avec la Toscane en ce qui touche les chan-
gements quantitatifs. Dans les Poésie inédite di Giuseppe Gioachino
Belli romane (Roma i86-$-i866, 4 vol.), ils sont désignés plus soi-
gneusement que dans aucun autre texte patois que je connaisse, ce qui
n'empêche pas naturellement le livre de fourmiller d'inconséquences qui
laissent partout place au doute. Le redoublement n'a lieu qu'après les
voyelles et non après les consonnes (si ce n'est exceptionnellement,
p. ex. bbun! sscnto, III, 176), ni au commencement du vers. Dans le
corps du vers on n'a point égard à la ponctuation, p. ex. Ctii è ? —
Sso io. Les infinitifs devenus paroxytons, comme esse, mette, ride, ne
renforcent pas ; da se comporte comme de et non comme a \dafd, da yoi\.
Après nu, tu, su, du, etc., il n'y a, en règle générale, pas de redou-
blement, mais il y en a un après les interjections, même quand leur pro-
nonciation allongée est expressément notée, ainsi ult cclie, ah ! ccaroiina
eh? rrisponna, noo, nnu (cf. lo soo, tutta, III, 242). A côté du renforce-
ment facultatif, nous rencontrons aussi en romain un renforcement absolu,
24 H. SCHUCHARDT
savoir : i ) pour tout b initial : hbasta, in bbusila, la bbumba; et aussi réguliè-
rement à la médiale : gabbdla,nohbilc, subbito; 2; pour tout /^' initial, ainsi
Già, buttata ggià (après les consonnes on écrit d'habitude un g simple : er
giorno); à la médiale régulièrement : diggiuno, orloggio, preggiudizio,
etc.; 5) pour y initial le plus souvent, ainsi: sîajjoja, mi' jjela, disse jjeri,
mais au commencement de la phrase Jcrsera (cf. — ajjuîo); le j de je =
gli n'est redoublé que conditionnellement; 4) pour tout gn initial, ainsi :
Ggncnte, arza ggnisempre, à la médiale régulièrement : gruggno, maggnate,
piaggnc, etc. ; 5) dans une série de mots isolés commeccusi, cquà, lia, lïi,
ppiù et Ddio dont il a été parlé plus haut. On a aussi vergine Mmaria, I,
559, II, 186. 187, mais Santa Maria, de Maria. VI de l'article n'est pas
redoublée après les prépositions [a la, su la, ira li), mais elle l'est
d'ailleurs [che II' oste, maggnà lli fichi, pijjà II' aco) ; mais des deux parts
les exceptions sont assez nombreuses pour inspirer quelques soupçons
sur la solidité de cette règle. — De modifications quantitatives, le
romain ne connaît proprement qu'une : le c palatal en position faible
descend à s, p. ex. gaîta sciccca, me sce vo (comme à la médiale capasce,
fesce) '. Pour distinguer de ce s = c le s ital. commun, on écrit ce der-
nier ssc, p. ex. ve ssclojjo, pozzo sscerne (et à la médiale e^^ce, fasscia). Le
renforcement de 1'^ en z n'a lieu qu'après des consonnes, p. ex. er zole,
in zaccoccia (et à la médiale corzo, Monzu). Le romain du moyen-âge
connaissait encore entre autres l'échange entre b et v.
La façon dont le napolitain traite l'initiale est très-remarquable, Ce
que l'abbé Galiani a dit à ce sujet dans son ouvrage souvent cité {Del
dialctto napoleîano, ir^éd. 1779, 2' éd. 1789, 3^ éd. 1827), est non-
seulement incomplet, mais encore, comme beaucoup d'autres endroits de
son ouvrage, inexact et faux, et ne mérite pas la réfutation dont le doc-
teur Carmeniello a gratifié l'abbate Strunzillo (imprimée avec l'écrit de
Galiani, dans la Scdta di scritîori ne' dialetîi del rcgno délie due Sicilie,
vol. I. Napoli 1827), sans donner lui-même à la vérité des renseigne-
ments meilleurs ni plus complets. Wentrup (^Contributions à la connais-
sance du dialecte napolitain, Wittenberg 1855), bien qu'il soit resté
longtemps sur les lieux, ne remarque rien à ce propos. J'ai parcouru une
série de textes anciens et nouveaux, mais l'orthographe en est au plus
haut degré défectueuse et contradictoire 2. Au reste la phonétique napo-
1. D'après L. Morandi (Duccsnto sonetti in dialctto romancsco di G. G. BelU
Firenze 1870, p. 97), cet se doit se prononcer « con uno strisciamenlo piano ed
uguale in tutta la sillaba, non con quel colpo aspro che si suol dar loro nella
lingua comune, ne tampoco cosl dolce che somigli al g, francese. »
2. Fasano songeait déjà à noter le renforcement quantitatif. Il dit dans la
prélace de son Tasso napolctano (Napoli 1689) : « E ttanto è bero che ppuro a
li primme conte n' havimmo assarvato, ch' appriesso la eo verboo cognionzione
PHONÉTIQUE COMPARÉE 25
litaine offre, dans son ensemble, une telle masse de difficultés, qu'on doit
vivement souhaiter qu'une étude approfondie et méthodique en soit faite
par une personne compétente du pays même. Dans l'attente d'un travail
de ce genre, je me restreins absolument aux points les plus essentiels.
Le napolitain diffère d'abord assez notablement du florentin en ce
qui concerne les conditions du renforcement. Il ne se produit pas après
toute une série de monosyllabes p. ex. après ca = (jua (qui occupe géné-
ralement la place de l'ital. che), chi (= cjui, quis; che = (juod, quid
renforce), da (mais il a lieu après a, co, pe], ma, mo [mo va = riét. mo
ba), 0, si fhypoîh.), tu. Po {= poî) a perdu une voyelle finale et rentre
donc dans la même catégorie que Di = Dio, Si = Sià l'Signore), qui ne
renforcent pas davantage. Les formes verbales monosyllabiques ont une
vertu inégale : le renforcement se produit sûrement après è, ha, je pense
aussi après so 'sum, sunt),fu. Pour d'autres je suis dans le doute; on
m'assure que po et stà renforcent, mais non vo et /à, ainsi, p. ex. ce po
ghi, mais ce va jl (ire).
Il faut remarquer par-dessus tout les formes dérivées de illc : i) lo a)
= illo (illum) ne renforce ni comme article ni comme pronom, ainsi
lo figlio, lo voglio vedè (illum volo viderc), b) = illiid (le d agit) renforce
aussi bien comme article (avec un infinitif pris substantivement ou un
adjectif de sens neutre) que comme pronom, ainsi lo bolè, lo bcro, lo
ccome, lo boglio vedè [illud volo videre); — 2) le a) =ital. gli = illi, illis
(dat. sg. et pi.), ne renforce pas, p. ex. i' le facive sape; h] = illos,
nias, comme pronom renforce, p. ex. /' le ffacive vedè; c) = illae commç.
article renforce, p. ex. /c//îg//c (les filles mais //^g/i> (les fils) ou plutôt
d'après la prononciation habituelle (comme dans ces formes 1'/ tombe
d'habitude et Vc féminin sonne comme /) i ffiglic, i figlic, si bien que la
distinction si essentielle des genres reste exclusivement confiée ù l'ini-
tiale. Il est possible que le corresponde, non point comme on l'a admis
jusqu'à présent à illac, mais à illas, et que le renforcement soit dû A
l'influence de 1':?, ce qui apporterait un appui inattendu à l'hypothèse
d'Ad. Tobler sur la formation du pluriel italien (au moins pour la pre-
mière déclinaison); — 3) la==ilLi (illam) ne renforce ni comme article
ni comme pronom : la varca fplur. le barchc), la fa (plur. le J)a). Le ren-
forcement de l'initiale se produit aussi après sso, sto, plur. ssc, stc, pour
distinguer le neutre et le féminin du masculin, et même après des pro-
noms et des adjectifs polysyllabes : chclle bcspc, clicW autc ghiojc, ccrtc
becchic {= cerîae vetulae , Valentino La Meza Canna 1, s ^, 2; cicrtc viccchic
— ccrîi vetuli, ibid., IV, 121, 2). Je remarque en outre qu'il y a ren-
che ssia, sempe qu;ise abbesogna arrcddoppiare le lettere, c accossi a II' ha,
comme a rritta, a mmanca. »
26 H. SCHUCHARDT
forcement après o,c;/;c , comme après qnarche. Parmi les polysyllabes
oxytons, les infinitifs abrégés comme 'mbroglià, sapé ne produisent pas de
renforcement. Après des mots terminés par une consonne, au moins après
gran et non, je trouve la consonne forte, p. ex. gran glnudizio — gra
ghiudizio, non boglio = no boglio.
Outre les modifications quantitatives le napolitain en connaît trois
qualitatives : v se renforce en b, g en ghi (g), d s'affaiblit en r douce
(cf. à la médiale sbanl, nghianarejare de janara (sorcière), virc= vides).
Sur V — b\\ n'y a rien à dire, si ce n'est que v dans beaucoup de mots répond
étymologiquement à b, comme dans varia, vasso, vraccio, etc.; on pour-
rait aussi bien admettre, au lieu d'un renforcement, un affaiblissement du
^ en V qui n'aurait atteint qu'une partie des mots commençant par b.
On voit ici un acheminement vers la confusion complète du v et du b
qui, en sarde, a gagné beaucoup plus de terrain. De même que dans la
série labiale, la fricative sonore a passé à l'explosive sonore aussi dans
la série gutturale ou plus précisément palatale. A la fricative; correspond
une explosive que Brùcke désigne par g' et qu'on entend par ex. dans
l'italien ghirlanda. Si ce g' se trouve immédiatement devant une voyelle
obscure, un / fugitif s'intercale entre deux ; ainsi ghï — jl, ghiuorno
— juorno. Ce ghiuorno est exactement l'ancienne forme de l'italien
giorno. De gj est venu dj, dz. Vr douce représente la fricative dentale
sonore, avec laquelle elle a la plus étroite parenté. Je rappellerai ici Vr
ombrienne, et ce son du frison de Sylt qui est intermédiaire entre r et
i ; les indigènes eux-mêmes ne savent s'ils doivent écrire bruar ou bruai
le mot qui répond à l'allemand Brod. Vr espagnole entre voyelles a un
son chuchoté analogue (cf. ti = r à Montpellier, Revue des langues
romanes, I, 123).
J'ai déjà cité plus haut des exemples du renforcement absolu de l'ini-
tiale en napolitain; quelques-uns ne sont point fondés sur l'étymologie,
comme rrè, rroba, mnialora, mme, etc. ; b particulièrement se trouve sou-
vent redoublé dans la position faible. La prononciation forte de cette
consonne est-elle ici générale comme à Rome .? L'article et le pro-
nom apostrophés sont d'habitude écrits avec / double : //'.
Les autres dialectes du sud de l'Italie continentale sont essentiellement
d'accord avec le napolitain. Les renseignements sûrs font encore plus
défaut ici. Dans la préface à&iCanti dellc provincie meridionali raccolti da
Antonio Casctti c Vittorio Inibriani (vol. L Torino 1871], on lit p. VI s. :
<c Ne dialetti napoletano e leccese è invalsa un' ortografia mostruosa,
^ barbarica, che si direbbe inventata apposta per annaspar la vista, ripro-
vatissima dal Galiani : quando la consonante in principio di vocabolo è
pronunziata piij forte del solito per via délia parola précédente, la si
scrive doppia. Anche in Italiano le consonanti iniziali si pronunziano per
PHONÉTIQUE COMPARÉE 27
eufonia quando scempie, quando reduplicate; ma si scrivono sempre a
un modo. Noi, per regda. abbiamo ripudiata questa barbarie ; ma la forza
dell' abitudine ci ha fatto cascare in essaripetute volte, malgrado il fermo
proposito di smetterla. Di alcune parole, inalcuni dialetti, abbiamo sem-
pre scritta doppiala consonanteiniziale;peresempio,inpartenopeo,m/ne,
mmio, ppà (per), cchiù, sse {se), cce' [quà], etc. »
D'après ce que j'ai dit pius haut, je ne puis partager l'opinion des
éditeurs, et je trouve particulièrement qu'ils ont tort de s'appuyer sur
l'autorité de Galiani. Mais les changements qualitatifs eux-mêmes ne
paraissent point indiqués dans cette publication avec le soin désirable.
V en position faible tombe le plus souvent, tout à fait comme en sarde :
ainsi dans le dialecte de Nardo (terre d'Otrante), /a '/fà, diddo'ieni,
eu ci 'uei (con dû vuo), à côté de si' binutu isei )'.), pi' bisitare, nu' bo-
ghiu 'nonvoglio). Cependant ici ;^ se montre souvent tant à la position
forte qu'à la faible, p. ex. a voi, me vueri.
Pour ce qui concerne le dialecte de Lecce, nous possédons un con-
trôle pour la représentation donnée par la Raccolta dans les Puesei
a lingua leccesc de lu Franciscantoni d'Amelio de Lecce fLecce i8p^:. Le v
initial est très-fréquent dans la Raccolta et tout à fait exceptionnel
ici. Il faut que le commencement du vers et de la phrase ait dans
ce dialecte la valeur de la position faible : nous trouvons dans nos
deux sources Icnne (venni), Isciu (vedo) , Ulia [voleva), Idi (vedi),
etc. ; mais aussi, dans la Raccolta, Bisciu (I, 26:?). Il n'est point rare
de rencontrer un renforcement où on attendrait un affaiblissement,
ainsi cjuantu bolii, ci me bba (se mi va), fazzu bidi, macari bai (j)er quan-
to vai). Avec nun on trouve soit nu biddi, nu bogghiu, soit nu mbiddi, nu
mbogghiu (cf. a nibita = in vita, a mbrazze = in braccia'). Le /' origi-
naire tombe dans beaucoup de cas, p. ex. sutta'razzu, fuesti'attuta, li
ueà (buoi), dojcrsi, a ddu jancn. Cette chute du r etdu b à la position faible
a eu pour conséquence ici comme en sarde que souvent à la position
forte on a préposé un ^ à des voyelles initiales, ainsi cchiù kiuta (alta),
già bansaà (alzà), e barde, e beoue bete (et est), eu bincliia (quod impkbat),
e bulie (ulivé), su bunte, (on retrouve la même chose ailleurs, p. ex. dans
un spécimen du patois de Bagnoli Irpino, Principato ulteriore : a Bot-
taiano); cf. la prosthèse du r dans le nap. raio, rccco, etc.
L'échange entre d et r s'étend aussi sur un vaste territoire. Je cite
quelques exemples tirés de textes de Spinoso (Basilicate): Rona, Ruormi,
Rinaro, li rissi, tu ruormi, lo rico (lo neutre, ma ri billczze — c dici, li
donne, fa danno, cchiù di n'nno, cci dici (che d. .<'). Ainsi ce vers : « Ti
l'aggio ritto e ti lu tornu a dice ; » mais : « mmien/.u a ri li stelle »,
<( vai a chiesa a ra spusare », « nun ti fa venccti ra lu suonno », « nun
ti pozzo luvare a ra la mente. » Dans e diposo {Race. I, 101) on a d
en position forte pour r originaire.
28 H. SCHUCHARDT
C'est sur l'échange entre ghi et / qu'il est le plus difficile d'être
éclairé ; en effet, nous trouvons souvent ghi d'une part en position faible
et d'autre part pour un y non originaire, p. ex. cchiù ghianca (I, 3$
Spinoso;, la ghiunda (I, 266, Carpignano Salentino) =junda ou, comme
on trouve souvent ailleurs, unda. La prosthèse du ; est fréquente dans d'au-
tres dialectes (même en dehors du sud de l'Italie), par ex. dans celui de
Bari: jacque iacqaa), janne (anni), jedde [ellaj, josce {oggi],jorfanicdde
(orfanellij, etc. (Rime italiane baresi di Francesco Savcrio Abbrescia Bari
1848J. Cette prosthèse du / n'aurait-elle pas été autrefois déterminée par
certaines conditions ? — Il y a encore une modification de l'initiale qu'on
peut supposer plutôt que constater : c'est la chute du g en position
faible, surtout devant r et u suivi d'une voyelle, p. ex. nu aroflo, U
addhl {galli), cornu ranu, na ratia, milli uardie, gll uasta (comme à la
médiale preu ou prehu, fatlhano, etc., et même Marharita, I, 211); mais
aussi è randc, etc. Je ramènerais au même phénomène la prosthèse du g
qu'affectionnent plusieurs dialectes (p. ex. a gara, I, 127, Santa Croce
di Morcone, je gauto = è alto, I, ^24, Spinoso). — Je ne crois point
avoir épuisé le nombre des modifications qualitatives que présente l'ita-
lien du sud. Je rappelle encore en passant cette circonstance remarquable
que m = n assimile en b non-seulement un v suivant, mais encore un f,
p. ex. à Bari mbaccie mbronte — in f., chimborme ou chiinporme — conf.,
mbierne — inferno (à Spinoso 'mpierno), cumhietto, a Chieti umpcrn
— inf., etc.
Dans le sicilien nous retrouvons au moins les trois modifications
qualitatives du napolitain, surtout les deux premières, p. ex. eu bdi, a
bidiri, e béni ppi ghiri, min ghiri, è ghianca; seulement les conditions
paraissent un peu différemment limitées. Ainsi après les formes plu-
rielles de illc, il ne se produit pas de renforcement : tu i viristi (tu
les as vues), i figghi les filles). Ce que disent là-dessus Wentrup dans
son mémoire sur le sicilien 'Archiv de Herrig, XXV) et Pitre dans le
glossaire de ses Canti popolari siciliani (Palermo 1870-71) est tout à
fait insuffisant. Ici aussi, comme dans l'italien du sud en général, on
trouve dans toute une série de mots le renforcement absolu de l'initiale,
comme cca, cchiù, cci, nni, etc.
Le corse, qu'il aurait mieux valu peut-être rattacher au sarde septen-
trional, peut encore trouver une mention ici. Il présente l'échange de
b et V, ghi et y dans des conditions qui paraissent semblables à celles
du toscan, p. ex. gran birtà, qualchc boita, tu boli, tra bieini, purtà bia
— un ghiornu, ha ghiudiziu, a ghiente fdatif, mais a jentele peuple), per
ghiuca, ensl ghientile (comme à la médiale spcrghieura, manghià, ar-
ghientu, peghiu, reghie). Mais dans les textes que j'ai sous les yeux
{Canti popolari corsi, Bastia 1843. — Fée, Voceri, chants populaires de
la Corse. Strasbourg 1850. — Mattei, Pruverbj, detti e niassime corse.
PHONÉTIQUE COMPARÉE 2Çf
Paris 1867), il y a trop d'inconséquences pour que j'essaie d'entrer ici
dans les détails. Ces modifications caractérisent sinon exclusivement, au
moins particulièrement le corse méridional;, cf. Mattei, p. XVI s. et XII;
il dit : « Au Cap Corse on appelle encore la gorge d'une montagne
a Pinzu a Berghjne, comme on le dirait à Ajaccio, parce qu'il s'agit d'un
nom propre qui n'a pas changé depuis les temps primitifs; tandis que dans
tout autre occasion les Cap-corsins disent vergine et non berghjne. »
Je le répète^ tous ces renseignements sont naturellement défectueux
et même en partie inexacts, mais il faut espérer, avec l'activité linguisti-
que qui se développe aujourd'hui en Italie, qu'il se trouvera un philologue
pour étudier spécialement ce sujet. Ce qu'on vient de lire me paraît
suffisant pour établir la thèse suivante : dans les dialectes de la Sardaigne,
du centre et du sud de l'Italie, il existe pour les initiales une loi en
vertu de laquelle chaque consonne se présente avec une double forme,
une forte et une faible (qualitativement ou quantitativement), et qui est
essentiellement d'accord avec la loi des médiales. Dans ma conviction
cette loi a régné autrefois aussi dans d'autres parties du domaine roman,
peut-être dans le roman tout entier. Voyons d'abord l'Espagne. Est-ce
qu'on n'a pas dû dire autrefois la rosa et au pluriel las rrosas, de façon
que l'r faible, qui ne se trouve aujourd'hui qu'à la médiale, alternait à
l'initiale avec l'r forte .'' La confusion de b et de v, qui s'étend au-delà
des Pyrénées en Gascogne et jusque dans le haut Languedoc (Revue des
lang. rotn. I, 314), indique une ancienne distinction entre la position
faible et la position forte. Nous trouvons trois phases successives :
\) b et V sont nettement distincts et leurs modifications se font dans le
même sens, p. ex. bove — vove, vino — ino; 2) b et j' se mêlent en ce que
leurs modifications se croisent : b kh position faible s'affaiblit ; j^ à la
position forte se renforce, p. ex. bore — vove, bino — i'//;oou bien bove—ovc,
bino — ino; comp. le sarde et l'italien du sud; 3) la distinction entre la
position faible et la position forte disparaît : c'est généralement la con-
sonne forte qui persiste seule, p. ex. bove, bino. C'est tout à fait de
même qu'en romain le b allongé a conquis aussi la position faible, et est
devenu ainsi l'initiale universelle. En général les labiales ont plus d'in-
clination pour la prononciation allongée que les autres consonnes, dont
le lieu d'articulation est placé plus en arrière dans la bouche. L'm longue
aussi est favorisée à l'initiale non moins qu'à la médiale. Cet échange
capricieux du b et du )' que nous offrent les inscriptions latines des
bas temps, et qui m'avait toujours semblé assez extraordinaire, s'explique
très-simplement par la mobilité de l'initiale sous l'influence de la finale
précédente. On ne peut attendre des lapicides ignorants de cette époque
l'observation même grossière de la loi d'après laquelle bel r alternaient
l'un avec l'autre, pas plus qu'il ne faut la demander aux scribes bien pos-
^O H. SCHUCHARDT
teneurs des chartes de la Sardaigne ou de l'Italie méridionale. Dans les
chartes sardes du xii>-' siècle, par exemple, nous trouvons à côté l'une
de l'autre des formes comme custas billas et custas villas, pro boluntade et
cum boluntade, etc. On ne reconnaît qu'une chose, c'est qu'il ne s'agit
plus ici que de renforcement du v, car on trouve bien d'ordinaire b
écrit pour v, mais non l'inverse. Le même arbitraire règne encore dans
les statuts beaucoup plus récents de Sassari : custos gotales et custu
goiale, per dcsîimognos et falso dcstimongno, etc. Mais le ^ à la position
faible commençait déjà à disparaître : à côté de o boqaier (II, xlvi.
XLvii), on trouve o ochien (III, ii), qui oquinî (II, L, etc.) ^= occid.
H. SCHUCHARDT.
Halle, août 187^.
UGGERI IL DANESE
NELLA LETTERATURA ROMANZESCA DEGL' ITALIANI.
II
Assai più che le prodezze giovanili di Uggeri si andarono ripetendo
e divulgando in Italia le vicende délia sua virilità. E certo non senza
ragione : le prime non facevano che ammannire in nuova forma la vec-
chia e noiosa storia délia lotta fra cristiani e saracini; in queste invece
si contenevano elementi drammatici in grado sommo, atti a commuovere
la natura umana senza distinzionediluogo, di tempo, o difede. La scelta
appare dunque guidata da un certo senso estetico, che nelle prime fasi
del periodo italiano sembra davvero aver avuto non poca efficacia a
rinvigorire o a spegnere la vita délie narrazioni venute a noi d'oltre-
monte. E dico nelle prime fasi, giacchè questo senso poco a poco si
venne corrompendo, quantunque non cosî presto che i suoi effetti non
si facciano sentire anche nel tempo délia peggiore degenerazione.
In luogo di un solo, questa volta tutti e tre i testi che ho descritto
nel principio devono esser presi in esame. Abbiamo dunque tre version!
da contrapporre alla francese ; l'una franco-italiana (ms. XIII marc),
toscane le altre due : e di queste ultime in prosa l'una (III" libro délie
Storie di Rinaldo), l'altra in ottava rima (primi nove canti del Danesé).
Una prima occhiata ai contorni mette subito in evidenza un fatto assai
importante : i tre testi italiani hanno comuni molti casi che la Chevalerie
Ogier ignora, ne ignorano un' infmità che si contengono in quella; tutti e
tre vengono quindi a comporre una famiglia a parte, che appunto
potremo chiamare la famiglia italiana. K in questa ancora ci si viene
ben presto a manifestare una seconda distinzione : i rapporti scambievoii
délie versioni toscane sono di gran lunga più stretti che quelli di cia-
scuna délie due colla franco-italiana : cosa di certo che non sorprende.
ma che tuttavia avrà da essere uno dei punti su cui maggiormente si
dovranno rivolgere le indagini critiche di questo mio studio.
Le troppo gravi differenze délia famiglia italiana da tutto il resto délia
stirpe non mi permettono di cominciare altrimenti ciie coll' analisi di
p p. RAJNA
uno tra i nostri testi; solo dopo di ci6 riusciranno possibili le compara-
zioni. Ma si puô dubitare a quale di essi convenga dare la preferenza;
giacchè la maggiore antichità, cheporterebbeallascelta délia compilazione
franco-italiana, non puô valere per un criterio irrefragabile. Ragioni a
mio giudizio assai gravi, ma che non potranno apparire chiaramente se
non quando la questione sia slata svolta, m'inducono a condurre il mio sunto
sul testo in oltava rima, quale è dato dai mss. fiorentini. Cosî facendo
oltengo anche il vantaggio, certo non ispregevole, di far conoscere un'
opéra popolare che va noverata tra le migliori o le meno peggio del suo
génère, sopratutto per ciô che spetta ail' efficacia del sentimento. A ri-
sparmio poi di spazio e di tempo soggiungerô insieme in nota i luoghi
délia prosa che corrispondono ai tratti che citerô dalla rima, in maniera
che il confronto délie parole possa farsi fm d'ora senza bisogno di ripeti-
zioni.
Il poema comincia al solito con un' invocazione sacra; ma ciô che qui
v'ha d'osservabile si è una classe di ascoltatori di cui si fa menzione
nella prima stanza prima di rivolgere qualche parola di ammonimento
alla buona gcnte, che costituiva l'uditorio consueto dei cantambanchi :
Donami grazia per la tua piatade
Ch'io pos[s]a dar dilet[t]o a' tuo pastori
Che a udirmi stanno per lor cortesia'
Per discacciar la lor malinconia.
Carlomagno tiene corte per la Pentecosta. Alla baronia cosî radunata
egli manifesta che Massimione^, perfido saracino signore di Verona, più
non manda il tributo, e che dei messi nessuno ritorna; chiede chi voglia
rinnovare la prova, e vede tutti star zitti per paura. Ma se gli altri
temono non teme il Danese, che spontaneamente si profïerisce, soggiun-
gendo di voler menar seco Berlinghieri suo cognato. E questi senza
punto titubare si dice pronto :
Con esso te, o cavalier possente,
Intendo senpre vivere e morire.
Carlo allora, dopo averti ringraziati, commette il messaggio :
E 'I Danese rispose : E' sarà fatto ;
Ma primamenle vo' far teco un patte.
1. Le prime otto stanze, corne già avvertii (V. Romania II 157) sono per-
dute nel codice magliabechiano. Ne! citare i passi mi attengo il più che posso
alla lezione del manoscritto , ma non a segno da riportare versi assolutamente
errati. Se il rimedio è subito dato dall' omissione di qualche vocale d'uscita
correggo senz' altro ; dove sono necessarie mutazioni più gravi do in nota la
lezione scartata. Qui il codice aveva che a udirmi mi staranno per la lor chor-
îesia.
2. Il cod. laur. scrive Mansimione.
UGGERI IL DANESE 55
Tu sai che Baldovin, mio caro figlio,
Rimarrà sanza padre s'io non torno ;
Chi sarà sua difesa 0 suo consiglio ?
Prima lo vo' saper ch' i' vada attorno.
Alla risposta Carlo diè di piglio :
lo t'inprometto che la notte e '\ giorno
Senpre starà col mio figliuol Carlotto :
Mai non gli mancherà solo un pilotto'.
Cosi confortato e salutata la moglie, Uggeri col compagno s'avvia,
e si conduce fin presso Brescia. Qui il siniscalco che teneva la terra per
Massimione vuol toglier loro i cavalli, ed è ucciso dal Danese. Di poi
giungono aile porte di Verona. Uggeri chiama il portinaio, che saputo
il suo nome, gli passa con un darde la coscia. Cade il poveretto ; ma
appena si puô rialzare chiama di nuovo il feritore, che imprudentemente
si affaccia e paga le pêne colla vita. Il Danese crede tuttavia di dover
morire; ma asciugandogli Berlinghieri la ferita con unfascio d'erbe, viene
per caso a trovarvesene una che ha virtii di far stagnare il sangue. S'ad-
dormenta allora il barone, e al risvegliarsi si trova guarito, quando
appunto il cognato lo piangeva morto. Ed ecco che mentre Berlinghieri
va in cerca del cavallo, il Danese sente una voce domandargli pietà : è
una fata inseguita da un follette. Da lei richieste egli le traccia per
ricovere un cerchie, e non dà ascolte aile parole dell' inseguitore. Perô
cestui si parte, dope di che anche la fata si allontana. Raccontata l'av-
ventura a Berlinghieri, il Danese si apparecchia a entrare con lui in
Verena, deve con Massimione si trova anche Lucane re di Schiavonia,
che ha promesse in isposa al tiranno una sua serella. E non è piccela
fortuna per gli ambasciatori; giacchè propenendosi Massimione d'impic-
carli, Lucane glielo impedisce. Vengono dunque i bareni di Francia, e
Uggeri espone il messaggie colla solitatemerità, tante che il saracine non
si contiene più, e cerca impadronirsi di lui per mandarlo aile ferche. Ma
il valere del Danese per una parte, (Canîo II) per l'altra la fermezza e
lealtà di Lucane, impediscone che la cesa abbia effetto. Massimione allora
offre due partiti : o il Danese gli dia tre colpi di spada, sotto pena di morte
se non riesce a fargli maie, o ne riceva egli tre. il primo partito è pre-
scelte, bencliè assai più pericelose che non paia; giacchù il saracine
indossa armi cesî rebuste, che non terne di nulla. E infatti i primi due
I. F" 50 r« : « Allora el Danese s' inginocchiô e disse a Carlo : Santa corona,
» io non b altro figliuolo che Baldovino. lo lo lascio sanza padre per fornire la
» tua bisognia. Se alcuno maie per qucsta andata mon advcnisseionon ti potrei
» mai aniare; insino alla niortte sarei tuo nimico; e periS, signiore, io ve lo rac-
I) comando. Carlo lo abracciô e baciollo, e disscgii : Il tuo figliuolo Baldovino
» mi sarà racomandato quanto il mio figliuolo Carlotto, e senpre insicme si sta-
» ranno. »
Romania, III 3
J4 P- RAJNA
colpi riescono vani ; ma avanti di vibrare il terzo Uggeri si raccomanda
alla Vergine. Questa manda san Giorgio, che aiuta a menare la spada,
cosicchè questa volta non valgono le armature e Massimione cade morto.
Lucano, che solo tra tutti ha visto Papparizione, ne dà conto a! Danese,
e manifesta il proposito di prendere il battesimo. Senza punto tardare i
due cristiani corrono la terra e se ne fanno padroni; Lucano corre a
Brescia,la prendee costringe i saracini a rinnegare Maometto; impadro-
nitosi poi anche di Padova, torna a Verona, dove è accolto con festa
da Uggeri. Si avvertepoi Desiderio, che subito manda vescovi echierici,
e quindi viene egli stesso. Lucano offre la sorella al Danese ; ma avendo
egli altra donna, la fanciulla vien fidanzata a Berlinghieri. Allora
i pagani si battezzano. Di tutti questi successi Uggeri dà conto a Carlo
con una lettera, in cui non iscorda di raccomandare di nuovo a lui e ai
suoi baroni il figliuolo, E non è a dire se l'imperatore si rallegri, e se
mostri affetto e faccia onore a Baldovino e alla madré Ermellina; tutta la
corte è in festa, e con danze, canti, suoni, si viene manifestando l'alle-
grezza universale. Ma se gli altri gioiscono, Gano invece si addolora;
nella gloria del Danese egli vede l'esaltazione di Rinaldo e dei Chiara-
montesi, e Pabbassamento délia sua propria stirpe. Perfido corn' egli è
sempre, chiama Carlotto e gli afferma che l'imperatore ha giurato di
lasciare la corona a Baldovino :
E Carlotto rispose a quel tinore' :
A Baldovin senpre amer vo portando ;
Contente son ch' egli abbia questo onore2.
Pure Gano sa vincere questi buoni sentimenti insinuandogli che sarebbe
tenuto bastardo, e dispostolo ad uccidere Baldovino gliene suggerisce il
modo. (C. ///) Vestitosi a bianco con cinquanta donzelli e fatto vestire
'i rosso Baldovino con pari brigata, vada, egli dice, a S. Dionigi per
^îô'étrare, sotto pretesto di far onore al Danese. Scontratosi col giovane
compagno si lasci poi cadere da cavallo, e simulando per ciô un accesso
d'ira, lo uccida :
Pc' tene vieni a me sanza temere :
lo saprô tante cel tue padre fare
Ch' io ti farô quel fallo perdonare'.
Il disegno è messo ad esecuzione e le due brigate dei giovani si partono.
E in quella notte Ermellina è turbata da un sogno funesto, che fa si ch' ella
si desti gridando e piangendo, in guisa da far accorrere Namo suo padre,
e molti altri baroni e dame. Intanto i giostratori giungono a S. Dionigi :
1. Il cod. a que tinori.
2. F" 52 v : « Di questo son io centento, se piacie a Carlo. »
3 . Ib. : « E poi tene vieni a casa mia ; ed io farô poi la pacie trattè e Carllo. »
UGGERI IL DANESE 55
Carlotto noi faciea già volentieri,
E ben gli dispiaciea cotai vivanda ;
Ma tanto Gano 1' avea consiglialo
Che fu con Baldovino al canpo andato.
Ma nella giostra ogni volta che Baldovino s'incontra con Carlollo lo
schiva, sicchè questi viene al maganzese Ansuigi, mandato da Gano :
Vedi : s'io non ci avessi altra cagione
lo non gli farei mai tal falligione'.
Ansuigi gli fa prendere il suo cimiero e cosî riesce a ottenere che il
figliuolo del Danese al primo incontro lo uni e lo abbatta. Il cimiero cade
e l'errore si fa subito manifeste; perô Baldovino si butta ginocchione
dinanzi a Carlotto, scusandosi e dicendogli di prendere vendetta. Allora il
figlio di Carlo, istigato da Ansuigi,
Dal bello inbusto gli tagliô la testa 2.
Com' è ben naturale si leva gran romore, per cui Carlotto non tarda a
mettersi in salvo con Ansuigi
A una terra di Gano di Maganza'.
Il cadavere, posto sopra una bara, è portato a Parigi :
La trista madré non sapea il tinore;
Nel suo palagio quel di si danzava *.
Là in sulla sala è recata la bara :
Come fur sulla sala, umile e piano
Posar quel corpo con tormento asai ;
Ciascun credea che per gabbo si faccia
Per contraffar la lesta ella bonaccia :
Onde Ermellina corse a quella bara ;
Ridendo la scoperse, i' l'ô saputo*.
Alla vista del figliuolo ucciso ella tramortisce e cade; Orlando [;iur\»
di starsene rinchiuso fmchè non sia punito Carlotto ; Rinaldo va con lui ;
e Carlo, che non era ivi présente, risaputo il caso funesto,
A piangier cominciô con capo chino ;
Di testa la corona si cavône
Diciendo: Lasso figliuol di Pipino!
Di portar mai corona non son dengnio,
1. F" 53 r" : « lo non voglio seguitare più innanzi questo inalc. Tu vedi che
» senpre mi riguarda. »
2. Ib.
} Ib.
4. Ib.
5. Ib.
(( Ellevùgli la testa dallo 'nbusto. »
(( Andaronsenc a Fontieri. »
« E qui s' attciidcva a danzarc. »
« E quando giunsono ogniuno scne ridea crcdendo clic lo faciessono
» per dare sollazo aile donne, come si ta alcuna volta aile teste. E ouando posa-
» rono la bara nel mezû délia sala ed Ermellina fu la prima che ridendo corse e
1) scopri la bara. »
JO p. RAJNA
Perché perduto ô si franco sostengnio.
O lasso a me! corne dirô al Danese
Quando mi chiederà il suo caro figlio?
O lasso a me, ch' egli à quel bel paese
Conquistato con suo propio consiglio!
O lasso a me! Perché tanto palese
A guardar Baldovin diedidi piglio?
O lasso a me! che potrà dir la giente
Del tradimento che fatt' ô présente?
Maledetto sia il mese ell' ora' e '1 punto,
0 figliuol mio, ched io t'ingienerai,
Ch' assî duro partito son qui giunto !
Tapino a me! perché non t'afogai?*
Gano, malizioso, cerca d'insinuare al vecchio imperatore cheforse il torto
venne da Baldovino :
Carlo rispondez; Non mi ragionare,
Malvagio uomo, pien di ma! latino,
Perch' io vorrei Carlotto fosse morto,
Bench' io non so da oui si venne il torto.
Quindi il buon vecchio va ad Ermellina e manifesta a lei pure il suo pro-
fonde dolore, promettendo gran vendetta sopra Carlotto. Per suo consi-
glio Baldovino, tra un lamentare continue, è deposto in una tomba.
Ed ecco che il Danese, messo ordine a ogni cosa e lasciato Berlin-
ghieri a custodia dell' acquisto, con Desiderio, Lucano e numerosa bri-
gata se ne viene verso Parigi. Carlo eccita i baroni a celare il dolore, e
per mezzo di Namo ne fa preghiera anche ad Ermellina :
Ed ella gli rispose : Padre mio,
Quanto potrb cielerè il mio dolore.
Con grande addobbamento si va ad incontrare Uggeri, che subito
domanda Astolfo del suo Baldovino, e ne ha per risposta ch' egli è a
caccia con Carlotto ; ma cosî rispondendo Astolfo non puô frenare le
lagrime. (C. IV) L'incontro con Carlo è commovente : domandato del
giovinetto, Pimperatore Io dice ancor egli a caccia, continuamente
piangendo, il che il Danese pensa egli faccia
Per tenereza di sua ritornata'.
Lucano e Desiderio sono onorati altamente da Carlo, che fattiseli
sedere ai due lati, dichiara al primo la fede cristiana e gli espone quella
leggenda di Maometto, come rinnegasse il cristianesimo per dispetto di
1. F" 53 v° : « E quando senti chilT avea mortto si cavô la corona di capo,
» e disse : 0 figliuolo Carlotto, maladetto sia l'ora e '1 punto ch' io t' ingie-
» nerai. »
2. Il cod. rispone.
3. F" 54 r" : « E credeva chello faciesse per tenereza délia sua tornata. »
UGGERI IL DANESE 57
non esser stato creato papa, che trovava tanta credenza nel Medio Evo.
Lucano lo ringrazia, e desiderando di vedere Orlando e Rinaldo, va
colDusnamo ed Uggeri al palazzo dove si tengono rinchiusi. Cola li tro-
vano vestiti a bruno ; abbracciato da loro con lagrime il Danese pensa :
Forse piangon costor per tenerezza
Ch' ànno di me perché son ritornato.
Ma de! vestire molto gli è gravezza :
Debbono avère il lor core aghiadato.
Una scena consimile, ma più dolorosa, si rinnova subito dopo, quando
Uggeri viene ad Ermellina. Tuttavia il giorno passa senza che in lui
nasca alcun sospetto :
La sera venne ed al letto s'andaro ;
Insino ail' alba insieme si posaro.
Corne l'alba del giorno fu apparito',
Sendo la notte scura trapassata.
Il buon Danese si fu risentito,
E Ermellina era ancora addormentata ;
Ed e' mirando il suo petto fiorito
Vide la dama nel viso canbiata,
E '1 suo chiaro color partito s'era,
Ella sua carne tutta pesta e nera.
Istorpire la vedea molto forte
E lagrimar negli ochi nel dormire.
Destolla il buon Danese a cota' sorte;
Poi che fu desta cominciô addire :
O gientil dama colle menti acorte,
Dimmi quai pena ti fa si languire.
Ermellina rispose con pavento :
Marito mio, ingniuna pena senio.
Disse il Danese : Non mi ti cielare,
Perché veduto l'ô ne' tua senbianti.
Se non mi manifesti taie afiare
Uccider mi vedrai tosto davanti.
Rinaldo fatto m'a maravigliare
E '1 buono Orlando di lui due cotanti,
Che nel palazo son vestiti a nero.
Tosto mi cava di cotai pensiero.
Ellaî, veggiendo non poter cielare
Il fatto, tosto appiangier cominciava.
Disse : Danese mio di grande affare,
Per nonc addolorarti ti cielava.
Poi ch' ai cotale affetto' di saperc
1. Forse : Corne fu l'alba c 7 giorno ju apparito.
2. Il cod. Ermellina.
3. Il cod. porta etielto, c 1' cdizionc del i^i? : Ma poi che tat efccto ( Ja
saperc. Ma questc mi paiono Iczioni nalc dall' avcr malo inlcso il passo, che a
58 P. RAJNA
Più non ti vo' cielar la cagion prava ;
Poi che venuti siamo a questo porto
Or vo' che sappi che tuo figlio è morto.
Corne M Danese udi cotai tinore
Subitamente allor fu tramortito.
Morto senbrava e non avea sentore;
Ermellina credea fosse transite ;
Onde lev6 un gran pianto con dolore,
Da molta giente il pianto fu sentito.
I panni si mettea subita e ratta ;
Fuor délia zanbra usci corn' una matta».
Accorre Namo; Uggeri si risente e vuol sapere dalla moglie corne la
sventura sia accaduta; ella glielo narra, attribuendo peraltro al caso ciô
che da Carlotto fu fatto a studio 2. Intanto il misero padre si è vestito;
fattasi indicare la chiesa dov' è sepolto il cadavere, vi si conduce, e co-
stringe con minaccie il guardiano a mostrargli la sepoltura :
[E] come la gran lapida à levato
II Danese ebbe veduto il figliuolo;
Con gran dolor per nome !' à chiamato ;
Pensar dovete s'egli avea gran duolo !
O figliuol mio, io sono attè tornato,
Trovar non ti credea in questo stuolo;
Rispondi al tuo Danese padre caro,
Che per te porta gran dolore aniaro.
0 caro Baldovin, tu non rispondi
Al padre tristo che ta! pena porta.
Non vedi tu che '1 bel parlar nascondi?
Ov' è la mente tua cotanto acorta?
O caro Baldovin, tu non rispondi!
La tua persona più non mi conforta.
Chi mi t'a tolto, dolcie mia speranza?
me ricorda il dantesco : Ma se a conoscer la prima radia Del nostro amor tu hai
cotanto affctto.
1 . Ib. : « E passato el giorno Uggieri si coricô colla sua donna, che senpre
» piagneva abbracciandolo, tanto che Uggieri le garri del suo piangniere ; e
» dormendo la notte non si destô mai Uggieri ch' ella non piagniesse. Ella mat-
» tina sul di chiaro ed Ermellina piagnieva dormendo, effacieva si grande el
» pianto, che '1 Danese, che dormiva, si destô, e voltossi allei e chiamolla e
» disse : Donna mia, tu mi dirai perché fai si grande il pianto. Ed ella il
» cominciô maggiore, e abbracciavalo e disse ; Io mi facievo un sognio nuovo.
» Disse Uggieri : Tu non di' vero ; essettù non me Io dirai io t'ucciderô, e
)) poi ucciderè ancora me. .Allora ella si picchiava el viso con anbedue le mani,
» e disse : O signior mio, perdonami, inperô che Carllo m'a fatto tenere
» cielato il tuo e mio dolore. Ora io non posso più tenerllo cielato. Sappi che
» Baldovino tuo figliuolo è mortto. Uggieri gli prese tanto dolore àl quore ch'
» egli si volse per levarsi e tramorti e cadde atterra del letto. Allora Ermellina
» cominciô a gridare con gran pianto. »
2. Nel ms. magliabechiano fu qui omessa una stanza, che le stampe recano,
e che è veramente necessaria.
UGGERI IL DANESE Jf)
Tu eri mio conforto e mia alegranza.
Il Danese abracciava Baldovino,
Di quella seppoltura lo cavava ;
E come fusse stato un banbolino
Per la città di Parigi il portava.
Le gienti che '1 vedean tanto meschino
Di lui ciascun piangieva c lagrimava.
A Carlo sen gi a guisa d'uno pazo,
E trovôl nella sedia in sul palazo.
E disse : Carlo, rendimi il mio figlio
Ch'io ti lasciai quando feci partita,
Quai era mio conforto e mio consiglio ;
Il tuo figliuol mi gli à tolto la vita.
Ito son senpre inn' ongni tuo periglio
Fra quella giente pagana stordita.
Questo non è il figliuol ch'io ti lasciai.
0 lasso a me! perché in tal luogo andai?
Tu promettesti a me, santa corona,
Di guardar Baldovin fin ch'io tornasse:
Tu non mel rendi, io non so la cagione.
Carlo piangieva colle menti lasse ,
E niente risponde[a] a tal scrmone,
Benchè Danese spesso domandasse,
Di tal vergongnia stava in contumacie ;
Ciascun piangieva quel figliuol veraciei.
Gano, che si trova présente, va a Carlotto e lo consiglia di uccidere il
Danese, se non vuole che questi prenda vendetta di lui. Carlotto si arma
e subito viene al palazzo :
Disse Carlotto : 0 malvagio barone,
Come se' ardito di far tal lamento?
Il tuo figliuol non uccise Carlone,
Anzi fu' io, e già non me ne pento.
Com' io uccisi il tuo figlio sterpone
Uccidrô^ te, se più arai ardimento
Di fare motto. Dipartiti quinci ;
Tanto non aspettar ched io cominci'.
Infellonito per queste miraccie scagliate cosi in mal punto, Uggeri alîerra
la spada,
1. Ib. : (I Allora Uggieri... sen' and5 alla sepoltura, ettrasscne luori Baido-
» vino che già sentia di corru/ione, e portavalo in braccio c dicicva : 0 hgliuolo
)) Baldovino, io non ti lasciai accarlo acquesto modo. E andonnc alla prcscn/a
» di Carlo e misegli questo corpo dinanzi. E dicieva : O Carlo, rendcmi il mio
» figliuolo com' io te lo lasciai. Questo non c Baldovino. Vedi, o Carlo inpcra-
» dore, io lo rivoglio, e non nii partirè mai dinanzi attè che Baldovino mi sari
») renduto. Tutta la baronia piagnicva sentendo le tenorc parole dcl Danese. »
2. Il ms. iiccidcrd.
]. V° 54 V" : « Carlotto gridô : Io uccisi Baldovino eccosi uccidcrù le, can
» traditore. »
40 p. RAJNA
E a Carlotto la menô si presta ,
Che 'n sulla sala gli gittô la testa'.
A quella vista Carlo grida che il traditore sia morto; i maganzesi si
scagliano per dare effetto a un comando cosî grato a loro, ma Uggeri si
difende valorosamente. Orlando e Rinaldo, sentendolo assalito ne
sapendo il perché, vanno con Ulivieri al palazzo (C. V), dove il chia-
ramontese, se il cugino non lo trattenesse, si scaglierebbe contro quei
di Maganza. Tuttavia anche Orlando sta per prendere le parti di Uggeri,
quando Carlo con alte grida gli chiede aiuto, dicendogli dell' uccisione
dei figlio. Allora Orlando dice ail' amico di arrendersi; e poichè ricusa,
vengono a darsi colpi di piatto. Intanto Rinaldo
Per ira tutto quanto si rodea ;
A Frusberta due volte mise mano
Sol per tagliar la testa a Cârlo Mano.
E pur 2 si tenne per amer d'Orlando,
Pensando com' egli era suo nipote.
Al gran romore accorre Ermellina; si duole a Orlando che le voglia
togliere il raarito; quindi rimprovera questi ancora, tanto ch' egli porge
la spada al paladino. Carlo vorrebbe l'uccidesse; ma Orlando protesta
che lo lascerà nuovamente libero se l'imperatore non giura di camparlo
e solo di metterlo in prigione :
Gantraditor, che dallato gli stava,
Air orechie di Carlo si chinava :
Promettil pur di mettere in prigione.
Di chè tu vuoi' ch' egli abbia ongni di un pane
E un tagliere di carne di montone,
E bere gli fa aque di fontane.
Egli è di si gran pasto quel barone
Che in tre di morrà a guisa d'uno cane.
Tu sai ch' egli è a guisa d'un gigante,
E per sette guerrier mangia davante*.
Carlo accetta il partito e lo manifesta ad Orlando, che avendo pro-
messo deve consentire. Il Danese è rinchiuso nel fondo di una torre; sua
compagnia è il cavallo Duraforte, ch' egli ottiene da Orlando di avère
1 . F» 5 5 fo : « E al primo colpo che gli meno gli levô la testa dallo 'nbusto. »
2. Il ms. E poi pure.
3. Il ms. vuogli.
4. Ib. : « E Gano parlô a Carllo e dissegli : Sia contento che egli sia messo
» in prigione, chè qui a stento lo lascierai (il cod. lasckrci) morire come saraino
I) can traditore ch' egli è. Allora Carlo disse, avendo avuto di segreto da Gano,
» a Orlando, diciendoli : Diletto nipote mio, io voglio che 'I Danese muoia in
» prigione in grande stento e calamità. E voglio ch' egli abbia el di un taglieri
» di carne e un bicchieri d'acqua e solo pane; — mmaginando chella sua
» grande statura del Danese e robusta e fortte natura assi poca vivanda regiere
« non potesse. »
UGGERI IL DANESE 4I
con sè. Certo morrebbe Ai famé se non fosse Pamorevole astuzia del
buon paladino :
Orlando fu con que' chell' à a guardare
E disse : Tosto fa far de' taglieri
Ch' un quarto di castron vi possa stare ;
Di questo ubbidirai Carlo inperieri;
E ongni indi un pan gli abbia a portare
Di venti libre per cotai mestieri ;
Buona profenda dona al suo cavallo :
Fa che di questo non mi faccia fallo.
Ed e' rispuose : Questo sarà fatto,
Po' che t'è in piacimento, gientil sire'.
Lo 'nperador Carlo possente e adatto
Per tutto il suo reame fè bandire
Che ricordar non si debbe in nullo atto
Questo Danese, chi non vuol morire.
Chi lo ricorderà, sanza più resta
Si converrà ched e' perda la testa*.
Solo conforto al misero prigioniero si è che un giorno il mese pu6 stare
con lui la sua donna.
E qui l'autore lo lascia :
Lasciamo il buon Danese inprigionato
E si diren del gran re di Nubia;
Dalla giente era re Bravier chiamato,
Saracin era di gran vigoria ;
Quai per incantamento fu aquistato
In su 'n un monte rosso in fede mia ;
Come aquistato fu quel re Braviero
Il monte Rosso tosto si fè nero.
Conta l'autor che questo saracino
Aveva indosso demôni da ciento ;
Colle grida atterrava al suo dimino
Ciascun guerrière di gran valimento.
Sentendo nominar Carlo, chiede ai baroni s'egli potrebbe conquistarlo ;
ed essi meravigliano che possa di ciô dubitare. Deliberatosi di assediare
Parigi, ne scrive a Marsilio e ne riceve promesse di aiuto. Contidando
1. P'" SS v" : « E Orlando... andonne al soprastante e disse : Guarda chcttù
» faccia il mio comandainento ecchè non dica niente a persona, se non che io
» colle mie mani t'ama/erô. Tussai che U^gieri è uomo di gran pasto, e Carlo
» per cagione che niorisse di famé comandô che tu gli dcssi ogni giorno un
» bicchieri d'acqua e un pane e un tagliere di carne. Fa uni hicchieri che tenpa
» un quarto e un pane d'un me/.o staio e un tagliere che tenga uni mc/.o inon-
)) tone. E questo vo' chetfaccia in ogni modo. Disse el soprastante : Dio vcl
» meriti, chè voi canpate uni franco haronc dalla lame. »
2. Ib. : « Carllo, acciôchc veruno mai il polessc domandare, fccicuna leggie,
» che fusse pcna capitale a chiunquc ricordasse Uggicri o Danese... E fccicnc
» andare il bando per tulta la crisliana ledc. «
42 p. RAJNA
nella sua forza Bravieri con soli diecimila dei suoi passa a Valenza, dove
è incontrato da Marsilio. Tutti fanno allegrezza :
Ma Balugante n'ebbe gran dolore,
Perché a Carlo portava grande amore.
Dopo più giorni di festa Bravieri fa in presenza di Marsilio una prova
taie délia potenza délie sue strida, che desta in lui la maggiore fiducia ;
perô egli ancora non vuol condurre con se che ventimila uomini. L'eser-
cito si muove. Giunte a Parigi le nuove del loro approsimarsi, Rinaldo
e Riccardo d'Ormandia ' escono di nascosto — non perô insieme —
dalla città, e fugano l'avanguardo. Bravieri sdegnato caccia da se questa
gente vigliacca ; poi si avvicina alla terra, e da demonii si fa recare un
padiglione^. Fermato il campo, egli a manda a significare a Carlo che
venga a lui colla coreggia al collo e conduca prigioni i paladini. False-
rone insieme col re Dragone va a portare l'ambasciata, (C. VI) alla
quale l'imperatore risponde, che mandera chi combatta. Bernardo di
Provenza ottiene di essere il primo alla prova, ed è il primo a rimaner
prigioniero; Ottone e Salamone seguono la sua sorte. Ulivieri abbatte
ravversario :
E come voile quel gran re pigliare,
Non pessando che fosse indemoniato,
Il re Bravier cominciava a gridare
Sicome vide Ulivier dismontato.
Non mughi6 mai per tal tenpesta il mare
Quando più forte giammai fu crucciato.
Tanto fu grande il gridar di quel sire
Che Ulivieri e Rondel fè tramortire'.
Cosi anche Ulivieri è preso, il che accade poi al re Fiorello, a Gano, a
Riccardo d'Ormandia, a Lucano. Il signore di Maganza ha dal saracino
il saluto che si mérita :
Per mille volte tu sia il mal venuto,
E que' délia tua schiatta tutti quanti.
Per quel ch' i' ô dalle gienti saputo,
Dei tradimenti avete fatti tanti,
Che ben se' dengnio d'essere apenduto.
Ma se 'n sul canpo t'abatto davanti,
1 . La prosa dice sempre di Normandia, e certo ha ragione. La forma usata
dal rimatore dev 'essere stata introdotta unicamente per comodo del verso.
2. Nella brève descrizione di questo padiglione c' è qualche verso tolto a certe
ottave che irimatori si sono rubate a gara e che s'incontrano in non so quante
opère. Per me non conosco più curioso esempio dell' assenza assoluta di ogni
idea di proprietà letteraria presso quest' ordine di autori. Ne discorrerô forse tra
non molto, avendo già raccolto e ordinato i testi.
3. F» 57 v° : « Ulivieri smontè ettrasse (il cod. dtressc) fuori Altachiara, e
» andavagli adosso gridando ch' egli s'arrendesse. Ma re Bravieri messe uno
» terribile grido, per modo che Ulivieri cadde*disteso in terra. »
UGGERI IL DANESE 45
Iscannare farotti per amore
Che tu se' si perfetto traditore.
Nondimeno Gano si porta da uomo valente. Dopo questi baroni esce
Orlando, (C. VII) che a fatica puo muovere Vegliantico :
Una grande spronata allor gli tocca ;
Com' un cristian Vegliantico sospira,
E parea mormorassi colla boc[c]a.
Il cent' Orlando sua faccia rimira;
Lagrimar la vedea, onde si scocca,
E tutto era già pien di doglia e d'ira.
Parecchie parole si scambiano i due aversari prima di venire alla zuffa,
la quale, in causa délie grida, ha termine colla prigionia di Orlando,
sebbene Bravieri sia stato abbattuto da cavallo. Col medesimo artiti-
cio vien preso anche Rinaldo ; Baiardo peraltro, ucciso un saracino a
calci, si salva in Parigi.
Mentre accade tutto questo Malagigi, che si stava a custodire Montal-
bano,
Una domane su' arte gittava.
Trovô ch' un demonio era e' re Bravieri,
Ma uno cristian conquistar lo dovea;
Ma quai si fosse quel franco guerrier!
Nella sua arte già non conosciea.
Crede che sia Rinaldo a ta' mestieri,
Ond' a frategli in tal guisa diciea :
Ciascun s'allegri sanza aver dolore,
Benchè asediato sia lo 'nperadore.
Ma intanto Carlo istesso, perduti i suoi baroni, si dispone ad uscire, e il
rimatore consuma ben nove stanze a descrivere il suo armarsi. A lui
ancora accade di abbattere Bravieri e di esser preso colle grida. Al
vederlo con loro i baroni fanno gran lamento, e Orlando con amorevo-
lezza, Rinaldo con modi aspri, rimproverano a Carlo la prigionia del
Danese. Ne minore è lo sgomento nella città. Il Dusnamo manda ail'
Apostolico, perché venga colle reliquie a cacciare quel demonio, e altresi
a Malagigi, (C. VIII) che subito si mette in via con Guicciardo. La loro
venuta non fa che aggiungere due altri prigioni. Dopo vengono presi
ancora il re Desiderio, // biwri rc Ansiiier, cli'cra alamanno, il re di Sco-
zia, il Duca di Sansogna, Qiiatro ji di Girardo ddlLi rratta, Amonc,
P'araone balio di Carlo, e altri assai :
Que' che fur presi non potre' contare
Per6 che 'ncrescierebbe a queste gienti ;
Ma sccondo la storia dell' atîare
Truovo che fur guerrier trecicntoventi'.
I. F" ^9 r" : K E avcva allora re Bravieri dugcntoventi baroni. E questo fu
» el numéro de' baroni che furono presi. »
44 P- RAJNA
Non ci essendo più chi possa combattere, ail' infuori di Namo al quale
fu proibito di uscire, Bravieri intima a Carlo che gli renda la terra. Ma
Carlo rifiuta :
Il tuo tâlento di noi far pctrai,
Malla mia terra non arai giammai*.
Bravieri gli assegna un mese di tempo. Era scorso cramai il termine
senza che si presenti per i cristiani alcuna via di salvezza, benchè in
Parigi giunga frattanto il papa colla chiericîa e di processioni e preghiere
non si faccia risparmio. Bravieri fa apparecchiare le forche :
Le fè rizzar si allé, ai mio parère,
Che di Parigi si potean vedere.
A quella vista la regina tramortisce ; Ermellina allora la prega di cavare
di prigione il Danese perché combatta egli ancora :
Dicieva Gaierana ad Ermellina :
r non verre' Carlo disubbidire;
Ma se '1 pastor délia leggie divina
Ti fa ta! grazia, i' n'ô molto disirez.
Il papa consente, ed Ermellina va al Danese, che ail' udire tanti mali
dice di non voler piij vivere :
Col mio cavallo intendo qui morire.
Che forza potre' aver contra colui
Ch' à preso Oriando e M buon Rinaldo ardito?''
Cosî Ermellina si parte, e Namo allora, raccomandata la città ail' arci-
vescovo di Parigi, va ancor e gli a combattere e ad esser preso. — Ma
la notte appare ad Uggeri S. Giorgio, e gli comanda di andare allaprova:
Senpre sarà con teco mia persona
Sicome un' altra volta fu a Verona*.
Perô l'indomani il barone esce dal carcere, s'arma e s'avvia, dopo aver
toccato le santé reliquie. Ma ecco venirgli avanti vestita di bianco lafata
che sotto Verona egli ha campato dal folletto (C. IX). Ella vuol ora
rimeritargli il servigio; perô gli narra dei demonii che Bravieri ha
indosso, gli dice d'impeciare le orecchie sue e quelle del cavallo, e
quindi scompare. Uggeri torna indietro per dar esecuzione al suggeri-
mento; poi esce di nuovo e va a Bravieri, aile domande del quale, non
sentendo nulla, o non risponde o risponde a sproposito :
1. F''^ 58 V : « Re Carlo rispuose ch' egli erano suo prigioni e ch' egli gli
» poteva fare assua posta morire, ma chella città non sarebbe giamai data
» assaracini. »
2. F° 59 r" : « Disse la reyna : lo non farei questo per non disubidire il
» mio signiore; ma vattene al santo padre e domandaglie[le] di grazia. »
3. F° 59 v° : « 0 signior mio Dio, se costoro non ànno potuto durare
» acquesto saraino e corne potrô io mai durare acquesta battaglia ? E disse :
» 0 Ermellina, vatti con Dio, chè io voglio morire m questâ prigione addolo-
» rato. »
4. Ib. : « Io sar6 con teco com' i' fui a Verona. »
UGGERI IL DANESE 4Ç
Il re Bravier diciea: Ecco sollazzo,
Questi sarà di corte giocolaro ;
0 egli è muto, o briconiere, o pazzo,
Ma sua pazzia gli farô costar caro *.
S'inganna peraltro, perché questa volta non valendo le grida, Bravieri è
ucciso dall' avversario :
Corne Bravier fu di vita passato
Videsi il corpo suo fracido tutto ;
Un si gran puzo al canpo àllascïato,
Che ma' no si senti cotanto brutto ;
II Danese fu quasi spaventato,
E fra se dicie : V veggo ch'è distrutto
Un dimonio d'inferno a questa volta.
A Cristo ne rendea graziâ molta.
Il caval di Bravier tosto spario;
Ma' non si vide po' che '1 re fu morto,
Per6 ch' era un demonio al parer mio;
In inferno tornô per lo più corto^.
Uggeri torna in Parigi e diffonde l'allegrezza colle liete novelle. Armato
il popolo, lo conduce fuori. Allora Marsilio dichiara che se sarà assalito
ucciderà iprigioni; se invece gli assalitori torneranno indielro, libérera
loro tutti, ed egli si ricondurrà in Ispagna. Carlo, messo aile strette, si
accomoda al secondo partito e manda il Dusnamo al vincitore di Bra-
vieri. Questi fa che l'esercito si rivolga, palesa a Namo il suo nome, e
quindi viene a Carlo :
Dinanzi a Carlo l'ardito Danese
S'inginochiô e sua piè gli baciava.
Carlo diciea: Sta su, baron cortese;
Perché scanpato m'ai da morte prava?
Ed e' rispose : Questo fia palese;
Ma non mi levo, in tal guisa parlava,
Che tu, re Carlo, mi perdonerai ;
Per solo Iddio tal grazia mi farai.
Re Carlo disse : Tu non m'ai ofFeso,
Perdono niuno non debbe acadere ;
Perdonato ti sia ongni gran peso
Che fatto m'ai, baron di gran potere.
Quando '1 Danese quel perdono i preso
Sissi levava per cotai dovere.
Disse : I' vo' che sappi, re pregiato,
Ch'io son Danese, che tanto ofîallato.
1 . F° 6o V : « Disse lo 'nterpido al re Bravieri : Costui mi par pazo ; e
» quando lo domando e' dicie ch' lo lo 'ncanto. x
2. F" 6i r- : « Ma il corpo gittava si grande il puzzo che Uggieri tu per
« tramortire. «
46 p. RAJNA
Quando Carlo ode che quest' è 'I Danese
Subitamcnte lo corse abracciare'.
Délia versione in prosa, ora che ho dato un sunto cosi minuzioso di
quella in rima, non ho bisogno d'intrattenere a lungo chi legge. Le due
non solo si rassomigliano nell' orditura, nella scelta dei personaggi, nel
concatenamento dei fatti, ma spessissimo hanno comuni le più lievi
circostanze e perfino non poche parole, tanto da apparire quasi para-
frasi l'una dell' altra. Di ciô non occorre che io metta avanti nuove
dimostrazioni : il fatto appare già chiarissimo dai brani che ho arrecato
via via, Nondimeno la conservazione di tutte e due non riesce punto
superflua; giacchè, sia pure che esse si confondano in una versione sola,
cosicchè quanto alla conoscenza délia storia di Uggeri quale fu concepita
dagl' italiani sarebbe stata di ben piccolo danno la perdita sia dell' uno,
sia dell' altro testo : a noi rimane pur sempre una questione critica che
ci si affaccia in condizioni da farci sperare una soluzione : resta a cer-
care una spiegazione attendibile ai rapporti strettissimi che si manife-
stano tra la prosa e la poesia. Ma benche le differenze quasi scompaiano
di fronte aile somiglianze, non per questo mi posso tener sciolto dall'
obbligo di additarle a chi legge.
Nel principio la prosa, fedele al costume che essa e tutte le altre
opère consimili seguono a ogni cominciamento di libro, annoda la nar-
razione coi fatti raccontati nei libri anteriori, e precisamente colla morte
di Mambrino. Il rappicco naturalmente non puô essere altro che este-
riore; giacchè per se stessa la storia dei Danese non aveva rapporte
alcuno colle vicende di Rinaldo. Ma non solo in cio si manifestano le
tendenze ordinatrici dei prosatore; giacchè, mentre la rima comincia ex
abrupto dalla corte che Carlo tiene alla pentecosta, la prosa premette
parole che rendono l'esposizione più simile a storia vera : (f° 50 r")
<( ... avendo Carlo un figliuolo ch' avea nome Carlotto, giovane dell'
etade di diciotto anni : e in corte di Carlo era un barone chiamato el
Danè Uggieri : quest' aveva un figliuolo che aveva nome Baldovino,
ch' era il più bello giovane di Parigi, ed era délia età di quindici anni ;
I. F" 61 v" : « E quando Uggieri giunse s'inginocchiô a' piedi di Carllo coll'
» elmo in testa. E '1 re Io voile fare levar ritto : non perô ch' egli conosciesse
)) chi egli si fusse. Ma Uggeri cominciô a gridare : Misericordia ! misericordia !
)) E disse : Io non mi leverô mai di qui se Carlo Magnio, inperadore di Roma
» e re di Francia, non mi perdona. Disse re Carllo : Io non so di (juello che
» io t' abbia a perdonare, chè tu non mi ofendesti mai ; e avendomi tu bene
» offeso, tu m' ai ora tamto servito, che io ti perdono liberamente quante offese
» per insino acquesto punto tu mi faciesti mai. E cosi chiamo testimoni tutta
» (^uesta baronia : corne ô detto, liberamente ti perdono. Allora si cavô Uggieri
» I elmo e disse : 0 caro signior mio, ora vedi acchi tu ai perdonato. Quando
» Carllo vide ch' egli era Uggieri, pianse di grande tenerezza e corselo abrac-
» ciare. »
UGGERI IL DANESE 47
ettanto s'ama con Carlotto chell' uno non sapeva stare sanza l'altro,
amandosi maravigliosamente l'uno l'altro. « Cito questi particolari solo
perché si veda l'indole différente délie due composizioni ; alla quale se
non si avesse ben fermo l'occhio, sarebbe impossibile portare un giudi-
zio retto intorno aile diversità. Invece mérita di essere rilevato anche
per altri riguardi che dalla sola prosa si riferisce l'origine di tutti i
mali che seguiteranno alla malizia di Gano; il quale, corne in altri
luoghi di queste Storie di Rinaldo, cosî anche qui, richiama alla
mente di Carlo che un re pagano non gli paga da tempo il tributo : (f"
50 r") « Ed essendo Carllo im questa tranquilità e pacie, Gano di Maganza,
invidioso d'ogni bene, vedendo um di el libro de' trebuti trovô che M re
Massimione di Verona non avea dato el trebuto d'anni dieci passati ;
ettrovô che Carlo v'avea mandati molti messaggi e mai non ven' era
tornato veruno arrendere risposta. « Certo che l'imperatore scordasse il
tributo non sembrerà strano ; ma non dovrà parer naturale ch' egli dimen-
ticasse la sorte toccata ai messaggeri ; perô la parte qui assegnata al
Maganzese difficilmente si potrà concepire altrimenti che corne una
giunta arbitraria. Ma anche se è taie, anziappunto perquesto, essa èdegna
di attenzione; perché mai ciô, avrô opportunité di spiegare piii innanzi.
Ne la parte di Gano nel principio si riduce a quello che si è visto; è
egli, che sebbene molti si offrano di andare con un nuovo messaggio a
Massimione, fa cadere la scelta sul Danese : il che non accade punto
nella rima, dove anzi Uggeri è il solo e il primo che si profferisca :
Di quanti ven' avea ingniun risponde,
Niun si truova che vi voIgHa andare.
Di certe altre diversità di poco conto non gioverebbe a nulla il parlare ;
perô balzo fmo al punto in cui Uggeri e il cognato giungono sotto
Verona. Qui s'incontrano alcune tra le maggiori discrepanze che siano
fra i due testi. Nella prosa il Danese non si vendica già subito del feri-
tore, ma solo più tardi dopo aver liberato la fata ; e questa non solo gli
promette aiuto per l'avvenire, ma comincia dal scegliergli le orbe che lo
risanano délia piaga. Cosî gli elementi del racconto vengono ad essere i
medesimi, ma si trovano composti insieme diversamente.
Più oltre lo sdegno di Gano contre Uggeri è motivato con una pueri-
lità : il Maganzese s'indispettisce, e quindi s'induce a ordire i suoi tra-
dimenti, perché il Danese ha scordato di salutarlo cogli altri baroni nella
ettera ail' imperatore. Del sogno d'Krmeilina la prosa reca particolari
che la ,rima ignora. Poi è un servo che avverte Baldovino — il cimiero
non si scioglie né cade — corne senza volere egli abbia abbattuto Car-
lotto. La terra a cui l'uccisore è condotto da Ansuigi si trova precisata,
ed è Pontieri. E cominciando dal punto in cui si vien lamentando la
morte di Baldovino s'ha opportunité meglio che altrove di nolare una
48 p. RAINA
differcnza che rende assai diverse lo stile dei due testi : le fréquent! e
non brevi parlate délia rima non si trovano nella prosa se non in forma
assai più succinta; anzi non è raro che appena se ne accenni il conte-
nuto con discorso indiretto. Cosi accade che nella somma la prosa, oltre
ail' essere più concisa, riesca anche assai meno drammatica e descrittiva.
Che del reslo come la prosa ignora moite particolarità délia rima, cosî
anche a questa succéda a volte il medesimo di fronte a quella, è cosa
che basta accennare una volta per tutte. Si puô tuttavia notare, perché
tocca in qualche modo la rappresentazione dei caratteri, che manca nella
narrazione prosaica la suggestione di Gano a Carlo che si va lamen-
tando, e la risposta sdegnosa dell' imperatore.
Dopo il ritorno di Uggeri troviamo che la prosa non contiene ne la
dichiarazione délia fede cristiana ne la leggenda di Maometto, che il
rimatore pone in bocca a Carlo. Le scène patetiche del Danese colla
moglie sono sbozzate di fuga anzichè descritte ; ne il povero padre tra-
mortisce al primo* annunzio, bensî ail' udire i particolari del fatto. Il
guardiano délia chiesa dov' è sepolto Baldovino non è per nulla nella
prosa , che assai più succinta in tutta questa parte, è confusa anzi che no
nel racconto dell' imprigionamento di Uggeri e dell' astuzia usatâ da
Orlando per campargli la vita. E qui accade anche di avvertire come le
stesse cose si trovino narrate prima in una délie due versioni, dopo
nelP altra : il che del rimanente non è punto strano, giacchè si pu6
osservare anche nei rifacimenti, per es. nel Morgante messo a paragone
coll' Orlando.
Circa il nascimento di Bravieri la prosa si diffonde molto più délia
rima; poi in luogo di cento demonii gliene mette addosso trecento. Nella
prova che si fa a Saragozza parecchi particolari difïeriscono ; e difîe-
risce pure il numéro délie milizie che Marsilio prende con se : duecento-
mila uomini nella prosa, ventimila nella rima. Délia scorreria di Rinaldo
si narra più in brève e nulla si dice del padiglione di Bravieri. Falerone,
inviato a Carlomagno, parla in modo ben più insolente e perô accende
Rinaldo di sdegno. Nei primi combattimenti c'è convenienza : ma dopo
Ulivieri combatte Astolfo, non il re Fiorello; dopo di Gano — e qui
manca il saluto caratteristico di Bravieri al traditore — Desiderio, e
non Riccardo d'Ormandia : le quali differenze non impediscono che il
duello di Lucano, che tien dietro, convenga esattamente.
Più povera di afFetto, la prosa non contiene nulla che corrisponda aile
belle ottave intorno a Vegliantico che non vorrebbeandare alla battaglia.
Ma resta oscura la ragione di un' altra discrepanza : il luogo che il Dus-
namo occupa nella rima qui è tenutoda Girardo da Rossiglione. È egli che
scrive al papa; egli che ultimo va a combattere e che preso è rimpro-
verato da Carlo, il quale gli aveva affidato la custodia délia terra. Per
UGGERI IL DANESE 49
ultimo conchiuderô con dire che ucciso Bravieri Marsilio non parte
subito, ma si entra in Parigi, invitato da Carlo a visitare la sorella
Galerana, e che prima ancora di entrare promette un tributo che ci
ricorda i fmti patti conchiusi a Saragozza da Gano avanti il disastro di
Roncisvalle : (f° 61 v°) « E daccapo giuro e promesse el trebuto
ogni anno di darllo a Carllo , el quale era questa quantità d'oro e
d'ariento : cioè uno mulo carico con cinque cento libre d'oro, e un'
altra soma d'ariento d'altrettanto peso, e cinquanta cavagli di giostra
con cinquanta paggietti tutti neri, e dieci falconi e dieci astori mudati, e
dieci sparvieri mudati, venticinque cani mastini daccaccia e venticinque
levrieri da giugniere, ettrè corsieri barbareschi da palio, e um palio di
drappo d'oro. »
Dalla lievità délie difFerenze, che pur sforzandomi di scegliere le cose
meno futili ho dovuto accennare, si vede bene se ci sia ragione di dire
che i due testi toscani, la prosa e la rima, si riducono a una sola ver-
sione. Per quanto riesca affme non sopporta invece di essere aggiogata
insieme la narrazione franco-italiana compresa nel codice XIII di Vene-
zia. Bisogna dunque portar pazienza e discorrerne con un pô di agio.
In générale s'abbia a mente che il testo fr.-it. procède più semplice, o
a dir meglio più nudo ; l'esposizione è intollerabilmente prolissa, ma la
copia dei fatti e délie circostanze è minore d'assai che nelle versioni tos-
cane. Questo del rimanente non puô riuscir cosa nuova a nessuno che
conosca altre rame délia compilazione; a tutte sono comuni questi carat-
teri, e appunto costituiscono uno degli argomenti che inducono a giudi-
care Topera intera fattura di una medesima persona. Di Gano nel prin-
cipio, com' era ben da aspeltare, non troviamo menzione alcuna , la
parte di perpetuo traditore, che la letteratura toscana gli assegna, è pro-
dotto di un' età più tarda, quantunque già la compilazione del ms. di
Venezia ne contenga gli elementi. Massimione è qui chiamato le Maximo
Çudé ' ; la sua città è Marmara, nome peraltro il quale non désigna altra
cosa che Verona^. Carlo adunque, irritato per il tributo che il saracino
1. Nelle sue Notes sur un ms. fr. {Bibl. de l'Ec. des Ch., 4* série, t. III) il
sig'. Guessard scrive Maximo Cuntc in luogo di Maximo Çudc. È uno sKiglio di
lettura che iu avvertito e corretto primamente dal Mussatia (Handschr. Sludicn,
II, p. 58-.
2. Che Marmara sia un soprannome di Verona, non solo puô argomentarsi
dair itinerario che nel racconto si ta seguire al Danese, ma è dette cspressa-
niente in un' opéra scritta alla meta del trecento, nell' i4//i7j di Nicola da Casola.
Tra gl' innumerevoli personaggi che cola vengono in isccna c' è uncotaleDwx de
Marmorca :
I, f" 223 r° Marmorea il tint, que hui in nos lengaç
Vérone estoit nomez.
Si confronti ciô che a proposito di Brescia dicono le versioni toscane del
Danese :
Romania, III 4
JO p. RAJNA
gli nega, e più per il malgoverno che fa dei suoi messaggeri, délibéra,
consigliato dai suoi, di mandare un nuovo ambasciatore. Il Danese qui
non si profferisce : i franchi lo designano, Carlo lo richiede; egli invece,
corne Gano nella Chanson de Roland (v° 280 segg,), è poco disposto
ail' andata. Pure alla fine si ravvede :
F" 65 r" Davant lui se vait ençenocler,
E, Inperer, fait il, li perdon vos requer:
Li mesaço vu farô, qi ne diça noier.
La scena, corne si vede, è bella, e scolpisce ottimamente il carattere di
Uggeri, un misto di bonarietà e di fierezza. Corne nei testi toscani, Bal-
dovino, che qui pure è figlio d'una figliuola di Namo, è lasciato in cu-
stodia di Carlo, che promette di renderlo
F" 65 v E san e salvo, sença nula malie.
Con Uggeri non va ne Berlinghieri ne alcun altro compagno : egli passa
in Italia, alberga a Pavia, poi si conduce fino a Besgora (Brescia), dove
in cambio di trovare chi lo voglia offendere, alloggia pacificamente
presso un buon ostiere, che gli dice cose terribili del Maxime. Non è a
tacere l'ammirazione che desta nel Danese la fortezza délia città, la
quale, se crediamo ail' autore, fu fondata da Verçilio '. Senza incontrare
altro guaio che il pagamento dello scotto^, il buon cavalière si parte, e
giunto sotto Marmora, ha lo spettacolo poco lieto di trenta cadaveri
appiccati. Non per ciô si sgomenta. Délia ferita ne délia fata non è qui
parola ; anzi i guardiani, da lui regalati, gli si mostrano benevoli e lo
ammoniscono del pericolo che corre. Seguito dalla folla,
F° 66 r° Li quai li ont e plante e pluré,
Que de lu li paroit gran peçé,
viene alla presenza del Maximo in un momento in cui questi era adiratis-
simo per la fugadi unfalcone, egliesponenontroppo concisamentelasua
ambasciata. Lucano è personaggio ignoto del tutto a questa versione.
Le parole da una parte e dall' altra abbondano ; la conclusione si è che
C" I Di giorno in giorno tanto cavalcavan
Che a una terra i baroni arivaro.
Alla città quai è Brescia chiamata ;
Mirabella era a quel tempo nomata.
F" 50 v° : « E giunti a una città chiamata Mirabella, che or si chiama
» Brescia, etc. » — Forse il nome di Marmora venue dalle cave di marmo che
abbondano nel territorio di Verona ; fors' anche dall' anfiteatro, énorme mole
che doveva tare un' impressione profonda sulle menti del popolo ; forse in génère
dai molti edifizi di marmo che già nel duecento ornavano la città.
1 . È in questo luogo che occorre il passo citato dai Comparetti nel suo dottis-
simo Virgilio nel Mcdio Evo, II, 101.
2. F° 6^ v° Da r oster se parti e fe sego rason
Ço qe il oit speso cun tuto I' aragon.
UGGERI IL DANESE JI
il saracino dà tempo fino ail' indomani al Danese perché scelga tra li
rinnegare e le forche. Questi se ne va alloggiare
F° 66 v° Al mior albergo q'el potè trover,
ed ha la fortuna di abbattersi ad un oste che adora Macone suo malgrado
e col quale puô confidarsi interamente. L'oste promette di essere in suo
soccorso; va a parlare agli amici, e con questi viene la mattina seguente
al palazzo, ciascuno avendo la spada nascosta sotto la cappa. H Maxïmo
e il Danese, ricusando il cristiano di lasciare la sua fede, vituperano
scambievolmente i loro dei ; e anche qui s' ha un protluvio di parole che
paiono troppe perfmo ail' oste :
F° 67 r° E darer II Danois estoit li bon oster,
Qe spese fois li fait li segner
Qe tante non deçà cun lui aderasner.
Finalmente Uggeri s'accosta piano piano, afferra il Maximo, e gli spicca
il capo. Perô, come si vede, l'uccisione ha luogo in modo ben diverso da
ciô che narrano i testi toscani. Allora quelli délia corte si scagliano sul
Danese; ma scopertisi l'oste e i suoi, si suscita una zufTa terribile, che
termina colla domanda del perdono per parte degl' infedeli. La cittàtutta
è in festa e chiama sire il suo liberatore, il quale affida il governo al buon
ostiere.
Alla stessa maniera come nelle version! già esaminate, a questo punto
si lasciano le cose d'italia per tornare alla Francia, e propriamente a
Baldovino. Carlotto è qui un perverso; Gano ne i maganzesi non pren-
dono per nuila parte alP azione, ne davvero c'è bisogna di loro : il
figlio di Carlo opéra per invidia, per odio, per vendetta, e sopratutto
non sa perdonare a Baldovino che Uggeri gli abbia tolto sotto Roma la
gloria di uccidere Karoer e Sandonio'. S'egli pratica col giovinetto è
solo per trovare via
F" 67 v» Qe oncir le poust a traison.
Di ciô Baldovino non ha alcun sospetto :
Ib. Ma una fois andando a talcon
I venent anbidos a tençon
Per li caçer e por la venoison ;
Si qe Çarloto le feri el galon
De una spea qe li ce al polmon.
Qe morte cai a tera en un sablen.
L'uccisore fugge, e ben presto la novella si spargc. Ma gliepisodii passio-
nati che abbelliscono a questo punto le versioni toscane non trovano
riscontro nel testo fr.-it. Che Floriamon — cosi qui si chiama la madré —
i. Vedi Romama, II, 161.
52 P- RAJNA
sia alïranta dal dolore, s'intende; Carlo pure è addoloratissimo ; dichiara
che più non amerà il figliuolo; ma infine
F' 68 r° Tant fi le dux N. e tant li va proiant,
Qe li rois li perdone sa ire e mal talant,
Si qe in Paris io retorné l'infant.
Poco dopo ecco, corne negli altri due testi, giungere prima un messaggio
del Danese, poi lui medesimo. Qui pure si va ad incontrarlo; cogli altri
è anche Carlotto. E quando l'infelice chiede del figliuolo, invece di na-
scondere il vero, Namo lo manifesta subito, salvo ch' egli dà la colpa al
caso, e attribuisce ail' uccisore un pentimento pur troppo non reale.
Allora Carlotto, secondo gli si è persuaso, chiede perdono e lo ottiene :
F° 68 r" Davant da lui Çarloto s'ençenoclà,
Cun la coreça al colo pardon li demanda.
Oçer li guarda, de dolor larmoià;
Por amo[r] K. elo li perdonà,
E del dux N., qi doncha le conselà.
Perdonato a Carlotto Uggeri narra con prolissità la conquista, ripe-
tendo le stesse cose pii^i d'una volta. E qui è intromesso un episodio di
certi messaggeri spacciati a Marmora ediuntributo che Poste manda ail'
imperatore insieme con un suo figlio, il quale, in cambio di essere rite-
nuto in ostaggio da Carlo, è fatto cavalière e poi rimandato libero al
padre. Cosî abbiamo un tratto non brève in cui l'argomento principale
si perde di vista, con grave danno dell' interesse, giacchè l'animo del
lettore ha tutto il tempo di raffreddarsi.
Qui giunta, V azione viene a patire un interrompimento che i testi
toscani non conoscono. Del Danese si arriva a dire che
F° 68° v Dever Çarloto non oit mal entant,
tanto che spesso giuoca con lui
Ib. A scachi et a tables por çirse sbanoiant.
Un giorno che appunto sono intenti a giocare, Carlotto, il quale perde,
inveisce contro Uggeri e lo minaccia :
69 r" Ma una fois te digo apertamant:
De toi farô qe fi de ton enfant
Qe eo oncisi cun un coltel trençant.
Quel ricordo crudele risuscita tutto il dolore e lo sdegno nelP animo del
povero padre :
Ib. Le tavoler saçé dont avoit zugé;
Por ira e mal talant el l'oit pié,
E sor le çevo tel n'oit a Çarloto doné
Qe ocii e cervele li est del çevo volé;
Morto a tera el est trabuçé.
Oltra, fait il, fel traito renoié,
Moi ne altrui çamai no onçiré.
UGGERl IL DANESE 55
Cominciando di qui l' accordo délie varie versioni si fa più stretto e si
puô passar sopra a moite cose più leggermente. Il ridursi del Danese in
un canto, la richiesta che Orlando gli fa délia spada, il suo ubbidire,
basta che appenasiaccennino. Di Rinaldo non si parla in nessun modo.
Anche nel cantare fr.-it. l'imperatore vorrebbe mortoil Danese, e Orlando
si oppone risoluto, dicendo che è suo prigioniero. Efficace è l' ira di
Carlo, e bello, se non fosse guasto dall' esecuzione, sarebbe l' intromet-
tersi di Namo, che riesce a placare qualche poco il suo signore. Nell'
imprigionamento c' è di notevole la malafede di Carlo, che induce Orlando
a consegnargli il Danese mostrandosi disposlo a punirlo corne Namo
suggerisce, quando già nella sua mente ha dehberato che questa prigionia
equivalga alla morte :
F" 69 v° Eo li farô in tel preson fiçer
Qe petite tenpo elo li porà durer
Q^elo non aça a (la) maia mortfiner.
Anche qui Uggeri develasua salvezza ad Orlando ; ma l'astuzia è nar-
rata più confusamente :
Ib. Por çascun ior li fasoit un pan porter
Qe asà n'averoit de quelo dos baçaler ;
E una peça de carne si grande e plener,
Qe in du iorni no la poroit mançer;
E un si gran bronçer de vin li fait porter,
Qe ben se poit de toto saoler.
Orlando puô andare ogni giorno alla prigione; ma del cavallo ne délia
moglie non si fa parola.
Qui si abbandona Uggeri per venire a Braier, o Braer, del quale
l'autore non narra punto l'origine; bensi dicecom'egli venisse a sapere
per malie non esserci de sor tera cavalière alcuno di cui egli abbia a
temere. Braier convoca allora un consiglio, che nessun altro lesto
conosce ; corne nessun altro sa di Tanfur, mandato a Carlo con minaccie
terribili, se non rinnega, ne délia risposta ardita e sprezzante dell' impe-
ratore. Si pu6 tultavia paragonare con questo episodio 1' ambasciata
che nei toscani è commessa a Falserone quando i saracini si trovano
già sotto Parigi. Avuta la risposta Braier si mette in mare con trenta rc
e quattrocento mila uomini, e passato in P'rancia si avvia verso Parigi.
Marsilio non è nemmcno nominato; invece si narra con prolissit;') una
prima battaglia combattuta da Orlando alla testa di ventimila uomini,
alla quale appena lontanamente si pu6 paragonare la sortita scgreta e
poco importante di Rinaldo e di Ricciardo di Normandia presse gli altri
due autori. L'indomani Braer si avanza per combattere da solo a solo,
e provoca audacemente Carlo c i suoi. L'imperatore lascia libéra l'andata
a chi vuole :
54 P. RAJNA
V" 71 v" Ben le fiist le cont R. aie;
Quant il oit le sorte veu e cité,
Qe ver quel pain nul hon averoit duré
Qe scia sevra tara abité.
Orlando intende bene che 1' uccisore ha da essere il Danese, ma essen-
doci bando di morte contro chi pronunci il suo nome, si sta quieto ed
aspetta. Esce allora Ulivieri, di cui si narra a lungo l' armarsi, le parole
con Braer, e il duello, che termina colla vittoria del saracino. Questi
vince col valore, non colle grida ; le gridaci sono, aiutanoancor esse, ma
non hanno potenza soprannaturale :
F° 72 v" Quant Oliver li oit entendu
Pur del crier oit paura eu.
E già se ne era parlato narrando la venuta in Francia :
F° 70 V Braer oit nome tant solemant
Por q' elo braise tan forte e feremant,
A le brair si spaventa la çant,
Q^elo li fa vinti e recréant.
Ma insieme :
Ib. Plu oit il força qe quatro altri conbatant,
Dopo Ulivieri è fatto prigione l'Arçiveschovo. E qui per un pezzo ci
dovremmo sorbire descrizioni monotone, se per buona sorte l'autore
stesso non si avvedesse délia convenienza di tagliar corto :
F» 72 v° Qe vos doit eser li pla plus alonçé.?
Tutti i pari, a eccezione di Orlando, rimangono prigionieri. Allora, con-
sigliatosi con Namo, Orlando ricorre a uno stratagemma ; nomina
Uggeri, ma in modo che Carlo non sappia da chi propriamente sia venuta
la parola, sicchè per domandarne infrange egli medesimo la legge :
F" 73 r" E R. prist li Danois a nomer.
K. l'oï, si le responde arer:
A qi 0 oldu li Danois mentoer.?
Çascun escria : Vu si deso, meser !
Le rois l'oldi, ne olsa plu parler,
Ripetutasi due volte questa scena, Carlo toglie per il meno maie il
divieto :
Ib. El dise qe çascun li posa nomer.
Quindi Orlando puô manifestare quanto sa, come cioè Braer non abbia
ad esser vinto se non da taie che si trova sotterra, e come questi non
possa esser altri che Uggeri. Carlo consente che esca di prigione; ma il
Danese rifiuta :
Ib. Se de colu non prendo vençament
Qi m'a tenu qui loga longament.
Inutilmente Namo si studia dissuaderlo :
UGGERI IL DANESE 55
Ib. Dist li Danois : Uncha a mon vivent
Non averà da moi pax ne bon convent
Se trois coipi non li do de ma spea trençent.
Carlo, senîendo ciô, è addoloratissimo ; se il Danese gli dà tre colpi farà
di lui due parti !
Ib. Dist R.: Ne vos dotés ne mie;
Ne vos dalmaçarà la monta d'una alie.
A questi confort! si aggiunge un moto generoso dell' animo :
F" 73 V Meio voio morir qe eser perie
Tanti bon çivaler cun son en presonie.
Perô Carlo consente ; e non ne segue alcun maie. Uggeri vuol solo
pagarlo di panra ; ride vedendolo coprirsi di due elmi :
Ib. E li Danois cun saço e menbrie
Alça li brando cun le viso enbronçie;
Una vista fi d'una grande remie;
Alça li colpo e belament le plie :
Ne fose por cil una moscha perie.
Ail' autore la condotta de! Danese non par meritevole di approvazione :
Ib. Saçés, segnors, qe la fo gran stoltie
Qe fe li Danois veçando la baronie:
Tros colpi feri II rois con la spea forbie.
La castastrofe è detta in brève. La fata, l'impeciamento, la scena
comica che ne nasce, non possono qui trovare luogo alcuno ; Uggeri
esce, e avendo per caso nelle parole che al solito passano tra lui e
l'avversario accennato al suo trovarsi sotterra, produce grande sgomento
in cosiui, che ricordando la profezia, prevede la sua morte. E^raer vor-
rebbe sottrarsi alla battaglia, ma non trova il modo ; tuttavia sdegna le
profFerte di Uggeri :
F" 74 v" En crestenté averà gran loer,
Tera averà a tenir e guarder,
Conpagno sera R. et Oliver.
Vedendosi vicino a soccombere il saracino manda un grido e fa accorrere
la sua gente ; ma allora si avanza anche una schiera di cristiani c si
viene a battaglia. Finalmente Uggeri uccide Braer, che per qualche
poco si era spiccato da lui e azzuffato con Orlando. Qiicsti manda un
messo alla città ; tutti, il re stesso, escono fuori ; i saracini
F° 7^ v° En tua torne por poi c por pendant;
Non atendoit li père son enfant.
La liberazione de! prigionicri, la cacciadei fuggiaschi, il rilorno a Parigi,
mettono termine alla rama :
Ib, Gran çoia lo in Paris e 'ntorno et inviron
Por cil avoir qc il li aporlon.
^6 p. RAJNA
De qui avanti se renova la cançon :
Mai non io tel oldua par nesun lion.
A'compiere la parte espositiva e preparare cosi la materia aile consi-
dcrazioni criiiche resta che io parli délia versione che si attribuisce, pare
a me con ragione, a Raimbert de Paris. Trattandosi di un documento
edito da un pezzo e dissimile assai da quelli a cui s'è volta qui la nostra
attenzione, non ho bisogno di andar tanto per le lunghe. L'andata a
Marmora, o a Verona, che dir si voglia, non trova riscontro nel testo
francese, che ai fatti di Roma fa seguitare immediatamente il principio
deile peripezie di Uggeri. Se non che queste peripezie sono assai più
intralciate. Carlotto (Kallos o Charlos) uccide qui Baldovino {Bauduinet)
colla scacchiera, adirato peressere stato vinto ai giuoco. Uggeri vorrebbe
bene vendicarsi :
J195 S'il le tenist, ja n'euist mais mestier
Ne li fesisttos les menbres trenchier;
ma Carlo prudentemente ha fatto allontanare il figlio. Ricusando il
Danese ogni composizione e persistendo nelle minaccie, l'iraperatore le
mette al bando. Quegli pieno d'ira si scaglia contro di lui per ucciderlo ;
ma in fatto dà invece morte a Loiher, nipote délia regina e figlio del re
di Portogallo. È in grazia di questa uccisione che Carlo grida qui pure
che Uggeri sia preso :
J2j6 Prendés le moi, car par le roi du ciel,
S'il vos escape je vos ferai irier.
Ma se molti Io vanno ad assalire e provano quanto valga la sua spada,
i paladini con altri cavalieri Io aiutano, tanto ch' egli puô uscire, montare
a cavallo e fuggirsene. A noi non importa di seguitarlo nelle sue lunghe
peregrinazioni, che i testi italiani non conoscono ; perô lascio com' egli
andasse a Desiderio, come da ciô nascesse una guerra sanguinosa, come
poi si rifugiasse in Castel-Fort, come alla fine, rimasto solo, fosse
costretto ad una nuova fuga. Tutto questo riempie parecchie migliaia di
versi, che io posso saltare a piè pari. Perô vengo fino al punto dove
Uggeri è sorpreso dormienteda Turpino, che ritorna da Roma. Condotto
a Carlo, a fatica sfugge aile forche ; pure alla fine Turpino ottiene che
sia solo imprigionato, e ne diventa egli medesimo il carceriere. Qui
dunque comincia la parte colla quale anche le versioni italiane hanno
somiglianze strette. Sia pure che i particolari per Io più differiscano ; che
per es. nel racconto di Raimbert la prigionia di Uggeri sia la più dolce
che si possa immaginare : Io schéma a ogni modo si accorda. Ed ecco
anche qui sopraggiungere l'africano Brehus 0 Braihier ' , mettere il
I . Il nome vero è senza dubbio Braihier, 0 Braihcr che risponde ail' italiano
Bravieri. Brehus dev 'essere una forma insinuatasi in grazia di ricordanze délia
Tavola Rotonda {Brehus sans Pitié),
UGGERI IL DANESE 57
campo a Parigi, gettare colle prime prove taie sgomento tra i Franchi,
che più non sanno vedere scampo in altri che in Uggeri. E Uggeri è nomi-
nato da trecento a un punto,sicchè l'imperatore non ha cuore di eseguire il
bando stabilito contro chiunque pronunci quel nome. E oraegli, credendo
morto da un pezzo il prigioniero, si pente de! suo operare; saputolo in
vita, corre per liberarlo. Ma Uggeri non consente a uscire se non si dà
in suo potere Carlotto, ch' egli vuole uccidere; e a questo ancora l'im-
peratore si vede costretto a consentira. E la cosa non avrebbe qui la
riuscita buffonesca che hanno nel testo fr.-it. i tre colpi sopra di Carlo,
il giovane principe sarebbe veramente ucciso, se non scendesse S, Mi-
chèle e non ordinasse al Danese di risparmiarlo :
10999 ^ors une buffe li donnas solemant
Por garantir le tien fol sairemant.
La volontà divina è rispettata, e tra Carlo e Uggeri segue una perfetta
riconciliazione. Corne poi Braiher sia ucciso, non c'è qui bisogno di
riassumere; ma alla sua morte l'autore fa tener dietro ancora altri casi,
narrando come Uggeri, accorso a certe grida di donna, liberi una fan-
ciulla, figlia del re Angart d'Inghilterra, e attraverso a gravi pericoli la
conduca in salvo. La compiuta disfatta dei saraciniele nozze del Danese
colla donzella da lui salvata terminano lietamente il lungo poema.
Su questi materiali che sono venuto raccogliendo, riassumendo, con-
frontando, bisogna adesso che mi trattenga a ragionare. É necessario
vedere quali sorte di relazioni passino tra ivarii testi, quai posto si deva
assegnare a ciascuno nella storia di questa leggenda. Che le tre versioni
che l'Italia fornisce per suo contributo si contrappongano alla francese
costituendo una classe spéciale, è troppo chiaro oramai perché ci sia
bisogno di nuove spiegazioni. Basti solo ricordare, senza discendere a
minuzie inutili, come la narrazione dell' andata a Marmora si trovi solo
nelle versioni nostre ; come solo in esse Carlotto sia ucciso da Uggeri
per vendetta di Baldovino ; come in tutte e tre la prigionia sia coUegata
immediatamente con questi fatti, senza che si frapponga la fuga in Italia,
ne altri casi fortunosi. Perô è manifeste che di una vera e piena doriva-
zione dei testi italiani dal poema di Raimbert non si deve nemmeno
parlare ; si potrà invece chiedere se quel poema possa aver servito a
far conoscere nella penisola la storia di Uggeri e se le versioni nostre
siano forse a ritenere una mischianza dicose toile di l;\con nuove inven-
zioni e fantasie. E anche posta cosi la questione, inclinorei a rispondere
che no ; trascurando per ora il resto, l'opéra del trovero parigino si d.\ a
conoscere con troppa evidenza per un rifacimento di età non moite
antica, perché sia facile attribuirgli tanta importanza nella propagazionc
délie avventure di Uggeri da una nazione ad un' altra. Lasciando le sue
lungaggini insopportabili nel racconlo délie peripeziedcl protagonista, si
^8 p. F<AJNA
faccia di gra/ia attenziorie al combaltimento con Braiher. Il saracino
nel testo francese è munito del prez.ioso unguento che servi a ungere il
cadavere di Cristo (v" 1 1 290), e con questo più e più volte guarisce le
sue ferite. Che di ci6 le versioni antiche non dovessero saper nulla,
appena si puô dubitare; anzi non sarà un' ipotesi molto ardita il sup-
porre che questo tratto provenga dal Fierabras, nel quale il possesso del
balsamo è motivato ampiamente. E ancora c'è di peggio; chè tutta
quella parte délie ultime rame dove s'intromette la figlia di Angart sup-
pone un 'età in cui il senso dell' epopea fosse oramai perduto e i romanzi
di Tristano e di Lancilotto avessero dato il bando alla Chanson de Ro-
land. 0 corne mai, mentre Carlo e tutti i Franchi, non sapendo nulla
del' esito del duello, devono trovarsi nella più crudele angoscia per
le sorti delP impero e délia cristianità, come mai puô venir in capo ail'
autore di allontanare il suo eroe per fargli compiere un' avventura da
cavalière errante ? E non contente di ciô il poeta non trova sconvene-
vole d'introdurre a questo punto una descrizione voluttuosa délia fan-
ciulla e di fare — dopo sette anni di prigionia e i casi di Braiher ! —
che il Danese se ne accenda come un giovinetto di primo pelo :
12081 Ogier l'esgarde, le cuers il va caant;
Tant fu souspris de s'amor maintenant,
Aine ne fu si de nule amor vivant.
Eppure questo episodio non sembra mancare in nessun manoscritto.
cosicchè s'avrà a ritenere, non già una mera interpolazione, ma una
délie giunte venute nel poema quando Raimbert lo rifece.
Dal non saper nulla di tutta questa narrazione mentre nella guerra di
Braiher le analogie sono relativamente strette, parrebbe dunque potersi
già sospettare che le versioni italiane si appoggino a un testo più antico
di quello di Raimbert. Se non che aile ragioni négative non si deve mai
dare troppo peso, quando non siano sorrette da altri argomenti. Uno
non dispregevole mi pare si possa cavare dagli accidenti délia prigionia
di Uggeri. Considerando la natura del racconto noi ci aspettiamo di
vederlo, appunto come succède nei testi italiani, gettato in un fondo di
torre, costretto a sostenere una vita disagiosa, insopportabile ; e invece
secondo Raimbert egli esce alla messa, giuoca a scacchi, ha compagni
quanti vuole, mangia d'ogni delicatezza (yo 9872 segg.), e insomma se
la passa cosî bene, che quando alla fine è liberato egli si trova più grasso
che mai :
10383 Ne fust si biaus dès l 'ore q'il fu nés;
Crans fu e gras et fornis et molles.
È vero che in certi luoghi s' incontrano parole che farebbero concepire
ben più dura la prigionia :
UGGERl IL DANESE J9
9767 Onkes ne vit son pié ne son talon,
Sor le brun marbre se gist li gentieus hom ;
Blance ot le barbe, s'ot flori le grenon.
Ma queste contraddizioni evidenti non fanno che confermare quanto
io dico, non potendo, pare a me, derivare da altro, se nondauna fusione
imperfetta del vecchio col nuovo. Che il vecchio poi s'abbia a ricono-
scere in questi tratti per cosî dire sporadici, che s'accordano coi rac-
conti italiani e quel ch'è più colla natura intima délia leggenda, è troppo
facile a scorgere. E forse non è questo il luogo in cui il racconto abbia
sopportato le maggiori perturbazioni : più guasta sembrerebbe la parte
che narra i fatti di Braiher prima che sia liberato Uggeri. I Franchi, i
quali nella versione ibrida di Venezia non si sgomentano se non quando
tutti i principali campioni sono stati presi, che nelle toscane si lasciano
ridurre ail' ultima estremità, tanto che già si vedono rizzate le forche
per impiccare l'imperatore e tutti i suoi, qui mostrano una vigliaccheria
incomprensibile. Un solo cavalière, Dos de Nantuel (9966 segg.), com-
batte da solo a solo ; riuscita maie questa prova venti baroni si gettano
tutti insieme su Braiher, e tutti quanti sono da lui volti in fuga e malconci
(10063) ! Ciô basta per spaventare ognuno e far si che subito si pensi
al Danese. E sia pure che ne Orlando, ne Ulivieri, ne Rinaldo abbino
parte nell' azione ; questa non poteva essere una buona ragione per far
comparire vigliacchi tutti gli altri, tra cui si noverano pure nomi assai
famosi. Del resto anche su questa assenza dobbiamo intrattenerci un
poco. Per Rinaldo non c'èbisogno di troppe parole, giacchè in origine
egli non entra se non in una classe ristrettissima di narrazioni, in un ciclo
a parte a cui primitivamente erano estranei affatto Orlando e i paladini.
Quanto ad Orlando nel testo offertoci dall' editore si rilevano alcune
anomalie. Da certi versi (10:142-48) egli appar morto, il che signitiche-
rebbe che l'azione dell' uhima parte almeno s'avrebbe a collocare dopo
la rotta di Roncisvalle; ma questi versi del pari che altri allusivi al me-
desimo Orlando si leggono in un solo manoscritto e paiono quindi doversi
sposettare interpolati. Se cosî non fosse bisognerebbe accusare di un'
altra contraddizione l'autore, poichè tra i personaggi délia guerra con
Braiher compare Milon d'Aiglant (9960), che al tempo di Roncisvalle
era mor.to da un pezzo, tanto che Berta si trovava allora moglie di Gano
e ne aveva un figlio già adulto. Ma poco a poco, 0 per diritto 0 per
rovescio, si vuole che i paladini entrino dappertutto; se non altro si
crede necessario spiegare come sia che di loro non si parli, e perô per
solito si ricordano come morti. Cosî per un lato viene a introdursi una
cronologia tutta fittizia, che s'ha a dire non di rado la disperazione dei
critici moderni ; per un altro appetto a certi nomi si vedono impallidire
altri già famosi, che finiscono per diventare in molta parte enimmatici.
6o P- RAJNA
Tener dietro ail' evoluzione délie letterature romanzesche anche soito
questo aspetto è certo una ricerca di molto intéresse ; qui basterà accen-
nare qualcosa, affinchè si possa giudicare piii rettamente délie singole
versioni délia storia de Uggeri e si eviti il rischio di vedere un dissenso
fondamentale là dove non si tratta che di discrepanze al tutto secondarie,
prodotte necessariamente dalla diversità del tempo.
È ora notissimo che il ciclo di Carlomagno, quale noi lo conosciamo
dai poemi francesi, ha avuto nascimento dalP accozzo di parecchi cicli
minori. Coll' andar del tempo la fusione già nella Francia si fece più
intima, non perô a segno che i medesimi eroi diventassero comuni a
ogni sorta di racconti, se pur questi non erano invenzioni nuove. Per
quelli che divulgati da un pezzo avevano messo radici profonde, i rima-
tori si contentavano di trasformare i versi e le rime, ammodernare la
lingua, interpolare il racconto, conservando quai era la tela. Ma ogni volta
che le narrazioni trasmigrarono in Italia, il tramutamento non poteva fer-
marsi cosi vicino; la lingua doveva farsi altra cosa, se il popolo aveva a
intendere, e cosi veniva a mancare un ritegno efficacissimo aile innova-
zioni. D'altronde le vecchie storie non erano note nella penisola in tutti
i loro particolari, sicchè a nessuno destava scandalo o sospetto il vedere
introdotto in un' azione chi prima non vi aveva punto partecipato. Anzi
la conoscenza imperfetta délia materia faceva si che si preferissero sem-
pre certi personaggi più conosciuti, i quali a questo modo venivano a
intromettersi dovunque. Ci fu naturalmente un' età di transizione, in cui
il vecchio persisteva ancora quando il nuovo si era già sprigionato; questa
età, per mancanza di altri documenti, ci puô essere rappresentata special-
mente dal ms. XIII di Venezia. Cosi accade che ivi diverse generazioni
si trovino mescolate; per contentarmi délie storie di Uggeri, vediamo
comparire sulla scena eroi del tempo antico, come Bernardo di Clermont,
e insieme hanno occupato un luogo cospicuo Orlando e Ulivieri. Ma se
non altro i figliuoli d'Amone qui sono ancora lasciati in disparte ; è in un
periodo posteriore, a noi rappresentato solo dai testi toscani, che l'ul-
timo freno vien rotto. Allora anzi succède che RinaldoeMalagigi, Gano
e i Maganzesi, prendano il soprawento su tutti gli altri; richiesti impe-
riosamente dal popolo, che per loro vuole appassionarsi, per loro accen-
dersi, sia d'amore, sia d'odio, essi penetrano dappertutto'. Ed è note-
I. Aile cause interne che hanno ampliata in maniera cosi straordinaria la
parte di Rinaldo nella nostra letteratura cavalleresca, dubito sia da aggiungerne
una affatto esterna, ma forse molto efficace. Nei codici francesi e fr.-it. l'iniziale
R. serviva ugualmente per designare il tiglio d'Amone (Renaud) e il nipote di
Carlo {Roland, Rolando). Ora egli era troppo naturale che i toscani, presso i
quali i due nomi non cominciavano più dalla rnedesima lettera, leggessero sbada-
tamente Rinaldo anche dove era da interpretare Orlando L'intrusione di Rinaldo
si tirava poi dietro come conseguenza necessaria quella dei fratelli, dei cugini,
UGGERI IL DANESE 6l
vole il fatto che da Gano sono spesso surrogati Namo e Turpino, i savi
consiglieri di Carlo. S'intende che dove ciô succède si dà un' interpre-
tazione sinistra a ciô che in origine era suggerito a fin di bene. Cosî
accade nelle storie del Danese; giacchè mentre il primo pensiero d'im-
prigionare Uggeri nel testo francese vien da Turpino (9572 segg.), ne'
fr.-it. da Namo, nella prosa toscana, e con qualche diversità nella rima,
è il perfido conte di Maganza che induce Carlo a prendere un siffatto
partito. Se non che i due primi tendono a salvare l'infelice; questi
ultimo non mira ad altro che a toglierlo di mano ad Orlando perché
muoia délia morte pîù atroce. Le ultime conseguenze di questa evolu-
zione possiamo vedere in una parte del Morganîe che appartiene real-
mente al Pulci : Rinaldo pénétra perfmo nei fatti di Roncisvalle, che fmo
a quel punto gli erano stati preclusi, quasi fossero un sacro recinto. Se
a tutto ciô non si fa bene attenzione, s'accresce la difficoltà di trovare il
filo che riconnette coi testi francesi, 0 siano originarii oppur rifatti, le
ultime diramazioni che vediamo vegetare in Toscana.
Ma da questa digressione rimettendomi sulla mia strada, un altro
argomento assai più diretto fmisce di persuadermi che le versioni ita-
liane non si possono ricondurre al testo di Raimbert. La cronaca Danese
di Carlomagno', che indubbiamente, come afferma il Paris, seguiva la
versione originaria délia Karlamagnùs-Saga, narrando i fatti di Uggeri si
trova in qualche cosa d'accordo con quanto dicono lenarrazioni nostrali,
dissentendo invece dalle francesi. Il Paris, al quale si deve che il ri-
scontro, almeno in parte, sia stato avvertilo, partuttaviapropenso a giu-
dicarlo casuale, e preferisce attribuire a confusione mnemonica nell'
autore délia compilazione di Venezia le differenze gravissime che si
notano tra ciô che narra costui e quanto dice Raimbert^. Il dotto critico
aveva forti ragioni per giudicare cosî, ed io sono altrettanto alieno
quanto lui dal ricondurre immediatamente a uno stesso fonte il racconto
nostro e quello délia Saga islandese; i rapporti, come si vedrà fra poco,
li immagino più remoti, più indiretti. Qui peraltro osservo che la con-
cordanza délia cronaca Danese colla narrazione fr.-it. non si riduce al
solo tratto rilevato dal Paris, ma da quel poco che io posso scorgere si
estende assai più oltre; perô il vedere qua dentro un puro effetto del
caso mi pare, più che difficile, quasi impossibile. È analoga infatti la
causa dell' odio di Carlotto contro di Uggeri. Nella cronaca Danese il
prode campione èodiato dal principe perché mandato con lui dall' impe-
ratore a soccorrere l'Italia invasa dal re Amarus, ha ucciso costui e cosi
ed anche dei nemici.
1. Non ho dinanzi il testo, e perô mi attengo aile notizie che ne dà il Paris,
Hist. poét. de Cliaii., p. 511.
2. Op. cit., 171, 3 1 1.
62 p. RAJNA
tolto a Carlotto un' occasione di gloria. Or bene, ad Amarus si sostitui-
scano Karoer e Sandonio, e il racconto, ridotto a questa forma succinta,
potrà essere attribuilo senza inesattezza alla compilazione di Venezia.
Parlando di Baldovino vi si dice infatti :
F° 67 v° Ma cil Çarloto no i'amava un boton
Por son père, quant de fora de Ron
Oncis qui dos q'era rois de coron.
For ço qe Çarloto non oit la loldason
A li Danois senpre fo en tençon,
Ne mais no l'amô la monta d'un boton.
Questa concordanza è peculiare al testo fr.-it., che è anche il solo tra i
nostri a raccontare le Enfances Ogier, ossia la guerra di Roma ; altre due
sono invece comuni anche ai toscani, e abbracciano cosi tutta la fami-
glia itaHana. Sono esse le seguenti : Uggeri uccide Carlotto e per questo
appunto incorre nella disgrazia di Carlo; — dopo questo fatto viene
imprigionato subito, e di fughe, guerre ed assedii che il barone sostenga
per molti anni, non si fa punto parola. Se non fosse un ardimento poco
fruttuoso si potrebbe perfino dire che i testi italiani hanno apparenza
di essere meno discosti dalla versione originaria là dove fanno che il
Danese non céda alla prima, ma opponga una resistenza virile; quel suo
acconciarsi passivamente al giudizio e alla condanna di Carlo spiace a
ragione al Paris, e non gli par cosa naturale'. Perô dall' accordo délie
versioni italiane col libro Danese si deduce per un lato essere realmente
esistita una storia di Uggeri in cui la guerra di Lombardia, tradizione
distinta in origine^, non entrava ancora per nulla; per un altro che i
racconti nostrali s'appoggiano a un testo francese assai diverso da quello
di Raimbert e certamente piij genuino. La perfetta concordanza di queste
conclusioni, ottenute per una via affatto di versa, con quelle a cui mi
ha condotto lo studio délie Enfances, puô servire di riprova e aile cose
esposte qui e a quelle dette nella prima parte 5.
Ma non per ciô mi passa nemmeno per la mente di supporre che le
versioni italiane possano tenerci luogo de! testo francese perduto ; esse
certo se ne sono scostate assai assai, senza che a noi sia più possibile
1 . Op. cit., 3 12.
2. Taie la dice ben a ragione il Paris, !. c.
3. Potrei ancora richiamare l'attenzione su certe conformità délie versioni
italiane, e specialmente di quella de! cod. XIII, col racconto che si trova in
Wernher di Tegernsee (1158), riferito dal Paris p. 312. Corne in tutti i
racconti nostrali — sia pure che differiscano le cagioni — il figlio di Otkar o
Osigier dimora nel palazzo reale ed è compagno del principe; come nei testi
toscani la morte del giovinelto è celata al padre ; come nel fr.-it. Otkar s'induce,
se non a perdonare, almeno a non prendere vendetta dell' offesa atroce. Ma
poichè le prove addotte sono più conclusive, rilego qui in nota queste altre, che
verrebbero a produrre nuove complicazioni.
UGGERI IL DANESE 6^
discernere ciô che va tenuto in conto di originale da quanto è pura e
sernplice novilà. Nemmeno oserei decidere se il racconto dell' andata
a Marmora o a Verona sia o no invenzione nostrale ; veramente riesce
cosî acconcio a preparare l'uccisione di Baldovino con tutte le sue conse-
guenze, che in certo modo ripugna il crederlo niente più che un ripiego,
un' interpolazione, una giunta appiccicata là nel principio. Il contrasto
tra i servigi che il Danese rende a Carlo e il modo com' egli ne è pagato
è di una efficacia veramente mirabile ; la commozione degli affetti che
in conseguenza di ciô si viene a destare in tutti i personaggi non trova
facilmente l'uguale in tutta la letteratura romanzesca. Puè darsi che il
merito sia tutto da attribuire alla felice ispirazione di qualche nostro
cantastorie; ma sarebbe poco guardingo chi osasse affermarlo, e ne
prendesse argomento ad uno sfogo di vanità nazionale. Non sapendo
quindi dir nulla di certo suU' origine dell' episodio, mi contento di rile-
vare una somiglianza tra l'Uggeri chevi è messoin iscenae ilGano délia
Chanson de Roland. Anche Gano, in atto di partire par un' ambasciata
arrischiatissima, pensa a un figliuolo giovinetto, che si chiama Baldovino
ancor esso, e lo raccomanda ail' imperatore :
3 13 Si'n ai un filz, ja plus be! n'en estoet :
Ço est Baldewin, ço dit, ki ert prozdoem.
A lui lais jo mes honurs e mes fiés.
Gua[r]dez le ben, ja ne l'verrai des oilz.
Il testo fr,-it. ha per di più colla Chanson anche questa somiglianza, che
ivi Uggeri, precisamente come Gano, consente suo malgrado ad assu-
mersi il messaggio pericoloso. E similmente solo questa versione dà
luogo ad un riscontro con un altro racconto. L'oste di Marmora che ad
Uggeri si scopre avversario del Maximo Çadé, che lo consiglia, stabilisce
un piano con lui, raccoglie la notte amici, li conduce la mattina al
palazzo colle spade sotto le cappe e fa che al momento opportuno diano
soccorso, s'identifica talmente colP oste che secondo certe versioni ita-
liane aiuta Buovo quando sotto spoglie di medico si conduce in Antona,
da doversi ammettere un prestito o da una parte o dall' altra. Siccome
poi tra le versioni délia storia di Buovo è appunto quella del ms. XIII la
più antica a narrare il fatto a questa maniera, bisognerà dire, a voler
parlare esattamente, che il compilatore ha ripetuto due volte la stessa
invenzione, sia ch' egli medesimo l'avesse immaginata, sia che l'avesse
trovata in una storia di Uggeri, sia infme — e questo a me pare il più
probabile — che esistesse in una versione délia storia di Buovo di cui
egli facesse suo pro.
Stando le cose come sono venuto mostrando, è chiaro che i rapport!
fra i testi italiani e l'opéra di Raimbert non possono essere molto stretti.
La versione del codice veneziano è tuttavia quella che gli riesce un po'
64 P- RAJNA
raeno discosta, o a parlare più proprio, che qua e làmostra qualchc somi-
glian/.a che le altre non conoscono. Per ciô che spetta al non aver
introdotto Gano, mi richiamerô aile cose dette dianzi intorno aile muta-
zioni dei personaggi nelle varie età dalla letteratura cavalleresca. Con
ciô si viene a coUegare la.conformità maggiore nel carattere di Carlotto,
che opéra il maie da se medesimo, non già per istigazione di perfidi
consigliatori. Se non cheperquesta parte nemmeno i testi toscani devono
alla cieca essere tenuti innovatori; il loro Carlotto, figura ritratta con
molta delicatezza e con un istinto mirabile del vero e del buono, ha pur
esso riscontro in certe parti del poema francese, che poco badando a
contraddirsi, fa a volte generosa in grado sommo Tindole del giovi-
netto. Cosi, sebbene il verso io8$6 dica di lui,
Mais trop est fel desmesuréement,
egli nondimeno, quando Uggeri è preso da Turpino, intercède calorosa-
mente perché non solo gli sia perdonato, ma anche gli si rendano tutte
le sue terre :
9441 Por Deu, biaus père, faites m'i apaier,
Le tort c'avons faites H adrechier
Corn jugeront duc et conte et princhier,
Et li rendes ses terres et ses fiés.
Cil qi tort a se doit humilier.
Sebbene siano minuzie, noterô che solo nella versione fr.-it. corne
nella francese a Uggeri nella prigione si dà a bere anche vino, e non
sola acqua; che lui vanno a visitare molti cavalieri; che Bravieri passa il
mare con trenta re e circa quattrocento mila saracini :
9821 Tant assanbla Brehus paiene gent,
Trente roi sont de la loy Tervagant,
Vingt amirant ki région ont grant :
Quatre cent mile sont Sarrasin puant.
En meir s'enpaignent Brehus et si baron, etc.
Ms.XIII,f°70v° Avanti trois mois tant n'oit asenblé,
Qe conter no s'en poroit li cento e li mile:
Plus de quatrocento mile seroit anonbré
A bone arme e a destrer seçorné ;
E si le estoit .xxx. rois coroné :
En nave entrent, en buçe et en gale, etc.
Più importante è il fatto che anche il testo fr.-it., corne il francese, non
dà luogo a Marsilio, e quindi nemmeno aile scène di Saragozza. Nella
guerra poi di Parigi, si nel ms. XIII che nel poema di Raimbert, Braiher va
in persona a sfidare Carlomagno, non manda già un messaggero corne
nelle narrazioni toscane. Qui si notaperfmo qualcheconformità di parole :
9940 A haute vois si se va escriant :
Ou es tu Kalle? Mahomès te cravantl...
UGGERI IL DANESE 65
9950 Bataille enquier envers toi solement,
Ou au millor de trestote ta gent.
Ms.XIII,f''7iv° Ad alta vos el oit uçé :
K. de France, qe tanto e alosé,
Car or te levé, e no eser entardé ;
Prende tôt tes arme e tes coré,
E vene avec moi, q'el non ert vilté....
E se questo non vo fare por toa vilté,
Ma[n]dame le milor e le plu alosé
Li quai scia en la toa contré.
Ma ai miei occhi aile somiglianze di parole in questo génère di mate-
rie non c'è troppo da fidarsi, in grazia délia stretta cerchia d'idée in eu
si muovono cotesti cantori, trascinati perciô a servirsi abitualmente di
un formalismo sommamente acconcio a far vedere rapporti anche là
dove non esistono per nulla. A questo principio credo si deva tanto ri-
spetto, che non solo non terrei conto, se fossero sole, délie frequenti
analogie dove ricorrono luoghi comuni, come sarebbe ad es. l'armarsi
di un cavalière, ma non fabbricherei neppure induzioni su affinità di
questa fatta:
9968 Et dist li rois : Je l'otroi et créant;
Va t'adober de par Deu le poissant.
Ms-XIII^f^yaroDist li rois: Et eo li voio otrier;
Alez a prendere ves arme e ves corer.
Perô io inclino più a dar peso aile somiglianze di cose — esîranee
sempre, s'intende, alla rima e alla prosa toscana — che si manifestano
nella liberazione di Uggeri. E nel testo francese e nel fr.-it., Namo fa
ufficio di consigliatore ; in entrambi il Danese, ben lungi dal sentira
pietà per Carlo, prorompe in parole assai aspre, che nel primo sono
dirette a lui medesimo (10319 segg.), nell' altro ai baroni che lo ven-
gono a liberare; in entrambi ricusa di uscire se non si è vendicato, e
preferisce morire in prigione. E per terminare una volta, metterô
ancora a fronte le parole di Uggeri quando consente ad andare alla bnt-
taglia :
1 1075 Dist li Danois : Bien fait a otroier :
Or cha, mes armes ! n'i voei plus atargier.
Ms.XIII,f''73V'' Dist li Danois : Et eo li voio otrier.
Or me le faites mantenant aporter.
Sommando insieme tutti questi riscontri, insignificanti se si conside-
rano uno ad uno, io non sono a dir vero troppo alieno dall' ammettere
che il compilatore italiano, insieme con un altro testo che seguiva ordi-
nariamente, conoscesse anche quello di Raimbert od uno non troppo
dissimile. Già lo studio di altre rame mi ha dovuto persuadere che costui
mescola insieme versioni diverse per età e per natura, e sopra narra-
Romania, III 5
66 P- RAJNA
zioni venute d'oltralpe ma trasformate in Italia, innesta volentieri circo-
stanze ed episodii tratti direttamente dai testi francesi ' Ciô che è acca-
duto per la storia di Buovo puô assai bene essersi rinnovato in quella di
Uggeri. E allora io mi rendo facilmente ragione di certi tratti del poema
di Raimbert che riappaiono nella compilazione fr.-it. con applicazione
diversa, rimanendo ignoti aile versioni posteriori. A quel modo che in
quello Carlotto uccide Baldovino colla scacchiera, cosi fa in questa
Uggeri di Carlotto istesso; corne nell' uno il Danese non consente a com-
batteresenon si mette in suopoterel'uccisore delfiglio, al quale poi, per
ordine dell' angelo, si contenta di menare un colpo, cosi nell' altra solo
dopo aver dato tre colpi ail' imperatore fa pace con lui ed esce contro
Braier. Il Paris pensa 2 che questi contorcimenti, se cosî posso espri-
mermi, nascano da confusioni mnemoniche. Per me non sono alieno dal
pensare che cosî sia, giacchè non è inverisimile che il rimatore cono-
scesse il poema di Raimbert piuttosto per averlo sentito recitare che per
averne davanti un manoscritto. Tuttavia metterei innanzi un' altra ipo-
tesi e lascerei dubbia la scelta : forse l'autore operô deliberamente, e si
propose di mescolare insieme, e in certo modo accordare, le due ver-
sioni diverse 3.
E qui si affaccia una domanda, molto più importante, se si considéra
ben da vicino, di ciô che sembri a prima giunta. La versione del codice
XIII è dessa oppur no l'anello intermedio tra la francese perduta e le
toscane? — Il fatto osservato or ora, voglio dire le somiglianze col
poema di Raimbert più copiose che nei testi posteriori, non puô certo
servire di sostegno a una risposta affermativa ; giacchè, lasciando anche
il sospetto, non punto infondato, a mio giudizio, che il compilaîoreavesse
una conoscenza diretta di quell' opéra 0 di una consimile, è troppo
naturale che quanto più addietro si risale e più abbondanti si devano
fare le analogie. Invece siamo disposti a rispondere un no da alcuni
riscontri che spettano al patrimonio privato délie versioni toscane. In
queste, appena narrato l'imprigionamento di Uggeri, gli autori dicono
1. V. le mie Ricerche intorno ai Reaii di Francia, p. 159, nell' opéra / Rcali
di Francia, etc. Bologna, 1872 ; vol. I.
2. Op. cit. 171.
3. Qui c'è già assai da rimanere perplessi ; ma ad accrescere ancora le per-
plessità s'aggiunge un' altra circostanza. Seguendo il suc costume di precorrere
1 fatti, il compilatore fr.-it., prima di raccontare 1' uccisione di Baldovino, ne
getta là un cenno. Non sapeva, egli dice, il Danese, il quale aveva lasciato il
figlio a Carlo, che cosa avesse fatto Carlotto nella sua assenza :
F" 67 v° Como r oncis un çorno a donoier
Ad una dame por son cor déporter.
Con queste parole si accenna a una versione diversa evidentemente da quella
che poi si espone : segno cotesto, ne certo il solo> di molta trascuratezza nell'
autore.
UGGERI IL DANESE 67
del bando severissimo emanato da Carlo contre chiunque pronunzi que
nome; e il medesimo fa pure Raimbert (9686-9690), mentre il compi-
latore ne tace qui affatto e solo ripara ail' omissione nel racconto délia
guerra di Braier, quando il bando rattiene Orlando dal manifestare ciô
ch'egli ha scoperto per opéra d'arte :
F» 71 v° Mais R. no l'oit ancora devisé
Per li bando qe estoit crié :
Q[ mençona li Danois doit eser apiçé.
Un' altra analogia consiste in ciô, che nei testi toscani del pari che nel
francese il combattimento del Danese con Bravieri si compie senza che
altri le venga a sturbare; mentre nel fr.-it., come s'è visto, accorre, vio-
lando i patti, una schiera di saracini e il duello si muta in battaglia. E a
queste analogie comuni ai due testi se ne aggiungono certe altre proprie
di un solo. Nella prosa, come nell' Ogier, la prigionia del Danese dura
sette anni, mentre il cantare del codice veneziano è muto a questo pro-
posito ' : « E in questo modo stette in prigione sette anni (f" 5 5 v°) ».
9764 Li ver racontent de la bone canchon
Sept ans tes plains fu Ogiers en prison.
La rima contiene questi versi, che rassomigliano a quelli di Raimbert
che faccio loro seguire, e che invece non s'incontrano ne colla prosa ne
colla versione fr.-it.:
C° V Egli è di si gran pasto quel barone^
Che in tre di morrà a guisa d'une cane.
Tu sai ch' egli è a guisa d'un gigante
E per sette baron mangia davante.
9582 Et vos savés, empereres proisiés,
Qu'il mengeroit contre cinq chevaliers :
Si faitement morra par tans Ogier.
Le parole nel poema francese sono pronunziate da Turpino col segreto
intendimento di salvare Uggeri; nel noslro vengono da Gano, e mirano
propriamente al fine che mettono innanzi ; ma ci6 non toglie la somi-
glianza, benchè la faccia apparir strana. Che se questo riscontro e i
pochi altri che ho potuto accennare sembrano cose troppo lievi e immeri-
tevoli di attenzione, si ricordi non trattarsi qui di provare rapporti
diretti tra le opère toscane e la Chevalerie Ogier : che mai abbiano potuto
esisterne, è cosa che per me negoassolutamente. Solo si vuol far vedere
che a spiegare l'origine della rima e délia prosa non basta il testo fr.-it.
Perô 0 accanto a questo si dovrà ammettere un altro fonte, oppure
I . Nella rima la prigionia dura il doppio :
C" VIII Tussai che '1 buon Danese sta in prigione;
Quattordici anni è stato a quel tormento !
68 p. RAJNA
s'avrà a negare addirittura che il racconto délia compilazione sia stato
intermediario tra la PYancia e la Toscana.
Tra le due ipotesi si potrebbe per prudenza rimaner dubbi, quantun-
que la maggiore simplicità, a tacer d'altro, parli in favore délia seconda.
Ma nelle questioni critiche non è mai soverchia la cautela; è cosi facile
cadere in errore, cosi facile credere inverisimile ciô che invece è vero, e
viceversa verosimile il falso ! Tuttavia se ci accadrà di scoprir traccie di
un' altra versione di gran lunga più somigliante aile due toscane, allora
gli scrupoli s'avranno da bandire e non ci dovremo ostinare a intromet-
tere senza bisogno di sorta il ms. marciano. Questa volta 1' aiuto viene
da un' opéra dove nessuno certo avrebbe pensato ad andarne in cerca :
da.\V Attila di Nicola da Casola', che già mi ha prestato un servigio,
dissipando ogni dubbio suU' identità di Marmora con Verona. Qui esso
mi offre una scena délia quale mi è necessario dar conto per disteso.
Una fata delP oriente, Gardene regina di Damasco, aveva mandate
ad Attila, quando egli stava per passare in Italia, splendidi regali : un
magnifico padiglione e insieme un elmo ricchissimo con un carbonchio
sul dinanzi. Dell' elmo la messaggera che lo ha portato d'orienté parla
cosi al signore degli Ungari :
I, f" 26 r" Un' indivinaille li avoit fet la fee
Par art de negromancie : quant l'aurés portée
In bataille de champ, ou ad aspre mesle[e],
Si fortement brait, que nu! seroit ossé
Ver vus aprosmer a ferir de lance ne de spee;
Se lor çhivaus ne aront les oreilles stupé
Tôt fuiront arer, si seront sbaraté.
La prova mostra la verità délie parole quando Attila, in prossimità di
Aquileia, viene la prima volta a urtarsi coi cristiani, Allacciato l'elmo
egli si scaglia tra i nemici :
I, ff* 71 r° Et ses indivinailles fait tel huz et crier
Que tôt li autres barons ne savent que fer...
Par ce ne acatoit homes por tôt l'univers mon
Que contre lui poist conbatre front a fron :
Si cribles criz çitoit cil mauves, et grant ton,
Et espoentables vois, semble que tôt confon.
Perô i cristiani sarebbero sconfitti, se Foresto, l'eroe del poema, non si
mettesse in ginocchio. Terminata appena la preghiera
F" 71 v" Un grant splendor desent et une vois que parla,
Que dist : Lieve tantost, mister doter ne toi fa.
I . Più esattamente si direbbe Nicola da Bologna di Giovanni da Casola :
I, f« 8$ v Ensi fist il mauves, cum nos conte et paroil
Nicolais Bologneis, filz lohans da Chasoil.
UGGERI IL DANESE 69
Va tost, prent ton distrer, que vient por deçà,
E fais que les oreilles stupé soient et sera,
Si que celle vois pas non li noira;
Si fais de toy meismes, et ne te intonira.
Svanito lo splendore Foresto si segna :
72 r° Et les oreilles de son chival implist ;
De soy meismes tel meicine fist,
D'une grant bande de sa insaigne que i mist.
Cosi, venuto a battaglia con Attila, non ha alcun danno dall' indivinaille,
con gran meraviglia del pagano :
73 r" Quant a un sol christiens mes grant cous ne i valoit;
De li foliaus mon hiaumes cestui pas non churoit.
Anzi nel nome délia Trinità Foresto mena tal colpo suU' elmo, che lutto
lo guasta :
74 r° Li foliaux crie; mais tost fu abassé,
Que tôt le desfait, ali prest ert volé :
Ne li ait plus puissance li innemis infernee.
A nessuno, io penso, sarà sfuggita la perfetta rassomiglianzadi questa
scena con ciô che le versioni toscane ci narrano sole délie grida di Bra-
vieriedel suo combattimento con Uggeri. Perché mai nell' episodio di
Nicola la malia risegga nell' elmo, è facile vedere : bisognava potesse
distruggersi senza che Attila fosse ucciso. Del resto la potenza délie
grida è la medesima o quasi ; alla fata di Verona risponde esattamente la
voce divina che si fa sentire al medesimopunto, quando cioè il campione
andava a incontrare il nemico ; la meraviglia di Attila è uguale a quella
di Bravieri ; i duelli mettono capo del pari alla distruzione dell' incanto.
Ora chi mai vorrà immaginare che i romanzieri toscani imitasseroPopera
di Nicola ? Sarebbe strano davvero che chi narrava le storie del Danese
pensasse a trar partito da un' opéra cosî disparata com' è VAitiLi] ma
il peggio si è che questo poema, per la sua stessa mole ', non riusci mai
a diffondersi, e rimase confmato nel palazzo degli Estensi, per i quali
era stato composto. Poi esaminando l'episodio per se medesimo, vi
s'incontrano inconseguenze che un inventore non commette ; giacchè
Nicola, dimentico che Foresto ha le orecchie turate, fa che risponda a
proposito a una domanda dell' avversario. Si aggiunga infme che
l'efficacia straordinaria délie grida di Bravieri è strettamente coUegata
col nome di costui, o ne fosse la causa, o ne fosse l'etTelto. Ce lo dimo-
strano parecchi luoghi anche nell' opéra di Raimbert :
1 1396 Quant Braiher ciet, si comcnça à braire
Tôt autresi corne li ors en l'aire.
I . Délie tre parti di cui si componeva a noi ne sono giunte due sole ; e sono
circa trcntasette mila vcrsi 1
70 p. rajna
1 1 557 Li païen brait, qi trop de dolor sent.
1 1701 Et r^raiher brait quant il la plaie sant.
1 1843 Li païen brait si qu'en tentist la terre.
Perô è manifesto che queste grida 0 sono nate insieme colla storia di
Bravieri, 0 almcno si sono svolte dal suo proprio seno.
Al contrario che Nicola imitasse un romanzo cavalleresco, è la cosa
più naturale del mondo. Tutto quanto il suo Attila si puè dire infatli
foggiato su questo génère di composizioni, e in esso non son pochi i
luoghi che non solo ritraggono di là lo spirito, ma propriamente appaiono
dovuti a questo 0 a quel romanzo. Ma che egli potesse avère dinanzi
alla memoria 0 l'una 0 l'altra délie versioni toscane, si deve negare
assolutamente; giacchè, lasciando il resto, nessuna délie due si oserebbe
supporre composta, e tanto meno divulgata di là dalP Apennino, quando
egli scriveva, cioè tra il 1355 et il 1358. Bisognerà dunque conchiudere
quello che a noi importava di provare, che cioè esistesse allora una
versione délie storie di Uggeri da non confondersi con nessuna di quelle
possedute da noi, ma somigliantissima aile due toscane. Ora si pensi
che Nicola, costretto ad uscir da Bologna per ragioni politiche, viveva
sia nelle terre degli Estensi, sia in quelle degli altri signori confmanti; a
ogni modo nella regione orientale délia vallata del Po. E che altro mai
allora, se non un poema fr.-it., avevaad essere una versione délie storie
del Danese, che nota in quelle provincie alla meta del trecento doveva
poco dopo servire di modello ai romanzieri toscani ? La famiglia italiana
ci si rivela troppo distinta dalla francese perché neppure si possa pen-
sare ad ascrivere a quest' ultima un' opéra legata cosî strettaniente coi
membri délia prima che sono giunti fmo a noi ; anche la menzione di
Marmora , nome noto solo alla letteratura fr.-it. conferma in qualche
modo le induzioni mie; giacchè dopo le cose dette non deve parère im-
probabile che Nicola togliesse anche quella designazione dal medesimo
fonte da cui ebbe l'episodio délie grida. E parlando di un poema fr.-it.
non sarei lontano dall' intendere, piutiosto che un' opéra scritta in fran-
cese scorretto da un nostro cantatore, una composizione in dialetto con
mescolanza di modi e parole che la lingua d'oïl aveva trasmesso insieme
coi racconti ai rimatori veneti e lombardi. A pensare cosî, almeno per
ora che sono costretto a contentarmi d'ipotesi, m'inclina il vedere che
quel pochi testi di questo génère che ci si sono conservati, tutti furono
riprodotti fedelmente dai rimatori e prosatori délia Toscana. È dunque
nella letteratura dialettale del nostro settentrione che si devono cercare
per lo più gli anelli di congiungimento tra la Francia el'Italia média; let-
teratura dialettale che tien molto dell' ibrido, e mescola stranamente il
francese col vernacolo '. Alla compilazione del ms. marciano, prezio-
!. V. le nette distinzioni dell' Ascoli, Archiv. giott., I, 449 segg.
UGGERl IL DANESE 7I
sissima sempre, non si pu5 pertanto dar più quell' importanza nello
svolgimento délia letteratura romanzesca in Italia che le si attribuiva da
principio ; essa è coma un ramo nato a mezzo il tronco in quell' albero
che ha le sue radici nella Francia, la vetta nella Toscana.
Il nodo più difficile puô cosî dirsi sciolto; sepurenonèillusionelamia
e l'edificio che mi sono ingegnato di elevare non poggia sul falso. Resta
tuttavia una parte importante del problema : rimangono a determinare i
rapport! délie versioni toscane tra di loro, e ancora, se pure ci riuscirà,
quelli di ciascuna col testo perduto. Se questo esistesse non vi potrebb'
essere questione più facile e semplice ; il confronto di poche pagine con-
durrebbe a conclusion! sicure. Ma avendo a che fare con un' incognita,
bisogna camminare ben cauti, e non mettere avanti il piede se prima
non s'è visto dove lo si posa.
Si rammenti che quando si trattava di vedere se la compilazione di
Venezia fosse stata il modello dei testi posteriori, ho avuto a citare
qualche circostanza, che o la sola prosa^ o lasola rima, avevano comune
col poema di Raimbert. Erano cose minute, ma tuttavia non trascurabili ;
corne allora non mi è parso lecito farne conto se non in unione con altre
prove, cosî farô anche qui ; ma è giusto che queste prove io mi studii
subito di rintracciarle e dia aile ricerche l'avviamento che mi è suggerito
da questi indizi.
La versione del ms. XIII, è ben vero, non è il fonte délie toscane; è
peraltro più antica a ogni modo, e quindi coUo stesso intento col quale
siamo ricorsi ail' opéra di Raimbert potremo rivolgerci anche a lei.
Perfettamente alla medesima maniera troviamo qui qualche analogia
peculiare o alla prosa o alla rima. Per quest' ultima non bisogna certo
aspettarsi gran cosa; un poeta, per servile che sia, è pur sempre
costretto a mutare ; ma senza contentarci d'ogni poco dovremo bene
tenerne conto per piegare da una parte piuttosto che dall' altra, fmo a
che una ragione di maggior peso non faccia addirittura traboccare la
bilancia.
La convenienza nelle omissioni non è cosa da portercisi riposare con
sicurezza; insieme con altri argomenti ha tuttavia ancor essa un certo
significato. Quindi noterô che tra la scelta del messaggero che deve
andare a Massimione e la partenza, non s'interpone nella rima, come
non s'interpone nel testo fr.-it., alcuna scena tra il Danese e la moglie,
come succède invece nella prosa. Chi badi allô sviluppo dato dal poeta
agli affetti, dubiterà, mi pare, che egli volesse saltare questo brève epi-
sodio se lo avesse trovato nel suo modello. Similmenie, e già l'ebbi a
dire, si puô dar poco peso a qualche somiglianza di parole ; pure non è
da passare sotto silenzio questo riscontro là dove Carlo va lamentandosi
per l'uccisione di Baldovino :
72 p. RAJNA
C° m 0 lasso a me! corne dirô al Danese
Quando mi chiederà il suo caro figlio?
F* 67 v'Se retorne qe dir arô de l'infant
Qe plu amava de nuia ren vivant?
Il prosatore dice invece : (f 55 v") « Corne mi potroe io mai scusare
al Danese che tanto mi racomandoe Baldovino suo figliuolo ? »
La prosa è ben più ricca e non ha a temere che si dicano prodotte da
un puro caso le analogie che le sono proprie. Essa narra che Bravieri,
prima di passare in Ispagna ed in Francia (f'^ 56 r") « domandô la sua
madré, detta Rossandra, ch' ella gli diciesse s' egli era veruno barone
chello potesse offendere. Ed ella gli rispuose ch' ella Irovava che non
era uomo sopra la terra che lo potesse offendere. E Uggieri stava in un
fondo di torre ch' era sotterra. E per queste parole passô piij sicuro ' . »
Nella rima non c'è nulla che risponda a questo passo ; soltanto vi si
narra che avendo sentito parlare délia potenza di Carlo, il saracino si
volgesse ai suoi baroni chiedendo ;
C° V Ditemi il ver : Potresi conquistarlo?
I sua guerrier ciascun gli rispondea :
Che è quel, singnior nostro, che voi dite?
Nel mondo non à re di tal nomea .
Ch' appetto attè valesse dua carpite :
Sol colle grida tue di taie altea
Farai morir quelle gienti ismarrite.
Il testo di Venezia reca invece parole che nel concetto principale con-
cordano colla prosa :
F°69 v E cil malvès a fato sorte citer,
Qe de sor tera non trova çivaler
De qi el se deçà de niente doter.
Èun responso che come le parole délia madré nella prosa, ha per effetto
di dare a Braier una sicurezza fallace, giacchè il pagano non puô imma-
ginare che un uomo vivo sia sotterra :
1. Rapporti stretti ed evidenti con ci6 che qui si dice ha un passo dei
Ncrboncsi (L. VII, c 32). Il luogo di Bravieri è tenuto da Tibaldo d'Arabia :
« Allora fè venire due satrapi indovini e voile sapere quello che era di Gu-
glielmo, se egli era vivo 0 morto. Rispuosono : Domattina il saprete per nigro-
manzia. E incantarono un foiletto innun corpo morto, e domandollo in questa
forma : Dimmi : tussai la fama di Guç;lielmo d'Oringa ; dimmi s' e^li è morto.
Rispuose il foiletto : Morto è. E altro a questo non rispuose. E credettono che
diciesse^ che fusâe morto; e apresso dissono, dubitando di non essere ingan-
nati : È egli sopra la terra? Rispuose brieve, come quegli che parlano coperti,
e disse : È sotterra. Allora ciertamente si credetteno che fussi morto : ed edino
7 O
furono ingannati ongni volta. E pure diciea e! vero, ch' egli era morto in
quanto alla fama, perché le spie nol sapeano dov' egli era ; seconde, ch' egli era
sotterra, perché egli abitava nella caverna sotto la montangnia. »
UGGERl IL DANESE 73
Ib. Se l'è de soto tera doncha no èlo en vie,
E de hom morto no me doto ne mie.
Un altro luogo non è meno conclusivo. Uscendo solodalcampo a com-
battere contro i campioni di Carlo, il Bravieri délia prosa (f° 57 r")
« comando... ch' eglino non gli desseno mai nessuno soccorso per un
solo cavalieri. » La rima tace questa circostanza; ma non cosî la ver-
sione fr.-it. :
F° 7 1 v° E si vos voie dire e comander.
Se me verés ad un homo çostrer,
Q^el no li sia nul altro parçoner,
Non me deçà secorer ni aider,
Argomenti che conducono a conclusioni identiche vengono in luce
anche se mettendo a confronto la prosa e la rima domandiamo a noi
medesimi, là dove differiscono, qualedelle due abbia l'aria di conservare
la versione genuina. Qui è facile essere abbagliati dall' apparenza; non-
dimeno citerô qualche esempio.
Che sotto Verona i'erba che guarisce Uggeri gli sia trascelta dalla
fata, invece di trovarsi a caso nel fascio che Berlinghieri ha raccolto, anzi
per I' appunto nel luogo opportuno perché abbia a venir a contatto colla
piaga, sembra più ragionevole e più consentaneo aile intenzioni di chi
aveva immaginato il racconto. Qui dunque s'avrebbe a parteggiare per
la prosa contro la rima. Più innanzi, ma sempre nel racconto dei fatti
compiuti in Italia, il prosatore désigna nominatamente sette città lom-
barde conquistate dal Danese. Il rimatore invece si contenta, oltre
che di Verona, di parlarci di Brescia e di Padova; ma ecco che
poi nella lettera in cui Uggeri rende conto a Carlo di quanto ha ope-
rato, gli fa dire che ha acquistato
Sette buone città di Lombardia,
precisamente come se le cose fossero state narrate quali si leggono nell'
altro testo. Viene la volta délia rima. Si ricordi come i perversi disegni
di Gano contro Baldovino e il Danese vi si trovino motivati assai meglio ;
si avverta quanto sia più convenevole che Uggeri svenga al primo
annunzio délia morte del figlio e possa sopportare senza perdere i sensi
il racconto dei particolari, anzichè regga al primo colpo, di gran lunga
più tremendo, e non résista ail' altro già ammorzato. Insomma non
sarebbe difficile, tirando innanzi con considerazioni di questo génère,
far vedere come dei due testi ora l'uno, ora l'altro possa passare con
più diritto ai nostri occhi come rappresentante délia versione genuina,
Da tutto ciô si sarebbe tentati di conchiudere che il rimatore e il pro-
satore non curassero l'uno dell' altro, e che le strette somiglianze tra le
loro opère si devano ail' aver avuto un fonte comune. Sarebbe una con-
clusione avventata e più che inesatta ; si badi bene, e si vedrà che a
74 P- RAJNA
rigore si puô solo inferirne non bastare la prosaa spiegare la rima, ne la
rima a spiegare la prosa. Affmità cosi strette quali sono quelle dei due
testi s'avranno a credere nate unicamente dall' esser stata madré ad
entrambi una medesima versione ? Ripugna l'animo a crederlo, e per le
moite parole comuni, e più forse per la parte fatta a Rinaldo, soverchia
perché s'attribuisca tal quale a un' opéra dell' età fr.-it. Una ricerca
minuta ci conducc fortunatamente a riconoscere il vero, che in questo
caso non disconviene dal verosimile,
Nella prosa un lettore attento non puô a meno di fermare il pensiero
su certe parole délia parte che narra l'affrontarsi del Danese con Bravieri :
(fo 60 v") « Allora re Bravieri prese del canpo. Quando Uggieri lo
vide, e vannosi afïerire, alcuno dicie che 7 re Bravieri volgieva lo stocco
délia lancia ; ma io nol dico; e andaronsi afferire aspramente. » Che il
prosatore non inventi una circostanza ne la affibbii a un fmto antecessore
per il magro gusto di contraddirla , è cosa che facilmente si crede
ma ci dobbiamo dire ben fortunati che la circostanza s'incontri appunto
nella nostra rima :
C° IX Veggiendo il buon Danese il re Bravieri
Che colla lancia adosse gli venia,
La lancia abassa e pungnie suc destrieri,
Ben che sua disfidanza non udia.
Inver di lui n'andava il guerrier! ;
// re Bravier lo stocco gli volgia * .
Veggiendo il buon Danese tal affare
Il destrier volse e '1 colpo ebbe a schifare.
Ingannarsi qui non mi par possibile : le parole si trovano troppo esatta-
mente conformi perché si possa pensare che il prosatore alluda ad altro
che al luogo del nostropoema. Ogni altra spiegazione riuscirebbe contorta
ed urterebbe contro ogni sano principio dicritica. Ai più guardinghi farô
riflettere che il verso, con una semplice trasposizione, è passato tutto
intero nella prosa, e che in questa si è conservata perfino la voce che
serviva alla rima {volgieva). E ancora non basta : se si vuol intendere tutta
la forza délia prova bisogna porre mente a un' altra minuzia. Poniamo
che si trattasse del principio di un' ottava : rimarrebbe ancora aperta la
via a sofisticare, e qualcuno si potrebbe divertire a supporre che il rima-
tore togliesse dalla prosa e l'opinione e le parole ; ma il verso vien sesto
tra gli Otto délia stanza, e quindi è vincolato a tutti i versi e aile rime
antecedenti. Perô il rimatore non lo poteva introdurre nel suo discorso,
amenodiarchitettare apposta tutta la stanza per il gusto e il deliberato
proposito di tendere un' insidia alla critica moderna ; bisognerebbe dire
j. Il ms. volgica.
UGGERI IL DANESE 75
allora che uno spirito, benigno o maligno, gli avesse rivelato il remoto
avvenimento di questa scienza.
Insomma 1' anteriorità délia rima è cosa dimostrata, e c'è da ralle-
gnarsene per più di un verso. È questo un altro esempio da aggiungere
a quelli che dimostrano fallace l'opinione che la poesia cavalleresca dei
cantatori toscani sia un' emanazione délia letteratura prosaica, Poi si
dissipa un dubbio, che altrimenti ci avrebbe dato noia. Ora infatti ècerto
che le fonti fr.-it. délia storia di Uggeri furono note e al rimatore e a
prosatore ; i legami délia prosa con quelle sono cosî saldi da reggere al
ogni prova; mentre se la rima ci si fosse scoperta più récente, subito ci
sarebbe nato lo scrupolo che l'esserle proprie alcune poche analogie con
Raimbert e col testo marciano si dovesse o ad incontri fortuiti o ad alte-
razioni avvenute per colpa di amanuensi nella versione prosaica. La
quale a mio parère, se in parte si è attenuta al testo più antico, in parte
non ha certo sdegnato di seguitare Topera del rimatore toscano, conten-
tandosi spesso di spogliarlo délie forme metriche. Solo cosî potremo
darci compiutamente ragione délia stretta conformità, specialmente in
quel luoghi dove le rime del cantare si ravvisano più o meno dissimulate
nella prosa. S'ingannerebbe dunque a partito chi credesse di poter
ricostruire l'originale perduto col semplice confronte délie due versioni
toscane ; non basta punto che una cosa sia in entrambe per conchiudere
che già si dovesse trovare in quello. Quindi non è possibile determinare
fmo a quel segno il rimatore seguisse la versione conosciuta da Nicola
da Casola, che cosa introducesse di suo. Forse non gran cosa : tutto il
racconto riesce cosî ben congegnato, mostra nelle singole parti tanta
conformità di natura, che si preferisce ritenerlo opéra di getto anzichè
un torso antico a cui un altro artefice abbia aggiunto braccia , capo,
gambe. A ogni modo, di chiunque sia il merito, è certo che larimatoscana,
si astragga pure dalla lingua, ha pregi digranlungasuperiori a quelli del
testo di Venezia. Si ripensi aile scène appassionate cheseguono alla morte
di Baldovino, e aile altre non meno belle che terminano la parte délia nar-
razione esaminata fmo ad ora. Azione e caratteri stanno in perfetta
armonia : questa si svolge da quelli ; quelli prendono luce da questa.
Baldovino, gentile, animoso, riverente verso il compagno suo Carlotto;
Carlotto fiacco contro le insinuazioni dei malvagi, ma in fondo buono
ancor egli ; Ermellina madré e sposa affettuosissima ; Carlo nobile
signore,ma pur taie che in lui i sentimenti : generosi non trascendono
mai ne falsano la natura umana, sicchè se piange amaramente Baldo-
vino e maledice il figlio incolume, e non ricorda più se non d'esser padre
quando se lo vede morto dinanzi : tutte queste, io dico, sono figure
nobilissime, efficacemente ritratte. Ma su tutte l'altre si leva il Danese,
del quale ammiriamo a Verona la prodezza, compiangiamo a Parigi la
76 P- RAJNA
miseria. La scena dov' egli dissepellisce il cadavere del figlio e se lo
reca in braccio, è, quanto alla sostanza, di una potenza tragica non
indegna di qualunque gran poeta. Egli languisce lunghi anni neilo
squallore di un carcere : ma pure appena sente a che sia ridotta Parigi,
sia ridotto il re Carlo, dimentica tutto ciè che quesli gli ha fatto patire
per ricordare solo ch' egli è il suo signore. E cosi dopo aver liberato da
morte imminente lui e tutta la baronia, da distruzione il reame, gli si
getta aile ginocchia e implora perdono, non rammentando altro fuorchè
r uccisione di Carlotto. Quanto diversa, mi si permetta di esclamare,
non è questa figura stupenda dall' Uggeri bassamente vendicativo di
Raimbert, dallo stolto, sebbene innocuo percotitore di Carlo che s'ha
nella compilazione di Venezia !
Ma il fme del mio discorso non è di esaltare questa o quella versione.
Volli indagare le vicissitudini délia leggenda, e la figliazione dei vari
testi, la quale seconde le mie ricerche verrebbe ad essere rappresentata
da questa figura :
Testo francese
primitivo
La Guerra
d'Italia
Rifacimento di Raimbert
Uggeri' fr. it.
Versione
del Compilatore fr. it.
Versione toscana nmata
Versione toscana in prosa
Di nuove spiegazioni non mi pare ci sia bisogno, giacchè qui non
faccio se non rappresentare con linee quelle che prima ho detto a parole.
Le linee sono continue là dove i rapporti riescono determinati,
interotte quando invece conservano molta parte di oscurità. I testi
perduti distinguo con carattere corsivo. Quanto aile due versioni
toscane, ho badato a far si che apparissero quali io le credo scritte a poca
distanza di tempo. Ma fissare una data non mi è qui possibile. I codici
a cui dobbiamo la prosa appartengono, il più antico al secolo XV, l'altro
UGGERI IL DANESE 77
ai primi anni del XVI ; dati cotesti che ci illuminano scarsamente, e solo
ci avvertono che ci guardiamo dal risalire troppo addietro. Dali' esame
del testo si ricava unicamente che l'opéra dev' essere posteriore al
ritorno dei papi da Avignone. Se essi vi si fossero trovati tuttavia, non
credo che l'autore avrebbe scritto le seguenti parole : (f" 58 v°; « In
questo tempo il duca Girardo scrisse a Vignione al papa e in Provenza,
dov' egli era, si corne lo re Carlo era preso. » Si direbbe che il
ritorno non dovesse essere seguito gran tempo innanzi ; se fosse un fatto
già antico difficilmente si alluderebbe alla città francese. Quindi in altre
parole il terzo libro délie storie di Rinaldo, 0 a dir meglio la redazione
prosaica délia storia del Danese, assegnerei su questi indizii al cadere
del secolo decimoquarto 0 al principio del decimoquinto.
Pio Rajna.
SUR
UN NOUVEAU MANUSCRIT
DES LOHERAINS
(duon 300-').
Les lecteurs de ce recueil savent déjà que la bibliothèque de la ville
de Dijon s'est enrichie naguère d'un beau manuscrit du xiii'^ siècle '. La
description de ce précieux monument de notre histoire littéraire reve-
nait de droit à l'érudit et zélé bibliothécaire de Dijon, M. Philippe Gui-
gnard ; sa modestie a bien voulu me laisser ce soin. C'est un devoir pour
moi de l'en remercier d'autant plus vivement que la présente notice lui
doit davantage : ses indications précises et détaillées sont venues com-
pléter et rectifier dans une certaine mesure les notes sommaires prises
pendant mon court séjour à Dijon.
Par le caractère de l'écriture le ms, 3 00-' remonte à la première moi-
tié du xiii" siècle; il est écrit sur vélin, et mesure o'"3 3 sur o'^2 5. Bien
conservé extérieurement, il a gardé sa reliure primitive à ais de bois de
chêne recouverts de peau (probablement de peau de cerf) ; toutefois il
a perdu ses deux fermoirs. Malheureusement l'état intérieur est loin de
répondre à celui de l'extérieur : des lacunes trop nombreuses et trop
larges enlèvent à ce beau volume une part de son prix.
Dans son état actuel il compte 97 feuillets par deux colonnes à la
page et cinquante-trois vers à la colonne 2. Il contient en partie les deux
principales branches de la Geste des Loherains: la chanson de Garin et
celle de Gerbert de Metz. Antérieurement à la numérotation actuelle en
chiffres arabes (1-97), il avait été folioté en chiffres romains. La
1. Voy. Romania II, 384. La conjecture exprimée à cet endroit, que la leçon
de ce ms. semblerait se rapprocher du ms. de Berne plus que des autres, n'est
pas justifiée par l'examen auquel je me suis livré.
2. Ce chiffre 53 n'est constant qu'à partir du f° 37 et pour la seconde moitié
du ms. ; les f" précédents ne comptent que 52 et même 51 vers seulement.
UN NOUVEAU MS. DES Lokerains -jc)
différence entre les deux séries de chiffres nous permettra de consta-
ter l'étendue des pertes subies par le ms. à une date que nous ne pou-
vons déterminer. Voici le relevé des lacunes qui portent principalement
sur la seconde partie.
Garin — i) Les folios numérotés anciennement I-XII manquent, soit un
cahier et demi, le cahier étant composé de huit feuillets. Des quatre
derniers feuillets du second cahier, les trois premiers (1-3 =XIII-XV)
sont fortement endommagés, l'encre est très-altérée, en sorte qu'il est
difficile de déchiffrer les premières lignes. Du folio i il ne reste que la
moitié de gauche, c'est-à-dire les colonnes a et d; autant qu'on peut
l'assurer dans l'état du ms., le premier vers doit se lire :
'< Ce poise moi, » dist Ga
Le fol. 2 a toute sa colonne a passablement conservée; la colonne 6
est mutilée et demanderait de grands efforts pour en assurer la lec-
ture; la col. c est complètement effacée, mais non la col. d. Voici le pre-
mier vers de ce feuillet :
« A .1. baron qui ma terre traist. »
Le f" 3 a la col. a très-lisible; j'en transcris la majeure partie, dont la
fin sert d'exposition au poème tout entier. Quant à la leçon adoptée par
notre ms., je dirai tout à l'heure, à propos d'un fragment de Gerbert, à
quelle famille il doit être rattaché. Le passage suivant montre la que-
relle engagée entre Fromond et Garin.
« Que vos seist la pucelle au cor gent ?
» Je vos donaisse et l'enor et le gant,
» Tote la terre a tôt ce qu'i apant^ ;
» Mais je voi bien que orguil il ai grant
5 » Et félonie et mervoilioux bobant
)) Ne vos donroie le monte d'un bessant. »
Fro. l'oit, rogi de matalant,
En haut parole moût orguillousement :
« De Bordelois suis je nez voirement,
10 » En ceste terre sont niui moillor parant :
)) Vos pourchasciez mon daserietement,
» Mais par l'apostre que quierent peneant
» Je ne verrez pessez le chief d'un ant
» Per devant Mez, vos moillor chasement,
1 5 » Vos mostrerai de chrs. in tant
» Qui vos donront tôt l'avoir de Nuelant ;
n N'an istrez tant comme uns arz destant. »
Ga. l'oï, a pou d'ire ne tant,
Envers Fro. saillit tôt maintenant ;
1. Ms.^UH.
8o F. BONNARDOT
20 En haut perole si que la cort l'entant :
« Fh a putain, fel atrais de noiant,
» Galanz nostre nies voir n'en deist noiant
» Au duc Hervi mon père le vaillant. »
Ja l'aust feruz du poinz enmi les danz,
25 Quant l'empereres par le mantel le prant.
Enqui comancent .1. tel desroiemant
Dun furent mort chrs .XXX. Vl".,
Chastel brissié et villes a noiant,
Deserieté an furent mainz anfanz ;
30 Chescuns comance de grant efforcemant ;
Ainz n'ot si pesme en cest siegle vivant
Ne si mortes ne qui durast a tant :
II<^. M. homes an furent mort sanglant.
De si grant guerre n'iert ja nuns qui fi chant
35 Corn ceste fu des Lohoranz vaillant.
Après quoi vient la laisse :
Sus on palais des .II. plus haut baron
Lai commançai la noise et la cançon
Per tel manière corne vos conterons.
De ce même folio 3, la colonne b est bien malade au milieu, la col.
c est altérée et demande de l'étude; la col. d est en assez bon état, elle
commence ainsi :
Et de sa teste la cervelle li chiet.
Le f° 4=XVI et les suivants sont parfaitement lisibles. A partir du f" 5 =
XVII les cahiers se suivent; il y en a quatre de huit folios chacun. Avec
le dernier se termine la chanson de Garin, dont voici la fm (f° 36=
XLVIII):
De ceste guerre faiçons ci bone fin.
Dex vos garisse qui en la croiz fu mis,
Et Dex garisse celi qui l'ai escri !
Amen. Amen. Amen.
Ci faut la première pertie des Lorans,
Explicit.
Suivant la justification du ms. cette première lacune s'étend à envi-
ron 2850 vers, début de la chanson de Garin qui, en son entier, devait
compter à peu près ici 50 vers.
Gerbert — 2) La seconde lacune porte aussi sur le commencement du
poème : le feuillet anciennement numéroté XLIX a été enlevé (sans
doute pour la miniature dont il était orné), et avec lui manquent les 210
premiers vers de la chanson. Par suite le f^" anc.L a été numéroté 37
au lieu de 38, avec un écart de 1 3 folios. Il commence ainsi :
UN NOUVEAU Ms. DES Loherdins 8i
L'oste fu saiges, cortois et bien apris ;
Joste Begon en la couche se mist,
Moût bâillement li a conté et dit.
A partir de ce f'^ 37=L, viennent sept cahiers qui se suivent régulière-
ment. Il faut observer cependant qu'après le f° 47=LX,le premier pagi-
nateur ayant tourné deux feuillets à la fois, il en est résulté que le f^ 48
n'a pas de numérotation correspondante en chiffres romains : dès lors
l'écart entre les deux foliotements est ramené à la proportion primitive,
12. Cette proportion va se continuant jusqu'au f° 9j=CV dont voici les
derniers vers :
Dit Gi. : « Dame, jen'i puis ester plus ;
1) A Anseys m'estuet aler au dur
» Que ont essis li Persanz et li Turz. »
Congié demandent et montent sor les murs ;
A se harberges est Gi. revenuz
Sor S. Germain ou ses tref fut tenduz ;
Et la roigne ne vot estargier plus ;
et la réclame du cahier suivant :
Li suens tressor senpres enfondrez fu.
3) Après ces vers s'ouvre une lacune considérable de 17 f*^: le fol. 94
actuel étant numéroté anciennement VF^'III. La perte est de deux cahiers
plus un feuillet, exactement elle comprend les sept derniers feuillets du 1 4''
cahier, le 1 5"^ entier et les deux premiers feuillets du 16", soit environ 3600
vers. L'écart est à présent de 29. A partir d'ici l'écriture m'a paru être'
d'une autre main. Le folio 94=VF^III débute comme suit :
Deci es danz l'a fandu et partiz,
Mort le trabuche dou destrier ou il sist ;
A haute voiz et escrier se prist.
4) Enfin le ms. s'arrête au troisième feuillet plus loin, 97=VI^''' VI,
avec les vers :
Ou cors li met son espié acéré.
Mort le trabuche dou destrier sejorné,
Puis trait l'epee qui li pant au costé.
Le seizième cahier est donc incomplet de deux feuillets à la fm, de
même qu'au commencement : il n'en reste que les quatre feuillets du cœur.
Telle quelle, cette seconde partie contient 12700 vers ; si les lacunes
intérieures (18 feuillets) étaient comblées, elle compterait environ 10^30
vers. Dans cette évaluation n'entre pas le nombre des vers compris aux
folios VI-'*^'^ VII et suivants... qui font déficit. Quel est le nombre des
feuillets manquants .'' Sur combien de vers porte cette lacune fmale ?
C'est ce qui ne saurait être indiqué d'une façon précise; toutefois en
komaniajll 0
82 F. BONNARDOT
s'aidant du ms. de la bibliothèque de l'Arsenal coté B.-L.F. 181, lequel
contient à peu de chose près la même leçon que notre ms., on est en
droit de présumer que dans ce dernier texte Cirbert ne devait guère
plus s'étendre que de 900 à 950 vers.
En résumé on arrive à cette constatation : la chanson entière de Cir-
bert devait compter environ 17500 vers; en son état actuel elle n'en
compte guère que les deux tiers.
Malgré ses trop nombreuses mutilations, le ms. de Dijon est pré-
cieux pour l'étude de notre histoire littéraire. Il fournit un nouveau témoi-
gnage de la faveur qui s'était attachée au récit des luttes entre les deux
races qui se partagèrent le territoire de l'empire franc sous les prédé-
cesseurs de Charlemagne : au nord les Francs et plus spécialement les
Francs d'Austrasie (Loherains), au sud les Aquitains (Bordelois) dont
la résistance opiniâtre dut enfm céder sous les coups de la fortune
adverse. Venant s'ajouter aux douze manuscrits de Paris', aux cinq
autres manuscrits aujourd'hui perdus et dont l'existence n'est plus attes-
tée que par les fragments trouvés à Thoré (Vendôme), Carpentras,
Troyes, Châlons-sur-Marne et Paris', le ms. de Dijon doit désormais
tenir une place importante dans Tétude des origines et des modifications
de la Geste des Loherains.
1. Voici l'indication de ces manuscrits :
B. N. 1442 anc. FR. 7533 B. N. 4988 anc. FR. 9654 '. '.a
— 19160 — St-Germain 1244
— 19161 — — 2041
— 24577 — L'^ Vallière 2728(60)
Arsenal B.-L. F. 180.
(anc. — — 181.
Lamarre 227, leçon abrégée).
De ces 12 mss., les seuls 19160 et 181 contiennent la chanson à'Hervis qui
forme la première branche de la Geste. Outre les mss. de Paris, Edelestand du
Méril en compte neuf autres en province ou à l'étranger (Mort deCarin, p. LXVII) ;
il n'a pu connaître les fragments récemment découverts ainsi que divers autres
textes, sur l'origine et la valeur desquels le docteur Edm. Stenge! prépare un
travail d'ensemble*.
2. De ces fragments, les trois premiers ont été publiés ou analysés dans la
Revue des Sociétés savantes (4e série, t. V, p. 441 et t. VIII, p. 274); celui de
Thoré a été donné en entier par le Cabinet historique (1867) et tiré à part. La
langue dans laquelle il est écrit présente les caractères du dialecte wallon et non
vendômois, comme paraît le croire M. de Rochambeau qui l'a découvert. Le
quatrième fragment a été publié à la suite de mon Rapport au Ministre de
l'Instruction publique (Archives des Missions, 5* série, I, pp. 286-291 et pp. 4-2-
47 du tiré à part) ; le dernier paraîtra prochainement ici même.
* Cette notice était à l'impression lorsque la liste des ms. de la Geste des Loheraim
qui existent tant en France qu'à l'étranger a paru dans la dernière livraison des Roma-
nische Studien (décembre 1873). J'aurai occasion d'en parler dans un prochain article,
ainsi que d'un nouveau fragment de Girbert édité dans le même recueil.
1442 anc. tt
^- 7533
'443 —
7553^-^
1461 — ■
7542'.'.
1582 —
7608
1622 —
76282
2179 —
.7991 '
UN NOUVEAU MS. DES Loherains 85
La leçon du ms. de Dijon diffère profondément de celle qui a été sui-
vie par les autres mss. à l'exception de Ars. 181, dont les variantes sont
reproduites pour le fragment qu'on va lire. J'ai été amené naturellement
à choisir dans le ms. de Dijon le passage correspondant au fragment de
Châlons que j'ai publié; on verra combien les deux leçons se ressem-
blent peu. Pour rendre cette divergence plus immédiatement sensible,
j'ai placé à droite du texte de Dijon le numéro du vers correspondant
de Châlons, en tenant compte moins de la forme que du sens général.
Et comme cette dernière leçon a été elle-même rapprochée de celle du
ms. 1622, le lecteur qui voudra se reporter aux Archives des Missions
aura ainsi sous les yeux la leçon de quatre mss. (et même d'un plus
grand nombre, le ms. 1622 étant pris pour type d'un groupe entierj',
formant deux familles à coup sûr très-dififérentes l'une de l'autre.
L'une de ces familles n'a jusqu'ici pour représentants que Dijon 300-'
et Arsenal 181, et peut-être Arsenal 180 avec une leçon écourtée et en
certains points fort divergente. Laissant pour le moment ce dernier ms.
de côté, la comparaison entre les deux autres est tout à l'avantage du
premier. L'antériorité et la supériorité du ms. de Dijon sur le ms. de
l'Arsenal se prouve par sa leçon plus brève et d'un ton plus ferme ; le
récit est moins prolixe et plus fidèle à la tradition première. D'autre
part le caractère de l'écriture et la physionomie générale du langage
accusent incontestablement une antiquité plus haute. La forme et le
fond s'accordent pour assurer au ms. de Dijon la prééminence sur celui
de l'Arsenal : selon toute apparence, le second n'est qu'une leçon mo-
dernisée du texte contenu dans le premier.
EXTRAIT DU MS. 500-' DE LA BIBL. DE DIJON.
Ce passage se rapporte au duel entre Girbert et Fromondin et au
guet-apens tendu contre Girbert vainqueur par Guillaume de Monclin. —
Le fragment de Châlons commence après le 16" vers de cet extrait^.
/• 75rf {anc.iiii^xv) En cel agait que ii viauz Fro. fit,
Lai fu Guiil. i'orgoilloux de Monclin,
1. L'étude plus approfondie que j'ai faite du poëme depuis la publication du
fragment de Châlons m'a démontré que les mss. de la Bibl. nat., quoique ne
formant qu'une même famille, doivent cependant être répartis en deux groupes
au moins, et le fragment de Châlons rapporté à un autre groupe que celui
auquel appartient le ms. 1622. C'est un point que je me propose de traiter
ultérieurement à l'occasion d'un nouveau passage de la même chanson. Quoi
qu'il en soit de cette nuance, la donnée essentielle du présent travail n'est pas
infirmée, à savoir la parenté originelle de Dijon et Arsenal 181, à l'exclusion des
mss. de la Bibl. nat.
2. Variantes de Arsenal B.-L. F. iSi.
Ce ms. offre la disposition peu ordinaire de 5 col. à la page ; il compte 51 vers à la
84 F. BONNARDOT
Et dam Tiebauz d'Espremont li merchis,
Et avec aux li cuens Bernarz ses fiz
5 Qui d'Autremure son compaignon trait.
Ez en la plaice l'orgoilioux P'rod.,
Es sains apreche; or ouez que ii dit :
« Or m'acoutez, frans cuente palezin :
» Je jurerai Gi. le fil Ga.
10 » Conques mes pères sor le suen ne ferit
» Dois puis cel[e] hore que il ses hons devint,
» Ne de ma dame la perole ne dit
» Don[t] ou palais fu enforciez li criz.
» Se m'aist Dex, qui onques ne mentit,
15 » Et les reliques c'on aporte ici
» Ainsi est voir corn vos avez oi. »
— « Perjurez estes ! » ce dit li fiz Ga., 2
» Se celui plait qui en la croiz fu mis,
» Se nul vos fois per la goule gehir
20 » Li rois me toille ma terre et mon pais. »
Les armes proignent, sont es(t) destriers sailliz ;
Et li dux broche le bon destrier Flori, 2j
Brandit la hante d'un bon espié forbi, 24
Sor son escu va ferir Frod.
25 Mervoille[x] col de l'acier poitevin.
Desor la boucle li ai frait et malmis : 28
L'auberz fu forz que maille n'en ronpit ; 29
Enpent le bien et li vessaux se tint.
Outre s'en paisse Gi. li fiz Ga., )
30 Moût ot grant honte quant il ne l'abatit, j
Cil les esgardent du grant palais antis.
« Chiveliers est, » ce dit Fro., « mes fiz; 32
» Il doit ma terre tote quite tenir;
» Bien set atendre son mortel enami.
35 » Encor sarai cuens palais se il vit. » jj
colonne. A la fin de la chanson de Garin (f" 77b), le copiste s'est fait connaître en ces
termes ;
Ciz romans est a Jaque de Paris.
Haut soit pendus qui l'enblera en fin !
Sachiês qu'il fut escris a S. Quentin
En chiès Robert Dardane Houdebin.
{F'io'ja) 4-$ Et avec seu fu Bernars de Nesil Le mal tricheres, et Fauconnes ses filz
— 6 Et on parc fu l'orguilleus Frod. — 7 or escoutez qu'il dist. — 8 Or m'entendez
franc chevalier gentilz. — 9 Je jur seur sains Gibt. le filz Car. — 1 3 esmeus. — 1 5 E.
1. r. c'on a aporté ci. — î6 Que il e. v; si com Pavez oi. — 17 Tu es parjures. —
18 Se il plest Diex, or aproche ta fins. — 19 Se ne le veus par la geule gehir. — 20
Li rois me face tout mon pais tolir. — 21 Après ses mos sont es destriers sallis. — 22
E. 1. d. point 1. b. d. F. — 23 du roit e. f. — 25 Mervillex cop. — 28 Enpaint le
bien. — 29 Outre passa. — 31 Cil le regardent. — 32 Diex! dist Fro., quel chevalier a
ci.— 33 Cil doit.— 34 Car bien atent. — 35 Ancor sera conte palais c'il vit. — {F" 107b)
UN NOUVEAU Ms. DES Loherains 85
Frod. broche le destrier de Castele j4
Qui tant vai tôt que tôt an bruit la terre;
La pierre esmie et froint et escartele,
Toz les esclos après lui entreserre.
40 Brandit la lance ou l'ensoigne vantele 3 j
Et fiert le duc en la targe novele. 36
Desoz la bocle li fraint et escartele, 37
Le blanc haubert li desmaille et desserre,
Tôt son espié li conduit sor la selle,
45 Le sanc varmoil an fait cheor sor terre;
Fors de rastrier(s) li ai mis le pié destre. 40
Per .1. petit nul mit fors de la selle. 41
« Dex ! j) dit Fro., « cist doit chiv^fers estre, 45
» Cist set moût bien son enami conquerre : 46
50 D Encor sarai cuens palais de Bordele. »
Et Frod. delez le duc s'arreste,
f° 74a (iiii "j'O Dit tel pcrole que ne li fu pais bêle :
« E non Dex ! dux, petit savez de guerre ;
» Veez ma dame lassus a ces fenestres ; 47
55 » Si vos agarde corn vos le savez faire. »
Li dux l'entant, a pol d'ire ne desve,
Ne deist mot que li trenchat la teste.
|67-8
89
Li dux Gi. ot le bruit de la gent.
Moût ot grant duel quar très bien les entant ;
60 Arriers se trait bien le lonc d'un arpant ;
Des espérons broche Flori le blanc 86
Qui plus vai tôt que querreax ne destant, 88
Brandit la hante au confenon pandant, 84
Fiert Frod. — ainz ne reçut si grant —
65 Mervoillox col en son escu devant;
Desoz la bocle li vai tôt paçoiant :
Fors fu l'aubers que mailles n'en desmant ;
Enpent le bien, cil se tient roidemant.
Li arçons brissent et darriers et devant, 94-$
70 Rompent les cincles et li lo(ho)rain s'estanl; 96
Le jor pcrtit Frod. de Bauçaint : 97
En terre fiert li heaumes voiremant
}6 Fromondins point. — 38 La p. es. et fent et es. — 39 Tous les esclos aprez le cheval
perent. — 40 hante. — 42 fent et esq. — 45 Si que du sanc li conduit sous l'ai-
selle. — 46 Fors del destrier. — 49 et bis. Car il set bien son anenii requerre; Bien
doit tenir tote quite ma terre. — 50 Ancor sera quens palais de Bordelle. — J5 Si vos
esgarde, mes ne savez que fere. — 56 a poi que il ne derve. — 57 N. d. m. por tout l'or
de Castelle, — $9 Grant honte en a Girbz. quant les entent. — 60 Ar. recule, puis est
v[e]nus avant. — 61 a brochié l'aufcrrant. — 62 Qui va si tost que que quarrès qui destcnt.
—64 F. F. tant ascemeement — 66 D. 1. b. li pesoie et pourfent.— oS Enpaint le bien et
il se tint forment. — 70 R. 1. sangles. — 71 Le jor perdi F. lebaucent. — 72 En terre
I 12
86 F. BONNARDOT
Mien esciant, jusqu'à nasel devant.
Li dux le vit, celé part vint poignant 99
7^ Et trait l'espce, vers lui an vint poignant. 101
Le bon cspié ficha enmi le chant;
Ja l'eust mort sanz nul demoremant : 104
Toz fu honiz Fro. et sui paranz,
Quant l'esgait saut fors d'un abuchemant, 105
80 .C. chiveliers es vers heaumes luisanz,
Li cuens Guill. ou premières) chief devant. 106
Gi. le voit, moût grânt paor l'enprant, 107
Et trait l'espee, vers lui an vint poignant :
« Glorious Pères, per ton comandemant \
85 « Cist traitors me moignent malemant ;
» Mort ont mon père, moi feront ausimant,
» Se Dex n'an panse, n'an estordrai noiant. » 1
Mat anz l'espee et prant l'espié tran[chan]t 1 1 ;-4
Vers la cité s'en vai esperonant ; 117
90 II vient a pont, ne pot aler avant 1 18
Qu'il lo trovai enconbrez de lor gens. 120
Selonc la rive s'en vai aval corrant. 125
Li cuens Gi. les vai moût esprochant,
De rens en autres se vai moût api;ochant :
9^ « E non Dex ! dux, cist chevax vai trop lent; \
» Mauvaisemant le fait Flori li blans. [ 128-30
» Encui morroiz sanz nul desloemant. » ^
Li dux le voit esloignier de sa gent, |
11 li trestorne le chief de l'auferrant ) -^ '
100 Et fiert Guill. per moût fier mautalant :
L'escu li perce et l'auberc li desment;
Moût le navra delez la range ou flanc, ( '3 5'4>
Plaigne sa lance l'ai abatu sanglant ;
Tendit sa main, si ai pris l'auferrant; 144
105 Fiert soi en Loire senz nez et sanz chalant. 1 50
La gent Guill. vindrent espaonant,
Qui lancent lances et bons espiez tranchanz;
Nu tochent mie : que Deu ot a gairant.
fiche le vert helme luissant. — 73 manque. — 74 Voit le li dus. — 75 Et tret l'es, qui
au costé li pent. — 76 champ. — 77 et bis. Ja li eust donné son paiement Que Frod.
n'alast jamès avant. — 78 Toz i fus mors et honnis a parent. — 79 l'aguet s. du bruillet
verdoiant. — 80 a vers h. 1. — 81 et bis Li quens G. de Monclin le poissant Venoit
devant abandonneement. — 82 et bis Voit les Gibz., m. g. paors l'en prent; Dieu
reclama, le gloriex poissant. — 8} manque. — 84 Pères piteus. — 85 Corn cil glouton
me mainent m. — (F" 107c). 86 ensement. — 88 puis tret l'espié tranchant. — 89 s'en
vont. — 91 lluec trova encontre de la gent. — 94 Et moult sovent li aloit escriant. —
9J Per Dieu! Gibt., ce cheval v. t. 1. — 97 Ancui morois s. n. delaiement. — 98
esloignié. — 99 torna le coul — 100 par si grant m. — 102 lez le senestre flanc. —
105 l'abati jus s. — 104 ses mains. — 105 en l'iaue. — 106 i sont venu poignant. —
107 Li uns a lance [et] l'aut^rje espié trenchant. — 108 Nen touchent point.
•54- s
UN NOUVEAU MS. DES Loherains 87
Tôt balement noe Flori !i blans 1 54
1 10 Que poign n'en moillent li arçons per devant; 1 55
De l'autre part ou grant gravier le prant. 1 58
Nul tochent mie maulgré an aient il.
Ne puet autre estre; du tôt i ont failli,
Que bien l'enporte li chevax ou il sit
1 1 5 Qu'ainz n'i moillirent li chevaz ne li crins.
Devant la saule au paron dessendit,
Et la roigne p^r son estrier le prist, 160
Puis li demande : « Com l'avez fait, amis ! » 161
— « E non Deu ! dame, mallemant m'ont bailli ; \
120 » Mais de ma guerre eusse trait a fin > 162-70
0 Ne fut Fro., que Dex puet maleir ! » /
La dame l'ot, tôt li change li vis, 171
Et dit au roi : « Or estes vos honiz ; \
» Trai vos ai li envers de put lin. / '72-9
\2<) i> Fai an jostise, gentis rois poestis, » '
Li rois s'embroche, mal soit mot que il dit.
Volez oir de Fro. que il fit?
Que il pansairent de l'estort mainteni/,
Ai fait ses homes tôt armer a loisir,
130 Et sont montez es destriers arrabiz.
Le pont d'Orliens avoient si sospris,
Tantôt fu mors qui entr'aus se fu mis.
Quant il sont outre s'arestent .1. petit,
A pié dessendent li chiveliers machins,
1 3 5 Pei devers aux font le pont debatir
Et les solliers enmi l'aive jaillir,
Que n'i passèrent ne Gi. ne Ge.,
Li rois de France ne sui autres norriz.
Comme félons sont de la cort perX'iz ',
140 Sarreemant s'en vont pcr le Barris,
Sor lor chevaux de lor armes garniz.
I . Ms. ptir.
110 Que n'i moilla onques l'auve devant. — m se prent.
1 1 1 bis La fu bien Diex au duc Gibt. amis, — m ter C'on li lança maint roit
espié forbi. — ii2 Mais ne touchèrent Gibt. le filz Car. — 113 Et tuit ensemble ont
a Gibt. falli. — 115 Que n'i moillerent li chevel ne li crin. — 116 sele, perron. —
119 malement sui baillis. — 120 la g. — 122 mua — 125 Fé en justisce, sires
rois posteis. — 126 L. r. s'enbronche qui mot ne rcspondi. — 127 comment Fro.
le fist. — 128 manque. — 129 Ses homes fet — 130 es auferranz de pris. — 131
ponc. — 132 se meist. — 134 li chr. de pris. — 136 Et les solives enmi l'iave flatir.
— 137 passasent. — 138 ne li autre noris. — 140 Serreement s'adressent vers Bcrri.
Nos deux mss. de l'Arsenal et de Dijon s'arrêtent ici dans leur rapport lointain avec
le fragment de Châlons, qui compte 200 vers, et les mss. de la Bibl. nat.
La laisse qui suit immédiatement est telle dans 181 :
Va s'en Fro., compaigne enmainne chiere,
M. chrs. out bien sous sa baniere,
88 F. BONNARDOT
Pour les formes du langage, M. G. Paris a très-bien reconnu que ce
sont en général celles de la région sud-est de la Lorraine. Avec un peu
plus de précision, et en tenant compte de certaines circonstances locales',
j'assignerais de préférence à ce précieux ms. une origine bourguignonne,
dans la partie nord-est de cette province, voisine tout à la fois de la
Vôge et de la Comté. Je relève quelques-unes des formes les plus typi-
ques :
-el dés. la diphth. de en eau (au a), viaut i, chevaz 115 (en lorrain
il faudrait vies, viez, cimveis); — l'emploi ordinaire de la dipht. oi
même en syllabe atone (fr. ei, è) orgoilloux 2, 6, proignent 21, mervoille
2$, froint 38, ensoigne 40, varmoil4<^, mervoillox 65, moignent 85; —
interversion de e(ei) et a dans : enami 34, 49, sarai 35, 50 , astriers 46,
paçoiant66, chevaz 115 (non plus lorrain que viauz), etc.; — assour-
dissement de a en au: saule 116; — e désinence de la 2" p. pi. =^ oi :
morroiz c)-j, et de l'infm. = 0 (pour ôi) : cheor 45 ; — introduction de
la nasale mouillée en place de la nasale pure : proignent 2 1 , moignent 85,
plaigne 103, poign 110, roigne 117; — contraction de ne le ennui nu
(masc. et neut.) 19, 47, 108, 112; — paragoge de / dans les mots
qui, dans la langue commune, ont un u provenant de toute autre source
que de la vocalisation de la liquide: pol {= pou paucum) 56, faute
très-fréquente à Metz dans les bas-temps : oit, polt, îestalmant (= îes-
tamant testaumant), etc.
Par quelques-uns de ces traits et par d'autres aussi, tels que p. ex. ai
sans t désin. de la 3^ pers. sg.: sarai, 3$, 50, vai 62, 66, 89, 92, 93,
9^, 95, trovai 91, a/ 46, 103, 104, etc., la langue du ms, de Dijon se
rapproche de celle de Floovanî, dont la nationalité n'a pas encore été
déterminée d'une façon précise. Tous ces indices que nous ne faisons
qu'effleurer devront être groupés et étudiés soigneusement par le futur
éditeur de la Geste des Loherains, qui aura certainement à tenir un
compte considérable de la leçon fournie par le nouveau manuscrit.
F. BONNARDOT.
Et li cheval hanissent moult et fièrent.
Fro. chevauche et .vii. conte derrière.
Fromons chevauche, sa gent en a menée.
I . Le ms. a appartenu en dernier lieu à M. Guéneau d'Aumont, ancien pro-
fesseur à la Faculté des Sciences de Dijon ; il a été donné à la Bibliothèque de
cette ville par M. Guéneau d'Aumont, ancien intendant militaire, après la mort
de son père (1869).
CHANTS POPULAIRES
RECUEILLIS DANS LA VALLÉE D'OSSAU.
Les quelques chants que je vais publier ont été recueillis aux Eaux-
Bonnes. Amené plusieurs fois dans cette petite ville, j'avais déjà, dans
de précédents voyages, cherché à découvrir ce que la poésie populaire
avait pu produire dans la vallée d'Ossau, mais toujours, partout, dans
toutes les mémoires, je n'avais rencontré que les vers de Despourrins'
qui se sont à la vérité répandus dans les basses classes, dans les cam-
pagnes, mais ne leur appartiennent nullement ni par l'inspiration, ni par
le style. Ce n'est pas un vrai poète populaire qui se serait amusé à
décrire le nez de sa maîtresse et à comparer le visage de celle-ci à un
cadran solaire où l'ombre de ce nez charmant marque les heures de
l'amour :
Soun nasillou dessus sa care,
Yogue dab lous arraïs deù sou,
Et de l'ombrette qu'in débare
Marque las ores de i'amou.
Je m'étais découragé. Cependant M. L. Ribaut, intelligent et érudit
libraire de Pau, m'avait remis une excellente version, recueillie dans la
vallée d'Ossau, d'une chanson qui est bien connue en Lorraine sous le
titre de Chanson de la Bergère. Je me rappelais aussi avoir trouvé dans
V Histoire du Béarn de M. Mazure quelques spécimens de poésies patoises.
C'est seulement depuis lors que j'ai lu, grâce à une communication de
M. Gaston Paris, le petit volume de M. Couaraze de Laa^ où il est sur-
tout question de vers artistiques béarnais, mais qui contient cependant
quelques pièces vraiment populaires.
Cette année en assistant à la fête d'Aas, en voyant les femmes la tête
et les épaules couvertes de leurs capulets, les hommes avec leurs vestes
1. Us forment la plus grande partie d'un recueil dont la Y édition a paru à Pau en
1866 sous ce titre: Gansons béarnaises de Despourrins et aûtes. — Vignacourt, i vol.
in-i8.
2. Les chants du Béarn et de la Bigorre. Tarbes, 1861.
90 DE PUYMAIGRE
rouges, former non pas précisément des rondes puisque toutes les mains
ne se rejoignent pas et que leur danse rappellerait moins une couronne
qu'un fragment de guirlande, en les voyant, au son de la flûte à trois
trous et du bizarre instrument qu'ils nomment tambourli, accompagner
leurs pas réguliers de chansons dont je n'entendais que quelques mots,
je me sentis repris par ma vieille curiosité. Le lendemain matin, j'étais
chez M. Lanusse père, l'un des guides les plus connus, les plus estimés
des Eaux-Bonnes, grand chasseur, grand marcheur, habile cavalier et
qui certes, dans sa jeunesse, dut être un beau danseur et un joyeux
chanteur. Je lui dis ce qui m'amenait et dès qu'il eut compris que je ne
voulais pas de chansons de Despourrii, — c'est ainsi que les Béarnais
prononcent le nom de leur poète — il me débita de la meilleure grâce
du monde quelques couplets qu'on trouvera plus loin. Il fit plus encore,
il me promit de rechercher un cahier de chants populaires qui lui avait
jadis été envoyé par M. Gaston Sacaze, dont le nom est bien connu
des botanistes, même au-delà de la vallée d'Ossau, et sur lequel j'em-
prunterai quelques lignes au spirituel écrivain qui se cache sous le pseu-
donyme de Jam : « Gaston Sacaze, Sacaze Gaston, comme l'appellent
» les montagnards, est une individualité extraordinaire, originale, pres-
» que complète dans son genre. D'une mémoire prodigieuse, soumettant
» les données de la science au creuset de l'expérience, pasteur bota-
» niste, comme il s'intitule avec une légitime fierté, il a tout pratiqué
» lui-même, sciences, langues, musique et dessin'. » Ceux de mes lec-
teurs qui désireraient plus de détails sur cet homme distingué pourront
recourir à la brochure de M. Couaraze de Laa. Ils y trouveront non-
seulement d'amples renseignements biographiques sur lui, mais encore
quelques poésies béarnaises dont il est l'auteur. J'avais tâché, dans mes
précédents séjours aux Eaux-Bonnes, d'entrer en relations avec M. Sa-
caze, j'avais été sans succès le chercher à Bagès où il réside et j'aurais
renouvelé mes tentatives si je n'avais appris qu'il venait de perdre son
frère. Le moment n'était pas opportun pour aller parler de chansons à
M. Sacaze et je dus me contenter de connaître le petit recueil qu'il avait
jadis remis à M. Lanusse et qui contenait seulement sept morceaux.
Cette découverte n'avait nullement rassasié ma curiosité. Un matin
que j'avais rencontré Lanusse devant sa porte et que je le priais de
compléter la Marquise, dont il ne m'avait dit que les premiers couplets,
tout occupé d'excursions projetées, interrompu par des voyageurs lui
demandant qui une voiture, qui un cheval de selle, il me confia, pour
ainsi dire, à un brave paysan qui passait appuyé sur deux crosses et
qui — il était borgne — arrêta sur moi un œil spirituel et curieux. —
I. Guide des Eaux-Bonnes, excursions à pied, par Jam, 2" éd., p. 15.
CHANTS POPULAIRES DE LA VALLÉE d'oSSAU 9I
« Voilà justement votre affaire, me dit Lanusse, voilà Simon Lassousse,
d'Assouste, il sait plus de chansons que moi. »
Je ne lâchai pas mon nouvel ami qu'il ne m'eut promis de venir me
voir dans la journée même. Il fut exact au rendez-vous que je lui avais
donné, et de deux heures à cinq, il me chanta de nombreux couplets en
béarnais et en français. Dans les premiers se trouvait une sorte de pas-
tourelle très-longue et de facture certainement artistique. Suivant lui
elle avait trait aux premières amours d'Henri IV. — Gaston Phœbus',
Henri IV et un peu Bernadotte sont les personnages légendaires du
pays. Mon chanteur admirait beaucoup cet interminable morceau où les
deux interlocuteurs se perdent dans des considérations métaphysiques et
empruntent souvent à l'astronomie les comparaisons de leur langage imagé.
Je ne jugeai pas à propos de transcrire cette pastourelle ; il me pro-
posa ensuite le Débat de l'eau et du vin, qu'on retrouve de bien des
côtés, qui est connu dans le Pays Messin comme dans la partie alle-
mande de l'ancien département de la Moselle et dont M. F. Michel a
publié une version basque 2. Il me demanda après cela si je voulais
qu'il chantât l'histoire de la jeune fille enlevée par trois capitaines et
qui fit la morte pour son honneur garder. La leçon de Simon Lassousse
n'offrait aucune variante remarquable de cette pièce répandue en France,
en Italie et dont M. Chaoadonné des fragments en langue euskarienne 5,
Simon Lassousse me dit ensuite des couplets que je reconnus pour être
de Despourrins, et d'autres bergeries faites à l'imitation de ce poète et
qui me parurent de peu d'intérêt. Puis vinrent un assez grand nombre
de morceaux de genres différents et la plupart en français. On en lira
quelques-uns tout à l'heure.
J'ai dû entrer dans tous ces détails un peu minutieux pour bien faire
connaître comment je me suis procuré les chants qui font le sujet de cet
article. Je pense pouvoir maintenant les transcrire sans plus de prélimi-
naires. Je commencerai par donner les chansons provenant de M. Sacaze,
seulement je laisse de côté la première oij il est parlé d'une victoire que
les Béarnais remportèrent sur les Sarrazins près de la grotte d'Izeste et
qui pourrait bien n'être qu'un pastiche dans le genre du chant d'Alta-
bicar.
I
FRANÇOIS I", PRISONNIER.
Quoan lou rei partit de France Conqueri d'aùtes pays
Conqueri d'aùtes pays, Vive la flou
Vive la rose, La flou deù lys.
1. J'ai encore entendu chanter cette année les couplets de ce prince : Aqucres moun-
tines...
2. Le Pays basque, p. }j6.
3. Biarritz, t. Il, p. 174.
92
Quoan este daban Pavie
Lous Espagnous que l'an pris,
Vive...
— Renti, renti, rey de France,
Sinon tu qu'es niourt ou pris.
Vive...
— Quin seri lou rey de France
Que jamais you nou l'ey bist!
Vive...
DE PUYMAIGRE
— Page qués nabes m'apportes
Que s'y conte ta Paris.?
Vive...
— Las nouvelles que jou porte:
Lou rey qu'ey mourt ou pris.
Vive...
— Tournateu, poustillou, en poste,
Tournateu en ta Paris ;
Vive...
— Quoan leben l'aie deii mantou
Lui troben la flou deù lys.
Vive...
Maou lou prenen, lou liguen
Dens la prison que l'an mis,
Vive...
Hé complimen à la reine,
Tabé à meus entants petits.
Vive...
Que hassen batte monède,
La qui siè dens Paris.
Vive...
Dens ne lède tour escure
Jamais sourcil non sia bist,
Vive...
Sinon per' ne frinestote
Bet poustillou béni.
Vive..,
Que m'en envien 'ne cargue
Per rachettam au pays.
Vive la rose
Per rachettam au pays
Vive la flou
La flou deù lys.
Dans son histoire de Béarn M. Mazure a donné un autre texte béarnais
de cette chanson (p. 475). Elle est extrêmement répandue. Nous en
retrouvons une version française dans les Chants historiques de M. Le
Roux de Lincy (t. II, p. 192). M. de la Villemarqué a bien voulu nous
en communiquer une autre leçon recueillie par lui dans la Bretagne
française. Elle a été publiée en catalan par M. Milà y Fontanals dans
les Observaciones sobre la poesia popular, p. 142, et enfin dans le dépar-
tement du Nord, M. Al. Favier en a découvert deux versions assez diffé-
rentes de celles que nous venons de citer pour qu'il soit peut-être inté-
ressant de les donner ici. Elles sont d'ailleurs inédites :
LE ROI CAPTIF.
(Version du pays de Pévèle.)
Le roi est parti le dimanche.
Vive le roi!
Et le lundi a été pris
Vive Louis!
— Arrête, arrête grand roi de France,
Arrête, arrête te voilà pris.
— Je ne suis mie le roi de France,
Vous ne savez mie qui je suis.
Je suis un pauvre gentilhomme
Qui va de pays en pays.
Qui s'en va demander l'aumône,
Un petit morceau de pain bis.
A la bride de son cheval
Louis Bourbon était écrit,
A la montur' de son épée,
On y voyait trois fleurs de lis.
Voilà qu'on le prend, qu'on l'emmène
Dans la grand' tour à Maestrick.
A mis la tête à la fenêtre
Pour voir son messager venir.
CHANTS POPULAIRES DE LA VALLÉE D'OSSAU
93
— O messager qui portes lettre,
Que dit-on du roi à Paris?
— On dit que notre roi est mort
Qu'il est mort ou bien qu'il est pris.
Ah! s'il est mort nous aurons guerre.
S'il est pris nous aurons encor pis.
— Il n'est pas vrai que je sois mort,
Il est bien vrai que je suis pris.
Or, va porter lettre à la reine,
Aussi à Georges mon petit-fils ;
Qu'il ait bien soin de mon royaume,
Après ma mort, sera pour lui.
Qu'il soutienne bien ma couronne,
Car moi ne la puis soutenir.
Si j'ai l'heur de rentrer en France,
Un grand château ferai bâtir.
J'y ferai faire une tourelle
Pour celui qui m'a fait ci tenir.
Même sujet.
(Version de l'Ostrevent.)
Le roi est parti le dimanche.
Et le lundi a été pris.
— Arrête, arrête, grand roi de France,
Arrête, arrête, te voilà pris.
— Je ne suis pas le roi de France,
Vous ne savez pas qui je suis.
Je suis un pauvre gentilhomme
Qui roui' de pays en pays.
On regard' dessus son habit,
Louis Bourbon était écrit.
Voilà qu'on le prend, qu'on l'emmène
Dans une tour proch' de Madrid.
Il met la tête à la fenêtre
Et voit son postillon venir.
— 0 postillon qui portes lettres,
Que dit-on du roi, à Paris?
— Hélas! mon pauvre gentilhomme,
On ne sait s'il est mort ou en vie.
— 0 postillon qui portes lettre
Retourne-toi vite à Paris.
Recommande moi à la reine
Et à Louis mon premier fils :
Qu'il soutienne bien ma couronne
Tant qu'il la pourra soutenir.
Qu'on amène ici deu.x tonn's d'or
Sera pour racheter ma vie.
J'ai une chapell' qu'en est couverte,
Ah ! qu'on la fasse découvrir.
S'il manque de l'argent en France,
Qu'on coupe un bras à saint Denis.
Qu'on y prenne croix et calice
Et les deux bras de Jésus-Christ.
Et si je rentre un jour en France,
Un grand château ferai bâtir.
J'y ferai faire une tourelle
Pareille à celle de Madrid,
Sera pour mettr' le roi d'Espagne
A son tour quand il sera pris.
II
HENRI IV A COUTRAS
Entre la Roche et Coutras,
Toujours criden bataille, hélas!
Toujours criden bataille.
Aquiou Henri siey approuchat
Dap toutes ses gens d'armes, hélas !
Dap toutes ses gens d'armes.
Mons de Joyouse y ey dedens,
Au roi dit sis bou rende, hélas!
Au roi dit sis bou rende.
Don es tu simple cadet.
Qui au roi dit si es bou rende, hélas!
Qui au roi dit si es bou rende?
Henri fa pousa sous canons.
Le long de las murailles, hélas ?
Le long de las murailles.
AiJs purmés cobs qu'il a tirats
Joyouse tombe à terre, hélas !
Joyeuse tombe à terre.
94 DE PUYMAICRE
Cette chanson, copiée sur le cahier de M. Sacaze, est connue de
Simon Lassousse. La Roche dont il y est question est sans doute La
Roche-Chalais. Ce fut entre cette localité et Coutras, au confluent de
l'isie et de la Droune, que, le 20 octobre i ^87, Henri de Navarre battit
Joyeuse, lequel fut tué à la fin de l'action, non d'un coup de canon,
mais de trois coups de pistolet. M. Le Roux de Lincy a donné dans ses
Chants liistoricjucs français (2'- série, p. 434 et suiv., trois chansons sur
la mort d'Anne de Joyeuse. Aucune d'elles ne rappelle celle qu'on vient
de lire.
m
DUNOIS
Près las tours de Marmande « Nous qu'eb offrim de roses
Y a u gentiou guerrier, Courounes de laùrè
Landeridette Landeridette
Lou charman Dunois Courounes de iaùrè
Landeridè. Landeridè.
Las dames de Marmande Marche à Dax et Bayonne,
Que li ban saludè Tous angles bataille,
Landeridette Landeridette
Que li ban saludè Adieu, charmant Dunois,
Landeridè. Landeridè. »
Cette chanson provenant du cahier de M. Sacaze est aussi connue de
Simon Lassousse. Cette épithète de cfiarmant donnée à Dunois nous a
d'abord fait craindre que ces couplets ne fussent qu'une réminiscence
de la romance si connue, dont sous l'Empire on avait voulu faire un
air national. Ils paraissent pourtant bien réellement populaires et nous
nous demandons si ce n'est pas plutôt cette chanson tout abrupte qui a
pu donner l'idée du Jeune et beau Dunois, dont l'auteur était un Ossalois,
le comte A. de Laborde. Dunois, cependant, n'était pas beau, au con-
traire, mais en 1450 il fut en effet envoyé en Guyenne pour y com-
battre les Anglais. Il les chassa de Mont-Goyon, de Blaye, de Fronsac
et de Dax, et assiégea Bayonne qui se rendit.
IV
LA MORT DE M. DE MONEIN.
Daban Bordeu la horte ville. Ni l'eslambrec sus sa cabale
Là moussu de Monein y an tuè La nabe au sire qu'a porté.
Serquera message dens la ville _ 3;^^^ ^^ ^^^^ ^^^^^ ç^^i^^
Qui porte la nouvelle au rei. ^^^ i^ pi gg^jj annoncé.
Assi qu'ey moussu de Candale — Dites, dites, mons de Caudale,
Ancien noble et gran chivalié, Que tout pi sera perdonné.
CHANTS POPULAIRES DE LA VALLÉE D'OSSAU 95
— Monein noble et de renoumade — Retournes t'en biste, Candale,
Sus lou rampart que l'an blessé Et que ton bras qu'en baille très,
En combatten dap boste armade Et ménage bien ta cabale
Bel mousquetères lous nous a tuè. Hèla sauta sus tous angles.
Le personnage dont il est question dans cette chanson est Tristan,
baron de Monein, qui fut tué à Bordeaux dans une sédition et sur la
mort duquel Nicolas de Bordenave donne les détails suivants : « L'an
)) 1 548 fut la sédition des Gabeleurs en Guienne, esmeue premièrement
» en Saintonge par le peuple menu, à cause de quelques imposts nou-
)j veaux que le roy Henry II avoit mis sur les salines. Cette furie popu-
» laire s'espandit incontinent par toute la Guienne, avec tant d'insolences
» et cruautez que plusieurs officiers du Roy et autres notables person-
« nages furent massacrez et leurs maisons pillées, et ne falloit pour
;) incontinent fere massacrer un homme que crier au gabeleur. En la
)) ville de Bordeaux, oià la présence et respect du lieutenant de Roy qui
» estoit en la ville et de la cour de Parlement devoit contenir le peuple
)) en quelque crainte et révérance de l'autorité du roy, furent exercées les
» plus grandes insolences et plus brutales cruautez, car le (la date du
)) jour manque) d'aoust, le seigneur de Moneinh, gentilhomme bearnois,
» lieutenant-général en Guienne, en absence d'Henry, roy de Navarre,
)) sorty du Chasteau-Trompette, où il s'estoit retiré, à la persuasion du
)) président La Cassaigne, envoyé vers lui par tout le cors du Parlement,
« pensant par la présence dudit lieutenant faire retirer la populasse, qui
» au son de la grande cloche de Saint-Aliège avoit pris les armes, fut
)) inhumainement massacré par quelques belistres sur la porte de la
;> maison de la Mairerie avec le sieur de Montolieu aux Landes et un autre
« gentilhomme... Et ceux qui passoient auprès du corps mort du lieute-
» nant de Roy, qui gisoit nud sur la rue, ensanglantoient le fer de leurs
» piques dedans ses playes, et branlans lesdites piques jettoient plusieurs
)) cris de joyeuses acclamations comme en un triomphe de victoire. »
{Histoire de Béarn et de Navarre par Nicolas de Bordenave, édition de la
Société de l'Histoire de France, p. 47, 48.)
V
CHANT RELATIF AUX GUERRES D'ESPAGNE.
D'Anjou qu'ey partit armât, Boste nègre rebelliou
Catalas, gémit, tremblât, Et boste tourre courounade
Barcelone revoltade Deù drapeou deù duc d'Anjou.
Hélas! qu'un gran attentat, Cataias, prenetz avis,
Tuv as este canounade, partit bistc ta Paris
Vandome qu ata mandat. ^n^^ p,ç„jret à Versailles,
Revelles Barcelonés, Vous qu'ey trouvarats Père bou
Per Vandome serat prés, Por esvita las mitrailles
Bien Ihéou sera castigade: Demandât lou tous perdou.
96
DE PUYMAIGRE
VI
LES FILLES DU SEIGNEUR DE MEYRAC.
Las guerres son cridades
La baïg au pais la mè,
La dondondaine,
La baïg au pais la mè,
La dondondè.
Ossau qu'a u gétilhomè,
Très fillettes n'abè,
La dondondaine, etc.
S'en ba t'a la purmére :
— Ma fille, bos-y allé?
La dondondaine, etc.
— Nanï, nanï, mou père,
Ta la guerre nou irai.
La dondondaine, etc.
S'en ba Jeanne la bère :
— Ma fille, bos y allé?
La dondondaine, etc.
— Oui, certe, oui, mon père,
Ta la guerre you irai,
La dondondaine, etc.
Dat me boste cabale,
La qui sab bataillé,
La dondondaine, etc.
Baillât me bostes armes,
Las que tienetz deù rei,
La dondondaine, etc.
Baillât me u petit page
Qui siè fidéou à moi,
La dondondaine.
Qui siè fideou à moi
La dondondè.
Simon Lassousse m'a dit connaître cette chanson que j'ai transcrite
comme les précédentes du cahier que m'a confié M. Lanusse. Cette
chanson dont il manque sans doute beaucoup de couplets est une variante
du romance portugais Donzella que vai a guerra {Portugiesische Volkslie-
der von Bellermann, p. 64) et d'un chant du nord de l'Italie publié
dans les Canti Monferrini (p. 54) et dont M. Nigra a donné plusieurs
leçons. Ces vers de l'une d'elles rappellent bien le début de nos couplets
béarnais :
Lo re l'ha scrit na letra,
Na letra sigila :
Bon vej de sesant' anni
L'ha dandè a fe '1 solda.
— « Cosa piorejvo Padre,
Cosa piorejvo voj?
Dej-me'n caval morelo
Ch'a m' possa ben porté;
E dej -me d'un bon page
Che mi possa fide. «
(Fascicolo III, p. 96.)
VII
LE PRISONNIER DE MARMANDE
A la tour de Marmande,
Très personniers y avaient :
Are ne va le visiter
Sinon très boenes filles,
Boenes à marier.
La una porte le boire.
Et l'alite le manger,
L'aùte chemise blanche,
Pour le galant changer.
— Que si conte, ma mie,
OjJe si conte de mei?
— Que si conte aùte cosa,
Galant mouri calé.
— Usque can you mouri,
Alarge moi les pieds. —
— Quand le galant fut large
Dans l'aygue s'arrouché,
A la primera aurnada.
CHANTS POPULAIRES DE LA VALLÉE D'OSSAU
Dans l'aygue s'enfonce ; Le galant retourné.
97
A la segunda aurnada.
(Simon Lassousse.)
Cette chanson n'est pas inconnue dans l'ancien département de la
Moselle; elle a été, par moi, recueillie à Coume, qui jadis dépendait de
la Lorraine, seulement là Nantes remplace Marmande, et cette version
n'offre, bien entendu, aucun vestige du patois béarnais.
VIII
LA BERGÈRE ET LE LOUP
Entre Paris et Saint-Denis
L'y a une bergère,
Qui garde son troupeau joli
Le long de la rivière.
Un jour le loup sortant du bois,
Avec sa gueule ouverte.
De la plus belle du troupeau
La belle fit la perte.
La belle fit un si grand cri :
« Douce vierge Marie !
Celui qui m' rendra ma brebis
Je serai son amie. »
Le fils du roi l'entend crier,
Il mit la main à son épée
Et tout d'un coup suivit le loup,
La brebis lui a ôté.
« Tenez belle, votre brebis
Mettez la avec les autres.
Je vous ai fait un grand plaisir,
M'en ferez vous un autre.?
— Monsieur, tout en vous remerciant,
Vous avez p'ris grand peine,
Quand nous tonderonsnos brebis.
Vous en aurez la laine.
— Belle je ne suis pas marchand.
Ni revendeur de laine.
Mais, je demande un doux baiser,
Pour me payer ma peine.
— Monsieur, ne parlez pas si haut,
Ma mère nous écoute,
Et si mon père nous entend
Il me battra sans doute. »
(Simon Lassousse.)
Cette chanson est répandue sur des points fort éloignés les uns des
autres. J'en ai trouvé deux versions dans le Pays Messin. Elle a été
donnée par Marcoaldi, p. 193 de ses Canti inediti, par Ferraro dans les
Canti Monferrini, p. 91, par Wolf dans les Volkslieder aus Venetien, n" 77,
par Bujeaud dans les Chants populaires des provinces de l'Ouest, t. II,
p. 307. On est frappé de la ressemblance de cette chanson et d'un
chant des Carmina burana : Lacis orto sidère, exit virgo prospère. . .
IX
LE ROSSIGNOL MESSAGER
En revenant de Paris,
J'ai rencontré une bergère,
Hélas! mon Dieu qui chantait tant!
Eir ressemblait à l'hirondelle,
Au rossignol dans le printemps.
Je lui dis, en m'approchant :
Il Bonjour, bonjour, mademoiselle,
Romania, III
Vous êtes la fille d'un prince,
Et moi le fils d'un grand seigneur,
Pour vous, mademoiselle,
Je serai votre serviteur.
— Si mon amant vous étiez,
Dans les armées point n'iriez,
Car qui va dans les armées,
7
98
DE PUYMAIGRE
Va en danger d'être tué.
— Si à l'armée je m'en vais,
Vous entendrez de mes nouvelles,
Par un messager ou deux,
Par le rossignol sauvage.
Le messager des amoureux. i>
Le messager n'a pas manqué
D'aller à la port' de la belle :
« Bell' je vous souhait' le bonjour,
Êtes-vous fille ou bien damée?
Je vous apporte des nouvelles,
Lui répondit la demoiselle :
« De ma boîte prenez les clés,
Lor et l'argent que vous voudrez,
C'est pour passer la mer courante,
Sans peine, ni sans danger.
— D'or et d'argent je ne veux point,
Je vous remerci' mademoiselle.
J'ai une plume sur mon aile,
Qui vaut un million de francs.
C'est pour passer la mer courante,
Pour aller trouver votre amant. »
(Simon Lassousse.)
De celui qu' votr' cœur a aimé. »
On pourrait citer bien des chansons où le rossignol est un messager
d'amour et remonter jusqu'au troubadour Pierre d'Auvergne:
Rossinhol en son repaire
M'iras ma domna vezer...
(Parnasse occitanicn, t. I, partie I, p. 138.)
Une chanson recueillie dans le Pays messin, à Retonfey, débute ainsi :
Rossignolet sauvage, messager des amours...
Une pièce sur la prise du Chasteau Double (Le Roux de Lincy, 2e série,
p. 384) se chantait sur l'air : Petit rossignolet sauvage et commençait
ainsi :
Rossignolet des bois saulvages
Qui chantez si mignardement.
LA FLAMANDE
Il lui fera des souliers
De maroquin de Flandre.
El tout comme il la va chaussant,
Lui fait une demande:
Dedans Bordeaux il y a
Une jolie flamande,
Tra la, tra la la ra
Dedans Bordeaux il y a.
Une jolie flamande.
De trois amants qu'elle a
Ne sait pas lequel prendre.
L'un est maître boulanger,
L'autre un meneur de danse,
L'autre est un cordonnier,
Celui-là elle va prendre.
M. Victor Smith a publié dans la Romania d'intéressantes recherches
sur les Chants de quête du Velay (t. II, p. 58) : on y trouve une pièce
dont la chanson précédente n'est qu'une variante. Cette chanson existe
aussi dans l'ancien département de la Moselle; à Malavillers, qui faisait
jadis partie du Barrois, j'en ai recueilli une leçon qui n'offre que très-
peu de différences avec celle que M. V. Smith a reproduite.
« Galant, galant, si tu le veux
Nous marierons ensemble.
Nous coucherons dans un lit vert
Couvert de fleurs d'orange.
Avec à l'entour du papier,
Le rossignol y chante. «
(Simon Lassousse.)
CHANTS POPULAIRES DE LA VALLEE D OSSAU
99
XI
LE MÉDECIN
« Bonjour, maître médecin,
Et à toute la compagnie,
Lan tire lire lan lire,
Et à toute la compagnie.
— Je ne suis pas venu ici,
Ni pour chanter ni pour rire,
Lan tire, etc.
Je suis venu expressément
Pour demander votre fille.
Lan tire, etc,
— Monsieur, laquelle voulez-vous.
La grande ou la petite?
Lan tire, etc.
— La petite, s'il vous plaît,
XII
Car elle est la plus jolie. »
Lan tire, etc.
La grande est auprès du feu,
Eir pleure, elle soupire.
Lan tire, etc.
« Ma sœur, ne pleure pas tant,
Car tu seras mariée,
Lan tire, etc.
Avec un riche marchand
Revendeur de pomm' cuites,
Lan tire, etc.
Et il vous mènera à Paris,
A cheval ou à bourrique. »
Lan tire lire lan lire.
(Lanusse, père.)
LES TRENTE VAISSEAUX CHARGÉS DE BLÉ
Nous irons, etc.
Devant Burgos sont arrivés
Trente vaisseaux chargés de blé.
Nous irons sur l'eau nous promener
Nous irons jouer aux îles.
Trois dames les vont marchander :
« Marchand, combien vends-tu ton
Nous irons, etc, [blé?
— Entrez, mesdam's,vouslesaurez; »
Et la plus jeune haussa le pied
Nous irons, etc.
Marinier se mit à voguer :
« Arrête, arrête, marinier.
— Je suis femme d'un conseiller.
—Quand vous seriez femme du roi,
Nous irons, etc.
Aveque vous je coucherai
Dans un lit bien renfermé.
Nous irons, etc.
Ou les anneaux y sont d'acier
Et les rideaux sont de papier. »
Nous irons sur l'eau nous promener
Nous irons jouer aux îles !
(Lanusse, père.)
Un grand nombre de provinces de France (Chants populaires du Pays
messin, p. io6, Romancero de Champagne, t. Il, p. 230, Chants populaires
de Champfleury, p. 1 56), la Catalogne (Obser\aciones sobre la pocsia popu-
lar, p. loi), VhaWe {Canzoni dcl Picmonte, p. 170) pourraient offrir de
nombreux parallèles à cette chanson, qui rappelle aussi le romance La
bella Helena [Primavera y flor de romances, t. II, p. 3).
XIII
LE DUC DU MAINE
Le noble duc du Maine
Est mort ou bien blessé.
Dondaine la ro la la la
Est mort ou bien blessé.
100
Trois jeunes demoiselles
Le viennent visiter.
Eiriui disent: «Beau prince,
Où êtes-vous blessé?
— Au cœur, mesdemoiselles,
Je crois que j'en mourrai.
Appelez-moi mes pages,
Mes pages et laquais.
Qu'ils m'apportent de l'encre,
DE PUYMAIGRE
De l'encre et du papier,
Pour écrire une lettre
A mon cousin le roi.
— Mais, vrai Dieu! mes armées
Qui les fera marcher,
Ce sera monsieur Vendôme
Qui est noble chevalier. »
(Simon Lassousse.)
Dans les Chants populaires du Pays messin, j'ai publié, p. 183, une
chanson qui porte le même titre que celle-ci, mais présente avec elle de
notables différences.
XIV.
LE DUC DE BIRON.
Qui veut audir chanson
Chansonnette jolie,
Qui est de fait à Paris,
A Paris la grand'ville.
Biron le misérable.
Qui a mal entrepris
De tuer le roi, la reine,
Et le prince leur fils.
Le roi fut averti
Par un de ses gendarmes.
Qui se faisait nommer
Capitaine des armes.
« Sire, prenez bien garde
Au maréchal Biron,
Il a fait l'entreprise
De vous fair' trahison. »
Comme il disait cela.
Voilà Biron qui entre,
Le chapeau à la main.
Faisant sa révérence,
Et en disant : « Mon prince,
Vous plaît-il de jouer.?
Voilà une bonn' somme
Je viens de la gagner.
— Biron, si tu veux jouer,
Va-t'en trouver la reine.
Ta somme elle la jouera
Et encor davantage
Davantage si tu as.
— Biron, si tu veux jouer.
Il faut quitter tes armes.
— Pour crainte, ni pour rien,
Je ne les veux quitter,
Pour vous, belle princesse.
Pourtant je les laisserai. »
Avant de voir trois fois.
Le grand prévôt il entre
Le chapeau à la main.
Faisant sa révérence.
En lui disant : « Mon prince.
Ne soyez pas fâché,
A la vaste Bastille
Il faut aller coucher.
— Ah ! traître de prévôt.
De grand prévôt de France,
Tu m'as bien attrapé
Quand j'ai quitté mes armes.
Si j'avais mon épée
Et mon poignard doré.
Je te prendrais la barbe
Quand tu serais le roi. »
Moi j'ai (/. Il est) resté trois jours
Sans boire et sans manger
Sans être visité
De princes ni de dames.
Mais un de la justice
Qui faisait l'ignorant.
Vint lui dire: « Mon prince.
Qui vous a mis dedans.?
— Ceux qui m'ont mis dedans
CHANTS POPULAIRES DE LA VALLÉE d'OSSAU
lOI
Ont pouvoir de m'y mettre,
C'est le roi et la reine
Que j'ai servis longtemps,
Et pour ma récompense
La mort me font souffrir.
— N'aye pas peur, Biron,
Tu ne mourras encore.
— Il faut me pardonner
Comme moi je pardonne.
— Il n'y a pas de pardon,
La parole du roi
Ne recule jamais.
— Adieu mon vieil ami,
Tu vas à l'aventure,
A quelque vieux soldat
Serviras de monture.
Adieu, donc, mon épée
Et mon poignard doré !
Adieu toute la France,
Adieu donc pour jamais ! «
(Simon Lassousse.)
On peut lire dans les Instructions relatives aux poésies populaires une
autre version de cette espèce de complainte, qui doit être fort ancienne.
Elle offre, d'une manière assez remarquable, des traces de la passion
de Biron pour le jeu. En une année, suivant les Mémoires de Sully (t.
VII, p. 74 note), il avait perdu plus de cinq cent mille écus.
Quand le roi entra dans la cour
Pour saluer les dames,
La première qu'il salua
Eir lui a ravi son âme.
XV
LA BELLE MARQUISE
De la belle marquise.
Le roi l'a prise par la main
La mène dans sa chambre,
La marquise tout en entrant
Le roi demande à ces messieurs :
« A qui est cett' joli' dame? »
Le grand marquis lui a répondu:
« Sire, elle est ma femme.
— Marquis, tu es plus heureux que
D'avoir cett' joli' dame ; [moi
Mais, je te jure en foi de roi
Nous coucherons ensemble-
— Sire, vous avez tout pouvoir,
Tout pouvoir et puissance.
Mais si vous n'étiez pas le roi.
J'en aurais la vengeance. »
A voulu se défendre.
«Marquise, ne pleurez pas tant,
Car vous serez princesse,
De tout mon or et mon argent
Vous serez la maîtresse. »
La reine lui fit un bouquet
De toutes fleurs jolies,
Mais la senteur de ce bouquet
Tua la bell' marquise.
Le roi lui fit faire un tombeau
Tout en fer de Venise,
Pour y dedans ensevelir
Cette belle marquise.
(Lanusse, père.)
Le marquis monte les agrès
Dessus son lit d'assise.
Tout en pleurant et soupirant
Je connais deux autres versions de cette belle chanson; l'une a été
publiée dans les Chants populaires des provinces de l'Ouest, t. II, p. 109 et
l'autre dans les Chants historiques français, 2'' série, p. viii. M. Bujeaud
et M. Le Roux de Lincy pensent que cette chanson peut faire allusion û
quelque belle favorite. Pour M. Lanusse de qui je tiens ces couplets,
102 DE PUYMAIGRE
l'amant de la marquise c'est Henri IV, qui, à Pau et dans les environs
de cette ville, continue à tant préoccuper les imaginations. Y aurait-il
dans ces couplets un souvenir de la mort de Gabrielle d'Estrées qu'on
prétendait avoir été empoisonnée par une orange ou un citron dans le
jardin de Zamet? C'est peu probable.
De toutes les chansons que nous venons de publier les plus intéres-
santes sembleront sans doute celles que M. Sacaze a communiquées à
M. Lanusse, Puisque nous avions l'autorisation de ce dernier, nous ne
pensons pas avoir été trop hardi en donnant un échantillon du recueil
entrepris par le pasteur botaniste. Mais eussions-nous commis une indis-
crétion, nous ne nous la reprocherions pas si elle pouvait décider
M. Sacaze à faire part au public de ses découvertes. Elles doivent être
très-importantes si l'on en juge d'après une note écrite à la fm de son
manuscrit et dans laquelle M. Sacaze parle d'un choix fait par lui de
cinquante pièces sur deux cents chansons historiques et de quatre-vingts
chansons triées d'environ deux cents autres morceaux de genres diffé-
rents.
Th. DE P'JYMAIGRE.
MÉLANGES.
I.
LE SAVETIER BAILLET
CHANSON COMIQUE.
(B.N.fr. 12483.)
Mos sans vilonnie vous veil recorder,
Afin qu'en s'en rie, d'un franc savetier
Qui a {corr. ot) non Baillait ; mes par destourbier
Prist trop bêle famé : si l'en mescheï ,
Qu'ele s'acointa d'un prestre joli;
6 Mes le çavetier moût bien s'en chevi.
Quant Baillet aloit hors de son ostel
Le prestre venoit qui estoit isnel :
A la savetiere fourbissoit l'anel.
Entr'eus deus faisoient moût de leur soulas,
Des meilleurs morsiaus mengoient a tas
12 Et le plus fort vin n'espargnoient pas.
Le savetier frans une fille avoit
D'environ trois ans qui moût bien parloit.
A son père dit, qui souliers cousoit :
« Voir, ma mère a duel qu'estes ceens tant. »
Bailet respondi : « Pourquoy, mon enfant?
18 — Pour ce que le prestre vous va trop doutant.
» Mes quant alez vendre vos souliers aus gens
» Lors vient sans attendre ' monseigneur Lorens.
» De bonnes viandes fet venir ceens,
» Et ma mère fait tartes et pastez.
)) Quant la table est mise l'en m'en donne assez,
24 » Mes n'ay que du pain quant ne vous mouvez. »
Baillet sot sans doute, quant le mot oy,
Qu'il n'avoit pas toute sa famé a par li,
Mes n'en fist semblant jusqu'à un lundi
Qu'il dist a sa famé : « Je vois au marchié. x
104 MÉLANGES
Celé qui vousist qu'il fust escorchié
jo Li dist : « Tost alez, ja n'en wiegne pié! »
Quant elle pensa qu'il fust eslongiez
Le prestre manda qui vint forment liez.
D'atourner viandes s'estoit avanciez;
Puis firent un baing pour baingnier eulz deus.
Mes Baillet ne fu tant ne quant honteus :
36 Droit a son ostel s'en revint tous seulz.
Le prestre asseùr se cuida baignier :
Baillet par un mur le vit despoillier,
Lors hurta a l'uis et prist a huchier ;
Sa famé l'oy, que faire ne sot,
Mes au prestre dit : « Boutez vous tantost
42 » Dedens ce lardier, et ne dites mot. »
Baillet la manière et tout le fait vit.
Lors la çavetiere l'apela et dit :
« Bien vegniez vous, sire! Sachiez sans respit
» Que moût bien pensoie que retourriez ;
» Vostre disner est tout appareilliez,
48 » Et le baing tout chaut ou serez baingniez.
» Voir ne le fiz faire que pour vostre amour,
» Quar moût vous faut traire de mal chascun jour. »
Baillet qui vouloit jouer d'autre tour
Li dist : « Diex m'avoit de tous poins aidié,
» Mes râler me faut errant au marchié. »
54 Le prestre ot grant joie qui s'estoit mucié.
Mes ne savoit mie que Baillet pensa :
La plus grand partie des voisins manda
Moût bien les fist boire et puis dit leur a :
« Sur une charete me faut trousser haut
» Ce viez lardier la ; vendre le me faut. »
60 Lors trembla le prestre, qu'il n'avoit pas chaut.
On fist ens en l'eure le lardier trousser :
Baillet sans demeure l'en a fait mener
En la plus grant presse que pot on trouver.
Mes le las de prestre qui fu en [s] serré
Ot un riche frère qui estoit curé
66 D'assés près d'ilec. La vint bien monté,
Qui sot l'aventure et le destourbier.
Par une creveure qui fu ou lardier
Le connut son frère ; haut prist a huchier :
« Frater, pro Deo , dcUbcra me ! »
Quant Baillet l'oy haut s'est escrié :
72 « Esgar : mon lardier a latin parlé !
Le savetier Baillet 105
» Vendre le vouloie, mes, par saint Symon,
» Il vaut grant monnoie! nous le garderon.
» Qui li a apris a parler laton ?
» Par devant l'evesque le feron mener;
» Mes ains le feray ci endroit parler.
78 » Lonc temps l'ai gardé, si m'en faut jouer. »
Lors le frère au prestre li a dit ainsi :
« Baillet, se veus estre tourjours mon ami,
» Vent moy ce lardier, et pour voir te di
» Je l'achèterai tout a ton talent. »
Baillet respondi : « Il vaut grant argent
84 » Quant latin parole devant toute gent. »
Ja pourrez entendre le sens de Baillet :
Afin de miex vendre prist un grant maillet.
Puis a juré Dieu c'un tel rehaingnet
Donrra au lardier qu'il sera froez,
S'encore ne dist du latin assez.
90 Moût grant pueple s'est entour aiinez.
Plusieurs gens cuidoient que Baillet fust fols^
Mes folleur pensoient : il jura saint Pol
Que du grant maillet qu'il tint a son col
Sera le lardier rompus de tous sens.
Le chetif de prestre qui estoit dedens
96 Ne savoit que faire: près n'issoit du sens.
Il ne s'osoit taire ne n'osoit parler;
Le roi débonnaire prist a reclamer :
« Comment! » dist Baillet « faut il tant tarder.?
» S'errant ne paroles, mescheant lardier,
» Par menues pièces t'iray despecier. »
102 Alors dist le prestre, n'osa delaier :
« Frater, pro Dco me délibéra !
» Reddam tam cito ce qu'il coustera. »
Quant Baillet l'oy en haut s'escria :
« Çavetiers me doivent amer de cuer fin,
» Quant a mon lardier fais parler latin. »
108 Lors le frère au prestre dist : « Baillet voisin :
» En tant com vous prie le lardier vendez,
» Ce sera folie se vous le quassez.
I) Ne me faites pas du pis que povez.
— Sire » dist Baillet, « sus sains vous plevis,
» J'en aroy vint livres de bons parisis :
114 » Il en vaut bien trente, que moût est soutiz. »
Le prestre n'osa le mot refuser :
A Baillet ala vint livres conter;
Puis fist le lardier en tel lieu porter
I06 MÉLANGES
Ou priveement mist son frere hors.
Bon ami li lu a cel besoing lors,
I 20 Quar d'avoir grant honte li garda son cors.
Baillet ot vint livres, et tout par son sens.
Ainsi fu délivres monseigneur Lorens:
Je croi c'onques puis ne li prist pourpens
D'amer par amours famé a çavetier.
Par ceste chançon vous puis tesmoigner
1 26 Que du petit uueil se fait bon guetier.
Ex oculo pueri noli tua facta tueri.
Quar par la fillete fu le fait sceù
Qui estoit joneite. N'est si haut tondu
Se vers çavetiers s'estoit esmeùs
Qu'en la fin du tour n'en eiist du pis.
Gardez entre vous qui estes jolis
IJ2 Que vous ne soiez en tel lardier mis.
II.
MIER (MERUS) DANS LES PATOIS
(voy. Romania, t. II, p. 529).
Ce n'est pas seulement dans le wallon et le picard que merus [mier et
mer) continue à vivre : dans des patois qui en sont tort éloignés, ceux de
la Suisse romande, et particulièrement ceux de la Gruyère et du pays
d'En-haut, il est encore en usage avec la fonction d'un adverbe, qu'il a
également dans les deux dialectes français^ et la flexion d'un adjectif. Sa
forme est mâr dans le pays d'En-haut et môr dans la Gruyère. Je lis dans
des notes fort intéressantes qui accompagnent des traductions de la
parabole de l'enfant prodigue dans les trois dialectes du canton de Fri-
bourg que mâr sert à renchérir sur la signification (des adjectifs et des
participes), qu'il met pour ainsi dire au superlatif. L'exemple cité est /m
mârebai « fut bien surpris ». Outre l'emploi de mero et meramén «vraiment,
exactement », et l'idiotisme / e îô mero lli « c'est parfaitement lui», ce qui
se dit d'un portrait ressemblant, seuls exemples de l'usage de ce mot que
je rencontre dans le glossaire de Bridel et qui viennent;, paraît-il, du
pays d'En-haut (.''), où, à ma connaissance, ils ne sont plus employés
aujourd'hui, en voici d'autres que j'y ai recueillis, avec les équivalents
gruériens, et dont les deux premiers correspondent à ceux relevés par
M. Bréal :
Mârnii, mâranà, « tout nu ».
To mârxau, tôta mâraxaula, aussi mârxolet, mâraxoleta, gr. màrxolet,
« tout seul ».
Pllâu a la môrvqxa, gr. « il pleut à verse ». Jules Cornu.
COMPTES-RENDUS.
Recueil d'anciens textes bas-latins, provençaux et français,
accompagnés de deux glossaires, et publiés par Paul ME'i'ER. i" partie:
bas-latin-provençal. Paris, Franck, 1874. Gr. in-S", 192 p.
La préface qui accompagnera ce recueil ne devant paraître qu'avec la
seconde livraison, je crois pouvoir faire connaître ici par avance le but que je
me suis proposé et les principes qui m'ont dirigé dans le choix des morceaux
et dans l'établissement des textes. Chargé depuis 1869 du cours de langues
romanes à l'École des chartes, j'ai souvent senti le besoin d'un recueil de textes
qui fût proportionné aux exigences de mon enseignement, et c'est parce qu'un
tel recueil n'existait pas que j'ai été conduit à entreprendre celui dont la pre-
mière livraison vient de paraître.
Les élèves de l'École des chartes doivent être en état de lire tout document
écrit dans l'un quelconque des idiomes usités en France pendant le moyen âge.
Des textes de tous ces idiomes devaient donc prendre place dans mon recueil.
Et d'abord des textes bas-latins qui, dispersés dans des ouvrages volumineux et
coûteux, n'avaient pu jusqu'à présent être introduits dans l'enseignement. Pour
cette partie de mon travail, il n'existait pas de précédents. J'ai choisi et édité de
mon mieux. On pourra s'étonner de ne rencontrer parmi ces spécimens de la
basse-latinité qu'une seule charte mérovingienne (n' 8). C'est que les documents
de cet ordre ont été mis à la portée des travailleurs par diverses publications,
dont l'une au moins le recueil des Diplomata édité en 1851 chez Kœppelin, est
très-facilement accessible. Je n'ai admis (au moins sciemment) aucune pièce latine
postérieure au temps de Charlemagne. Les textes latins perdent une grande
part de leur intérêt linguistique, dès qu'on arrive au temps où apparaissent les
premiers écrits romans, et la masse des documents devient telle qu'il eût été dif-
ficile de faire un choix ^.
Pour la partie provençale, qui dans ce fascicule occupe 170 p. sur 192, j'ai visé
à donner des échantillons de tous les genres et de tous les dialectes. Ce résultat
n'a pu être atteint qu'à condition de réduire au strict nécessaire les spécimens
de chaque genre. Car d'une part le recueil tout entier, avec les glossaires, ne
doit pas former plus d'un volume de moyenne grosseur, et d'autre part plu-
sieurs lignes sont presqu'à chaque page envahies par un apparatus criticus dont il
I. Je dois ajouter, à mon point de vue particulier, que la collection des fac-similé de
l'Ecole (qui comprend maintenant près de 700 spécimens) contient assez de documents
latins de tous les temps et de tous les lieux pour satisfaire à tous les besoins de l'ensei-
gnement.
I08 COMPTES-RENDUS
ne m'était pas possible de dispenser le lecteur. On trouvera à la fin de ce fasci-
cule une proportion relativement considérable de chartes, de coutumes, de pièces
d'archives en un mot. J'espère que les philologues ne s'en plaindront pas. Si
j'ai multiplié les documents de ce genre ce n'a pas été seulement pour faire pas-
ser sous les yeux de mes élèves des textes avec lesquels il importe qu'ils soient
familiers: c'est surtout parce que les pièces d'archives sont en général d'un
bien plus grand secours que les compositions littéraires pour l'étude des dialectes.
- Les pièces des troubadours sont au nombre de 1 5. Je n'aurais pu en admet-
tre un plus grand nombre sans déranger la proportion du recueil. Il s'en
faut que ces quinze pièces donnent une idée même lointaine de l'admirable
variété de la poésie provençale. Mais pourtant je les ai choisies telles qu'elles
puissent donner matière à quinze leçons bien remplies. Plusieurs ont un carac-
tère historique et peuvent fournir aux étudiants le sujet d'utiles compositions.
Ce recueil est donc entièrement composé en vue de l'enseignement. Mon but
n'a pas été d'accroître nos connaissances littéraires par la publication de mor-
ceaux inédits. Pourtant il y en a : et les personnes qui ont le plus étudié la lit-
térature provençale y trouveront des fragments dont elles n'avaient jamais ouï
parler. J'appelle notamment leur attention sur le n" 34.
Je me suis abstenu de tout commentaire littéraire ou philologique. La place
me manquait pour ces accessoires. L'explication des mots sera donnée dans la
mesure nécessaire par le glossaire; quant à écrire une petite préface pour cha-
que morceau, il n'y fallait pas songer. Il y aurait eu trop à dire. L'explication
que j'ai publiée dans le précédent numéro de la Romanla d'une pièce de P.
Vidal contenue dans mon recueil (n" 13) donnera au lecteur l'idée des dimen-
sions que peuvent atteindre ces sortes d'introductions littéraires. Puis, il faut
bien laisser sa part à l'exposition orale du professeur. Toutefois, j'ai fourni
dans une certaine mesure aux maîtres les éléments de leurs leçons, en donnant
en note, toutes les fois que je l'ai pu, les sources des morceaux publiés. C'est
ainsi que Bocce (n° 1) et le début du Donat proensal (n° 37) apparaissent accom-
pagnés pour la première fois des textes dont ils sont inspirés.
L'établissement des textes a dans un ouvrage de ce genre une importance
toute particulière. Je ne puis exposer en détail le système que j'ai suivi pour
chaque morceau, ce système ayant naturellement varié selon les cas. Mais je
dois dire que j'ai copié ou collationné tous les manuscrits, qu'ils soient en
France ou à l'étranger, d'où sont tirés les morceaux dont se compose le recueil.
Il n'y a d'exception que pour trois ou quatre morceaux pour lesquels j'ai eu des
garanties suffisantes*. Lorsque je me suis trouvé en présence de plusieurs leçons,
j'ai tenté de ;les classer. Ce cas s'est présenté pour Ginirt de Roussillon (n*' 6) et
pour plusieurs pièces de troubadours. Le texte des deux morceaux de Girart de
Roussillon est établi d'après le système que j'ai exposé en 1870, dans le Jarh-
buch fur romanische literatur. Pour quelques pièces de troubadours (n^* 10, 12, 13,
I. Ainsi je n'ai pas revu sur le ms. de Vienne VAppendix Prohi, mais M. Mussafia a
bien voulu, à ma prière, vérifier la lecture de quelques passages qui me semblaient suspects
et qui se sont trouvés conformes au ms. De même pour les variantes du n" 5 j'ai eu
recours à l'obligeance de M. Gariel, et M. l'abbé Chevalier a bien voulu revoir encore
une fois pour moi l'original du n° 40.
STENGEL, Mittheilungen aus Turiner Handschriften 109
14, 19), je crois avoir trouvé, sinon tout à fait la filiation des mss., du moins,
leur classement par familles. En ce cas les signes par lesquels je désigne les mss.
sont calculés de façon à rendre ce classement sensible aux yeu;^. Mais pour d'autres
pièces j'ai complètement échoué. Les personnes qui ont l'habitude de ces travaux
savent qu'il n'est pas toujours possible de se rendre compte des rapports qu'ont
entre elles diverses leçons d'un même texte. Cependant il me semble que dans
deux ou trois des cas oià j'ai échoué (n" 15, 16, 17), ce rapport pourrait être
trouvé. J'ai rapporté en note toutes les variantes des mss. En principe je ne
crois pas que cette accumulation de leçons, souvent sans autorité et parfois
ineptes, ait beaucoup d'utilité \ mais un apparatus criticus aussi complet que
possible était nécessaire aux fins que je me propose, qui sont non-seulement
d'enseigner le provençal et le vieux français, mais encore de donner aux élèves
des notions sur l'art de constituer un texte critique.
Mes textes étant établis directement d'après les mss., j'ai pu me dispenser de
tenir aucun compte des éditions de mes devanciers. Si j'en fais ici la remarque,
c'est que je ne voudrais pas qu'on me reprochât d'avoir omis des variantes qui,
vérification faite, ne doivent leur existence qu'à des fautes de lecture. J'en don-
nerai un exemple amusant : aux vers 164-5 '^^ morceau de Girart de Roussillon,
j'ai imprimé :
Caries mandet sa cort, e fon bien granz,
De barons Loherens et d'Alemanz;
dans l'édition de M. Hofmann, v. 2690, on lit pour le second vers De Ba-
viers; cependant les trois mss. portent d'un commun accord, et aussi lisiblement
que possible, barons, ou batos. Sans doute j'admets, avec le savant profes-
seur de Munich, que des Bavarois feraient bien à cet endroit, mais il n'y en a pas
dans les mss. et je ne pouvais en mettre, même en note.
En finissant, qu'il me soit permis de répéter ici la phrase par laquelle je ter-
minais il y a dix ans la préface de Flamenca : « J'aurai pour ceux qui voudront
examiner mon travail d'autant plus de reconnaissance qu'ils l'auront plus souvent
rectifié, » P. M.
E. Stengel, Mittheilungen aus franzœsischen Handschrilten der Turiner
Universitaets-Bibliothek, in-4'', 46 p. Marburg, Pfeil. (Progr. univ. pour
la rentrée d'octobre 1873).
Le travail de M. Stengel sur les mss. français de Turin se divise en trois
parties : dans la première il traite de quelques mss. déjà décrits ou utilisés par
d'autres savants; dans la seconde il décrit minutieusement un ms. qu'il a étudié
d'une façon particulière et qui offre d'ailleurs un grand intérêt ; dans la troisième
il donne quelques notes rapides sur des mss. qu'on n'a pas encore décrits depuis
l'ancien catalogue et qu'il n'a pas eu le temps d'examiner longuement. Dans tout
le cours de son mémoire, le jeune professeur fait preuve de connaissances bi-
bliographiques remarquablement étendues et précises; il montre dans la repro-
I. Je !!uis heureux de voir que cette opinion est aussi celle de M. Martin, qui se pro-
pose dans son édition de Rcnart de ne citer les leçons des manuscrits secondaires que là
où elles aident à corriger le texte des manuscrits principaux. Voyez son Examen critique
des mss. du Romande Renart, p. 43.
riO COMPTRS-RKNDUS
duction des textes qu'il publie une grande exactitude, bien qu'il ne démêle ou
ne retrouve pas toujours la bonne leçon ; il apporte en somme à la littérature
de l'ancien français une contribution importante. Il pourrait relever un peu
moins durement les inadvertances de ceux qui l'ont précédé. Voici quelques notes
qui portent surtout sur les textes.
I. P. 3-4, à propos de la traduction de Dante en vers français dont M. Casati
a public des fragments fort remarquables, j'observerai r qu'elle ne peut être,
comme l'a supposé M. Lacroix, de F. Bergaigne, contemporain de François*',
attendu que le style accuse une date notablement antérieure ; 2' qu'elle doit,
d'après la langue, avoir été composée par un Italien (ce qui me fait douter un
peu de l'assertion de M. St., d'après laquelle l'italien serait, dans le ms., écrit
par une main italienne, le français par une main française). — P. 1 1 , il est
regrettable que M. St. ne nous donne pas un peu plus de détails sur les pièces
e et g du ms. L IV, 33, qui sont des romans de la Table-Ronde. La seconde,
intitulée : C'est de Gliglois comment il eut grant painne pour sa famé, rappelle, par
le nom du héros, le joli poème du Bel Inconmi; la forme Gliglois j\. Guiglois?)
se rapproche du Wigalois allemand.
II. Le curieux ms. L II, 14, qui contient une compilation singulière de pièces
originairement étrangères l'une à l'autre, est le sujet principal du mémoire de
M. Stengel. La description qu'il en donne est faite avec soin, et si elle n'est pas
toujours très-facile à suivre, c'est la faute du ms. Au point de vue de l'histoire
littéraire, elle me suggère deux ou trois remarques. P. 1 1, il serait temps de
faire disparaître de la littérature le titre de Roman de Sapienu, pour le
livre d'Herman de Valenciennes. Il y a longtemps qu'on a montré que ce
titre est une bévue, provenant de ce que le premier vers, dans quelques mss.,
est Comans de Sapicnce, c'est la cremor de Dcu, et qu'un ms. de la B. N. porte,
par une erreur du rubricateur, Romans au lieu de Comans. — P. 28, v. 221 ss.,
le résumé de l'histoire de Huon de Bordeaux qui est donné ici est extrêmement
curieux ; il ne parle ni de l'Orient, ni d'Auberon, il place en Lombardie la scène
de l'exil de Huon, substitue à Esclarmonde la fille du comte Guinemer (qui pour-
rait bien être devenu le Garin de St-Omer du poème actuel), et justifie ainsi une
conjecture que j'ai émise jadis (Revue germanique, 1861) : les aventures merveil-
leuses d'Huon en Orient ont été introduites par l'auteur de notre poème dans
une tradition à laquelle elles n'appartenaient pas originairement. — P. 31, je
doute que le ms. de Turin (qui est fort semblable à notre ms. 12548, à celui
du Vatican, et, si je ne me trompe, au ms 401 de Carpentras) contienne un
remaniement du texte que donne le ms. 25516, mais je n'ai pas étudié la question
d'assez près pour me prononcer. A ce propos, M. St. « prétend faussement »
(pour employer une de ses expressions favorites) que M. Gautier publiera
dans la Romania une version franco-provençale de Beuvc ; nous n'avons jamais
annoncé qu'une étude de M. Gautier sur « une suite de Beuvc d'Hanstone, » et
encore le poème de Béton se rattache à Beuve par un lien extrêmement lâche.
III. P. 39, une M chronique » en prose qui a pour première rubrique : Com-
ment le roy Salomon de Hongrie fu mariez à la fille de l'empereur d'Allemagne, a
bien plutôt l'air d'un roman, et j'ai idée que nous avons là une forme nouvelle
du roman si connu de la Manekine. — P. 41, il serait facile de grossir la liste
HOFMANN, ein Katalanisches Thierepos 1 1 1
des mss. de Florimont; je ne citerai que celui de Montpellier, parce que le cata-
logue ne l'indique pas : un long fragment de Florimont remplit les fol. 13-61 du
ms. 252 de la Bibl. de la Fac. de médecine'.
Voici maintenant quelques rectifications pour les textes imprimés par M. Sten-
gel. P. 12, V. 12, sïnc, I. simc\ v. 28, Soibant, 1. Soibaut. — P. 13, v. 49, le
ms. a fort bien III ducees (duceês) ot il par desoiis lui, M. St. corrige à tort IIII ;
V. ^6, mort ore, 1. mortore ; v. 90, Qui les foires créa et establi, je lirais Cil qui,
bien que le même vers se retrouve p. 28, v. 230. — P- 23, v. 8, pourquoi un
(?) après le nom fort clair de Barlaitc? — P. 25, v, 15, Font faire au tens
moustiers et cruchefis, 1. auteus. — P. 26, v. 107, porte, 1. portes. — P. 27,
V. 196, Et Loherainne et To et Nansi, p. ê. Tolois. — P. 28, v. 216, ses bours
et ses mcsins, qu'est-ce que mesin? Je lirais, par analogie avec d'autres vers, ses
fours et SCS molins ; v. 217, Et la terre, 1. Et celé terre; v. 246, M. St. n'a pas
osé résoudre l'abréviation du dernier mot, c'est paresis (cf. v. 286) ; v. 249,
manburni, 1. manburnir; v. 258, d'une empereris, 1. a unee.; v. 263, // grant
pris, 1. si; v. 290, Que il fera raison, je lirais, ne pouvant admettre ici un
alexandrin. Qu'il fera droit. — P. 32, v. 13, achi sonne, 1. achisonne; v. 14 (et
de m. p. 34, v. 32) M. St. imprime plus (= post) : le ms. doit donner puis. —
P. 34, V. 7, bue, V. 24, Bue, 1. Buevon et Bueves; pourquoi au v. i suppléer un
i dans ir{i)cs et laisser au v. 26 ires tel quel ? — P. 36, v. 101, 5^ ioucie en
cestp. valee n'a aucun sens, 1. Se jeu dé. — P. 37, le v. (77) est trop court, 1. i
sont pour sont; v. (181) La mors qui tout met en salmaire, 1. en s'almaire (com-
ment M. St. a-t-il compris.?) ; v. (203), 1. estoit au lieu à' est pour le vers. —
P. 38, v. (267), // n'a, 1. // ni a. — P, 44, 1, 17, dor, de mirre et doucheus,
1. d'or, de mirre et d'enchens.
G. P.
Ein Katalanisches Thierepos von Ramon Lull. Von Konrad Hofm.\nn.
Munich, 1872, in-4'', 70 p. (Extrait du t. XII, 3° série, des Mémoires de
l'Académie des sciences, i" CL).
La Bibliothèque de Munich possède deux exemplaires manuscrits d'un des
ouvrages de Ramon Lull, intitulé Libre de Maravclles. M. Hofmann en a extrait
et publié, avec toute la correction qu'on est en droit d'attendre de lui, un long
fragment qui contient une espèce de roman animal (le nom d'épopée lui convient
peu). Ce curieux morceau appelle des observations nombreuses ; l'éditeur nous
promet le commentaire une autre fois. Sa publication actuelle comprend une
description sommaire des mss., le texte catalan et une analyse qui en beaucoup
d'endroits est une traduction. Elle se termine par les lignes suivantes, qui don-
nent une juste idée de ce que le savant professeur de Munich nous a offert et de
ce qu'il nous promet : « Comme j'ai dépassé déjà l'espace qui m'était assigné,
je dois réserver pour une autre occasion l'examen détaillé de diverses questions
que soulève cet ouvrage du célèbre Franciscain. C'est d'abord son rapport avec
la fable indienne [Pantschatantra, etc.), à laquelle il a sans doute emprunté
I. Les 12 premiers folios contiennent un fragment du Chevalier au Lion, qui n'a pas
été reconnu par le rédacteur du catalogue; ce ms., qui se rattache au groupe des mss. de
Paris, paraît y occuper une place à part.
I I 2 COMPTES-RENDUS
ses récits, par l'intermédiaire de l'arabe qu'il entendait â merveille, en sorte
qu'il est un des premiers Européens qui aient traité ce sujet dans une langue
vulgaire. Il faudrait ensuite comparer son œuvre à l'épopée animale germano-
romane, qui paraît lui avoir été tout à lait étrangère, comme le montre déjà
cette circonstance, qu'il emploie le seul nom qu'il lui emprunte, Rcnart, comme
féminin (Nu Rrcnarl). Enfin il faut examiner dans son ensemble le Libre de Mara-
vellcs lui-même, qui, non-seulement dans le septième livre que je viens de publier,
mais dans son entier, se compose aussi (comme le célèbre roman monastique de
Lull Evast et Blanquerna) d'une histoire qui sert de cadre, et où ne sont pas
insérées moins de trois cent soixante-cinq autres histoires grandes ou petites. »
Ces recherches ajouteront beaucoup de prix à la présente publication, qui a déjà
le mérite de nous offrir un texte catalan étendu et bien édité.
Beitrag zur Kunde der norditalienischen Mundarten im XV. Jarhrun-
derte. Von Adolf Muss.vfia. Wien, Geroid, 1873, gr. in-4*, 128 p. (Extrait
du t. XXII des Mémoires de l'Académie).
Le nouvel ouvrage de notre savant collaborateur comptera comme un de ses
meilleurs titres scientifiques et peut être regardé comme un des travaux les plus
remarquables qui aient paru dans le domaine de la philologie romane depuis
longtemps. La matière en a été fournie par des glossaires italiens-allemands,
manuscrits ou imprimés, du XV" siècle, où les mots et les formes des dialectes
du nord envahissent de toutes parts le toscan. Rien n'est en apparence plus
informe et plus confus que la langue de ces documents, et pour en tirer une
grammaire il a fallu à M. Mussafia beaucoup de patience, et encore plus
de réserve : il avoue lui-même qu'il s'est parfois demandé si en enregistrant
telle ou telle forme il ne notait pas simplement une faute de copie ou d'im-
pression. Il a cependant recueilli, grâce à son excellente méthode, quelques
faits intéressants de phonétique et de flexion. Mais la partie la plus considé-
rable et la plus importante de son mémoire est le glossaire, où sont relevés
tous les mots notables des textes utilisés, et où ils sont expliqués, comparés
avec les patois actuels, l'italien, les autres langues romanes, et étudiés étymolo-
giquement. On sait par quelles transformations bizarres les mots passent à la
longue dans les patois, et il faut songer en outre aux altérations incroyables
qu'ils ont subies dans les textes en question. Beaucoup de ces mots paraissent à
peine romans, la plupart ne rappellent au premier coup d'œil aucun congénère.
M. M. se joue de difficultés qui auraient empêché plus d'un savant d'entreprendre
même la tâche qu'il mène presque toujours à bien : doué d'une force d'attention
et d'une pénétration peu communes, muni d'une connaissance sûre et étendue de
toutes les langues romanes et d'une lecture très-vaste dans le domaine spécial
qu'il explorait, imbu, plus qu'aucun des disciples de Diez, de la méthode à la
fois hardie et circonspecte du maître, il a ramené d'une main habile au bercail
étymologique, à travers mille détours, ces troupeaux errants et assauvagis.
Son glossaire, qui enregistre plus de mille mots et en explique un bien plus
grand nombre, fait désormais partie intégrante du trésor étymologique roman :
on comprend que sa portée dépasse beaucoup le champ restreint où il a fait sa
VON Flugi, die Volkslieder des Engadin 1 1 5
moisson, et qu'en expliquant les mots milanais ou bergamasques il explique sans
cesse des mots italiens, espagnols, français, provençaux (je note bancal, mal
compris par Raynouard et P. Meyer), etc. Je n'ai pasla prétention de compléter
ou de corriger un travail fait avec autant de compétence, de maturité et de cri-
tique : je ne puis que l'étudier, et je pense que tous les romanistes en feront autant
et y profiteront beaucoup. Quelques observations, sans importance d'ailleurs,
m'ont été suggérées par une première et incomplète lecture. Sur asprosordo , on
aurait pu remarquer que ce serpent est appelé sourd en fr. et prov. mod., sort en
V. fr. — Sur caligo, qui a donné des mots masculins et féminins, on peut rappro-
cher le V. fr. chalin et chaline. — A propos de galon et de sa nombreuse famille,
M. M. dit en note : « A ce groupe se rattache s. d. aussi le crémon. ingherlit,
délie dita, quando per soverchio freddo non si possono distendere ». C'est plu-
tôt le même mot que le syn. français onglée. — La provenance de galoche de
calopia pour calopodia me paraît bien probable. — Sur inclostro, rappr. le v. fr.
encloistre. — A propos de lasena, il est bon de remarquer que le v. fr. a lasne
(voy. Rom. Studien, p. 437) et aussi lasnetc. — Le mot mazeta, « bâton, »
(dim. de mazza) ne se retrouverait-il pas dans le fr. mazctlc, « mauvais cheval?»
cf. bordone, muleta et Brachet, s. v. bourdon. — A propos de stofegar, je note
que M. Boucherie a relevé des formes semblables en français et en provençal ;
voy. ci-dessous, p. 117. — « Veta haubt ; » M. M. lit « v. haube » ; ne pour-
rait-on pas garder haubt en comprenant veta comme l'it. vetta? Cela dépend au
reste de la place que le mot occupe dans le glossaire. Quant au mot oveta que
M. M. rapproche de veta, sa dérivation de l'ail, haube est assurée par le v. fr.
huvette, dim. de huve == haube.
G. P.
Die Volkslieder des Engadin. Von Alfons von Fluot. Nebst einem
Anhange engadinischer Volkslieder im Original u. in deutscher Uebersetzung.
Strassburg, 1873, in-S", 85 p.
Ce petit volume sera bien accueilli des amis de la poésie populaire : on
manquait jusqu'ici d'un semblable recueil. Les quarante-neuf premières pages, oii
l'on remarque d'intéressants fragments de chansons épiques conservés par Cam-
pell, sont consacrées à l'histoire de la poésie populaire dans l'Engadine.
Selon M. Alfonse de Flugi les chansons qu'on y chante aujourd'hui remontent
pour la plupart au XVIII*= siècle, où le pays put enfm se reposer des luttes et
secousses de la réforme religieuse. Cette opinion aurait besoin d'être appuyée plus
solidement, et elle pourrait l'être assez facilement. En recueillant, les chansons
populaires des endroits restés catholiques, on verrait ceux qui leur appartien-
nent et ceux qui sont la propriété de l'Engadine. La Réforme s'attaqua aux pro-
ductions de la muse populaire, qu'elle trouvait trop libres et sans gêne, et tenta
de les remplacer par d'ennuyeux cantiques et psaumes (p. 14). Elle a fait la même
chose dans une autre partie de la Suisse romane. — Parmi les pièces citées,
dont quelques-unes offrent un grand intérêt, il y en a une que je regarde comme
tronquée, c'est :
Ad eira un pascheder chi giaiva pasçhand,
Ziava la riva cha'l giaiva chantand :
Eviva l'amur!
Romania, lll 8
114 COMPTES-RENDUS
Car la fin ne peut être celle qu'elle a et qui est hors du sujet, malgré l'appa-
rence. Les dou/c chansons qui lorment l'appendice sont des pièces choisies
appartenant toutes û la poésie erotique. Dans ces créations du génie populaire il
y a, comme dit fort bien Ascoli de la langue des Grisons, matière romane et
esprit allemand. La septième a de l'analogie avec une ronde fribourgeoise, où il
est question d'un trousseau aussi singulier que la dot du vieillard. La douzième
a le même sujet que la charmante chanson populaire que F. Mistral a fait entrer
avec de grands changements dans le poème de Mirallc, ainsi qu'on l'a déjà
remarqué. Voici la pièce ladine, qui me paraît digne d'être comparée à l'aubade
du poète de la Provence :
Chi me ais que famailg
Chi's leiva usclia manvailg
Cun la staila dal sulailg.?
Chi me ho'l par marusa.?
L'ho zuond ùna bella matta;
Ma da seis bap ho ella artô
Bain ùna pitschna dota :
Sulet un êr chi rœsas ho purtô.
« O bella matta, voust amder
Una bella rœsa da tieu êr?
— 0 madinà, cha nu farô,
Cha mieu bap m'ho scumândô.
— Nu voust tu ma marusa gnir.?
— Aunt eu quella eu dvanter,
In un graunet am voelg cunvertir,
Ed in la terra am voelg zuper.
— Scha tu voust gnir un bel graunet,
Ed in la terra at voust zuper,
Voelg eau gnir un utscheet,
Ed our dalla terra at voelg picler.
— Un utscheet scha tu voust gnir,
Ed our dalla terra am voust picler.
Voe'm convertir in chiamuotschet
Ed in la cripla am voelg risçher.
— Fùssast tu lin chiamuotschet,
Per in la cripla at risçher,
Voelg esser eu un chatschedret,
Ed our dalla sassa at voelg claper.
— In chatschedret t'voust convertir,
Ed our d'ia sassa am voust claper :
Schi voelg eu gnii ùna bella rœsa,
Ed in la plazza am voelg plazzer.
— Scha tu fùssast ùna rœsa
Ed in la plazza at voust plazzer.
Un cumpredar voelg eu gnir,
Gio dalla plazza t'acquister.
— Scu cumpredar voust tu gnir.
Gio dalla plazza am voust cumprer,
Voelg in aunglet am cunvertir,
Ed aint in tschêl am voelg retrer.
— In un aunglet t'voust cunvertir,
Ed aint in tschê! voust at plazer,
Schi voelg un otr' aunglet eu gnir,
E svess intschêl at voe brancler. »
Puisse l'auteur qui vient de publier cet intéressant travail recueillir aussi les
contes et les légendes populaires de l'Engadine! Car le temps marche vite,
emportant dans sa course ces précieux monuments de l'imagination populaire.
Jules Cornu.
PÉRIODIQUES.
I. — Revue des langues romanes. IV, 4. — P. 481, Montel,le Mémorial des
nobles. Le cartulaire connu sous ce nom est le joyau des archives de Montpellier.
C'est le recueil des actes relatifs à la seigneurie des Guillems. Il y en a environ
600, dont un sixième, au dire de M. Montel, est en langue vulgaire. Les docu-
ments qui sont dans ce cas sont en général des serments de fidélité, genre d'acte
qui, dès les plus anciens spécimens qu'on en possède, a été rédigé au moins par-
tiellement en langue vulgaire. Au seul point de vue philologique la publication
du Mémorial des Nobles, compilé tout au commencement du XIII' siècle (vers
1204)^ serait d'un grand intérêt. Aussi peut-on regretter que h Société archéolo-
gique de Montpellier, à qui l'histoire du midi de la France doit tant, n'ait pas
encore donné suite au projet qu'elle avait jadis formé, il y a quarante ans
environ', de mettre au jour ce précieux recueil. En attendant que cette intention
soit réalisée, M. Montel imprime un premier choix de 18 serments tirés du
Mémorial. Déjà en 1861 feu Cambouliu avait publié dans le Jahrbuch /. rom.
Lit. (III, 3 59-60) trois des serments du Mémorial, mais non sans commettre ces
fautes de lecture dont il était coutumier, et qui rendent presque inintelligibles
les textes joints à son Essai sur la littérature catalane. M. M., qui a constaté les
fautes de son devancier, nous donne un texte plus correct, mais pourtant non
exempt d'erreurs, si j'en juge par la comparaison avec des copies que j'ai prises
il y a douze ans, à Montpellier. Ainsi n" III : « ad te Guillelmum supt-rscriptum
sicut sup^rscriptum et totum tenebo », lisez : suprascriptum les deux fois, et est
au lieu à'ct. Il va sans dire qu'il faut ponctuer en conséquence ; No V, 1. 1 0 du bas,
estabils, lisez cstablis; 1. 6 du bas, sabra'h, Wsez sabial ; 1. 5 du bas, « Guillelmsde
Monpesler quan iofauz lo dons anquara trent' anz non aura » ; cela n'a aucun sens,
1. faitz et avia. Av. dern. 1. « d'ai bon feu », lisez d'aitan, etc. — P. 502. Alart,
Documents sur la langue catalane (suite). — P. 515. Alart, Certificat délivré par
les juratsde Pau (141 1). — P. 522. Ch. de Tourtoulon, De quelques formes de
l'ancienne langue d'oc. Objections à quelques brèves remarques imprimées
ici même, t. II, p. 372. M. de T. continue à contester l'origine provençale
du chansonnier Giraud. Il me demande sur quoi j'ai fondé cette attribution.
J'ai donné mes raisons dans mon mémoire sur ce chansonnier, et les tiens pour
suffisantes. La grande objection de M. de T., c'est que ce ms. admet los au cas
1. Voy. la notice de J. Renouvier sur le Mémorial des Nobles et sur le Petit Thalamus,
dans le Bulletin de la Soc. de l'Hist. de France, II, 560. Les renseignements donnés par
Renouvier ne concordent pas toujours avec ceux de M. Montel.
2. M. Montel sépare toujours l'article à la façon de Raynouard, système qui est main-
tenant abandonné de tout le monde.
||6 PÉRIODIQUES
sujet, et los serait « antipathique » au dialecte de la Provence, Je n'ai ni le
temps ni la place qu'il faudrait pour discuter en détail les arguments par les-
quels M. de T. s'efforce de prouver cette antipathie. Mais d'ailleurs on peut
négliger les raisonnements théoriques, lorsque la preuve dont on a besoin est
fournie par des faits; or c'est un fait, et un fait indiscutable, qu'une fois perdue
la distinction du cas sujet et du cas régime, vers le milieu du XIV siècle, on a
employé en Provence comme ailleurs, le cas régime los au lieu du cas sujet /(.
M. de T. récuse, sans bonne raison, les textes écrits à Tarascon que je lui ai
cités. 11 dit que Tarascon est trop près du Languedoc, comme si l'art. // (lis
devant les voyelles) n'était pas employé maintenant non-seulement à Tarascon,
mais à Beaucaire et tout à l'entour! Mais passons, il ne manque pas d'autres
textes écrits dans les Bouches-du-Rhône, dans le Var, dans les Basses-Alpes. J'y
trouve constamment, comme dans le ms. Giraud, los pour l'art, masc. plur. employé
au cas sujet : aussi bien dans le mystère de saint Jacques, qui est de Manosque,
que dans les règlements de police de La Cadière (Var) ou dans les compoids de
Toulon. Si donc M. de T. peut me montrer dans des textes antérieurs à la fin
du XVI' siècle li employé comme il l'est actuellement en prov. mod., il aura
gagné sa cause. A lui d'en trouver. J'ai dit queueimais ne pouvait avoir, chez un
poète de la fin du XIII° siècle, le sens négatif. M. de T. me répond par deux
citations de Mireio! Cette façon de raisonner me surprend peu, car j'ai souvent
l'occasion de la constater chez certains de mes élèves qui, originaires du
Midi, croient pouvoir expliquer les troubadours avec l'aide de leur patois. Elle
montre combien l'étude historique de la langue a de peine à s'introduire. — [P.
527-^57, Boucherie, Etymol. franc, et patoises K Ce travail intéressant, et où
l'auteur se montre souvent ingénieux, manque un peu trop de base historique et de
rigueur phonétique. M.B.a en outre été dominé par un principe qui, tel qu'il le
pose (p. 546 1, est très-exagéré : «On ne doit, dit-il, recourir au grec ou à l'allemand
qu'avec beaucoup de précautions, quand l'historique du mot le permet, et surtout
quand il est bien avéré qu'il est absolument impossible de le rattacher au latin. »
L'allemand ne doit pas être assimilé au grec : il a eu sur le vocabulaire du roman
et surtout du français une influence bien autrement grande, et quand il offre une
étymologie satisfaisante il faut s'y tenir et non aller chercher dans le latin une
explication forcée. L'opinion excessive de M. B. l'a fait tomber dans ce travers,
quand il a voulu tirer blanc de lactus , blesser de ' lacdicare, ctal de *staculam ,
guetter de * vaditare, licheor de [Jejlectatorem, gratter de* raJitare, grincer de' rictare,
grimer de rimare, massacre de * mactacrum : aucune de ces fantaisies ne peut se
soutenir un moment. Parmi les autres propositions, la plupart, tout en prouvant
chez l'auteur une aptitude étymologique réelle, doivent également être rejetées.
*Adbadare n'est pas nécessaire pour expliquer les formes diverses d'aboyer, qui se
tirent toutes d'adbaubarc {au=a comme dans a(u)gustus, etc.) ; afficher ne voulant
jamais dire « feindre » n'a rien à faire avec *jffictare; baille de vasculum est
aussi impossible que les prétendus exemples de b = v,baud=validus et vitiare=:
baiser (11); si bramer venait de *peramare, il ferait braime aux formes accentuées
sur le radical; *verutica, donné comme origine de « broche », ressemble trop
1. Tirage à part, Montpellier, Séguin.
PÉRIODIQUES 117
au *fabanca * {fab)aricotus, origine de haricot d'après Ménage; capoutié ne vient
pas de capoclator, mais, comme me le fait remarquer P. Meyer, est l'ancien mot
provençal capitolier; correcier est une forme affaiblie de corroder (cf. doleros, etc.)
et ne vient pas de correctiare (d'après l'auteur « un homme corrige n'est pas loin
d'être courroucé ») ; esbaïr se rattache sans doute au rad. bad- (cf. baïf), mais ne
peut venir à'expavescerc, le p dans ces conditions ne devenant par b et le sens ne
convenant pas; la raison donnée par Diez contre é/JiVr := *5/'(c^re reste bonne,
M. B. ne prouvant pas du tout que spiare spia ne soient pas anciens en italien;
« estourmir,estourbir, mots du langage populaire signifiant assommer, étourdir»:
le premier de ces mots m'est inconnu dans ce sens (vfr. estormir=a.h. aW. storm-
jan),\e second serait plutôt *a-;or/;(V/;V£ (ainsi àouhleide étourdir) que 'exturbescere;
SI flatter venait de flagitare, le v. fr. aurait /laitier {Alexis, p. 79). Des objections
moins décfsives, mais graves, et le manque de preuves historiques, rendent très-
douteuses lesétymologies de boulanger {' pollinearius ou * polenticarius déjà admis
par Ménage', broncher Cperuncare), bûche {*bustica), caillou Ccaclulus), coche
('cudicare), espinchà pat. (spcctare), étaler {"statare), étouffer {*stupefacere; sur esto-
fcgicr, cf. ci-dessus, p. 113), flouer (fraudarc), grolle {*corvula), mâcher {macîare),
malingre (*maHgnulus). L'explication de manger psir * mandicare a été donnée
déjà, comme M. B. le note, par M. Storm. Une seule étymologie me paraît
pouvoir être admise dans la prochaine édition de Brachet : c'est érailler de
* exradiculare. — M. B. veut que les mots comme breviare * leviare *fortiare etc.,
viennent du comparatif et non du positif de brevis, etc.; mais outre que cette
dérivation est contraire au génie de la langue, qu'est-ce que des comparatifs
* captior "tentior et tant d'autres? — Son explication de noircir durcir etc.,
ne diffère pas de celle de Diez, II, 406. — Ce qu'il dit sur mil et mille
est juste, mais n'est pas nouveau : voy. Diez, II, 180, et A. Tobler dans le
Jahrbuch, IX, 116. — G, P.] — P. 5^8, A. M. et L. L. , Contes et petites
compositions populaires (suite). J'ai dit ci-dessus (II, 572) à propos d'une partie
antérieure de ce travail : « La principale des pièces contenues dans cet article
» est celle que M. Damase Arbaud a publiée sous le titre de Scrcnados avec un
)) commentaire que les nouveaux éditeurs ont reproduit a peu près en entier sans
» reconnaître suffisamment leur emprunt. « En réponse à cette observation MM. M.
et L. énumèrent les diverses parties de leur article et concluent en me deman-
dant où j'ai vu ce commentaire qu'ils ont emprunté presque en entier à M. D.
Arbaud? Il plaît à ces messieurs d'équivoquer sur le mot commentaire. Ils savent
aussi bien que moi que le commentaire en question se trouve dans le t. I" des
Chants popul. de la Provence, p. 224-5, ^^ qu'ils l'ont transporté avec d'insigni-
fiants changements aux pages 462 et 463 du t. IV de leur Revue. C'est là l'em-
prunt que je leur reproche de n'avoir pas suffisamment reconnu. — P. 600.
A.Espagne, Proverbes et dictons populaires recueillis à Aspiran, Ce sont principale-
ment des proverbes météorologiques. L'éditeur s'est efforcé de faire la biblio-
graphie de chaque proverbe et d'en citer, d'après divers recueils, les variantes. Je
lui signalerai un travail analogue au sien où il aurait trouvé matière à de nom-
breux rapprochements : Recueil des proverbes météorologiques et agronomiques des
Cévennols, suivi des pronostics des paysans Languedociens sur les changements de
temps, par M. L. A. D. V., dans les Annales de l'agriculture française, z' série,
Il8 PÉRIODIQUES
t. XIX n822). — P. 654. A. Guiraud Que l'a denàu? — P. 6^0. Chabaneau,
Grammaire limousmc (suite). — BibliOj;raphie : Barthès, Glossaire botam<juc
languedocien cl français de l'arrondissement de Saint-Pons. Compte-rendu fort
élogieux qui, assurément à l'insu de son auteur, donne une idée peu favorable
de cet ouvrage. Pour apprécier la valeur de ce nouveau glossaire botanique,
il eût fallu le comparer à celui que M. G. Azais a publié en 1871 (voy. Homa-
nia, I, 269J. — P. 702. Pcriodiqucs. Rendant compte du n" 6 de la Romania,
M. Boucherie pense que dans Blandin de Cornouailles, v. 707 il faut lire al re,
au lieu d'abre, opinion qui me paraît fondée. — P. 707. G. Azais, Notice
nécrologique sur A. Donnodevie. P. M.
II. — RivisTA Di FiLOLOGiA ROMANZA, I, j.— P. i]<), Pitre, Nuovo Saggio
di Fiabe e Novclle popolari siciliane (suite, voy. Rom. II, 373). — P. Rajna,
Due Frammenti di romanzi cavallereschi; publication, avec une très-bonne intro-
duction, de deux fragments trouvés à l'Ambrosienne et appartenant à deux
romans en prose du cycle de Charlemagne; le savant éditeur montre qu'ils por-
tent les marques de l'invention italienne et du dialecte lombard. — P. 179,
Th. Braga, Sobre a origcm portugueza do Amadis de Gaula; résumé de la thèse
soutenue par l'auteur dans son livre sur Amadis, dont nous rendrons prochai-
nement compte. — P. 188, U. A. Canello, Appendice alla storia di alcuni par-
ticipa (cf. Rom. II, 374); l'auteur discute quelques critiques qui lui ont été
adressées, et ajoute à son intéressante liste un certain nombre de mots; le fr.
chérie n'a rien à faire avec ijuaerere ; lautus (' lavitus) vient de laverc et non de
lavare, et une origine analogue peut se soupçonner pour d'autres participes du
même genre; je doute fort que laetus soit identique à 'lavitus, mais je suis bien
sûr que le fr. lie, esp. lia, vén. lea, etc., ne vient pas de laeta. Au reste, l'idée
émise p. 190 sur la conservation de vieilles formes participiales dans le latin
populaire est ingénieuse et mérite l'attention. — P. 192. Varietà. E. Stengel,
sul Codice Riccardiano 2943 contenente un nuovo testa del Percheval di Chres-
tien de Troyes (j'ajouterai qu'un ms. du XIII^ siècle de ce poème a été acquis
il y à quelques années par la Bibliothèque de Clermont-Ferrand); F. A.Coelho,
Nota a p. 122 (M. C. reconnaît l'antériorité de M. Mussafia pour l'explication
du V. part, ch'a; cf. Rom. II, 374). — P. 194, Rivista bibliografica : Ascoli,
Archivio Glottologico (Suchier) ; Bartoli, / primi due secoli délia Htteratura italiana
(E. Monaci). — P. 201. Pcriodici. — P. 205, Notizie. G. P.
III. — RoMANiscHE STUDÎEN, I, 3. — [P. 309-335. Chanzuns popularas d'Enga-
dina, p, p. Alfons vonFlugi.Enmême temps que les Volkslieder des Engadin dont
nous avons parlé ci-dessus p. i i3,M. A. de Flugi a publié ici trente-six chansons
de l'Engadine. L'auteur n'a pas fait un choix comme pour le petit volume qui doit
leur servir d'introduction. A côté de pièces vraiment populaires, et il y en a de
fort belles,nous trouvons d'autres productions dont la métrique et le style dénotent
à la fois une origine savante et une poésie artistique. Parmi celles-ci je compte,
outre Rœsetta, mia bain! Da tristczza sum plain (6) et Eu sum ûna giuvnctta Chi
am da ster allegramaing (12) dont on connaît les auteurs, Davart dalla prûma-
vaira Cun dalet no lain chantar (2), Nus amis dacumpagnia Vulainsir tuots a tram-
PÉRIODIQUES 119
elg (4), Parchc valais ch' ûna parsuma chaunta Chï nun ho pu siea cour in liberted
(5)', Pastura in chamona im sta a lavant (19), Ils teis bels celgs nairs Quels
m'han fat inanmrar (20), Vus prada e bella pasçhura, Ed Is aers han lur frùtta
madûra (25). Néanmoins les pièces modernes seront accueillies avec plaisir par les
personnes désireuses de connaître la poésie ladine contemporaine. — J. Cornu.] — P.
356. Una bclla istoargia dalg prus et bio Tobia, poème ladin, que M. A. de FI. fait
remonter au XVI« siècle, et qu'il publie d'après un ms. exécuté en 1678 par un
nommé Planta et conservé dans la bibliothèque de Coire. Ce poème, sans
valeur littéraire, est intéressant pour le philologue : on aurait voulu quelques
renseignements sur la langue, le style et la versification. — P. 358. J. Cornu,
le Ranz des vaches de la Gruyère et la chanson de Jean delà Bolli'eta ; ces deux pièces
sont réimprimées ici avec un grand soin, d'après l'orthographe phonétique quelque
peu bizarre de M. Bcehmer, et accompagnées d'une traduction et d'un intéressant
lexique. — P. 373. Préceptes de morale en ancien français, d'un intérêt assez
mince, écrits sur le dernier feuillet d'un ms. de Hanovre qui contient le Merlin
et publiés par M. Suchier. — P. 376. Fragment de Girbert de Metz; 93 vers,
de la fm du poème, tirés par le même d'un fragment de ms. extrait d'une
reliure de la même bibliothèque. — P. 380. E. Stengel, les Manuscrits de chan-
sons de geste des biblioth'ccjues d'Oxford, triva'û important où sont décrits plusieurs
manuscrits jusqu'à présent inconnus: r un ms. des Lorrains, à l'occasion
duquel M. St. donne la liste des mss. qu'il connaît de cette geste, publie les 26
premiers vers avec les variantes de douze mss., et offre un commencement de clas-
sification; 2° un ms. d'Antioche (qui contient aussi la branche des C^/7;/5) ; le dé-
but, curieux d'ailleurs, que publie M. St., ne prouve pas que Baudride Dol ait
composé sur la croisade un po'cmc français; 3° un fragment de 319 vers de la
chanson de Jérusalem, comparé par M. St. avec l'édition de M. Hippeau, et,
pour une quarantaine de vers, avec les six mss. de Paris et celui de Berne, ce
qui l'amène à proposer une classification des huit textes connus; 3° un court et
peu intéressant fragment de Garin de Monglane ; 4° un fragment (184 vers)
d'une chanson du XIII' siècle complètement inconnue, à laquelle M. St. donne
avec vraisemblance le nom de Syracon, et qu'il compare justement à Floovent,
dont le héros figure d'ailleurs ici. Le texte offrait des difficultés particulières, que
M. St. a essayé de surmonter: ses restitutions paraissent en général plausibles;
pourquoi suppose-t-il toujours que le père de Floovent s'appelle Clodove} il faut
Clodové (il est vrai que l'éditeur, système commode pour lui et incommode pour
le lecteur, ne marque pas d'accents, mais on voit par le mètre des vers restitués
qu'il n'accentue pas la dernière syllabe); v. 137, M. St. a l'air de prendre Len^i
pour une ville: il s'agit de la foire de Vendit, plus tard landit (indictum) à Saint-
Denis. Une remarque de M. St. m'amène à faire une observation d'un intérêt géné-
ral, que je crois avoir déjà exprimée ailleurs, mais qui a évidemment besoin d'être
répétée: « On sera frappé, dit-il, des violations graves et nombreuses des règles
de flexion, d'autant plus qu'elles paraissent souvent... confirmées par la rime.
I. Cette chanson, qui est une élégie, se chante en français dans le pays d'Enhaut et a
sans doute été composée dans cette langue. Voici le premier couplet : Comment veut-on
qu'une personne chante Quand elle n'a pas son cœur en liberté ? Laissons chanter ceux que
l'amour contente, Et laissez-moi dans mes malheurs pleurer.
I20 PÉRIODIQUES
Les rimes de ce genre peuvent, il est vrai, être regardées comme des traces
d'une forme du poème plus ancienne, plus voisine de l'assonance, dont le scribe,
préoccupé de la pureté des rimes, aurait effacé extérieurement les traces. J'ai
partout rétabli la forme régulière. » Eh bien! M. St. a eu parfaitement tort.
Les poètes, et cela plus anciennement qu'on ne le croit d'habitude, ont commis,
pour la rime, l'infraction aux règles de la dédmaison qui consiste à mettre le
cas-régime pour le cas-sujet (non pas l'inverse, et c'est ce qui prouve qu'en cela
ils suivaient le courant du parler populaire); chez les poètes normands ces
sortes de rimes apparaissent de très-bonne heure. La preuve que ces formes
sont voulues et ne sont nullement des restes d'assonance, c'est que les rimes
de ce genre sont seules de leur espèce: on trouve bien à une rime en é, p. ex.
il estait arnés, qu'il faut écrire amé, mais non pas anus au rég. plur. ou à la
2* pers. plur. De là, et d'autres remarques qu'ils serait trop long d'exposer ici
incidemment, se déduit la règle suivante : toutes les fois que, dans un poème
généralement bien rimé, la rime et la déclinaison sont en conflit, c'est la décli-
naison qu'il faut sacrifier. — P. 409. La confession Renart, p. p. E. Martin.
Dans une brochure publiée àBâleen 1872, M. M. avait indiqué une classification
des mss. du roman de Renart, d'après laquelle il compte en donner une édition
critique. Il publie ici d'après les quinze mss. qui la contiennent une des branches
les meilleures et les plus anciennes. Il me paraît, autant que permet de juger un
examen trop peu approfondi, avoir parfaitement prouvé tout ce qu'il voulait
prouver ; il donne assurément la meilleure idée de sa méthode et de son sens
critique, et il augmente l'impatience de voir paraître son édition. Au v. 179
il fallait garder la leçon de A, qui, ici comme en d'autres cas, est la seule
bonne. La branche est sûrement du XII' siècle; M. M. en doute parce que
l'i du nominatif est « presque régulièrement » omise. C'est singulièrement exa-
géré : les exemples cités, sauf grcf employé comme attribut, sont tous ou des
noms propres, qui ont de bonne heure préféré la forme du régime, ou des mots
comme maton, glouton, qui, ayant laissé tomber la forme correspondante au nomi-
natif "multo "glutto, n'ont pas encore adjoint au cas-régime \'s qu'au XII1<" siècle
ils lui auraient sûrement appliquée. D'autre part, les rimes imparfaites ne prou-
vent rien non plus, d'autant qu'il est tout indiqué d'écrire 159 apostoire, 324
pertus, 367 estorte. En général, je ne puis qu'engager M. Martin à faire attention
aux rimes et à en harmoniser l'orthographe : v. 13 il faut tcsniere, v. 109 redrechié
(v. 37 sûrement pooillier, mais lecasest ici différent); de m. v. 345 il faut au
moins tovcil et s. d. toeil{d.S. Thomas, éd. Hippeau, v. 1213). Il y auraitd'autres
observations à faire sur l'orthographe, que je voudrais voir plus uniformisée et
choisie avec plus de réflexion. J'avoue que je n'approuve pas le mode d'impres-
sion adopté par M. Martin : l'accent aigu sur Vé final et la cédille sous ça, ça me
paraissent au moins aussi utiles que l'emploi de v et de /, et beaucoup plus
nécessaires que celui du tréma. La publication de M. Martin s'adressera aussi
aux lecteurs français (je voudrais que son commentaire fût écrit dans notre
langue, qu'il manie très-suffisamment, comme il l'a prouvé dans son Examen
critique), et il est à souhaiter qu'elle ne heurte pas trop vivement leurs habitudes,
qui d'ailleurs en ce cas sont parfaitement justifiées. — P. 438-440. Supplément,
sorte de chronique. M. Bœhmer la termine par ces quelques mots, qui en disent
PÉRIODIQUES 121
plus qu'ils ne sont gros : « J'aurais à communiquer quelques observations faites
occasionnellement (?) sur les critiques Schuchardt et Gaston Paris, mais cela
ne presse pas. » Voilà un noble dédain. Mais n'y a-t-il pas un raffinement de
cruauté à laisser deux malheureuses victimes attendre ainsi pendant on ne sait
combien de mois le coup qui doit les frapper? Je ne sais comment M. Schu-
chardt prend cette menace, mais elle trouble étrangement mon repos. Seulement
ce qui me surprend fort, c'est que M.B. ait fait ses remarques « occasionnelles s
non pas sur les critiques de Schuchardt et Gaston Paris, mais sur eux-mêmes
(ùber die Kritiker Sch. und G. P.) Quelles révélations allons-nous entendre? Il me
semble que le public aimerait mieux connaître la réponse du savant romaniste de
Strasbourg à nos critiques que ses observations sur nos personnes.
G. P.
IV. — Archivio glottologico iTALiANO, diretto da G. J. AscoLi.
Volume primo (Saggi ladini). Roma, Torino, 1875, Firenze, in-8% lvi-^56 p.
— Voici le premier volume d'une publication périodique destinée à rendre les
plus grands services non-seulement à l'étude des dialectes, mais à la philologie
comparée des langues romanes. Dirigée par un homme comme M. Ascoli, si avanta-
geusement connu par ses remarquables travaux dans le domaine de la grammaire
comparée, elle sera à la tête des études dialectales et servira désormais de guide
à ceux qui s'y livrent. L'usage journalier que mes occupations présentes m'amè-
nent à faire des Saggi ladini me les fait regarder après les travaux de Diez, l'il-
lustre maître à qui ils sont dédiés, comme l'ouvrage le plus important sur les
idiomes néo-latins. Si le savant professeur allemand, en suivant principalement
les traces de Grimm, le fondateur de la grammaire des idiomes germaniques, a
le premier exposé les lois qui ont présidé au développement des langues romanes
littéraires, M. Ascoli, en prenant pour sujet de ses recherches sa langue maternelle
et les idiomes congénères, a ouvert et aplani le chemin des études sur les dia-
iecteS;, dont on connaît l'importance pour nous révéler les procédés que la nature
a mis en usage dans le développement des langues des âges précédents. La préface,
dont j'aimerais voir certains passages médités par des gens qui ne la liront
jamais, les pasteurs et les maîtres d'école de ma patrie, dont les efforts constants
tendent à en faire le plus monotone et le plus ennuyeux des mondes possibles, est
dirigée contre les principes soutenus récemment par le Novo vocabolario italiano,
qui voudrait voir la même langue s'établir de la Calabre aux Alpes, et contient,
leçon excellente, une comparaison de l'unité allemande et de la centralisation
française'.
L'ouvrage est conçu dans le sens le plus large, qui ne pourra même être
dépassé dans ceux qui le suivront; et voici comme l'auteur, dont l'intention
n'était d'abord que de fournir un modèle qui facilitât les nouveaux travaux au
maître et aux élèves, s'exprime sur le but qu'il se propose d'atteindre dans ses
recherches dialectales : « Scoprire, scernere e defmire, a larghi ma sicuri tratti,
gli idiomi e quindi i popoli, che ben soggiacquero alla potente parola di Roma,
I. [Je me permettrai de recommander de mon côté à la méditation, notamment de nos
linguistes, les réflexions excellentes exprimées dans la note des pp. xxxv-x.xxvij. Elles
trouvent en France une application au moins aussi juste qu'en Italie. — G. P.]
122 PÉRIODtQUES
ma sempre reagendo sopra di lei con maggiore o minor forza, per guisa che
ciascuno di loro la ritrangesse in diversa maniera, e rivivesse, in qualche modo,
sotto spoglie romane; rifar la storia di queste nuove persone latine, esplorarne
la gcnesi, gl' incrociamenli e le propaggini; risalir cosi dall' una parte ai fon-
damenti ante-romani, e scendere, dall' altra, insino a ricomporre e correggere
la cronaca di quelle età, che possiamoancora dir moderne; raccogliere, in questo
largo c cauto lavoro, tesori infiniti per l'istoria générale del linguaggio; ecco
ciô che puô sin d 'ora, e deve volera, la dialettologia romanza in générale e l'ita-
liana in ispecie. n Quant à la méthode l'auteur a voulu « tenere dall' una
parte di quella lucidezza, di quella sapienza nell' economia e nella struttura del
lavoro scientifico, per le quali sono cosî grandi maestri i francesi; ma piegar,
dair altra, queste virtù, sin dove occorre, a tutti quegli spedienti, senza i qnali
è troppo difficile, e moite volte impossibile, conseguir la densità e la potenza
del lavoro tedesco. » Et, je n'hésite pas aie reconnaître, les deux qualités que
l'auteur a voulu atteindre, il les possède au plus haut degré, ce qui rend son
travail, si riche et si abondant, néanmoins très-tacile à manier. Dès l'abord nous
les voyons paraître dans les transcriptions, qui sont simples et dignes d'être
imitées, sinon suivies, dans ce genre de travaux. M. Ascoli n'en a fait usage
que dans ses propres recherches, parce qu'autrement il aurait marché trop sou-
vent dans le doute et l'incertitude. Dans les recherches phonétiques qui suivent
chaque phénomène a son numéro particulier qui reste le même partout, de
façon que les citations et les renvois sont fort simplifiés. Les idiomes romans
qui, suivant la courbe des Alpes, vont des sources du Rhin antérieur à la mer
Adriatique et se relient les uns aux autres par des liens qui permettent de les
reconnaître comme congénères, sont traités plus ou moins complètement, selon
l'abondance des matériaux que l'auteur a eus à sa disposition. Les recherches
phonétiques qui, à première vue, pourraient paraître arides, ne le sont plus
quand on voit avec quelle habileté elles ont été conduites. Nous trouvons sur-
tout dans les notes un grand nombre d'explications sur la genèse des formes les
plus difficiles dans les langues romanes. Un des problèmes physiologiques qui
offre le plus d'intérêt est celui de la gutturale. M. Ascoli l'a résolu avec une grande
sagacité. Plusieurs de ses observations contredisent et réfutent l'illustre maître
auquel sont dédiés les Saggi ladini.
Le volume est accompagné d'une carte qui permet d'embrasser d'un coup
d'œil l'étendue du territoire occupé autrefois par la zone ladine et celui qu'elle
comprend aujourd'hui. Ces importantes recherches ne sont que la première des
sept parties que doit embrasser l'ouvrage entier. Les autres, que la première
fait attendre avec impatience, ne toucheront pas seulement à la grammaire
mais auront un sujet beaucoup plus vaste, ainsi que l'annonce le plan général et
les titres que voici des chapitres qui suivront: 2. Riassunti fonctici. 3. Spogli
morfologici. 4. Riassunti morfologici c Saggi sintattici. 5. Appunti lessicali. 6.
Appunti slorici, critici, bibliograpkici. 7. Saggi Utterarj.
Jules Cornu.
V. — Il Propugnatore, VI, 6. — P. 517-338, V. Imbriani, XXXIII Canti
popolari di Mcrcogliano; petites pièces amoureuses purement lyriques. — P.
PÉRIODIQUES 123
339-380, Gaiter, i Nomi dellc vie di Vcrona; précédé de quelques remar-
ques philologiques. — P. 428-451, Giuliari, la Littemtiira veronese al cadere
del secolo XV (suite). — Dans la Bibliographie, nous remarquons un article
sur un livre de M. Papanti qui paraît fort intéressant : Dante seconda la tradi-
zionc e i novellatori (Livorno, 1873).
VI. — G-ERMANiA, XVIII^ 3 . — P. 310-353. Bartsch^ Sprichwœrter des XI Jahrun-
derts. M. Bartsch a tiré d'un ms. de Cologne un recueil de proverbes latins écrit
au onzième siècle et dédié à un évêque d'Utrecht, mort vers 1025. Ce recueil,
qui porte le titre bizarre de Prora et Puppis, se compose de 1007 vers hexa-
mètres. Jusqu'au vers 595 chaque proverbe est contenu généralement en un seul
vers : à partir du v. 596 deux hexamètres sont employés à rendre un proverbe.
Les vers sont en général trop mal frappés pour avoir pu être populaires en aucun
temps, même dans le monde spécial des écoles. Mais ils fournissent un témoi-
gnage ancien de l'existence de nombreux proverbes allemands qui n'étaient con-
nus que par des textes plus récents. Traduire en vers latins des proverbes vul-
gaires a été au moyen âge un exercice favori, mais bien peu des nombreux
spécimens que nous possédons en ce genre peuvent remonter aussi haut que
celui dont le présent n" de la Germania nous apporte le texte. M. B. a joint à
sa publication un commentaire intéressant, qui consiste à rapprocher de ces
vers latins les proverbes originaux. Il ne lui a point échappé que beaucoup de
ces proverbes sont communs au français et à l'allemand. Mais de tous les an-
ciens recueils de proverbes français qui ont été mis au jour il ne paraît avoir
connu que celui de Leyde, publié dans la Zeitschrift de M. Haupt par
M. Zacher. C'est bien peu, et s'il avait au moins connu le grand recueil de
Leroux de Lincy (2« éd., 1859) il aurait pu enrichir ses commentaires de bien
des rapprochements. Ainsi (je m'en tiens aux premiers vers), v. 6 Ad cujtis
veniat scit cattus lingere barbam est le proverbe français dont on a tant d'exem-
ples : « Bien sait li chaz cui barbe il lèche » (Le Roux, I, 156; II, 487);
— V, 8, Omne bonum pulcre veniens in fine heatum semble être notre « Tout est
bien qui finit bien » ; — v. 10 : It lupus inter oves cum sermo ceditur inde rappelle
notre « Quand on parle du loup on en voit la queue » (voy. Le Roux, I, 182) ;
— les V. 12-13 : Sic (corr. H/c?) ubi tonct amor mirantur lamina formant,
Crebra manus palpât quo membra dolorc cocjuiintur sont les paraphrases d'un pro-
verbe français bien connu : « Main u dout, oil u vout » (Bodl. ms. Digby 53,
fol. 1 5 v", dans P. Meyer, Rapports, p. 177) : — le v, 18, Ante novani moriens
procumbit cornipes herbam rappelle ce prov. : « Ne meurs, cheval, herbe te vient »
(Le Roux, I, 162); le v. 28 Qui fucrit lenis tamen haud bcnc crcditur amni corres-
pond à un proverbe qui se rencontre bien anciennement en français: « Aiguë coie
ne lacroye» (Le Roux, I, 64, cf. Romania, 1, 161). On voit qu'on pourrait, en se
plaçant au point de vue français, faire un énorme supplément au commentaire
de M. Bartsch. Mais tous ces rapprochements n'empêchent pas que les vers
latins en question sont imités de l'allemand. La question qui s'élève est donc de
savoir où ces proverbes communs aux deux langues ont pris naissance, car en
faisant la part aussi large que possible aux sentences ayant une origine litté-
raire, et tirées de la Bible ou de la tradition antique, il restera toujours une
124 PÉRIODIQUES
quantité énorme de proverbes essentiellement populaires qui ne peuvent pas
avoir été inventés à la fois sur les deux rives du Rhin. C'est, comme on voit,
une question assez analogue à celle de l'origine des romances populaires, avec
cette différence pourtant qu'en ce qui concerne les proverbes nous avons une
tradition écrite qui remonte très-haut, et non pas seulement, comme pour les
romances, une tradition orale dont il est difficile d'apprécier l'ancienneté.
P. M.
VII. — Mi';MOinES de i-a Société de linguistique de Paris , II, 3. —
P. 218-221, L. Havet, Observations phonétiques d'un professeur aveugle; sur la
double valeur de quelques consonnes françaises ; sur quelques articulations employées
eu dehors du lapgage proprement dit; notes intéressantes. — P. 222-223,
M. Thévenin, Chramna; en précisant, à propos de ce mot, le sens du lat. mérov.
adchramirc, M. Th. fixe celui du v.-fr. aramir. — P. 224-227, R. Mowat,
Etymologie du nom propre Littré; l'auteur le rapporte à une famille bretonne de
Littré, qui elle-même tirait sans doute son nom d'un Listeriacum gaulois. —
P. 228-231, Kern, Feodum, fief; le savant néerlandais reconnaît, avec une assez
grande apparence de raison, dans le mot allemand type du français, un subs-
tantif tiré du goth. faihon, signifiant « jouir» : feodum ne voudrait originairement
dire autre chose que « usufruit », et serait le synonyme de l'ail, urbar^ de
l'angl. sax. nytt.
VIII. — Revue DE Linguistique et DE Philologie comparée, V, 5. — E.
Picot, Documents pour servir à l'étude des dialectes roumains, I *. Les documents
dont il s'agit sont un conte et quelques poésies populaires, recueillis pour
M. Picot par un jeune homme du pays. M. P. s'est attaché « à reproduire,
avec tout le soin possible, la prononciation vulgaire; pas un mot n'a été
changé au langage des paysans. » Ces textes ont donc une réelle valeur linguis-
tique; ils sont d'ailleurs intéressants en eux-mêmes ; plusieurs des poésies popu-
aires sont gracieuses (voici une petite pièce qui a quelque chose de l'élégance
grecque : Mais aux feuilles en l'air, J'ai baisé les yeux de celle qui t'a planté; A
qui t'a planté avec quatre bœufs, Moi j'ai baisé les deux yeux), elle conte, le Cordon
d'or, offre une curieuse forme du récit merveilleux de la Belle aux cheveux d'or. M. P.
donne sur les contes et chants populaires roumains publiés avant lui des rensei-
gnements utiles et complets. — Les documents sont précédés d'une étude où
M. P., en utilisant les meilleurs travaux sur le roumain, les complète en ce qui
concerne le dialecte du Banat, qu'il connaît particulièrement. Dans les observations
générales qui servent d'introduction, il insiste sur deux faits fort importants : l'un,
c'est que les variations dialectales sont très-faibles en roumain (cependant le ma-
cédo-valaque est bien distinct de la langue septentrionale), l'autre, c'est que
l'immixtion dans le roumain d'éléments étrangers est beaucoup moins forte qu'on
ne le dit d'ordinaire; il montre, en effet (et les documents qu'il publie attestent)
que la langue du peuple est restée foncièrement latine, et que les dictionnaires
font illusion, en enregistrant sans distinction des mots slaves, grecs, turcs,
I. Tirage à part en vente chez Maisonneuve, 67 p. in-S'.
PÉRIODIQUES 125
magyares, allemands, qui ont pénétré plus ou moins profondément dans tel ou
tel canton du domaine roumain, mais qui n'y existent ensemble nulle part*. Les
détails donnés notamment sur les termes administratifs sont curieux, — M. P.
parle un peu à la légère de ce que Diez a écrit sur le roumain; il est bon de
peser mûrement les paroles du maître avant de le critiquer, et il ne faut pas
céder au plaisir qu'on peut avoir à croire le prendre en faute. A propos des
dentales, M, P. écrit : « Nous relèverons en passant une des nombreuses
erreurs qui ont échappé à M. Diez au sujet du roumain. Le 0 grec n'existe que
chez les Roumains de la Macédoine. Il faut donc simplement effacer ces mots
(I, p. 479) : TK wird mit Aspiration gesprochen wie im neugriechischen, etc.
Le 6 des vieux livres n'a pas d'autre valeur que t. » Voici le passage de Diez :
« TH se prononce avec aspiration comme en grec moderne, mais il ne se ren-
contre que dans des noms propres empruntés à cette langue, comme Tharsis ;
dans le val. du Sud, il existe aussi dans des noms communs. Le th non aspiré
doit donc s'écrire / ; tema^ Uologie, atena. )> On ne peut pas dire plus claire-
ment que le th, comme son national, appartient exclusivement aux Valaques de
la Macédoine, et qu'une orthographe faussement étymologiques l'avait seule
maintenu dans des mots roumains oii il n'a que la valeur de t. Que veut donc
dire l'observation de M. Picot? Conteste-t-il que Tharsis et autres noms propres
grecs, dans la prononciation roumaine, conservent leur 9 grec? Là-dessus, comme
il n'a personnellement exploré que le Banat, il lui faut, comme Diez, s'en rap-
porter à des livres, et je ne doute pas que l'auteur de la Grammaire des langues
romanes n'ait de bons garants de son assertion 2.
IX. — Revista Contimporaxa , n° 9 (noembre 1873). — P. 784-794,
A. Sandu, 0 pagina despre Romdnia dintr'o Geografie imprimata la Paris in
1 543 ; il aurait été intéressant de faire connaître en détail ce qui dans ce livre
est emprunté à d'autres sources et ce qui est original. M. S. pense avec beau-
coup de vraisemblance que le Recueil de diverses histoires touchant les situations de
toutes régions et pays contenuz es trois parties du monde, nouvellement traduit de
latin en françois (Paris, i ^5), remonte à un livre du xv° siècle : il aurait fallu
rechercher ce livre. Quoi qu'il en soit, voici les passages vraiment curieux du
chapitre sur la Valachie. L'auteur, suivant ici, à ce qu'assure M. S., Eneas Sil-
vius, dit que ce pays « est appelé Valache du nom des Placées, qui estoit une
lignée en Rome; » le général romain Flaccus ayant conquis le pays, les Romains
«envoyèrent gens pour y habiter, qui commeiicerentà appeller ce qu'ils habitèrent
Flaccie, et depuis estant le langage peu à peu corrompu, l'appellerent Valachie;
et de ce en fait assez tesmoignage qu'encores pour le présent ilz usent du langage
romain en ceste contrée, combien qu'il soit si corrompu qu'à grand peine le pevent
les Romains mesmes entendre. Hz ont usage de lettres romaines, fors qu'il y a
1. Il y a cependant quelque exagération dans ce que dit M. Picot, et le nombre des
noms et des verbes étrangers naturalisés en roumain est plus considérable qu'il ne le
donne à penser.
2. Dans un n° d'octobre 1875, la République française a donné un feuilleton sur
le roumain, que je crois être de M. Picot. On y trouve, à côté de vues intéressantes,
quelques témérités, et une argumentation qui m'a paru peu solide contre les conclusions
de M. Rœsler relatives à l'ancienne histoire des Roumains.
126 PÉRIODIQUES
quelques lettres changées Les Valaches s'adonnent fort au labourage et au
bestail, en quoy ilz montrent dont ilz sont descendu/. »
X. — AnfMuvio STonico Italuno (Florence, Vieusseux), 1873-74. —
P. 1-23. Libro dclla tavola di Riccomano Jacopi in Firenze dal 1272 al 1277,
daU'onginalc pressa il sign. G. Fr. Gamurrini; publication, par M. C. Vesme,
de ce curieux document, qui contient les comptes de la tutelle des neveux de
Riccomano Jacopi, tenus par ce marchand florentin et son associé. La langue
frappe surtout par les faibles différences qu'elle présente, orthographe à part,
avec le toscan moderne. Les mots terminés aujourd'hui par une voyelle accen-
tuée la font suivre d'un e : rascngnoe, etc.; Yi prosthétique figure devant Y s
impure même après un mot terminé par une voyelle ; sono isscriti, silgli isspese,
ierano isspesi. — Au § 4, l'éditeur imprime c da dAndrca ; nous écririons plutôt
e dad Andréa.
XI. — Revue des Sociétés savantes, mai-juin 1873. — P. 410-20,
P. Meyer, Rapport sur les Mémoires de la Société archéologique de Montpel-
lier, t. V dernière livraison, et t. VI première livraison. Le t. V de ces mémoires
contient une importante étude de M. Germain sur Maguelone. Parmi les pièces
justificatives de cette étude figure un très-curieux règlement rédigé en 133 1 pour
les chanoines de Maguelone. Rédigé en latin, ce document est plein de mots en
langue vulgaire, à peine déguisés par une terminaison latine. Pour montrer
l'utilité que la lexicographie provençale pourrait tirer de ce texte, le rapporteur
a formé (p. 41 5-418) le glossaire du premier des chapitres dont il se compose.
Plusieurs des mots relevés dans ce morceau manquent à Raynouard.
Juillet-août 1873. — P. 93-8, P. Meyer, Rapport sur le projet de publica-
tion du poème d'Ambroise sur la troisième croisade. Un extrait de ce rapport
a été publié par avance dans la Romania, II, 381-3. — P. 98-100. Le même,
Rapport sur un fragment de manuscrit de la chanson d'Alexandre. Ce fragment
(deux feuillets), communiqué par l'archiviste du département de la Manche, ap-
partient à une leçon meilleure que celle qu'a suivie M. Michelant dans son édition
publiée à Stuttgart en 1846.
XII. — Archives des Missions scientifiques et littéraires, 3* série, I,
2. — P. 247-91. Bonnardot, Rapport sur urjc mission littéraire en Lorraine. L'oh']et
de la mission confiée à M. Bonnardot était de compléter le recueil des chartes
messines qu'il est chargé de publier dans la collection des Documents inédits \
M. B. a visité dans cette intention les archives de Metz, de Nancy et d'Epinal.
Il donne en appendice quelques-unes des chartes les plus intéressantes de son
recueil. En outre, il a trouvé par lui-même, ou connu grâce à des communica-
tions bénévoles, un certain nombre de documents lorrains d'un caractère litté-
raire, qu'il publie en totalité ou en extrait à la suite de son rapport; à savoir :
Appendice, n° VI, le début d'un ouvrage en latin et en français des Vosges,
conservé à la bibliothèque d'Epinal, et consistant en un dialogue de l'âme et de
i. Voy. Romania II, 378.
PÉRIODIQUES 127
la raison mis à tort sous le nom de saint Ambroise. Le ms. est de la fin du
xii* siècle. Nous avons déjà eu occasion de dire que ce texte important avait
échappé à l'attention de l'auteur du catalogue des mss. d'Epinal (voy. Romania,
I, 484, note 2). N° VII. Extrait d'un registre du Chapitre de Metz, des pre-
mières années du xiii" siècle. N° VIII. Fragment tiré d'une ancienne traduction
d'une somme de virtutibus et vitiis. N° IX. Fragment d'un chansonnier contenant
10 chansons, dont plusieurs sont incomplètes par suite de l'état matériel du
fragment. Il a été facile de retrouver dans nos chansonniers toutes ces chansons,
sauf la première dont il ne reste que deux couplets. N° X. Fragment d'un ms.
du Livre de Sydrac. N' XI. Fragment de la chanson de Girbert de Metz, feuillet
trouvé auxarchivesde la Marne. Le nombre de feuillets isolés provenant de mss.
dépecés, qu'on rencontre de cette chanson, est étonnant. Nous allons encore
en faire connaître un dans notre prochain numéro. Ce rapport est fort bien fait
et de toute façon très-intéressant (tirage à part déposé chez Durand).
P. M.
XIII. — Revue Critique d'histoire et de littérature. Octobre-décem-
bre 1873. — 197. Bastin, les nouvelles Recherches sur la langue française. —
200. Wolfram d'Eschenbach, Willehalm, trad. p. San-Marte. — 210. Qhants
populaires de l'Italie méridionale, p. p. Casetti et Imbriani. — 220. Von Flugi,
les Chants populaires de l'Engadine.
XIV. — BiBLiOGRAPHiA CRiTicA, fasc. IX-X. — Art. 43, Beitraege zur
Texkritik der Lusiadas des Camoens, par Karl von Reinhardstoettner. L'auteur
(d'après M. Braga) trace dans ce travail le plan d'une édition critique des
Lusiades, il devra le compléter en tenant compte de deux éditions impor-
tantes qu'il n'a pas pu utiliser. Le critique propose en outre une série de
corrections au texte de Camoens. — 49. Antichi usi e tradizioni popolari sici liane
nelle festa di s. Giovanni Battista, Lettera II di Giuseppe Pitre. — 50, Romania,
fasc. V-VI. M. Coelho relève quelques inadvertances que nous avons commises
dans notre compte- rendu du Cancioneiro e romanceiro gérai de M. Braga (voy.
Romania, II, 124). Bruxa qui signifie « sorcière » n'a en effet rien à faire avec
fada. — 51, Don Juan Ruiz de Alarcon y Mendoza, par Luis Fernandez Guerra
y Orbe. Etude intéressante mais pauvre en résultats nouveaux et certains, que
le critique (M. Braga) apprécie, à notre sens, trop favorablement. Ce dernier
revient incidemment sur l'identification de yaravi et aravia, qui lui tient au cœur.
Le passage du père Costa, Historia natural y moral de las Indias, sur lequel il
s'appuie, ne prouve absolument rien. — 52, Canti antichi portoghesi, par E. Mo-
naci (2* article). M. Coelho relève quelques inconséquences dans l'orthographe
employée par l'éditeur. A. M. -F.
XV. — L1TERARISCHES Centralblatt, octobre-décembre 1873. — 41. Wol-
fram, Wilhelm von Orange, ùbersetz von San-Marte. — 42. Joannes de Alta Silva,
Dolopathos, hgg. von Œsterley. — 46. Sforza, Dante e i Pisani{A. Bu.; ouvrage
intéressant). — 48. Bibliographia critica portugueza. — 51. Cancionero de Lope
de Stuniga (article intéressant de M. Mussafia).
CHRONIQUE
Dans le programme de l'Université de Genève pour les deux semestres de
l'année 1873-4, nous relevons les cours suivants : HuMiiEnr, Histoire de la lit-
térature française depuis ses origines jusqu'au XVII*^ siècle (sem. d'hiver, 4 h.
par sem.) ; RrrriiR, Histoire de la langue française et grammaire historique
(2 h. par semaine).
— M. Alfred Morel-Fatio a soutenu, pour obtenir le diplôme d'archiviste-
paléographe, une thèse sur le Pocma de Alexandre. Ce mémoire, revu par l'au-
teur, sera prochainement publié dans la Romania.
— M. Grœber, professeur û Zurich, est nommé, à dater du prochain
semestre, professeur ordinaire de philologie romane à l'Université de Breslau.
— M. Mail, auteur d'une édition du Comput de Philippe de Thaon dont
nous rendrons incessamment un compte détaillé, a été nommé professeur extraor-
dinaire à l'Académie de Munster.
— On a créé à l'Académie littéraire de Milan une chaire de langues et litté-
ratures romanes, où on a appelé M. Pio Rajna. « C'est, dit la Rivista di jilolo-
giaromanza, la première chaire affectée à nos études en Italie. »
— On annonce la publication d'une Crestomazia italiana par M. E. Monaci
(XII'' — XIV" siècle). Un recueil de ce genre manque jusqu'à présent aux études
et sera très-utile pour l'enseignement.
— M. A. Bonnardot a présenté à l'examen, pour obtenir le titre d'élève
diplômé de l'Ecole des Hautes-Etudes, un mémoire sur la Langue française à
Metz au XIII" siècle.
— La Bibliothèque nationale a fait récemment l'acquisition d'un assez grand
nombre de fragments de mss. en ancien français des genres les plus divers. Ces
fragments seront l'objet d'une étude de M. L. Pannier dans la Romania.
— M. Bœhmer annonce la publication de chants populaires catalans qui,
recueillis par feu Cambouliu, avaient été donnés par lui à M. Bergmann, alors
son collègue à la Faculté française, aujourd'hui collègue de M. Bœhmer à
l'Université allemande de Strasbourg.
ERRATA DU N" 8.
P. 4^4 1. 6 du bas (note 3) viridarium, 1. viridiarium. »
P. 458 1. 1, après il = u, ajoutez 0 = eh. — P. 440, bohh bouche, 1.
hohh bourse. — P. 441, chêne le dà 1. chené lé dû; chënîré espèce de
goufre, 1. gaufre. — P. 443, drô, 1. dro. — P. 444, fesé, 1. fézé. —
P. 448, odil', 1. ôdil ; oui. I. oui. — P. 450, pusat, 1. pusat'. — P.
454, vijyi pelle à four, 1. vèyi- pelle à feu ; vue voir, 1. vue voix.
P. 478 1. 20, lisez : Quanto al gui di anguistara da a"grestarid.
P. 485, 1. 16 Cecropee, 1. Cecropie. — P. 489 Or. und Occ. I, 1. II.
P. 505, Kœlbring, 1. Kœlbing.
L'état défectueux du ms. de Dijon est cause qu'il s'est glissé pp. 80-S1 une
erreur dans l'indication des lacunes ; cette erreur sera rectifiée dans le pro-
chain article de M. Bonnardot.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
HISTORIA DARETIS FRIGII
DE ORIGINE FRANCORUM.
Le morceau que je publie pour la première fois a déjà été signalé à
plusieurs reprises. Il se trouve intercalé dans les trois mss. (Montpellier
158, Troyes 802, Brit. Mus. Harl. 3771) qui contiennent la chronique
de Frédégaire avec les deux continuations dont la dernière va jusqu'en
768. C'est ce qui en a fait donner le titre, mais seulement le titre, d'abord
par Canisius', puis par Dom Bouquet 2, et enfin par M. Pertz dans sa
description des mss. de Frédégaire '. Cette interpolation est elle-même
insérée un peu avant une autre interpolation due au premier auteur de la
chronique attribuée ^ Frédégaire. On sait qu'en reproduisant la traduc-
tion, faite par saint Jérôme, de la chronique d'Eusèbe, ce chroniqueur
du vue siècle a intercalé, dans les quelques lignes consacrées par saint
Jérôme à la guerre de Troie, un morceau d'une page environ, publié par
D. Bouquet, et contenant la fable de l'origine troyenne des Francs 4. —
Le second continuateur de Frédégaire lui-même, ou un des copistes par
l'intermédiaire desquels son livre nous est parvenu, non content de ce
récit, l'a fait précéder des quelques pages que je publie ici.
Cette interpolation se divise en deux parties, bien nettement séparées
dans les mss. ; je reviendrai tout à l'heure sur la deuxième. La pre-
1. Anticjuae Lectiones, éd. Basnage (Anvers 1725), t. II, p. 166.
2. Hist. de Fr., t. II, p. 461.
3. Archiv, VII, 256. — M. Thompson, du British Muséum, est porté à croire
que le :tis. harléien est celui de Canisius. Quant au nis. exécuté par l'abbé
Mannon, il a été récemment retrouvé, mais non encore décrit (vov. Rev. Crit.
'873, t- II, P- 255).
4. Voyez sur ce point la dissertation de M. Zarncke, Ucbcr die Trojanersage der
Franken (extrait des Mémoires de la classe phil.-hist. de la Société royale saxonne
des sciences, 1866), t. II, p. 261 ss. M. Zarncke a modifié plus tard en quelques
points importants le système exposé dans cette brochure (voy. Liter. Centrallnatt,
1869, p. 581).
Romania,lll 0
I JO C. PARIS
mière a déj;^ attiré l'attention de M. Joly, qui, dans son étude sur le
roman de Troie, a consacré au ms. de Montpellier qui la contient ' une
note assez longue. M. Joly a très-bien apprécié le récit de la guerre de
Troie qui nous est offert ici comme étant « un résumé fait, à ce qy.'il
semble, de mémoire, et par une mémoire infidèle. » A l'appui de son
opinion, il cite quelques-unes des méprises de l'auteur : << Ce n'est plus
Folibètes (lisez Polypoetcs), comme dans Darès, ou un roi inconnu
comme dans Benoît, c'est Palamèdes qu'Hector s'apprêtait à dépouiller
de ses armes quand il est tué par Achille. Anténor est remplacé par
Olixis. » Il est facile d'allonger la liste de ces étranges confusions.
Ainsi le frère d'Agamemnon, le mari d'Hélène, n'est pas Ménélas, mais
Memnon 2; Pelias et son neveu Jason figurent parmi les Grecs qui vien-
nent à Troie; Néoptolème devient Triptolème; si Palamède a remplacé
Polypoetès, il a été à son tour l'objet d'une comique bévue dont je dirai
un mot tout à l'heure; parmi les Grecs figure un Polippus absolument
inconnu >, etc. — M. Joly remarque encore avec raison que ce morceau
« semble l'œuvre d'un homme plus familier avec la Vulgate qu'avec les
auteurs classiques; le rapport du style est frappant. » Il en cite
quelques exemples, auxquels on peut en ajouter d'autres, comme ces
paroles d'Achille à Hécube : « Conglutinata est anima mea in aspectu
filiae luae, n l'expression « C.XII. milia educentium gladium, » le discours
de Triptolème : « Ecce pater meus qui mortuus est praecedebat vos in
omni certamine^ » etc. Il faut surtout noter la remarque faite par l'auteur
sur la réunion des rois grecs dans la ville de Macédoine (sic) pour sacrifier
à Jupiter, « sicut Judaeis mos erat Deo sacrificare in Hierosolima. «
Ces traits, et toute l'allure du récit, ne permettent pas de douter que
nous n'ayons là l'œuvre de quelque moine du vir- ou du viii*^ siècle, qui,
ayant lu Darès 4, et étant d'ailleurs remarquablement ignorants, en a
écrit de mémoire un abrégé, intercalé ensuite dans la compilation de
Frédégaire. En effet, ce n'est pas seulement le titre qui nous montre
que ce récit est emprunté à Darès; il est d'accord avec lui dans tous
les points essentiels. Seulement il embrouille étrangement les noms et
les faits qui lui sont restés dans la tête, et son histoire de la guerre de
1. Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, t. XXVII, p. 662, n.
— M. Joly n'a connu que le ms. de Montpellier.
2. M. Joly dit seulement qu'il fait de Memnon un frère d'Agamemnon. Le nom
de Ménélas figure d'ailleurs aussi parmi ceux des rois grecs.
5. Je ne parle pas des noms estropiés (voy. ci-dessous).
4. Ayant lu, et non ayant entenau raconter. Au milieu de toutes les altéra-
tions des mss., il y a dans les noms propres, d'une orthographe souvent assez
compliquée [Hector, Hccuba, Agamcmnon, Andromacha, Simoes, etc.), une certaine
fidélité qui indique que l'auteur les avait vus écrits.
5. Le fait d'avoir transporté à Ulysse le rôle d' Anténor, et par conséquent
d'en avoir fait un Troyen, suffit à mettre cette ignorance dans tout son jour.
HISTORIA DARETIS FRIGIl I^I
Troie ressemblerait assez à celle que raconte si plaisamment Trimalchion',
si ce dernier, dans ses bévues même, ne déployait pas une érudition fort
supérieure à celle de notre abréviateur de Darès.
Mais une question assez délicate est celle de savoir quel texte cet
abréviateur a résumé. On sait que les travaux de MM. Dunger et Joly
ont établi que Beneoit de Sainte-More, suivi par tous les auteurs de
Destructions de Troie du moyen-âge, avait eu sous les yeux, non pas,
comme on le croyait jusqu'ici, un texte de Darès plus étendu que le
texte qui nous est parvenu, et dont celui-ci serait un abrégé, mais notre
Darès lui-même dans toute sa misérable sécheresse. Toutefois il ne
résulte pas de là qu'il n'ait jamais existé un Darès plus complet et que le
nôtre ne soit pas un abrégé. Des raisons qui me paraissent fort bonnes *
font au contraire regarder le Darès qui est seul arrivé jusqu'à nous comme
un très-mauvais abrégé, écrit sans doute au v^ siècle, d'un ouvrage plus
étendu, qui pouvait être du llI^ Le résumé intercalé dans Frédégaire a-
t-il été fait sur ce texte plus complet ou sur l'abrégé que nous possédons ?
Voilà la question qu'il s'agit de résoudre.
Elle n'est pas facile à trancher, à cause de l'extrême réduction où
l'ouvrage est arrivé dans la forme qui nous occupe. Le récit atteint à
peine ici le huitième de l'étendue du Darès ordinaire; il paraît donc bien
malaisé de discerner dans une semblable contraction des traces d'une
forme plus ample que ce Darès ordinaire lui-même. Toutefois, si le
Darès ordinaire et le Darès de Frédégaire sont deux abrégés indépen-
damment faits sur un même texte, il a pu, il a même dû arriver une fois
ou l'autre que l'abrégé le plus court a recueilli un trait que Pautre avait
omis, ou a conservé plus fidèlement l'allure de la rédaction primitive.
Seulement ce qui vient singulièrement, dans le cas présent, compliquer
la question, c'est la circonstance que notre abréviateur résumait son
histoire de mémoire. Il en résulte que tout son récit est si altéré, s'écarte
tellement de sa source quelle qu'elle soit, et, grâce à l'ineptie du
rédacteur et à la barbarie de son style, est devenu si incohérent et
informe, qu'il est fort difficile de le comparer à n'importe quoi et de le
saisir avec précision. Les déductions qu'on tirerait de ce récit seul
seraient en conséquence bien vagues; mais on peut espérer trouver un
secours dans certains rapprochements. Si en effet le Darès de Frédégaire
nous offrait des traits qui, manquant dans le Darès ordinaire, se retrou-
veraient dans tel ou tel auteur de l'antiquité, nous aurions bien des
raisons de croire que l'abréviateur les avait trouvés dans sa source
1. « Diomedes et Ganymedes duo fratres fuerunt : horum soror erat Heiena.
Agamemnon illam rapuit et Dianae cervam subjecit, » etc.
2. J'ai traité rapidement ce sujet, A l'occasion de la dernière édition de Darès,
dans un article destiné à la Revue critique.
IJ2 G. PARIS
plutôt que de les attribuer soit à une coïncidence fortuite extrêmement
peu probable, soit à une ingérence de cet abréviateur, que sa faiblesse
d'esprit et son ignorance exceptionnelle rendent inadmissible. Je vais
relever les traits de ce genre qui me paraissent réellement exister. H va
sans dire que je passe sous silence toutes les divergences qui ne présen-
tent pas d'intérêt pour la question. Quelques-unes de ces dernières méri-
teraient l'attention ù tel ou tel point de vue, mais je les ai volontairement
laissées de côté.
Le début de notre texte semble avoir été écrit avec l'idée de donner
au récit plus de développement qu'il n'en a reçu par la suite. Toutefois
je ne crois pas que le dialogue entre Pélias et Jason qui remplace les
sèches mentions du Darès ordinaire remonte en quelque façon à l'ori-
ginal. L'auteur commet dans tout ce récit préliminaire trop d'erreurs,
provenant évidemment de souvenirs très-incertains ; ainsi ce n'est pas
avec un vaisseau, mais avec toute une ilone, magno apparatu navium, que
Jason va conquérir la toison d'or. D'après M. Joly, les deux premiers
feuillets présentent des traces d'une latinité très-supérieure à celle du
Darès ordinaire. Cette remarque aurait dû amener le critique à regarder
le ms. de Montpellier comme provenant d'un Darès plus ancien et
meilleur que le nôtre : mais il n'en a tiré aucune conclusion. Au reste,
elle ne me paraît pas fondée. Les deux premiers feuillets me semblent
tout aussi barbares que les autres et d'une latinité fort inférieure à celle
de Darès '. — Un trait qui est plus important est celui-ci. Darès dit
simplement que Jason « ubi ad Phrygiam venitnavim admovit ad portum
Simoenta; » notre texte sait que les Argonantes « vento aquihne contrario
recesserunt a recto itinere et venerunt ad Simoenta portum, ubi Simoes
fluvius Trojanorum mare magnum ingrediîur. « Or ces détails sont en
parfait accord avec d'autres témoignages; ils contiennent même un ren-
seignement géographique tout à fait au-dessus de la science de l'abré-
viateur, et qui n'a pas été puisé dans le Darès ordinaire, lequel ne
mentionne nulle part le fleuve Simois. On sait que Darès ne raconte pas
l'expédition des Argonautes ; on lit seulement dans le texte ordinaire :
« Colchos profecti sunt, pellem abstulerunt, domum reversi sunt ; » si
quelqu^un veut en savoir plus long, « Argonautas légat. » Le Darès de
Frédégaire n'a pas trouvé non plus dans son original le récit de cette
expédition : on le voit par la singulière façon dont il a essayé de suppléer
à cette lacune.
I. « On y rencontre aussi un mot à demi grec, tout étonné de se trouver
là, cum Iritnbus. » Il est cependant sûr que ce mot appartient à l'abréviateur,
car il contient précisément la mention de plusieurs vaisseaux donnés à Jason,
contraire à Darès aussi bien qu'à toute la tradition antique. Tricns n'est pas rare
dans les auteurs des bas-temps et les glossaires du moyen-âge.
HISTORIA DARETIS FRIGII I^^
Dans le récit de la première prise de Troie le rôle d'Hercule a disparu
de notre abrégé ; il oublie également de faire tuer dans cette affaire
Laomédon, dont la mort n'est rapportée nulle part. Le détail donné sur
la capture d'Hésione, « in praedio regali ... Hesionam... r-epperiunt, »
pourrait seul se rattacher à un original plus complet que notre
Darès.
L'enlèvement d'Hélène présente ici certaines particularités curieuses.
Notre texte est d'accord avec le Darès ordinaire pour faire que Paris
enlève la reine de Sparte à Cythère et pour ne rien dire de l'hospitalité
accordée au Troyen par Ménélas. Mais tandis que Darès raconte que
Ménélas était allé à ce moment voir Nestor à Pylos, notre abrégé nous
dit que tous les rois grecs s'étaient réunis pour offrir un sacrifice à
Jupiter. Or il est impossible de méconnaître la ressemblance de ce récit
avec celui de divers auteurs anciens, entre autre CoUuthos et Jean Ma-
lalas, d'après lesquels Ménélas était allé en Crète accomplir un sacrifice
annuel, et surtout avec celui de Dictys, qui nous montre la plupart des
rois grecs offrant en Crète, dans le temple d'Europe, un sacrifice
solennel, pendant que Paris enlève la femme de Ménélas. Ce n'est donc pas
par hasard que notre abréviateur parle de celte réunion et de cette fête ;
mais il est étrange que l'auteur du Darès ordinaire ait substitué un
voyage de Ménélas à Pylos à cette assemblée de rois qu'il trouvait sans
doute dans son original.
Les noms des principaux Grecs et Troyens n'offrent matière qu'à une
remarque, mais elle me semble décisive dans la question qui nous occupe.
Au milieu des rois grecs figure «Aléa', qui primus tabularum usum rep-
perit. )) Il est clair qu'il s'agit ici de Palamède (bien que son nom se
trouve déjà dans l'énumération), et que l'inepte abréviateur a pris
aléa, qui figurait dans une phrase où l'invention des jeux de hasard
était attribuée à Palamède, pour le nom d'un héros auquel il a rapporté
cette invention. Or un des meilleurs arguments pour montrer que le
Darès ordinaire est un abrégé mal fait s'appuie précisément sur certains
traits relatifs à Palamède. Quand celui-ci veut enlever à Agamemnon
l'hégémonie, il rappelle, dans Darès, les services qu'il a rendus à l'armée,
entre autres (f castrorum munitionem, vigiliarum circuitionem, signi
dationem, librarum ponderumque dimensionem (c. XX; éd. Meister,
p. 25). )) Mais de tous ces faits on ne trouve aucune mention antérieure
dans notre texte de Darès, tandis que tous se retrouvent dans divers
écrivains de l'antiquité, qui y ajoutent encore, comme on sait, l'inven-
tion des jeux de dés et d'autres. Il est donc clair que ces différents
I. Il faut remarquer que T donne Aide et L Hclcj; mais Akd, qui est dans
M, doit bien être la bonne forme.
1 Î4 C. PARIS
services rendus par Falaméde aux Grecs, — fortification du camp,
installation des gardes, tixation des poids et des mesures, invention des
jeux, — étaient racontés dans le Darès primitif et ont laissé, dans nos
deux abrégés, des traces différentes.
Dans le récit de la guerre on remarquera surtout la mention, après
chaque combat, du nombre des morts tombés des deux côtés. Cette
mention manque dans le Darès ordinaire, qui ne donne qu'un chiffre
total, mais la manière même dont il le donne indique que le Darès
primitif devait contenir les chiffres respectifs des tués après chaque
combat : <> Ruerunt ex Argivis, sicut acta diurna indicant quae Dures
descripsit, hominum milia etc. » On ne s'étonnera pas que l'addition
des chiffres donnés par notre abrégé ne comcide pas exactement avec
le total fourni par Darès; ces chiffres varient d'ailleurs selon les
manuscrits.
Darès raconte que la trahison d'Anténor et d'Enée ouvrit aux Grecs
la porte Scée « ubi extrinsecus caput equi sculptum est. » C'est évidem-
ment une manière d'expliquer le mythe du cheval de Troie, conforme à
tout l'esprit de ce roman. On lit dans notre abrégé que pour donner aux
Grecs le signal convenu, « signum... in similitudine capitis equi supra
murum apparuit. » Je serais porté à regarder cette version comme plus
ancienne et comme répondant mieux au désir de donner de la fable une
interprétation rationaliste, si Servius (ad Aen. 11,15) "^ semblait pas
avoir connu une version très-semblable à celle du Darès ordinaire.
Voici le dernier trait où je crois reconnaître dans notre abrégé un
vestige d'une forme plus complète de Darès. Le texte vulgaire dit sim-
plement que Néoptolème, ayant reçu Polyxène des mains d'Agamemnon,
« eam ad tumulum patris jugulât. » Nos mss. développent ainsi ce
passage : « Ille duxit eam ad tumulum patris ejus, jugulavitque eam ibi
et ait : Recipe puellam, pater, pro qua vita caruisti ; in futuro uxorem
posside eam. » Je doute fort que l'idée de ce petit discours ait pu venir
au moine qui a composé notre abrégé ; elle me paraît non-seulement au-
dessus de sa portée, mais empreinte d'un caractère véritablement anti-
que. Je n'ai pas retrouvé les paroles même de Néoptolème dans un écrivain
de l'antiquité, mais la pensée qu'elles expriment est indiquée notamment
dans divers passages de Sénèque, où Polyxène est appelée Haemonio
desponsa rogo [Agam. 674J, desponsa AchilUs cineribus {Troad. 203);
Calchas ordonne que Pyrrhus parenti conjugem tradat suo {Troad. 573);
à vrai dire, cette idée forme toute l'inspiration de la partie des Troyennes
consacrée à Polyxène.
L'hypothèse que je viens d'essayer d'établir, et d'après laquelle
l'abrégé de Frédégaire aurait été fait d'après un Darès plus complet que
HISTORIA DARETIS FRIGII IJ5
celui qui nous est parvenu, donne à ce texte son principal intérêt, encore
assez mince, il faut en convenir. J'espérais que la seconde partie en
aurait offert un plus réel et aurait mieux justifié le sous-titre de Origine
Francorum qui, joint à VHistoria Dareîis Frigii, avait attiré l'attention des
savants. Peut-être, en effet, cette seconde partie prendrait-elle une place
importante dans l'histoire de la fable des origines troyennes des Francs
si elle nous était parvenue en entier, mais, par une malheureuse coïnci-
dence, le morceau qui devait contenir précisément cette partie manque
dans les trois manuscrits. Le manuscrit de Montpellier est le seul qui
indique une lacune ^ après les mots habitaverunt ibi, qui se trouvent tout
en haut d'une page, il laisse tout le reste de la page en blanc ' et reprend
avec les mots Famosissimus gnarus, etc., au haut de la page suivante ;
les deux autres mss. continuent sans interruption.
Cette seconde partie, dont le commencement nous manque, n'est pas
plus complète par la fm. Nos trois manuscrits s'arrêtent évidemment
bien avant le dénoûment du récit commencé, soit que leur auteur com-
mun fût mutilé, soit que le compilateur ait renoncé capricieusement à
compléter son interpolation. Nous devrions évidemment avoir, jusqu'aux
temps où commence respectivement l'histoire authentique des deux
peuples, une histoire prétendue des Romains et des Francs, descendant
les uns et les autres des Troyens. Le morceau qui nous a seul été con-
servé est presque exclusivement consacré aux Romains, et il serait sans
doute facile, si la chose en valait la peine, de déterminer la source où a
puisé l'auteur. Ce qui est dit des Francs se borne à quelques lignes; mais
elles suffisent à indiquer un rapport intime entre notre texte et le récit
du prétendu Ethicus : celui-ci est en effet le seul qui parle de Vassus,
d'autres noms dans le cours du récit, comme Histria, Dalmatia, sont
communs aux deux textes. Mais Ethicus ne commence à parler des Francs
qu'à propos de la guerre entre Romulus d'une part et Francus et Vassus
de l'autre, tandis que notre récit s'arrête avant : il est donc difficile de
dire si le texte où a puisé Ethicus était conforme au nôtre. Ce dernier
présente des particularités que je ne retrouve nulle part ailleurs, comme
le Phérécide auquel nos manuscrits reviennent sans l'avoir mentionné
auparavant. Ce Phérécide engendre « un autre Frigion , Frigion le jeune » ,
père à son tour de Francus et Vassus ^. Il y avait donc eu un premier
1 . Un lecteur du XIII" siècle a écrit en haut de cet espace blanc la note sui-
■C. .C. .XX.
vante : « Il et mort des Greys devant Troy .v. et Ixvj mille .ij. et .iiij. et .j.;
des Troiens .iij. xxxj. mile .ix. et .Ij. Some partout: .viij. iiij. et .xviij. mile
.ij. et .xxxij. » Cette addition este.\acte d'après les chiffres du ms. de Montpellier.
2. Ethicus ne nous dit pas de qui ces deux héros étaient fils.
I ^6 G. PARIS
Frigion; les autres textes relatifs à l'origine troyenne des Francs ne con-
naissent ni l'un ni l'autre ^il y a seulement un Friga et un Francio dans
Frédégaire).
Y a-t-il entre les deux parties dont se compose notre interpolation un
lien intime et originaire? Je n'en doute pas. Le style, si on peut ainsi parler,
est, dans les deux morceaux, d'une frappante uniformité (remarquez
seulement cette expression navali evcctione, 1. 22, 28, 78, 245). Un écri-
vain des temps mérovingiens a eu l'idée de fondre le roman de Darès sur
la guerre de Troie avec une histoire fabuleuse des Romains et des Francs.
II a soumis ces deux récits, qu'il conservait sans doute dans sa mémoire,
à une rédaction très-abrégéc, et a produit ainsi un petit livre qu'il a dû
intituler Historia Daretis Frigil de origine Francorum, n'ayant pas compris
que Darès se donnait comme témoin oculaire de la guerre de Troie et
ne pouvait raconter des événements sensiblement postérieurs. Cette
histoire fabuleuse des origines des Francs, qu'avait résumée notre com-
pilateur, paraît avoir été également connue du faux Ethicus, qui nous
en a transmis la fm. Quant à V Historia Daretis, elle a été insérée dans
la chronique continuée de Frédégaire, mais, soit que l'auteur de cette
interpolation ait eu à sa disposition un te.xte mutilé, soit que la mutila-
tion remonte à l'auteur commun de nos trois mss. , elle nous est parvenue
complète dans sa première partie, fort défectueuse dans la seconde; on
ne la trouve aujourd'hui nulle part isolément. Il est possible qu'elle ait
été connue complète par le rédacteur d'une compilation du xii« siècle. Cette
compilation, de nature surtout juridique, qui est contenue dans un ms.
de Bonn, et sur laquelle on peut voir un long article dans le Rheinisches
Muséum fur Jurisprudenz (1827, t. 1, p. 102 ss.) publié par Hasse, con-
tient un chapitre intitulé Origo Francorum, qui commence ainsi : « Des-
tructa urbe Troja [sic], cum omni populo Grecorum, scilicet octaginta
milia fortium bellatorum, Agamemnon rex contra Priamum regem Tro-
janorum pugnavii decem annis, et occiderunt de Grecis dcv milia, de
Trojanis lxv milia. Frigius itaque quidam cognatam Priami régis accepit,
unde fuit Trofimusquigenuit Cassandram, Cassandra Ascanium, Ascanius
Ilium, Ilius Frigium, Frigius Francum et Bassum, unde et Franci appel-
lati sunt. Et de Enea Trojano principe Romulus et Remus, a quibus
romanum surrexit imperium. Annos plurimos pugnaverunt contra Fran-
cum et Bassum parentes sucs, etc. « Le reste à peu près comme dans
Ethicus '. On voit qu'il y a ici de nouvelles et grossières confusions :
mais il me semble reconnaître entre ce morceau et le nôtre un certain
air de famille. Il serait fastidieux de motiver cette opinion : je me bornerai
I. Roth (Germania I, p. 3 5) qualifie ce récit de « !a seule tentative connue pour
fondre la version des Gesta Rtguni Fiancorum avec celle d'Ethicus. » Il n'y a
trace de la version des Gcsla que dans la seconde partie.
HISTORIA DARETIS FRIGII I ^J
à rapprocher les deux Frigius mentionnés ici des deux Frigio de
l'Historid.
Les trois mss. qui contiennent VHisîoria, T (Troyes), M (Montpellier)
et L (Londres), proviennent évidemment d'un même original'. M et L
représentent en outre une famille à part, c'est-à-dire qu'ils dérivent de
la même copie intermédiaire ; T est généralement le meilleur. Je n'ai
connu d'abord que M, que j'ai copié en janvier 1874 (sauf la seconde
partie, dont je dois la copie à l'obligeance de M. Boucherie). M. d'Arbois
de Jubainville a bien voulu collationner pour moi le ms. de Troyes, et j'ai
eu l'occasion de comparer récemment l'harléien au British Muséum.
J'ai publié ce morceau d'après la comparaison critique des trois ma-
nuscrits en ce qui regarde les leçons ; comme ils dérivent tous trois d'un
même auteur, il ne faut pas s'étonner s'ils ont des fautes en commun. Je
n^ai proposé entre crochets ou parenthèses que de rares corrections ou
suppressions, parce que l'auteur lui-même a fort bien pu écrire une
phrase barbare ou obscure. Deux ou trois passages me sont restés inin-
telligibles et offrent des mots visiblement altérés (p. ex.l. 32,2^2,255).
Je donnerai, dans un article subséquent, quelques notes grammaticales
sur ce texte. J'y joindrai des observations sur l'orthographe des copistes.
Pour le moment je me bornerai à dire que j'ai dû substituer aux formes
flottantes et contradictoires de chacun des trois mss. l'orthographe
généralement reçue, sauf pour un petit nombre de mots où l'accord des
mss. devait me faire admettre, soit une forme absolument fautive, soit la
forme habituelle au moyen-âge^. Les noms propres sont en particulier
étrangement défigurés, et offrent des variantes chaque fois qu'ils se
reproduisent. Mais il est rare que la bonne forme ne se présente pas une
fois ou l'autre : elle provient donc de l'auteur, et je l'ai rétablie partout.
Quand tous les mss. sont d'accord pour ne donner qu'une forme fautive,
je l'ai maintenue 5.
Au reste, mon point de vue, en publiant ce triste échantillon de la litté-
rature mérovingienne, a été celui de l'histoire littéraire et non de la phi-
lologie. J'ai surtout voulu satisfaire au vœu exprimé par M. Zarncke:
« Il est très-regrettable que ce morceau n'ait pas encore été imprimé...
On ne peut que désirer vivement de connaître ce texte de plus près. »
Je n'oserais dire toutefois qu'il gagne à être connu.
1. Cet original, comme !e montrent diverses fautes propres A chacun des mss.
ou communes à tous trois, ne séparait pas les mots.
2. Ainsi gigjns 125, oblimus i2y, samnc i^acc.) 147, bmos 147, maosolco 156
(T masoleo), disponsioiie 158, orfani 226.
5. Co/co.s- dans M L, C/(o/fo.ç dans '1' ; Liodanon partout, excepté 26 L : la
bonne forme est tellement isolée qu'elle est sans doute une faute de copiste; Pol-
lox dans T, Piilox dans M L; Aichimacns I. 196 T M Aichimadms L, I. 94 Achi-
maiciis T M Achimûsciis L; Polippu.'! T M L 68, 126 PolippusT L Pohppiis M;
Polixina T M L, sauf 93 Poloxcna M L Polixima T; Dcijobus et 0/i.xii partout.
I j8 G. PARIS
Eodem itaque tempore apud Graecorum régna quae juxta mare
magnum girata vel sita sunt regum primus et maximus Pelias celeber
habebatur, omnesque reges Graecorum quasi imperio subjacentes
ejus consilio obedientes gerebant. Eratque ei proximus ex fratre
5 genitus jam defuncto superstes neposque illius régis, Jason nomine,
vir egregius atque efficax, strenuus quippe et procerus, utilis valde
consilio, corde etanimo ferocissimo. Cui Pelias rex avusejus invidia
moliebatur ob industriam ipsius, et circa eum corde duplici malum
machinabatur, eo quod de stirpe ejus nullustam sapiens et velocis-
10 simus ortus fuisset. Vocavitque eum et ait ei : « Pellem inauratam
audio mirae magnitudinis, opéra inaudita et inenarrabili pictam, apud
Cholcos; quicumque enim de semine meo inde illam mihi quolibet
ingenio vel qualibet arte déferre potuerit, ipse post me regnum eum
obtinebit atque successor existet. » Erant itaque Cholci gens valida,
1 5 saevissime durata, arma bellica jugiter ferentes. Audiens haec
Jason sic respondisse fertur avo : « Coacerva mihi bellatorum exer-
citum, apparatum armatorum. Tu enim nosti Cholcos saevissimos
atque crudeles, anime feroci procedentes ad proelium. » Congre-
gavit itaque Pelias cunctum exercitum suum, ut irent eum Jasone
20 ad belligerandum adversus Cholcos, deditque consilium principibus
suis ut Jason primus eum suis sodalibus ad bellum procederet,
donec occumberet, illi vero navali evectione recédèrent. Sed hos
dolos Jason, ut erat versutissimus, scire potuit. Nam coadunato
exercitu, mare magnum eum trieribus magnoque apparatu navium
2 5 ingressus, vento aquilone contrario recesserunt a recto itinere, et
veneruntad Simoenta portum, ubi Simoes tluvius Trojanorum mare
magnum ingreditur. lUinc egressi de navibus castrametati sunt
juxta mare magnum. Haec audiens Laodemon pater Priami, rex
Trojanorum, advenisse navali evectione Graecorum exercitum in
30 terram suam, Priamum regem filium suum eum hostili apparatu
contra eos perrexit. Jason vero deprecabatur regem Trojanorum ut
iter praeberet eis, absque ulla calumnia vel damnietate Ci) aut con-
flictu hostium suorum, ire in Cholcos. llle autem noluit adquiescere,
sed eum grandi injuria reppulit eos. Itemque Jason eum grandi
3 5 altercatione recessit de via recta, iterum navibus ascendit; reeuperato
vento meridiano, iterato cursu navium pervenit ut coeperat in
Cholcos, illosque imparatos atque inscios : Jason matutina vigilia eum
hostili exercitu super eos inruit. Sed [per] principes et consiliarios
i T om. itaque, juxta] M instar L inter — 2 ML regnum T regnavit, T et
celeber --4L regebat — 7 T Qui — 8 ML om. et — 9 ML om. malum —
10 L audivi — 1 1 ML illam inde — 1 5 M dura, L ferens — 19 T om. suum
— 21 M bella — 24 T in mare — 32 L damn... (le reste illisible) M contrarietate
— 33 TUli, noluerunt— 34 TL repulerunt, M eum, M Idemque — 55 T reces-
serunt — 36 M récupérât
HISTORIA DARETIS FRIGII 1^9
Peliae avi sui ante se ad pugnam ire conpulsus est. Cholci vero
40 prostrati atque devicti in manu Jason et exercitui ejus corruerunt.
Jason quoque victor existens civitates eorum cepit atque vastavit,
pellemque inauratam invenit avoque suo in Graecia cum magna
praeda atque spolia multa deportavit, narravitque avo suo injuria -
rum suarum, labores atque pericuia quod ei in itinere contigerant,
45 maxime Trojanorum insidia, Laodemon et Priami filii sui, quanta
calumnia apud eorum exercitu in itinere perpessussii. Peliasrex haec
audiensconvocans /.convocaviticeterosregesGraecorum narravitque
eis omnia per ordinem, pellemque inauratam ostendit, et injurias Tro-
janorum, qualiter inrogavissent contra exercitum suum in via, cuncta
50 disposuit. Illi quoque haec audientes indignati sunt contra regem
Trojanorum. Anno insecuto, commoto exercitu magno Graecorum,
navium multitudine coacervata, finibus Trojanorum, illisque igno-
rantibus atque nescientibus, fraudulenter ex utrisque partibus hos-
tibus circumdati[s], Trojanos ex parte depraedant. In praedio regali
S ] sororem Priami régis, filiam Laodemonis régis, Hesionam nomine,
pulchram nimis, elegantem atque decoram valde repperiunt, ipsam-
que captivatam cum magna praeda et multa spolia in Graeciam per-
duxerunt. Laodemon nempe et Priamus munera multa per legatos
miserunt propîer praefatam puellam : sed illi renuentes reddere
60 noluerunt. Nuntiis quippe revertentibus qui missi fuerant, haec
omnia Laodemon et Priamo referentes dixerunt. Illi vero audientes
moleste acceperunt indigne ferentes. Ineunte anno, sicut mos erat
apud reges Graecorum, in unum congregati Macedoniam urbem
metropolim diem festum Jovi consecraverunt, sicut Judaeis mos
6) erat Deo sacrificare in Hierosolima. Hi reges magni de cunctis
partibus Graeciae convenerunt illuc : Pelias et Jason nepos ejus;
Agamemnon et Memnon frater ejus ; Ajax et Palamedes ; Achilles
et Triptolemus; Menelaus atque Polippus; Castor itaque et Pollox ;
Aléa qui primus tabularum usum repperit ; et ceteri reges minores
70 ad diem festum eorum convenerunt sacrificare Jovi. Audiens haec
Alexander filius Priami a Troja egressus hostium multitudinem
sumens naves magnas ascendit, et per mediterraneum mare ad
Citeriam insulam régis Memnon palatium peraccessit, ubi Helena
regina sua deae Minervae diem festum exhibebat. Alexander autem
75 filius Priami Helenam reginam speciosam valde ab hostibus cir-
cumdans cum thesauris suis eam rapuit, ob vindictam amitae suae
45 L maximae T maxima, L insidiac M insidie — 52 M aj . adeunt avanl Tro-
janorum — J7 M magna sp. — 61 ML enim — 6j TL aj. in quibus tivunt i
unum, ces mots étaient sans doute exponctucs dans l'original. — 6j L om. in —
71 T mult. hostt., — 72 ML om . et — 73 M om. insulam — 74 TL dea
Minerva, T om. diem iestum
140 G. PARIS
Hesionae quam Graeci captivatam tenebant et nolebant reverti;
cum (l. et; navali evectione cum praefata Helena Trojam
urbem remeavit. Quibus compertis, reges Craecorum nimis
80 moleste acceperunt uxorem régis Memnon inclitam fuisse a
liberis Priami captam. Tune invicem congregati in unum,
consiiio accepte, ex cunctis partibus Graeciae omnia régna mutuo
consentientes congregant ; navium copiam coacervant, arma bellica
infmita sumentes, mare transfretantes, usque Trojanorum fmibus
85 occupaverunt, rogantes ut Helenam reginam redderent. At illi
renuentes aiunt : " Reddite nobis consanguineam nostram Hesionam,
quam indigne ducentes captivastis, et nos reddemus Helenam. )>
Illisque indignantibus, invicem processerunt ad bellum, et decem
annis bella gesserunt. Erantque filii Priamo régi ex matrona nobili
90 quadam nomine Hecuba: primogenitus Hector, elegantissimusatque
procerus, ad pugnandum gnarus atque egregius^ uxorque ejus
nomine Andromacha, décora atque strenua; secundus filius ejus
Alexander qui Helenam rapuit; tertiusTroilus, vir fortissimus, expe-
ditus ad bellum ; quartus Deifobus ; quintus Aichimacus decorus
95 aspectu et corpore aquilino. Filiae enim illius Polixena senior
nuncupata, Cassandra junior, pulcherrimae ita ac decorae. Commis-
soque certamine pugnatorum (/. pugnaverunt) quindecim reges Crae-
corum adversus Priamum regem Trojae et filios ejus memoratos ac
populum ejus. Primo die in primo proelio pugnavit Hector filius
100 Priami contra Craecorum exercitum a mane usque ad vesperam,
et ceciderunt de Craecis octaginta quinque milia, de Trojanis tri-
ginta duo milia. Tune in crastinum invicem petierunt ex utrisque
partibus inducias et obsides dederunt mutuo ut facerent exsequias
et plangerent ac sepelirent mortuos suos, feceruntque ita. Denuo
105 bellum commissum est, pugnavitque Hector cum agmine Craecorum,
direxerunt aciem et pugnaverunt a mane usque solis occasum, et
ceciderunt ex parte Craecorum quinquaginta tria milia, de Trojanis
triginta milia CC. XV. Petierunt demum inducias iterum sepeiiendi
eorum mortuos. Iterum convenerunt ad bellum Hector cum Troja-
110 nis contra reges et populum Craecorum. In ipso certamine corruit
Ajax rex cum tribus principibus regalibus fortissimis Craecorum.
Corruerunt itaque in ipsa acie ex Craecis centum viginti milia CC.
IIII. quos ipsi recensuerunt; de Trojanis sexaginta duo milia CVII.
Et petierunt inducias uterque, et fecerunt planctum magnum et
1 1 5 fleverunt Ajacem principem cum reliquis principibus XXX diebus ;
78 M Trojana — 80-81 L fuisse alibi re^e Priamo captam, M inclinatam fuisse
et cum suis rébus ab Alexandre Priami nlio captam — 86 ML renunciantes —
95 T Filia ML Filias — 96 ML pulcherrimas , M décoras L decoratas —
104 T om. suos — 107 M de p. Cr. — 108 ML .ce.
HISTORIA DARETIS FRIGII I4I
rursumque reparatis viribus, Palamedes rex et Achilles contra
Hectorem et Trojanos : Hector Palamedem occidit. Habebat autem
memoratus rex Palamedes auream loricam indutam ; cumque incli-
nasset se Hector ut ipsam loricam detraheret , Achilles ex adverso
1 20 veniens percussit Hectorem inclinatum detrahentem spolia in renibus
suis gladio necopinatO;, inruitque in eum atque occidit. Et surrexit
tumultus magnus in utrumque populum, et petierunt itemque indu-
cias, et sepelierunt Graeci Palamedem, et Trojani Hectorem, et
planxerunt eos XXX diebus. Et denique commissum est bellum.
125 Tune induit Troilus loricam fratris Hectoris sicutgigans, ut mortem
fratris ulcisceret, et pugnaverunt tota dieilla. Et cecidit ibi Polippus
rex Graecorum obtimus, cum duobus principibus, in manus Troili ;
et ceciderunt in illa acie de exercitu Graecorum XLVIII milia et
XXIII, de Trojanis XXV milia XXVI. Et dederunt invicem mutuo
1 30 obsides, et sepelierunt mortuos suos. Tune dédit Agamemnon rex
consilium, sapientior ceteris, ut receptis obsidibus reverterentur ad
terram suam. Gui respondit Achilles dicens : « Ecce parentes et
proximi nostri hic tumulati quiescunl, qui in manibus Trojanorum
corruerunt; et nos absque Victoria recedimus .'' Alioquin en moriar
1 3 5 donec mortem parentum meorum ulciscar qui interfecti sunt. »
Iterum cohortantur ad bellum, Troilusque cum Trojanis occurrit,
illisque magis ac magis confligentibus tribus diebus ac tribus nocti-
bus, in seditionem versi, innumerabilis multitudo cecidit ex utraque
parte : de Graecis CXL. V. milia virorum fortium, de Trojanis C.
140 XXIÎ. milia educentium gladium. Percussitque Achilles Troilum in
inguine lancea, et corruit mortuusque est. Levavit autem eum
Achilles ob vindictam percussorum in curru suo, trahensque corpus
ipsius girabat civitatem Trojam. Ascendit itaque Hecuba mater ejus
super murum civitatis cum filiabus suis Polixena et Casandra ; con-
145 jurata est Achillem, dicens : « Adjuro te, Achilles, per deos deasque ;
ego do tibi auri talenta ad statuarium instar filio meo Troilo, ut
reddas mihi corpus ejus, nec trahas regale semine per bivios pla-
tearum. » Ille haec audiens dixit : « Conglutinata est enim anima
mea in aspectu filiae tuae Polixenae. Da mihi illam in sponsione
1 50 et reddo tibi corpus filii tui, et faciam tibi ut recédât exercitus
Graecorum a populo isto et a civitate tua hac, » At illa ait :
« Ecce sexta die deae Dianae sacrificare disponimus. Tu vero veni
ad consulendum illuc absque viris sanguinum et insidiatoribus hos-
tium. Ego vero sciscitabor deos meos et dabo tibi eam uxorem. »
1 5 j At ille credidit his verbis et reddidit cadaver Troili ; et sepelierunt
121 T non opinato — 125 MLfrater — i 27 T oni. rex ... principibus, L Troilo
— 1 28 L om. milia et cic sdcpius, L de Tr. ixxv — 136 L Iterum ergo c. —
141 MT om. eum. — ip ML dixit — 1^2 L om. deae — 1 54 L ad u.
142 0. PARIS
eum in regali maosoleo; fleveruntque super eum fletu magno.
Hecuba ergo narravit haec omnia quae gesta fuerant eum Achille
pro disponsione filiae suae Priamo viro suo et Alexandre filio
suo. Alexander vero dixit palri suo et matri : « Ecce in concupis-
160 centia puellae sororis nostrae exarsit cor Achilli. Praeparemus ei
insidias in templo Uianae deae nostrae. » Eratque in ipso templo
extra portam civitatis pinna solarii in latibulum ad consulendum
seniores templi. Ibi Alexander ob necem fratrum suorum insidia-
turus eum viris fortissimis armatis dolos praeparat Achilli. Veniens
165 autem Achillesad placitum diem constitutum, ut praefatam puellam
uxorem copularet, templum Dianae ingressus, puellam ibidem
repperit : inruit in faciem ejus, coepit deosculare eam, ignorans
insidias Alexandri fratris ejus. Alexander quoque — non ille magnus
Macedo, qui postea ortus fuit, sedhicfilius Priami — a tergo veniens
170 Achilli, inruit eum sociis super eum et quasi durissimum lapidem vix
potuerunt superare et incidere corpus ejus. Tamen omnibus membris
desectis (arma) gladium ipsius non valebantabstrahere de manu ejus.
Illo vero mortuo, illi civitatem ingressi sunt. Audiens haec Aga-
memnon rex, quod fortissimus eorum Achilles deceptus esset ac
1 7 5 mortuus, clamore magno strepens hortabatur recedere populum. Cui
resistens Triptolemusfilius Achillis dicens (/.dixit): «Ecce pater meus
qui mortuus est praecedebat vos in omni certamine atque victoria :
non vultis ut vindicetur sanguis ejus ? Penitus ego vivens hinc non
revertar si non potuero necem illius ulcisci. » Consenseruntque ei
180 viri bellatores et parentes ejus. Sepelierunt enim Achillem et fleve-
runt eum XXX diebus, itemque circumdederunt eum tubis et strepitu
magno suburbana civitatis. Egressusque est Deifobus filius Priami
ad pugnandum contra eos. Fuit in ipso certamine grandis strages
populi, et ceciderunt de Grecis centum quindecim milia et LUI,
185 de Trojanis ceciderunt LXX milia inde, ut populus recensuit. Tune
eum paucis qui remanserant vulneratus ab hostibus Deifobus ingres-
sus est civitatem; ab his vulneribus mortuus est praefatus Deifobus,
sepelieruntque eum parentes sui juxta fratres suos. Tune Aeneas et
Olixis, Priami domestici, dixerunt : « Eeee nos modo superatos
1 90 videmus ; filii tui magnitlci viri mortui sunt. Audi consilium. nostrum :
datis obsidibus et mutuo acceptis loquam.ur ad Agamemnon regem et
sapientes Graecorum: clemens est enim ipse rex; demusque eis munera
multaet Helenam reddamus, et recédant a nobis. » Audivit itaque
Priamus consilium eorum. Quo audito Agamemnon consensit haec
195 omnia. At illi retulerunt régi; audiens quoque Alexander ait : «Ante
163 T ubi — 171- 172 M om. Tamen ... de manu ejus — 17^ ML stupens
— 184 M populorum, M et .iij. — 185 ML om. de Trojanis ... inde — 186-7
L ingressi sunt — 189 T supetratos — 192 L om. enim — '93 T recèdent
HISTORIA DARETIS FRIGIl 14^
moriar quam Helenam reddam. « Aichimacus quoque dixit, junior
frater : « Ecce fratres mei viri egregii, qui pugnaverunt pro vobis
et uxores vestras et thesauros vestros, mortui corruerunt. et vos
hortarrsini ad pacem ? Nequaquam, sed recuperatis viribus iterum
200 bellaturi erimus. » Quibus auditis Olixis et Aeneas indignati sunt.
Egressus vero Olixis dixit ad regem Grecorum : « Non consentiunt
nobis majores civitatis, sed si parcitis nobis^ et omnia quae ad
nos pertinere videntur, faciemus ingenium ut patrata Victoria civitas
tradatur in manus vestras. ;> Quibus auditis promiserunt foedus.
205 Nocte média, fraude facto Olixis et Aeneae, signum inauditum et
excogitatum in similitudine capitis equi super murum apparuit ; et
apertas portas urbis, inruerunt super Priamum et liberos ejus, nec
pepercerunt ullam animam ex eis ; Helenam namque receperunt ;
Hectoris enim filii per aliam portam fugerunt et liberati sunt.
210 Aeneas quoque abscondit in turrem urbis Polixenam et Cassandram
filias Priami. Triptolemus autem requisivit Polixenam pro qua
Achilles pater ejus mortuus fuerat. Dixitque Agamemnon rex:«Ubi-
namque est illa puella ? » Aeneas ait nescire se. Olixis vero invenit
eam et adduxit ad regem. Dixitque ad Aeneam : « Quare mentitus
2 1 5 fuisti pro hac puella i Recède cum omnia quae tua sunt ab hac
urbe. Non manebis illic amplius. » Polixenam itaque Triptolemo
tradidit. Ille duxit eam ad tumulum patris ejus, jugulavitque eam
ibi, était : « Recipe puellam, pater, pro qua vita caruisti : in futuro
uxorem possideas eam. » Graeci nempe ceperunt Trojam urbem
220 et igné succenderunt eam et cum multa spolia reversi sunt. Aeneas
vero curn Cassandra filia Priami et omne familia sua veniens Alba-
norum fines, habitaverunt ibi
. . . Famosissimus gnarus namque necnon saevissimus belligerator,
nimirum enim superbus ac crudelis, praesidium Albanorum ubinunc
225 magna Roma urbs est posuit, qui tanta impietate exarsit in super-
biam ut nuUius proximi parentis aut indigenae vel orfani seu viduae
praeter liberos aut crudelissimosconsiliarios umquam pepercerit, qui
obtantam impietatem a Deo percussus interiit. Julius Proculus pro-
ximusejus regni sedem suscepit, fundavitque Juliam gentem usque in
2 jo aevum. Adeo ad Pherecidis indolem [l. soboleml praepropere reverta-
mur. Pherecides genuit alium PYigionem. Idem Frigio sollertissimus
in robore armatoria extitit, annos Lxiii principatum gentis suae rexit,
belligerator validissimus, cum vicinis regionibus dimicans usque
202 ML a — 203 M nobis — 206 ML supra — 207 L om. super — 2i9Mposside
— 223 L ignarus, ML necnon et s. — 224 M om. enim — 22^ T posita — 226 M
nullus e proximis parentibus, L indigne — 227 T pepercit — 228 T interit, M apiis
percussus aj . hicto fulminis — 230 L praeponere — 232 ML Ixxiij, T rex
144 ^^- PARIS
Dalmatiae fines procliando vastavit. Qui P^igio genuit PYancum et
2^5 Vassum eleganlissimos pueros atque efficaces. Defuncto igitur Fri-
gione juniore genitore eorum, itidem germani tyrannidem mutuo
arripiunt, arma bellica instanter sumentes, ad aciem saepissime
nimia agilitate proruunt. Dein ad Juliam properemus familiam.
Aventinus Silvius, proximus ejus, regnum atque potentiam sollerter
240 suscepit, regnavit annos xxviii. Ipsebellum contra Savinas instituit
in eo monte qui nunc pars urbis est : aeternum loco vocabulum dédit,
et in eodem monte victor praevaluit, et ex ea die Aventinus est
nuncupatus. Procas Silvius, proximus ejus, ei in regnum successit,
et regnavit annos xxiiii. Face in circuitu patrata, tributa ab Histria
245 sumpsit, Cefalaniam insulam maris magni navali evectione proeliando
vastavit, et nonnulla spolia detraxit. Amulius Silvius proximus illius
successit pro eo in regnum et regnavit annos xLiiii. Numitor, frater
ejus major, ab eodem Amulio regno pulsus, in agro facultatis suae
solummodo paterfamilias, domus suae opulentissimae contentus
250 absque regio honore extitit. Filia quoque ejus, a pueritia elegans
valde ac décora, virgo vestalis eligitur, quae in incestu ignominiae
labefacta stupri leconistarum(?}apparuit ab imminent! partu gravida.
Quae cum septimo patrui anno regni geminos edidisset infantes,
juxta legem, judicante patruo rege, in terra viva defossa est; parvulis
255 quoque geminis juxta ripam Tyberis amnis expositis culnicis more
fiscellae linitae (?) inibi projecîis judicio régis. Inventique sunt a
Faustulo pastore régis armentario, qui acceptis parvulis ad Lauren-
tinam uxorem suam eos detulit : quos illa cum summa diligentia
enutrivit, quasi propriis liberisablactatis in loco filiorum adoptavit :
260 quae ipsa Laurentina propter pulchritudinem et decorem corporis
sui quaestuosi a vicinis suis lupa appellabatur^ id est meretrix, unde
usque nunc ad nostram memoriam meretricum succubae et cryptulae
lupanaria dicuntur. Pueri vero cum crevissent et adolevissent,
nimia austeritate expediti, tam ob necem matris quam ob supplan-
26^ tationem avi, collecta latronum et pastorum manu nonnulla magni-
tudine et plurima multitudine, consurgentes super Amulium apud
Albam interfecerunt.
Gaston Paris.
237 T sevissimse — 238 T proricant L proritant, L Deinde — 240 ML
xxvij — 243 T Procassilivus, M in r. ei s. — 244 M parata — 246 T ejus
— 250 TL om. extitit, L a puritiaï ligatis — 251 L décore, T vestides —
252 L letonistarum M stuprile comixtarum , ML imminendi , T pastus M
partus — 254-^ T parvulus, geminus, ML parvulos, geminos — 255 ML con-
clicis — 256 M projecti sunt — 258 L magna — 262 M sucube L suicube,
T ercriptuls — 264 T subpantationem — 267 T iter fecerunt.
ÉTYMOLOGIES
FRANÇAISES ET ROMANES.
On s'apercevra au premier coup d'oeil que l'auteur des essais qui
suivent n'est nullement romaniste. C'est en étudiant surtout les langues
germaniques et le latin que j'ai fait ces remarques étymologiques,
dans lesquelles les romanistes trouveront peut-être çà et là des notions
qui leur seront utiles. Mais je ne saurais suivre les mots romans à travers
tous les âges, à travers les variétés des patois, ce qu'il eût fallu faire
pour traiter les questions d'une manière vraiment scientifique. Je ne
saurais davantage indiquer l'usage des mots par un examen personnel
des sources littéraires des diverses époques et des divers pays.
C'est donc en invoquant l'indulgence que je place mes faibles essais
sous les yeux des romanistes.
BÉTON.
Nom vulgaire du lait trouble et épais contenu dans les mamelles au
moment de l'accouchement. Selon Littré, de l'anc. fr. beter, cailler, que
Diez rattache au flam. beeten, haut-ail. beizen, faire mordre, exercer une
action corrosive.
Béton vient, peut-être, d'une forme antérieure *beston, comp. le vieux
haut-ail. piost, moy, haut-ail. biest m. « colostra, TcwxcYaXa » (voy.
Grimm, Deutsch. Wôrterb. Il, 5). Quant à la voyelle, comp. trh'e = vieux
haut-ail. triuwa. Béton pour béton comme bétail pour bétail.
BIDON.
Peut-être emprunté au norois. L'island. bidha{B\œrn Haldorsson écrit,
à tort, byda), f., signifie : « vas superne adstrictum «. Comp. bide, n.,
baratte, bidne, n. broc, vaisseau, dans les dialectes norvégiens.
BLÊME,
Très-pâle. De là blêmir qui signifiait dans l'ancienne langue frapper
(proprement, faire des taches bleues), léser, blesser et aussi salir. Diez
Romania, III 1 0
146 s. BUGCE
le rattache au norois bl.(mi, couleur bleue. Ce qui prouve que cette éty-
mologic est la vraie, c'est le substantif norois bLiman, fém., qui signifie
tache bleue due à un coup, à une contusion. liUman suppose un verbe
blâma, dont le sens, comme celui de l'anc. fr. bksmir, a été : faire des
taches bleues, frapper, léser.
CARCAN.
Anciennement aussi charcliant, cherchant, néerl. karkant. Diez l'a rat-
taché justement au vieux haut-ail. querca, norois kverk, gosier. Mais il
n'en a pas expliqué la désinence -an, -ant. J'y vois le germanique band,
n., lien, comp. hau-bans, ra-ban, ru-ban. Le composé kverkband (jugu-
laire, mentonnière), se trouve en effet dans la littérature ancienne de
l'Islande. 'Carquebant ou *carcbant a donc passé à carcanl. L'omission
du b dans viorne = lat. viburnum, nuage, etc., n'est pas tout-à-fait
analogue.
CHOYER.
Berry, chouer, chuer; picard, c/^uer, parler bas, caresser, c/jo^r, gratter;
vieux fr. suer^ chuer, caresser, flatter (xiii" siècle). « D'un radical
inconnu » Littré. L'it. soiare, flatter, soia, flatterie, lequel a été com-
paré, avec raison, par Littré, montre que suer est la forme française la
plus antique, d'où chuer, comme vieux fr. chucre= sucre, Diez Rom. Gr.
I, 462, chufler, chifler = sufler, siflcr. Le mot en question est. ce me
semble, d'origine germanique. Choyer, chuer, suer, it. soiare est identi-
que au got. sfithjon, chatouiller, voy. Timoth. 2, chap. 4, v. 3 : suthjon-
dans hausein y.vr/)5[ji.£Voi xtjv àxcr)v. Comp. bru = got. bruths, vieux fr.
goi ■= got. guth, Diez, Gr. I, 315.
Dans l'it. soiare le th germanique a été traité comme le d du lat. gau-
dium, gaudia dans l'it. gioia.
Pour le got. suthjon, comp. Diefenbach Goth. Worterb. II, p. 288.
DÉGINGANDÉ.
Part, passé de dégingander, donner un air comme disloqué à sa taille,
à son attitude, à sa marche. Génev. degigandé, Berry degiguenandé ,
norm. déguengandé ; on trouve le verbe dehingander (avec le sens de
démembrer ?) dans Rabelais. Littré rattache le mot à gigue, jambe, mais
cela n'explique pas assez le suffixe and. Je hasarderai une autre con-
jecture. Le verbe dégingander, norm. déguengander, appelle un primitif
gingand, guengand, qui me semble identique avec l'it. gânghero, prov.
ganguil, gond. Le sens primitif serait donc faire sortir des gonds. Dégin-
gander, dégingandé est précisément l'it. sgangherare, sgangherato, qui se
dit souvent avec le sens du mot français. Le d de dégingander est para-
ÉTYMOLOGIES FRANÇAISES 1 47
gogique^ comp. allemand, normand, Bertrand, etc. Vi de la syllabe
tonique est une modification d'un ancien ai, a, comme il arrive souvent
devant une nasale : grignon pour graignon, fringale pour faimvalle, chin-
freneau pour chanfreneau, rinceau pour rainceau = lat. ramicellus, etc.
L'n de la seconde syllabe y est entré par une assimilation ; il se trouve
aussi dans le milan, canchen = it. ganghero, d'où le à.vcnm\x(\{ cancanin,
canchenin et le verbe scanchinà = it. sgangherare. L'initiale gue en norm.
est plus originaire que gi, comp. givre pour guirre, gibelet = ancien fr.
guibelet, girofle = lat. caryophyllum.
DRÊCHE.
Résidu de l'orge concassée qui a servi à faire de la bière, vieux fr.
drasche. La forme de ce mot ne nous permet pas de l'identifier avec
drague, orge cuite qui demeure dans le bassin après qu'on a cuit la
bière ■= norois dregg ï., angl. dregs, ancien pruss. dragios). Selon Diez
drêche dérive du vieux haut-ail. drescan, ail. mod. dreschen, battre le
blé en grange. Mais en allem. on ne rencontre aucun dérivé du verbe
dreschen qui ait le sens du fr. drêche. Dreschen se retrouve en vieux fr.
sous la forme îrescher.
Or l'ail, mod. trester, pi., peut signifier résidu de l'orge concassée, plus
souvent résidu des grappes pressurées. Cela nous explique l'origine du
substantif français. Drêche répond régulièrement à un mot ail. drastja,
drestja du même sens, que nous retrouvons dans l'anglo-saxon dsrsîe,
f., « faex » (comp. dresten « faeces »), vieil ang. drastes, pi., résidu des
grappes pressurées, vieux haut-ail. trestir, ail. mod. trester, moy. haut-
ail, trest, n., suiss. tràst, tràsch. Fick en rapproche avec raison le vieux
slav. drosîija, n. pi., « faex» (voy. Zeitschrift f . vergl. Sprachforsch., de
Kuhn, XXI, 4).
FAGUENAS.
Masc, odeur rebutante qui sort d'un corps échauffé. «Origine incon-
nue» Littré. Je conjecture que faguenas est une metathèse pour fanegas,
comp. vieux fr. talevas pour tavelas; omelette, anciennement amelette selon
Littré pour alemette ; étincelle = lat. scintilla. Le primitif est probable-
ment identique au vieux haut-ail. fnehan, moy. haul-aW. phn eh en « anhe-
lare », bavar. pfnechen, d'où pfnackeln « puer », pfnàckl u odeur rebu-
tante. » Les Français ne pouvaient prononcer l'initiale germanique /)/
iphn), et c'est pourquoi ils y inséraient un a, comp. fr. hanap = vieux
haut-ail. hnapf, harangue = vieux ail. hring, canif = ail. mod. kneif, ca-
napsa = alL mod. knapsack. L'aspirée h est remplacée en fr. par un g
comme dans agacer = vieux haut-ail. hazjan, dans le popul. agonir,
injurier, pour ahonir.
148 s. BUGCE
FRIME.
« Etymologie inconnue « Scheler. Le mot est certainement identique
avec le lat. forma ; frime et forme sont des doublets. L'ancienne forme de
frime est frume. Forma est devenu frume de même que formosus devenait
en valaque /rumo5. Pour la métathèse comp. fromage, Fréjus, ancien fr.
fremer, etc.
Frimousse, autrefois /nmou5«, n'est pas, je crois, composé de frime ei
du mot vieilli mouse, face, mais vient du \at.formosa; avec le même
suffixe sont formés les substantifs pelouse = lat. pilosa, ventouse = lat.
ventosa.
La voyelle irrégulière u est due à l'influence de Vm. Elle appartenait,
selon M. J. Storm, au commencement à la syllabe non tonique de *fru-
mouse, frimousse ; plus tard elle se glissa aussi, par l'influence de l'ana-
logie, dans la syllabe tonique de frume, frime.
Quant au sens, le fr. pour la frime répond à l'it. per forma. Déjà en
bas-lat. forma signifiait faciès, vultus (voy. Ducange), de même que
frime est synonyme de « mine » et que frimousse a le sens de « visage. ;>
Frime se dit aussi d'une grimace, d'une contorsion du visage ; or le grec
a d'une manière analogue modifié le sens de ;j.scç-r, : -J;cr,[j,évo'. Sést ic wv
iv.eirq [ko^^^olÇei Ael. « les grimaces de la chouette. « Pour le rapport
d'idée entre « forme » et « semblant, » « feinte », dans le fr. frime on
peut comparer le moyen grec ixipçcov « simulator » (voy. le dictionnaire
de Sophocles;.
FRIPER.
Diez le tire de l'isl. hripa, « tumultuarie agere. » Cette étymologie
n'est pas assez appuyée. L'éminent philologue allemand ne pouvait pour
les mots de la langue ancienne Scandinave profiter d'autres dictionnaires
que de celui de Biœrn Haldorsson, lequel contient beaucoup de termes
en partie exclusivement néo-islandais, en partie d'une autorité douteuse
Selon l'excellent kelandic-English dictionary, publié à Oxford par M. Vig-
fusson, hripa n'est que néo-islandais et signifie « écrire avec grande
hâte '), proprement « avoir des trous par où l'eau coule abondamment. »
Le primitif en est hrip sorte de corbeille, d'où la locution thadh er eins og
adh ausa vatni i hrip « c'est tout comme si on verse de l'eau dans un ton-
neau percé, » fig. d'une action trop hâtée. Il n'y a donc rien de commun
entre l'isl. hripa et le fr. friper.
Friper et foupir, chiffonner^ dérivent du vieux fr. frepe, ferpe, felpe,
feulpe, feupe, qui veut dire chiffon et aussi frange, norm. feupes, mauvais
vêtements.
Frepe est, selon moi, identique au lat. fîbra, lambeau, extrémité, fibre,
ÉTYMOLOGIES FRANÇAISES I49
filament, lequel a de l'affinité avec fimbria, frange. Pour le passage du
sens il n'y a pas de difficulté. Pour la métathèse du r il suffit de men-
ùormer frange = lat. fimbria, Brancas = Pancratius, tremper = iemperare.
P au lieu du lat. b se trouve aussi dans ensouple = insubulum.
L'acception originaire de friper est : chiffonner; de là gâter par usure,
consumer; enfin manger goulûment.
L'it. esp. portug. felpa, dans les patois pelpa, pelfa, felba, sorte de
peluche, semble identique au vieux fr. felpe, ferpe, frepe, chiffon, frange ;
comp. le bourg, poil feulpin, « duvet, première barbe »
GALIPOT.
Résine qui coule du pin. « Origine inconnue » Littré, Scheler. Le
mot est issu de l'ail, klibe, « gummi, lacrima arborum, » qui se lit dans
un glossaire (imprimé an 1 5 17) de mots recueillis en Anhalt et à Leipsick
(voy. Grimm-Hildebrand Deutsch. Wœrterb., V, 1157); on trouve en
même sens kliber, bas-ail. kl iwer dans la Poméranie, néerl. klibber n. (V,
1050). La source de ces mots est le moy. haut-ail. kliben « haerere. «
Pour l'insertion de 1'^ dans galipot, comp. canifs ganivet, canapsa, dau-
phin, ei-calambrd, esp. calambre {moy . haut-ail. klamphern), it. calabrone.
Le g y est une modification du k de même que dans ganivet, glouteron,
gletteron {souah. kletter, î. Grimm-Hild. Deutsch IVtb., V, 1152), etc.'
Le p du fr. galipot se rapporte à une forme du haut-allemand ; comp.
bavar. klspig, kleppig = klebig [Deutsch. Wtb., V, 1042). Quant aux con-
sonnes l'autrich. gleppe Tpcur klebe) « glouteron, » est analogue au fr.
galipot.
GIBELET.
Masc, petit foret; ancien guibelet, guimbelet, norm. vimblet, lanère.
Des mots pareils se trouvent dans beaucoup de langues : bas-bret. gwime
let, foret, irl. gimeleid, angl. gimlet, gimblet et wimble foret (to wimhle,
forer)^ ancien néerl. wimpel. A quelle langue appartiennent donc origi-
nairement ces mots.? M. Mone dans VAnzeiger fiir Kundc der tcutschen
Vorzeit, 1837, p. 1^1-154, a publié en partie un glossaire des mots
latins expliqués en latin ou en anglo-saxon d'après un manuscrit du
ix« siècle, venu de l'abbaye de Moyen-Moutier à Epinal. Ce glossaire
est très-important tant pour les langues néo-latines que pour la langue
anglo-saxonne; il mérite une nouvelle édition, d'autant plus que M. Mone
n'en a publié que les parties qui touchent les mots anglo-saxons. Le
n° 926 en est : vimbrat, borettit. D'après un manuscrit moins correct du
ix« siècle à Erfurt, le même glossaire a été publié dans les Ncue Jahrbii-
cher fiir Philologie und Pddagogik, 1 jter Supplementband (1847). La
glosse citée y est ainsi conçue : vibrât et dirigat, boretit. L'anglo-saxon
150 s. BUGGE
borettan signifie forer; pour et dirigat il faut peut-être corriger terebrat.
Ainsi s'explique facilement l'origine du fr. gibelet.
Vimbrare est une forme nasalisée du lat, vibrare, comp. fr. Embrun =
Kburodunum, prov. senibeii = sabellinus, etc. (voy. Diez, Rom. Gr., I,
305). Le sens <( vibrer, branler, tourner, » du lat. vibrare a passé à
« forer, » comme en ail. drillen signifie tourner, mais aussi forer, et
comme en grec xéptîTsv est expliqué par Hésychius erpoi^ev et aussi
èxipvwcTî. L'r du néo-lat. vibrare forer, vimbrare a été changée en / ;
'vimblare, angl. to wimble. Ce verbe-ci est le primitif du subst. gibelet,
guibelet, guimbelet de même que forer est le primitif du subst. foret. Pour
le changement du lat. vi en gui, gi, comp. par ex. givre, guivre = vipera.
GIFLE.
Fém.., anciennement joue; aujourd'hui tape sur la joue. Grandga-
gnage l'a rattaché justement à l'ail, kiefer, mâchoire. Des formes avec /
se trouvent aussi en allemand : kiefel, kifel, kiffel, « maxilla, mala,
(« zusammengefallene kùfel «), mentum, gingiva, branchia n (Grimm-
Hildebrand, Deutsch. Worterb., V, 66^). Les formes des patois français
qui ne présentent pas d'/ dans la désinence ^vallon, chife, joue, Hai-
naut guife, visage, Nam. gife, gifle) tiennent à la forme haut-ail. mod.
kiife, f. maxilla, bas-ail kiffe [Deutsch. Worterb.^ V, 66-^).
GINGUET. GRINGALET.
Gringalet, subst. m., homme faible de corps et grêle; à Genève on
l'emploie adjectivement. Dans les trouvères guingalet ou gringalet désigne
surtout un petit cheval, guingalet est la forme la plus originaire; comp.
pour l'r parasite fronde = lat. funda, fringale pour faimvalle, vrille autre-
fois ville. Guingalet contient évidemment, comme le croit Scheler, le même
radical qui a donné ginguet adj. sans force (particulièrement d'un petit
vin), étroit, mince. Ménage a la forme guinguet avec la même initiale que
guingalet, et Littré cite gingealet comme forme usitée à Genève pour
ginguet. Après cela la connexité entre gringalet et ginguet ne peut être
douteuse. L'origine du radical guing n'est pas expliquée. La source en
est probablement germanique : got. vainags misérable, vieux haut-ail.
wênag misérable, chétif, mince, petit, moy. ail. wênig, winig petit, ail.
mod. wenig, dans le patois de Wetterau wink.
GUIDER.
Prov, guidar, guizar, guiar, esp. et pg. guiar, it. guidare. Diez le rat-
tache au got. ritan, observer, garder. « C'est le sens surtout qui fait
l'objection » Littré. L'origine germanique est garantie par le fr. guidon
(( étendard, banderole, marque, » qui répond précisément au norois viti
ÉTYMOLOGIES FRANÇAISES 1 5 1
« marque, indice, >> d'où vedhr-viti girouette, qui indique la direction du
vent. K/7/est dérivé du verbe vita (== got. vitan) dans le sens de signi-
fier, présager, indiquer. Il faut supposer la même acception pour d'autres
langues germaniques, auxquelles les nations néo-latines ont emprunté le
mot. Ainsi le sens primitif de guider est : « indiquer (la direction, le
chemin). »
GUILLEDOU.
Usité seulement dans la locution : courir le guilledou, aller la nuit dans
des lieux suspects. Au même sens s'est dit autrefois courir le garou, d'où
garouage; chez Perrin on trouve :
Ce coureur de garouage,
Ce trotteur de guilledou.
Garou, aujourd'hui loup-garou, est l'anglo-saxon wenvulf, moy. haut-
ail, werwolf, ail. mod. wàfmvolf et signifiait un homme qui rôde la nuit
transformé en loup, littéralement homme-loup. Le même mot ou, ail.
wolf, norois ùlfr, loup, se trouve également dans les noms propres Rou,
Marcou, Thiou, Raoul, etc. Il faut donc expliquer d'une manière analo-
gue le mot guilledou. C'est un terme mythique du paganisme germanique :
guilledou répond à un mot norois *kveldûlfr, haut-ail. "chwiiîiwolf, "kiltwolf,
c'est-à-dire un homme qui se transforme en loup depuis le coucher du
soleil. Dans cette composition entre le norois kveld, l'espace de temps
depuis le déclin du jour jusqu'à minuit, haut-ail. kilt, les dernières heures
du soir, temps de la nuit; un diplôme de l'an 817 nous donne le com-
posé chwiltiwerk (Grimm-Hildebrand, Deutsch. Wœrierb., V, 704 s.).
Du mot que nous supposons, 'kiltwolf, *kveldùlfr, loup-garou, il reste
des traces aussi chez les nations germaniques. Dans le conte islandais
Egils saga il est dit d'un Norvégien, nommé Ulfr, Loup, que depuis le
décHn du jour il avait sommeil et qu'il était alors si brusque, que per-
sonne n'osait lui parler. On disait qu'il avait le don de se transformer.
Il fut nommé Kveldùlfr, c'est-à-dire « Loup-de-soir. » Il est évident que
l'ancien auteur se représente Kveldulf comme un loup-garou.
Dans le polyptyque de l'abbaye de St-Rémi de Reims ^ix^ siècle}, pu-
blié par Guérard, se trouve p. 44 le nom Quidulf (je le cite d'après
M. Fœrstemann). Ne serait-ce pas plutôt Quildulf? Werwolf était égale-
ment usité comme nom propre chez les Allemands. Guilledou doit donc
être emprunté aux Francs. Pour le sens figuré de ce mot il est bon de
remarquer que l'ail, kilt est employé aujourd'hui surtout quand on
parle des visites nocturnes rendues par les jeunes paysans à leurs mai-
tresses.
\Jr\ gu initial au lieu d'un k(kw) germanique paraît aussi dans d'autres
mots français : guingois, travers, inégalité, est rattaché par Diez au
I 52 s. BUCGE
norois kengr « curvatura. » Guilleri, chant du moineau, peut-être pour
guidderi (à peu près comme Giles=-Aegidius; cigale = cicada; it. ellera,
prov. elre = liederii), comp. suéd. (ji/ittra gazouiller, dan. kviddre, écoss.
quitter, aussi dans les patois ail., voy. Grimm-Hildebrand Deutsch. Wtb.
V, 867; Diefcnbach Gotli. Wtb. II, 477.
Il y a une prononciation analogue gwelt pour kilt dans un patois alsa-
cien (Deu/^c/i. Wtb., V, 705).
Pour l'c épenthétique de guilledou, comp. guilledin = anglo-saxon
gelding, norois geldingr. Le picard guilledon (= guilledou) est peut-être
un changement d'une forme antérieure guilledol.
CUILLER.
Fermenter, en parlant de la bière. Scheler croit que c'est une contrac-
tion pour guesiller; Littré invoque le bas-bret. goel fermenter. Une autre
combinaison parait plus évidente.
Cuiller est emprunté au holl. gijlen fermenter, de la bière. Ce mot a
dans les langues germaniques une nombreuse parenté, dont le sens est
varié et l'apparition ancienne. Voilà pourquoi le mot hollandais ne peut
être emprunté au français. Gijlen signifie aussi figurativement désirer
ardemment. De la même racine le subst. gijl n., bière non fermentée,
chyle; l'adj. gijl non fermenté; dans l'Angleterre septentrionale guilefat,
tonneau où la bière guille. Déjà au xiii" siècle le substantif gz7 se trouve
en Norvège, où il a été introduit probablement par des marchands hol-
landais. F^our gijlbier gijlkuip se trouvent aussi geilbier, geilkuip dans les
dictionn. holl. Diefenbach {Goth. Wœrterb., II, 580) croit, avec raison,
que gijl est de la même racine que le holl. et ail. geil, « lascif, inconti-
nent » le got. gailjan « réjouir. » Comp. le moy, haut-ail. gîlen « être
insolent, railler » (voy. Lexer, I, 1015).
Aussi en cambr. on rencontre gil fermentation (comp. Diefenbach,
Goth. Wœrterb., II, 382, 404); mais dans le bas-bret. goel l'initiale est
pour w.
HANCHE.
H aspirée, it. esp. portug. prov. anca. Selon Diez du vieux haut-ail.
ancha «. occipitium « et aussi « tibia, crus. 0 II regarde le fr. anche,
tuyau, et hanche comme originairement identiques. Cette étymologie est
acceptée par MM. Littré et Scheler et aussi par M. Heyne dans le
Deuîsches Wôrterbuch. Je ne partage pas l'avis de l'excellent étymologiste
allemand.
Diez remarque lui-même que la forme aspirée se trouve aussi en ger-
manique : fris, hanche, hencke (dans Kilian). Je citerai aussi l'ail, mod.
hanke, hanche d'un cheval (voy. Grimm-Heyne, Deutsch. Worterb., IV,
ÉTYMOLOGIES FRANÇAISES I 5 5
2, p. 455). Kuhn {Zeitschr. fur vergleich. Sprachforsch., III, 451) expli-
que le bas-ail. hanke par « der obère theil ara hinterfusse des pferdes. »
De là le diminutif tirol. henkel, cuisse {Deutsch. Wth., b. c).
L'identité de l'ail, hanke et du fr. hanche n'est pas douteuse. Mais ce
mot est tout-à-fait différent du vieux haut-ail. ancha, fr. anche. Le pri-
mitif de hanke est, comme le dit M. Kuhn, le moy. haut-ail. hinken,
hank, hunken, boiter, de même que l'ail, schenkel, cuisse, et l'anglo-sax.
sccinc sont dérivés d'un verbe synonyme 'skinkan, 'skank.
HOUPPELANDE.
{H aspirée.) L'origine du mot est restée jusqu'ici obscure. Huet le
tire de Upland, province suédoise. Nous pouvons bien excuser cette
explication du savant évêque d'Avranche, comme un souvenir de son
séjour en Suède, mais nous ne pouvons y voir une étymologie vraiment
scientifique.
La forme houppelande se trouve dès le xiv® siècle (voy. Littré) ; on
écrivait aussi houpelande, hopebnde. Entre les formes bas-latines don-
nées par Ducange je cite surtout opelanda (^Annal. Mediol. ap. Muratori,
XVI, col. 803), oppellanda (Cepitulum générale S. Victoris Massil. ann.
IJ78).
Le primitif en est peut-être le lat. palla. La palla était, comme la
houppelande, un vêtement long, non ajusté à la taille, souvent brodé,
que l'on mettait par-dessus son habit; Martiale nomme la palla comme
un vêtement des Gaules.
Je suppose un verbe dérivé 'oppallare, qui a signifié couvrir d'une
palla. Je n'ai trouvé ce verbe dans aucun écrivain latin, mais il est assez
assuré, d'un côté par des verbes tels que ohsignare, obserarc, obumbrare,
oblaqneare fTertull.), obnubilare (Aulu-Gelle, Appui. j et surtout opal-
liare, obnubilare, Glossar. ap. Mai, Class. auct., VIII, 403, de l'autre
côté par depallare dans Tertullien. Du verbe "oppallare aurait été dérivé
le substantif néo-latin "oppallanda, comp. fr. guirlande, offrande, viande, etc.
(voy. Diez, Gr. II, 378). 'oppallanda est le fr. houppelande.
Quant à \'h aspirée, on connaît d'autres mots pourvus d'une h aspirée
contrairement à leur étymologie : haut (altus), hérisson (ericius), huppe
(upupa. , hulotte (ulula), hurler ululare), houlette selon Scheler du lat.
agolum), hanter [st\on Sc\\t\tï ambitare). C'est peut-être sous l'influence
du mot houppe, que l'on a aspiré houppelande. Pour la voyelle ou comp.
oublier.
L'espagn. sopalanda et le portug. opalanda tiennent, sans doute, aufr.
houppelande, mais 1'^ initiale du mot espagnol fait difficulté. Doit-
on y voir le préfixe lat. sub t' comp. le rapport de l'esp. sombra au fr.
ombre. Il n'y a aucune conne\\léemrekpon. opalanda ç\.opa[=fr. aube).
I 54 s. BUGGE
On a rattaché le fr. houppelande à un mot ital. pelanda ou pelando ou
palando. Je ne connais que la forme pelanda, synonyme du fr. houppelande,
dans le dictionnaire milan, de Cherubini ; comp. Mussafia, Zur Kundc der
nordit. Mundartcn, p. 86. Le mot espagnol, le mot portugais, le mot
milanais, sont-ils empruntés au français? Nous ne saurions décider ce
point.
Ducange cite un mot pellarda fpaWu seu tunicae species; d'après un
Chron. Placent, ad ann. 1 588 apud Murât. XVI, col. 580 et d'après un
Chron. Bergorn. ibid., col. 945. Pellarda semble dérivé de p alla à l'aide
du suffixe arda.
Je citerai enfin l'it. palandra « vestito d'uomo con molta falda, » pa-
landrana, palandrano « veste lunga e larga, » le fr. balandran, balandras.
Schuchardt (voy. Zeitschr. fur vergleichende Sprachforsch., publ. par Kuhn,
XX, 270] les tire du lat. balatro, it. balandron, balandrà dans les patois,
fripon, fainéant, vagabond. Cela me semble douteux.
LANIÈRE.
Courroie longue et étroite. D'après Scheler, de lanarius, qui est fait
de laine (de lana, laine) ; le sens rend cette étymologie peu vraisem-
blable. Littré voudrait rattacher le mot en question à laniare, déchirer ;
mais, comme le remarque Scheler, le suffixe y fait obstacle. Le primitif
en est certainement le lat. lacinia, coin d'une robe, languette, lambeau,
« particula resecta et separata. « D'un prototype lacïnïâria provient
régulièrement lasniere, comme on écrivait au xiii^ siècle, enfin lanière '.
MANDRIN.
Maso. « Origine inconnue » Littré, Scheler. Dans Paulus, l'abrévia-
teur de Festus (éd. MùUer, p. 132), se trouve la glosse suivante :
Mamphur appellaîur loro circumvolutum mediocris longitudinis Ugnum rotun-
dum, qnod circumagunî fabri in operibus tornandis. Selon moi mamphur esl
le primitif du fr. mandrin, lequel est issu d'un prototype *mamfurlnum ou
"manfurJnum. De la même manière coussin pour "culcitlnum a remplacé
son primitif lat. culcita. Manfrin, manrin a régulièrement passé en man-
drin, comp. poudre pour /jo/'re, polv're, ladin cusdrin = bas-lat. cossofre-
nus, lat. consohrinus.
Le sens du mot français est essentiellement le même que celui du mot
latin. Comparez parmi les nombreuses acceptions de mandrin surtout celles
que je citerai ici d'après Littré : « 2° Terme de tourneur. Morceaux de
» bois de différentes formes, entre lesquels on fait tenir les ouvrages
1. Sur le V. fr. lasnc = lacinia, primitif de lasniere, et le dimin. lasnete, voy.
Remania, III, 113.
ÉTYMOLOGIES FRANÇAISES I 5 5
» délicats, qui ne peuvent être tournés entre les pointes. ^° Cylindre de
» bois sur lequel l'artificier et le canonnier roulent le papier des cartou-
» ches. 4" Cylindre de fer sur lequel on contourne une ferrure. 7° Outil
» qui sert à tourner certaines pièces d'horlogerie. »
L'origine du lat. mamphur est douteuse. Scaliger le dérive du grec
(xavvoçopov^ conjecture plus ingénieuse que vraisen^.blable. Je hasarderai
une autre étymologie. La signification primaire doit être : outil qui sert
à tourner. Mamphur est certainement une mauvaise orthographe pour
mamfur, comme scropka, sulphur pour scrofa, sulfur. Mamfur me semble
dérivé d'une racine mamf, tnanf, tourner ; comp. pour le suffixe fulgur.
Matnf, manf est peut-être le changement d'une forme antérieure mandh,
de même que inferus est issu d'une forme originaire andhara-s, skr.
adhara-s. Cette racine se retrouve dans le skr. manth, math, tourner,
remuer; gr. [xc6o'jpaç* xàç ).a6à(; xûv-y.wTïwv Hésychius, jj.cOoç, lit. men-
taré, battre à beurre; vieux slav. meta, TapâT-rw; norois mondull, man-
dull, manubrium quo mola circumagitur. Voy. Fick Vergleichendes Wôr-
terb. der indogerm. Sprachen, p. 145.
MARAUD.
Homme de rien. L'origine de ce mot n'est pas encore établie malgré
les efforts de beaucoup d'excellents étymologistes. Au xv^ siècle on trouve
la forme marault. Comme chaud, ancien chault, est issu du lat. caldus,
ainsi maraud, marault demande une forme antérieure maraUio. Maraud
est donc certainement, comme Diez l'a proposé finalement, formé par le
suffixe péjoratif aldo.
Maraud, *maraldo est, selon moi, changé par dissimilation d'une forme
intérieure "malaUio, dérivé du lat. malus; mal se trouve plusieurs fois en
français sous la forme mar : margouletîe, popul., mâchoire; ancien fr.
marvoyer, et ailleurs. La forme avec r est surtout naturelle quand la syl-
labe suivante a un /, comp. ancien fr. werpill = vulpecula; mcrancolie
(xiv'' et XV* s.); esp. escarpclo = scalpellum.
Plusieurs mots formés avec le suffixe aldo, aud sont dérivés d'adjectifs :
it. cortaldo, prov. ricaut, fr. richaud. L'étymologie que j'ai donnée ici
convient très-bien à la notion de maraud. L'ancien marault signifiait pau-
vre gueux; l'ail, marode, mot évidemment tiré d'une langne romane, a
le sens de fatigné, de las; en ladin marodi et dans le dialecte de Côme
maro signifient maladif. Pour « maladif » les langues romanes emploient
plusieurs mots qui se rattachent au lat. malus : it. malito, esp. mahico, etc.
Pour l'emploi de marodi, marô comme adjectif, comp. fr. nigaud, ribaud,
ancien fr. chipault, prov. ricaut, etc.
MATELOT.
« L'étymologie la plus vraisemblable est le holl. maat, compagnon,
1^6 s. BUGGE
» d'où, par une dérivation non sans difficulté, matelot. On manque de
" textes qui montrent que le simple ait existé en français, ce qui augmente
)) le doute » Littré.
Il est donc permis de proposer une autre étymologie. Matelot vient
peut-être du norois mo/u/i^u/r, matunautr, compagnon de table ^=rmoy.
haut-ail. maz-ficnôze), lequel est synonyme du holl. maat et qui se dit le
plus souvent de l'équipage d'un navire. Le personnel de bord se formait
en plusieurs môtuncyti ou compagnies de tables. Selon moi il faut sup-
poser une forme antérieure maîenoîK Comparez pour le changement du
n en /, gonfalon, orphelin, etc. Dans matelot ce changement serait dû au
m du mot, de même que dans it. meliaca = lat. armeniaca, témolo =
lat. thy minus.
PANARD.
Adj. masc, cheval panard, chevaldont les pieds de devant sont tournés
en dehors. « Origine inconnue >> Littré, Scheler. Le mot est probable-
ment dérivé d'un adjectif, de même que vieillard, ancien fr. hlanchard,
Bayard. Je rattache panard au lat. pandas, qui signifie « curvus, incur-
vus, gy.îV/.cç, » espagn. pando, « légèrement courbé vers le milieu. »
Panard pour pandard, comp. prenons pour prcndons^ vieux fr. cspanir =
lat. expandere, vieux fr. responent pour respondent (Diez, Gr. I, 236).
RAPATELLE.
Toile faite de queue de cheval. « Origine inconnue » Littré. Le mot
semble être emprunté à l'espagnol ou plutôt au portugais et semble con-
tenir rabo, queue, qui se dit aussi de la queue du cheval, et tela toile.
On doit peut-être supposer une forme portugaise 'rabitela, d'où *raba-
tela par assimilation, comp. portug. rabacoelha = rabicoelha, capatâo,
= lat. capito, anafar = esp. alijar. A cause du fr. p et de Va de la
seconde syllabe, une origine espagnole du mot a, peut-être, moins de
vraisemblance.
RIBE.
Fém., moulin à moule conique pour broyer le chanvre. C'est évidem-
ment un mot germanique. Selon Littré, peut-être de l'ail. reiben,îro\\QT.
Comparez plutôt le bas-ail. repe, fém. brisoir, broie [Brem.Wôrterb., III,
481 s.), aussi repel, rcppel, et le verbe repen, suéd. repa, fém. brisoir,
néerl. repel, haut-ail. mod. riffe, riffel et le verbe riffeln, ang. to ripple,
ancien angl. rybbe rupa, rypelyng avulsio.
I . [Au moment même où je reçois de l'imprimerie les épreuves de cet article,
je trouve la forme mathenot, employée régulièrement pour matelot, dans un des
mss. de la Passion d'Arnoul Gresban que j'imprime avec M. Raynaud. — G. P.]
ÉTYMOLOGIES FRANÇAISES 1 57
RIBLETTE.
Fém., tranche mince de bœuf, veau ou porc, qu'on sale, qu'on épice
et qu'on fait griller. Scheler le tire, àtort, « du germ. rib, rip (ail. rippe),
)> côte, nervure (saillies longitudinales des feuilles). » On y doit com-
parer le suéd. reppling tranche (de viande, de fromage, etc.), le norvég.
ripel ou repel long et étroit morceau. Le primitif est le suéd. repa, déchi-
rer, arracher, norvég. ripa ou repa, dépouiller, angl. to rip.
Le fr. rihe que je viens de mentionner et probablement aussi riblon,
petits morceaux de fer à refondre, sont issus de la même racine.
ROHART, MORSE, RORQUAL.
Rohart, autrefois ivoire des morses. Au xv'^ siècle on trouve une forme
rochal ou rohal. Littré y voit à tort la corruption de rorqual. Cela ne
convient pas au sens. Rohart, rohal est plutôt issu d'une forme antérieure
roshal:^ allem. autrefois rosswall, russwall^, du norois /^row/îv^/r, littéra-
lement cheval-baleine, lequel est identique avec l'anglo-saxon horshwd,
morse. Le mot norois hrosshvalr a aussi passé dans l'ancien irlandais, où
l'on trouve rosaalt, plus tard ruasuall comme nom d'un monstre de mer,
voy. M. Stokes, Revue Celtique, I, 2 $8.
Littré explique le franc, mod. rrjorse par « cheval de mer, « du dan.
mar mer et ros cheval. Mais ni en danois ni ailleurs on ne trouve un
sub&Xânûî marhross comme nom du morse; c'est pourquoi je conjecture
plutôt que morse est une métathèse pour rosme, du danois rosmer ~ norois
rosmdll, rosmhvalr, morse.
Enfin le nom rorqual ne vient pas du suéd. ror, tuyau, car le nom
norois du rorqual est reydhr. Le primitif en est raudhr vougQ\ cette espèce
de baleine a été nommée ainsi à cause de sa couleur rougeâtre.
SALORGE.
Amas de sel. « Etym. lat. sal, avec une désinence inexpliquée « Littré.
Oudin, Dict. (pif siècle) traduit salorge par « magazzino di sale. »
Orge est le lat. horreum qui signifie toute espèce de magasin, de dépôt,
non pas seulement grenier. Horreum s'est changé en orge, de même que
cereus en cierge, sororius en ancien fr. serorge, Tiberius en Tiberge, voy.
Diez, Gr., I, 183.
Ajoutons encore, d'après une communication obligeante de M. J. Storm,
que le mot horreum se retrouve dans l'it. or san Michèle, nom d'une
église à Florence, autrefois une grange.
SEMELLE.
« Origine inconnue » Littré. Dans un glossaire rom.-lat. du xv"
1. Sanders (Deutsch. Wôrterb.) l'explique, à tort, par baleine russe.
1 58 s. BUCCt
siècle, publié par Scheler, le mot est écrit sommele. Donc la forme pri-
maire doit en 6tre 'sumella, comp. semondre — lat. submonere, secouer,
secourir.
'Sumella est, selon moi, pour 'subclla, comme samedi pour sabedi —
sabiati dies; *subella me semble le diminutif du lat. suber, liège. D'après
cela la notion originaire de semelle est « petit morceau de liège. »
On sait que déjà les Romains et les Grecs portaient des semelles de
liège, pour paraître plus grands, ou, dans l'hiver, pour la santé. Plin.,
Natur. hist., lib. XVI, cap. 8, 1 5, dit de suber : « usus ejus in hiberno
feminarum calceatu. » Alexis, le poète comique, dans Athénée, 13,
p. 568 B :
Tu-f/iv£t [xixpâ Tiç ouGOL • o€kkoç, iv Taî'ç ^auy.taiv
'EYy.ey.âTTUTau
Le lat. suber est neutre, mais à côté de ce mot un féminin suberies se
trouve dans Festus (p. 294, 317, éd. Mùller;. L'italien a non-seulement
le masculin sughero, mais aussi le féminin sughera, liège. La forme
vieillie fr. semel, pi. semeus (Jahrbuch, VI, 296; a le genre de l'it.
sughero.
Un mot des patois de l'Italie du nord, pour « soulier de bois » :
sœpell, supiell, zipello, etc. (voy. Mussafia, Zur Kunde der nordital. Mun-
darten, p. 47) semble tout différent du fr. semelle. Il en est de même
du romagn. stciafella, pantoufle l'Mussafia, Romagn. Mundart, p. 4$).
Enfin semo, masc, lisière de drap, pantoufle de lisières, dans la Suisse
romande (Bridel) ainsi que semossa, fém., lisière, appartiennent à l'it.
cima, d'où cimozza, lisière,
SOBRIQUET.
« Le sens primitif est coup sous le menton ; puis le sens figuré est
propos railleur, bon mot et surnom « Littré.
Du Gange. V. barba : Le suppliant donna audit M ichiel deux petits coups,
appelez soubzbriquez, des dois delà main soubz le menton (xiV^ siècle). Au
xvi^ siècle on trouve \es ovihographes sotbriquet et soubricjuet. Le composé
soubz-briquet, so-briquet est analogue au fr. sous-barbe, coup sous le
menton, à l'esp. so-papo. L'étymologie du mot en question s'explique,
peut-être, par un synonyme it. sottobécco, coup sous le menton. Un
diminutif*50«ol?ÊCc/!e7/o répondrait complètement au fr. soubzbriquet, lequel
me semble issu d'une forme antérieure *soubzbéquet, proprement : petit
coup sous le bec. Pour l'insertion de l'r, comp. fanfreluche, pimprenelle,
vrille, etc.
L'orthographe sotbriquet est due à un faux rapprochement avec sot.
TILLE.
Hachette des tonneliers, des couvreurs et d'autres artisans. « Origine
ÉTYMOLOGIES FRANÇAISES I 59
inconnue » Littré, Scheler. C'est un mot germanique qui signifie dans
les dialectes de l'Allemagne « petite hache, erminette, hache des tonne-
liers » ou quelque autre instrument pareil : dans les dialectes norvég.
et suéd. teksla, patois anglais thixille, holl. dissei, bas-ail. dessel [Brem.
Wôrterb., I, 201), vieux haut-ail. dehsala (Graff, V, 124;, moy. haut-
ail, mod. dehsel, dihsel,i. (Lexer,I, 416;, haut-ail. moà. dechsel [Qx'xmm^
Deuîsch. Wôrterb., II, 881).
Tille est peut-être modifié pour tîle d'une forme antérieure tisle.
TROENE.
Masc, Ugustrum vulgare. Au xiii« siècle un coutel troine [de troëne], au
xiv^ s. une tronne, au xvF s. troesne, troinelle. « Bas-lat. tronus 'xiii^ s.),
dont l'origine est inconnue ; picard drinniau ; saintong. troûgne » Littré.
La forme originaire doit être trûgïnu-s, qui me semble dérivé d'un
radical trug ou plutôt trugi par l'analogie de plusieurs noms d'arbre for-
més à l'aide du suffixe nus [ï-nu-s) : quercinus, chêne; fraxinus, frêne;
carpinus, charme.
Le radical trugi est, selon moi, d'origine germanique. Vieux haut-ail.
hart-trugil (hart, dur) « sanguinarius arbor, » mod. haut-ail. hartriegel,
cornus sanguinea, aussi Ugustrum pulgare, dans les patois ail. hartredel,
hartreder, hartrœder; voy. Grimm Heyne, Deutsch. Wtb., IV, 2, p. 518.
Suéd. try masc, lonicera xylosteum, aussi Ugustrum vulgare, voy.
Jenssen-Fusch, Nordiske Plantenavne, p. 160, dans les patois suédois
tryg, îryd, voy. Rietz, Svenskt Dialekt-Lexikon, p. 755, où l'auteur y
compare le mot français, le mot ail. et l'ang. trouet; ce dernier m'est
inconnu.
La forme originaire germanique est probablement ?n7^/-j, d'où le dimi-
nutif/n/gi/^-i. Je n'accepte pas l'étymologie donnée par Weigand pour
harttrugil, de l'ail, trog, auge, dira. trugiUn. Rietz y compare, avec plus
de vraisemblance, le grec cpç.
TrUgi me semble issu d'une forme pré-germanique ^n7v/,comp. anglo-
sax. hnîgan = got. hneivan, ail. kragen, cou, collet : sanscr. grlvl, nu-
que, cou, pour garvâ. L'ail, harttrugil, hartriegel est proprement u petit
chêne dur, » nommé ainsi à cause de la dureté du bois. Comp. le com-
posé &uéd. eknas, u cornus sanguinea», qui contient ek, chêne. Le thème
trugi, 'drùbi s'est développé d'un thème dru, gr. cpZ-ç., vieux irland.
daur pour daru, corn, dur (gallois dcriven], à peu près comme le norois
syr, thème sûi, du thème su, gr. j-;. Le diminutif trugil est analogue ù
oipuXXoç • Y) Spij; [>-o Maxsoivwv Hésychius.
VELTE.
Mesure de capacité. On écrivait aussi verte, verle, vergue. « Origine
l6o s. BUCGE
inconnue » Littré, Scheler. Le mot me semble emprunté à l'ail, viertel ou
viertn., holl. viertel, virtel, mesure de capacité, proprement quart, quar-
taût. Dans varlope du holl. voorloop (si l'on doit accepter l'étymologie
donnée par Scheler), veuglaire, nom d'une bouche à feu du xV^ siècle,
du flam. voglieleer, le fr. v représente également un v germanique.
Velte est aussi un instrument qui sert à jauger les tonneaux. Trois mots
différents sont ici peut-être confondus : i" verte ou velte, mesure de capa-
cité, de l'ail, viertel; 2° veigue, instrument qui sert à jauger les tonneaux
= lat. virga, fr. vergue antenne, picard vergue petite gaule, d'où 3" le
diminutif vcrle, selon Scheler --= lat. virgula. Mais comment expliquer la
forme viole (xvir- s.), sorte de jauge?
VRILLE.
Cirre de la vigne, foret. Diez le tire du lat. veru, M. Brachet suppose
également un prototype vericula, Scheler le rapporte à un radical ger-
manique vrig, vric, ou à l'angl. writhe. Mais ce qui écarte toutes ces éty-
mologies, c'est que la forme primitive, comme le dit M. Littré, n'a pas
d'r. On écrivait au xiv^ siècle viille, visle, villette, veillette.
Viille répond précisément au lat. vJtLciila (comp. cheville = lat. clavi-
cula), petite vigne, cirre de la vigne, diminutif de vitis, it. vite, fr. vis. La
même épenthèse plus ou moins récente paraît dans fronde pour fonde,
comme on écrivait encore au xvi' siècle, dans fanfreluche ancien fanfelue
{xuf siècle), dans fringale pour faimvalle, dans gringalet, au xiie siècle
aussi guingalct. La forme vrille avait l'avantage d'une initiale plus expres-
sive pour un mot qui signifie chose tournée, tortue.
Il faut donc accepter comme la signification primaire de vrille <( cirre
de la vigne. «
ANAFAR, portUg.
Lisser, nettoyer. Diez rapporte ce mot sans aucune explication. Il me
semble identique àl'esp. alifar « lisser, aplanir, polir. » Un /est souvent
changé en n, non pas seulement lorsqu'un autre / se trouve dans le mot :
portug. mungir := mulgir; esp. ailagaza, portug. negaça, appeau, selon
Diez peut-être du lat. illex. Va non tonique de la seconde syllabe est
vraisemblablement dû à l'assimilation, comp. esp. aranar = arunar , por-
tug. capatâo = lat. capito.
L'esp. alifar est le lat. allevare. Esp. /= lat. ë, comp. consigo =
secum, ancien esp. venino = venenum; f •= lat. v, comp. ancien esp.
femencia = lat. vehementia, bas-lat. referentia des chartes esp. = lat.
reverentia, portug. safo du lat. salvus, voy. Romania II, p. 291.
ARO, esp. -portug.
Cercle; ancien portug. circuit (d'une ville, d'un village). Diez n'en
ÉTYMOLOGIES ROMANES l6l
donne aucune explication. Aro est peut-être l'ancien lat. anus, voy.
Varron, L. L. VI, 8 : magni dicebantur cirâtes ani. Le mot latin a été
employé par Plaute, Men., I, f , 9, pour un anneau de fer d'une chaîne;
il se trouve aussi dans un glossaire du ixe siècle : anus, anellus, gloss.
Erfurt, p. 260a. Pour le changement de n en r, comp. portug. sarar =
lat. sanare.
Du portug. aneîe on ne pourrait pas conclure à un primitif ^/^o, car ici
un / est peut-être omis, voy. Diez, Gr. \, 205.
ARGINE, it.
M., digue, vénit. drzare ; esp. drcen, marge, parapet. Diez a rattaché
ces mots au lat. agger en supposant une forme arger pour agger. Cette
étymologie ingénieuse est sûrement la vraie, car arger est en effet donné
par Priscien, p. 35 = 5 ^9, P.: arger quoque dicebant [antiqui) pro agger .
CALEFFARE, it.
Aussi galeffare, railler. Diez a cherché une étymologie germanique,
mais sans pouvoir se satisfaire lui-même. Caleffare me semble emprunté
au synonyme grec /Xsuàî^civ : le y passe au c dans les langues romanes :
it. calare = yjxky^), calamandréa=yaymap\jq, etc. Va entre le c et 1'/ est
épenthétique de même que dans calappio, calabrone. L'/y est un endur-
cissement de V, comp. schifare pour scliivare = vieux haut-ail. scluhan ;
ancien it. dolfi pour dolvi = lat. dolui ; biffera, déjà dans un glossaire
latin du ix'' siècle publié par M. Thomas, Munich 1868, bifera = lat.
bivira.
FINO, SINO, ital.
On trouve, avec raison, l'origine de la particule it. fino, infino « tenus, »
ancien it. fine, prov. fis, prov. mod. catal. fuis, bearn. fens, sard. finz-a,
finz-as dans un cas oblique du hx. finis. Une charte italienne de l'an 849
est citée par Diez comme donnant l'exemple le plus ancien de l'usage de
la particule yîfié dans le sens du lat, tenus : fine via publica, de alia fine
fiumen.
Mais fini, précédé d'un ablatif, dans le sens de tenus appartenait déjà
à la latinité archaïque. Plaute, Men. V, 2, 1 16 : osse fini dedolabo assu-
latiin viscera, où Ritschl a changé, à tort, les mots donnés par les ma-
nuscrits ; Caton, R. R. 28, 2 : postea opcrito terra radicibus fini. Comp.
Aulu-Gelle, I, 5, 16 : quatenus quaquc fini dari amicitiae venia debeat ; I,
3, 30 : Itac fini âmes..., hac itidem tenus odcris. Dans les auteurs du temps
classique ^«e dans ce sens est précédé ou suivi d'un génitif. Ovide, Pont.
I, 4, 28 : Qui vix Tliessaliae fine timendus erat, Auctor belli Afric. 85 : per
mare umbilici fine ingressi terram petebant, etc.
Romania., III I I
l62 s. BUGGE
Diez dérive le synonyme it. sino 'comp. ladin sin la fin) du lat. signum.
Cela me parait peu probable. Diez lui-môme ne rapporte pas un seul
exemple où un gn latin, à la syllabe tonique, ait été changé en italien en
n, voy. Gr. 1, 272 ; en tout cas, un tel changement ne peut être fréquent.
Le lat. signum {signo, insignum) ne s'emploie jamais dans un sens ana-
logue à celui de fini = tenus. Le rapport entre sino et fino, considérés
respectivement l'un à l'autre, nous conduit à une autre étymologie. Ces
particules ont le même sens; les combinaisons et les relations en sont,
pour la plupart, les mêmes : infino et insino ; fino a, sino a; fino da,
sino da; finchc, sinqut. Les formes en sont identiques, excepté les lettres
initiales. Serait-il donc impossible que Vs de sino provint de Vf de fino ?
Je ne le crois pas.
F ei s sont des fricatives sourdes formées par les dents de dessus ; la
seule différence entre elles, c'est que le rétrécissement du tube buccal se
fait pour / par les lèvres inférieures, pour s par la langue. La proche
parenté de ces deux sons apparait aussi par le passage de l'un à l'autre
que présentent plusieurs langues.
En gallois et en comique s suivi d'un r a passé à / : gall. firwd
« stream, torrent, « corn, frot « alveus « = irl. sruth « rivus, fluvius. »
En irlandais, au contraire, / surtout avant un r, mais aussi avant une
voyelle, a passé à s : irl. suist = gall. ffust, ht.fustis; irl. srian = gall.
ffnvyn, lat. frenum. Dans les patois suédois f et s passent l'un à l'autre
surtout avant un n. Je démontrerai prochainement ailleurs que le passage
à's en / est fréquent dans les anciennes langues italiques, surtout dans
l'ombrien.
Ce changement phonétique n'est pas étranger aux langues romaries,
mais les exemples n'en sont en général que sporadiques. Le fr. senegré,
catal. sinigrec dérive de faenum graecum, comme l'it. sinodefino;\e
catalan présente aussi sivella, diminutif du lat. fibula, voy. Diez, Gr. I,
285. Au contraire / pour s dans le prov. mod. founfoni pour symfoni (par
assimilation, et dans le prov. sofanar = ancien espagn. sosanar, lat.
subsannare (par dissimilation). Mais dans le patois de la Suisse romande,
dont Bridel a donné un glossaire, le changement est très-fréquent. Le plus
souvent /pour 5 : leinfiu =leinzu, leinça,\mceu\; s'apetanfi = s'apetanci,
manger du pain en proportion de sa pitance ; puffa = pussa, poussière ;
fegogna = segogna, cigogne ; etc. Plus rarement s pour/ : saizche fém.
pi., lies de vin (Montreux), comp. \i. féccia.
L'excellente publication de M. Mussafia, Beitrag zur Kunde der nordita-
lienischen Mundarîen in XV Jahrhunderte, nous fournit des exemples italiens.
Dans l'ile d'Elbe bolfido pour bolsido, it. bolso du lat. pulsus; dans le
dialecte de Trente sbolfinà = sbolsinà, tousser (p. 56). Aussi s pour / :
vénitien cerendégolo l'an 1521, sarandégola (?) dans un glossaire du xv«
ÉTYMOLOGIES ROMANES 165
siècle = padouan frandigolo, fronde p. 97). Des dictionnaires anciens
italiens présentent une forme bisolco à côté de bifôlco du lat. bubulcus.
Après cela, on doit admettre que les sons ne s'opposent pas à l'éty-
mologie que je viens de proposer : sino àefino.
LLECO, esp.
Adj,, non cultivé, en friche, du terrain. « Origine inconnue » Diez.
Lleco est changé de * llueco, comme frente, front, defruente ; fleco, frange,
de flueco ; estera, natte de jonc, de esîuera ; brezo, plante de bruyère, de
bruezo ; serba, sorbe, de suerba.
* Llueco pour "flueco est issu d'une forme originaire *floco; comp.
llama = lat. flamma, ancien esp. .îo//^r = lat. sufflare. Le mot se retrouve
dans l'ancien français floc, friche, lequel est cité dans Du Gange, v.
FRAUSTUM, d'après Guill. Guiart :
François errent tant qu'il viennent
Es fias qui lui appartiennent.
Une forme française plus fréquente et, peut-être, plus originaire est
froc (frou), bas-lat. /rocu5, « terra inculta », lequel se trouve déjà dans
une charte de 1 107, voy. Du Gange.
Le substantif /roco, yZoco est devenu adjectif dans l^esp, lleco; comp.
hondo s\ihst. et adj., puerco subst. et adj,, etc.; voy. Diez, Gr. II,
288 c.
STAMBERGA, it,
Fém., cabane, misérable maison. La finale du mot indique selon
M. Diez qu'il est d'origine germanique. Mais le premier radical stam- lui
est resté inexplicable; il a abandonné, avec raison, la pensée du gotique
stains, pierre, comme inconciliable avec le sens.
Stamberga me semble plutôt identique à l'ancien fr. estamperche, perche
dressée (lat. stans pertica), lequel est cité par Ducange s. v. etarchartea
d'après une charte de l'an 1458 : Un engin ou estoit lié une estamperche.
Le développement du sens n'est que naturel : stamberga, perche
dressée, puis ipars pro toto) cabane qui ne se compose que de perches
dressées let par exemple appuyées contre un rocher).
Quoiqu'en italien pertica non composé ait gardé la forme latine, il
semble peu surprenant que dans la composition, l'origine étant oubliée,
le mot se soit modifié. Gette modification s'est peut-être effectuée sous
l'influence du mot albergo. L'italien présente souvent /' pour le p du lat.
(bolso, befania, bottega, etc.). Littré également rattache le fr. goberge ù
écoperche.
SophuS BUGGE.
Christiania.
LE FONTI DEL NOVELLINO
TESTO GUALTERUZZl.
NOVELLA m.
D'ii/2 savio greco che uno re teneva in prigione corne giudico d' uno des-
iriero.
Un greco giudica che un cavallo fu nudrito a latte d'asina dal vedergli
tenere le orecchie chiniite : che una pietra prezioza ha un verme dentro
perché è calda, anzichè fredda corne naturalmente dovrebbe essere, e
che finalmente il re,al quale ha dato siffatte prove di recondita sapienza,
è figlio di un panattiere, perché in rimerito gli ha dato un mezzo pane
per giorno, laddove se fosse stato vero figlio di re, avrebbegli dovuto dare
in dono almeno una nobile città.
È con lievi variazioni la ÎI del Testo B., e, molto più svolta, la X del P.
Il racconto è di origine orientale, e corne osservo già il Dunlop,
Gesch. d. Prosadichî. ûh. v. Liebrecht (Berlin, Mùller, 185 i,p.2i2),
si ritrova nella Novella dei tre figli del Sultano di Yemen, e meglio in
quella dei Treavventurieri e del Sultano ,trâdona. dallo Scott {Taies, etc.
transi from the arab. and pers.]. Vedilo anche nella traduzione tedesca
délie Mille e una notte di Habicht e Von der Hagen (nott. 458^ e
nelle Mille et une nuits (ediz. Loiseleur-Deslongchamps, Paris,
Panthéon littér., 1841, p. 689-94). Nella Vita di Virgilio di Donato
questo aneddoto é appropriato al gran poeta latino ; ma corne osserva
il Prof. C0MPARETTI ÇVirgilio nel M. Eve, Livorno, 1872, II, 141)
non trovasi nei manoscritti di Donato anteriori al sec. XV, sicchè
debbe ritenersi per interpolazione posteriore. È anche nel libro spa-
gnolo de los enxemplos, n° CCXLVII (in Gayangos, Escritores en prosa
anter. al siglo XV, Madrid, Rivadeneyra, 1860, p. 5o8)che l'editore
aggiudica al secolo decimoterzo. Si trova anche in greco moderno
nella Histoire de Ptocholéon, publ. par E. Legrand (n° 19 délia
1. Voy. Romania, t. II, p. 285 ss.
LE FONTI DEL NOVELLINO 165
Collection des monuments pour servir à l'étude de la langue néo-helleni-
que). Per altri raffronti, vedi Dunlop, op. cit., p. 487, not. 282.
È la terza délie Cinque novelle antiche inédite, pubbl. da G. Papanti
per nozze d'Ancona-Nissim (Livorno_, Vigo, 1851), traendole da
prediche anonime del sec. XV.
NOVELLA IV.
Corne nno giullare si compianse dinanzi ad Alessandro d'un cavalière al
quale elli avea donato, per intenzione che 'l cavalière li donerebbe ciàche Ales-
sandro H donasse.
Un povero cavalière andando al campo di Alessandro che assediava
Gadre (Cadres = Gaza) trova per via un giocolare bene in arnese, e riceve
da lui armi e cavallo col patto che gli darebbe in cambio ciô che avesse
dalla liberalità di Alessandro. Questi gli dà il possesso délia vinta città;
ma il cavalière chiede invece oro, argento 0 robe, e ottiene due miia
marchi. Il giullare si richiama di lui innanzi Alessandro, e il cavalière si
difende dicendo di aver chiesto ciô che meglio si confaceva alla condi-
zione del suo creditore : e Alessandro e i baroni lo prosciolgono, com-
mendandolo di gran sapienza.
Con leggere varianti è la III B.
H Favre (Recherches sur les hist. fabul. d'Alexandre in Mélang.
d'hist. littér. Genève, 1856, II, 122) dice che il racconto sembra
esser preso dai trovatori, ma realmente il fatto trovasi narrato nel
poema francese di Lambert le Tort e Alexandre de Bernay
(ediz. Michelant, Stuttgart, 1846, p. 222), salvochè il cavalière
non chiede per il giullare, ma per se, rinunziando al dono délia
città perché gli costerebbe troppo fatica il difenderla.
NOVELLA VI.
Corne a David re venne in pensero di volere sapere quanti fussero i sud-
diti suoi.
A Dio spiace quest' atto di vanagloria di David, e gli manda l'angelo
suo, perché in pena del suo peccato scelga 0 di stare tre anni in inferno,
0 tre mesi nelle mani dei suoi nemici, 0 starsi al giudicio del Signore.
Egli sceglie quest' ultimo partito, e Dio manda la morîa nel popolo d'
Israele, sicché scema il gran numéro di sudditi onde il re si gloriù. Un
giorno che David s'incontra coll' angelo sterminatore, prega Dio che
colpisca lui solo colpevole, e allora il Signore gli perdona.
La fonte sarebbe il secondo libro dei Re, cap. XXIV, se non che
ivi invece dell' angelo é il Profeta Gad che dû a David la scelta fra
sette anni di carestia, tre mesi di fuga alcospetto degli avversarj che
lo inseguano, e tre giorni di pestilcn/.a : ma David si rimette nelle
mani del Signore, che manda 1' ultimo nagello. Il reste concorda.
i66 A. d'ancona
NOVELLA Vil.
Qui conta corne VAngelo parla a Salamone e disse che torrebbe Domeneddio
il reame al figliuolo per li suoi peccati.
Si narra corne Dio voile punire Salomone togliendo la successione a
Roboamo, e corne qucsli, dopo consigliato otiimamenie dai seniori,
seguisse invece il consiglio dei giovani incauti, e cosi perdesse la più gran
parle del reame.
Ciô leggesi nel lib. III dei Re, cap. XI-XII.
NOVELLA VllI.
Conie un figliuolo di un re dono a un re di Siria scacciato.
Un giovane principe dà tutto il suo tesoro a un re di Siria il quale si
aveva saputo fare per sua follia che isudditil'avevano scacciato. Interro-
gato del perché ciô avesse fallo, risponde alpadre che doveva gratitudine
a colui, per avergli insegnato tanto che i futuri sudditi proprinon cacce-
ranno lui.
Con poche variazioni è la VII. B.
Il DuNLOP 'op. cit., p. 2 1 2) trova da raffrontare questa novella
con quella dei Gesta Romanorum (p. 82, ediz. Oesterley,, ma il
LiEBRECHT (nota 283) a ragione non vi trova nessuna rassomiglianza.
Piuttosto potrebbe dirsi che avesse qualche analogia coU' altra dello
stesso Hbroalcap. 74 (ediz. Keller; ediz. Swan, I, 257; ediz. Mad-
den, p. 496; Violier, p. 182).
NOVELLA IX.
Qaï si diîermina una quistione e sentenzia che fu data in Alessandria.
Un poveretto di Alessandria non avendo altro cibo che un pezzo di
pane, lo mette sul fume che esce dalle vivande del cuoco Fabrac, il
quale vorrebbe fargli pagare ciô che gli ha preso. Vanno innanzi al
Soldano, che dopo gran disputa fra i suoi savj, sentenzia che il cuoco si
contenti del semplice suono di una moneta, e questo riceva in paga-
mento.
Con leggerissime variazioni è la VIII B.
Molti raconti si trovano simili a questo ^ come quello délia musica
pagata a suon di parole {Les Avadânas, Contes et apologues indiens,
trad. St. Julien, Paris, Duprat, 1859; I, 108): quello del prezzo
accordato alla cortigiana Tonide contro un giovine che l'aveva
goduta in sogno (Plutarco, ediz, Reiske, V, 49, VI, i$o, VII,
518, etc., etc.). Un racconto simile al nostro trovasi nel Pauli,
Schimpf und Ernst (ediz. Oesterley, Stuttgart, 1866, no 48), e aile
abbondanti citazioni dell'editore a p. 478 aggiungasi anche la cita-
zione di Rabelais, III, cap. ]6.
LE FONTI DEL NOVELLINO 167
NOVELLA X.
Qui conta d'una bella sentenzia che die lo schiavo di Bari tra uno borghese
et un pellegrino.
Un barese partendo in romeaggio, lascia trecento bisanti ad un amico,
dicendogli che se non tornerà, li spenda a suo modo, ma se tornerà,
gliene darà quello che vorrà. Ritorna infatti e chiede il suo : ma l'altro
gli dà solo dieci bisanti e ritiene i dugentonovanta. Vanno innanzi allô
schiavo di Bari che sentenzia cosî : poichè il patto fu che tu rendessi
ciô che vorrai, e tu vuoi ritenere i dugentonovanta ducati, questi resti-
tuirai, e avrai per te i dieci che non volevi.
Il Prof. Wesselofsky Qntorno ad alcuni testi nei dialetti deW alta
Italia, in Propugnatore, V 590) vorrebbe trovar in questo racconto
la prima e più sempHce forma di una narrazionedelciclo salomonico,
che potrebbe nominarsi de furîo, la quale poi ebbe a mischiarsi
« con altro ciclo leggendario di indole buddistica. » Egli cita in propo-
sito le notizie raccolte nel proprio libro / racconti slavi di Salomone e
Centauro e le leggende Europee intorno a Morolfo e Merlino (Pietro-
burgo, 1872, in russo, p. 60-97), nonchè il Panîschatantra di Ben-
FEY, I, ^93-404. Ma realmente ai luoghi citati si menzionano novelle
di sentenze e giudizj in favore del debole oppresso, ma non vi ha
nuUa che proprio ricordi la nostra novella.
NOVELLA XII.
Qui conta deW onore che Aminadab fece al Re Da\id suo naiurale signore.
Aminadab siniscalco di David sta per prendere una città dei Filistei,
ma per fare onore al suo re, fingendo che il campo si rubellasse, lo
manda a chiamare, sicchè sia suo tutto 1' onore délia vittoria.
La fonte è la Bibbia, ma anqhe qui citata non senza errore : dacchè
nel II deiRE cap. XII si legge il fatto appropriato a Joab combattente
contro gli Ammoniti.
NOVELLA XIV.
Corne uno re fece nodrire uno suo figUuolo dieci anni in luogo tencbroso,
e poi li mostro tutte le cose, e più li piacque le femmine.
Un principe viene fin dalla nascita tenuto riuchiuso : quando, compiuti
i dieci anni, puô uscire e gli si mostrano tutte le cose più belle, le donne
gli piacciono sopra tutte, quantunque gli si dica che sono demonj.
Con lieve varianti èla XIII B. e più ampiamente svoIta,laXIX P.
Ê questo il notissimo episodio del Romanzo di BarLuini c Josafat
che nella versione italianapubblicata dal Bottari (Roma, Mordacchini,
1816) leggesi apag. 104. Il Du Mkril (Hist. Pocs.Scandin.yp. 348)
trova una rassomiglianza,non disdetta neppuredal Liebrecht (Fort/t
del Barlaam e Josafat, in D' Ancona, Sacre rappresentazioni, Firenze,
i68 A. d'ancona
Le Monnier, 1872, II, 161) tra questo racconto e un episodio del
Ramayana. Il vero è che ivi il romito indiano Riscyasringo che non
ha mai visto donne, prende quelle che vengono a sedurlo, non per
demoni, 0 paperi, corne è nel Boccaccio (Decam., Introd. Giorn. IV)
ma per « anacoreti con occhi sfavillanti... simili a cosa sopraumana
(trad. GoRRESio, Milano, 1869, I. 55)". La novella trovasi anche
nelle Latin Stories di Wright (London, 1842, ai n'' ?, e 78). Aile
citazioni già faite in questo proposito dallo Schmidt (Beitr. z. Gesch.
d. romant. Pocs., Berlin, 1818, p. 27), dal Dunlop-Liebrecht
(oper. cit., p. 230, 462;, dal Von der Hagen (Gesammtahenl.,
Stuttgart, 1850, II, VII), dal Landau (DieQuell.d. Decamer., 'Wïen,
Prandel, 1869, p. 70), aggiungansi anche quelle del Fior di Virtà
(ne! Zambrini, Libro di Novelle, Bologna, Romagnoli, 1868, p. 49),
e del Libro de los Enxemplos, n° CCXXXI. Prima del La Fontaine
aveva narrato l'aneddoto in poesia francese Martin Franc, morto
nel 1460 (v. C. d'I... Bibliograph. de ramour, des femmes, etc., Paris,
Gay, 1864, col. 97). Stretta affinità con questo racconto ha ciô che
si contiene nel cap. CCXXXIII, délie VitedeiSS. Padri, p. III.
novella XV.
Corne uno rettore di terra fece cavare un occhio a se, et uno al figUuolo
per osser\'are giustizia.
Il rettore di una terra ordina che si cavino gli occhi agli adulteri.
Cade in questo peccato il figliuol suo : il popolo grida misericordia pel
delinquente ; il rettore volendo insienie esser giusto e pietoso_, orba se di
un occhio e dell' altro il figlio.
Con lievi varianti è la XIV B.
L'aneddoto è narrato in Cicérone {Deleg., 11,6), in Eliano {XIII,
24), in Valerio Massimo (VI, 5), donde passô ai Gesta Romanor. 'éd.
Keller, c. 50; Swan, I, 169; Violier, c. XLIX). Vi accenna anche
il Cessole (Volgarizz. del Giuoco degli scacchi, Milano_, 1829, p. ]0}.
Vedi le annotazioni dell' Oesterley ai Gesta (p. 720, n° 50).
novella XVI.
Quï conta délia gran misericordia che fece S. Paolino yesco\o.
S. Paolino nulla potendo dare ad una madré che ha prigione il figlio,
si costituisce prigione egli stesso, e libéra il figlio délia povera donna.
Il fatto è narrato in S. Gregorio. Dialog., III, 1. Si trova anche
in antico francese nel cod. Bernenseanalizzato dal Prof. ToBLER(J(îr//t.
/. roman, liîerat., VII, 415).
novella XVII.
Délia grande limosinâ che fece uno tavoliere per Dio.
LE FONTI DEL NOVELLINO 1 69
Piero tavoliere dà lutto ai poveri, poi vende se stesso e distribuisce il
prezzo pur ai poveri.
Il fatto di questo Piero, telonario, cioè banchiere, è più ampia-
mente narrato neîle Vite dei SS. PP., libro IV, c XIX. Forma anche
il soggetto délia LVI^ délie Rime genovesi dei sec. XIU-XIV, pubbl. da
Nice. Lagomaggiore (Archiv. gloîtologico Ital. II, 239).
NOVELLA XXI.
Corne trc maestri di nigromanzia vennero alla corte deW imperador
Federigo.
Tre negromanti alla corte dell' imperadore Federigo fanno con loro
incantamenti turbare il tempo : poi chiedono per guiderdone che loro si
concéda il Conte Bonifazio per ajutarli contro i nemici. Questi va
con loro : viaggiano gran tempo, combattono aspra guerra : egli prende
moglie, ne ha figli, ed il maggiore ha già quarant' anni quando i negro-
manti propongono al conte di tornare a vedere l'imperadore. Vanno, e
trovano che Federigo e i suoi, che supponevano invecchiatiomorti,sono
al medesimo punto dei pranzo di quando al Conte parve partirsene coi ne-
gromanti.
Con lievi varianti è la XX B.
L'avventura rammenta ciô che la tradizione musulmana racconta
dei rapimento di Maometto ai sette cieli, al Paradiso ed ail' Infemo,
quando il profeta ebbe novantamila conferenze col Signore, e pur
compi tutto questo si presto che, tornando al suo letto, lo trovô
ancor caldo, anzi non ancora interamente sparsa l'acqua di un vaso,
versatasi quando Gabriello lev6 seco Maometto ved. Reinaud, Monu-
ments, etc., II, 851. Un incantesimo simile a quello qui riferito tro-
vasi nelle Novelle Turchc tradotte da Petis de la Croix {Mille et un
jours, ed. Loiseleur, p. 306, e Quaranta Visiri, trad. Bernauer,
Leipzig, 1851, p. 16), col titolo di 5/or/a ^^//o Sc/j^//: Schchabbeddin.
Vedi anche il cap. XIII dei Condc Lucanor (ed. Keller, p. 861 ove
gran spazio di anni sembra volgersi per incantesimo, nel tempo che
realmente corre fra l'apprestamento e la cottura di due pernici. Si puô
qui ricordare anche il racconto che trovasi nel Mcshal Ihi-Qadmoni
(s. 1. ma di Gersone Soncino ai primi dei sec. XVI, p. 406-56I, di
ISACCO figlio di Salomone Ibn Sahula (n. 1204? m. 1259 0 1268)
tradotto dallo Steinschneider nella Manna (Berlin, Rosenberg,
1847, p. 20 e segg.l. Un giovane di Gerusalemme, già addottrinato
in varie scienze, s'accende dei desiderio d'imparar lamagia. Recatosi
a questo fme in Egitto, riceve ospitalitù da un vecchio dei paese, cui
fa manifeste le sue intenzioni. Questi gli si offre maestro, ma il giovane
non sa prestargli intera fede, e per coprire la sua incredulità dice di
170 A. D'aNCONA
voler rivolgersi ad un giovane, e cosi scemar fatica a lui grave di
anni. L'altro, volcndo correggerlo délia sua incredulità, gli dà da bere
e lo licenzia. Il giovane va fuori e cade in una cisterna donde non
puô uscire che al mattino di poi, entra in un bel giardino, passa un
ponte, trova una città, dà agli abitanti varie prove del suo sapere, e
da ciô viene in tanta estimazione, che gli è data in sposa la figlia del
re. Ne ha un figlio che un giorno cade in una cisterna anche egli, e
mentre ei ne va in cerca, gli riapparisce il vecchio a chiarirlo che
tutti i casi occorsigli sono effetti di magica illusione, e il lungo spazio
di tempo esser stato un solo istante. Confronta anche la storia di Kandu
tradotta dall' indiano nel Journal asiatiq. I, ?. Altre versioni di questo
tema sono indicate dal Puymaigre, Les vieux aut. castill. Paris, Didier,
1862, II, 36), dal Keller lEinleit. a\ Roman des Sept Sages,]). CLVIl,
e dal DuNLOP-LiEBRECHT p. 545 che riferisce la leggenda di un
abbate Fulgenzio il quale mentre meditava il senso délie parole del salmo
89 : Mille anni ante oculos tiios tanicjuam dies hesterna quae praetcriit fu
tratto in una selva vicina dal canto di un uccello, e credè di starvi
pochi istanti, ma poi si avvide che erano passati ben trecento anni.
Vedi anche un artic. del Kôhler nella Germania di Pfeiffer 'II, 432),
e Hertz (Deutsch. Sage in Elsass, Stuttgart, Kroner, 1872, p. 263
e segg.), che sono ricchissimi in indicazioni di leggende e novelle popo-
lari, ove gli anni scorrono corne minutieviceversa. Giovanni daPrato
amplificô nel suo romanzo questo racconto del Novellino • v. // Paradiso
degli Alberti, éd. Wesselofsky, Bologna, Romagnoli, vol. I, part. II,
pag. 263, e vol. II, p. 180).
NOVELLA XXIV.
Corne lo Imperadore Federigo fece una quistione a due savj e corne li gui-
dardonà.
L'imperatore stando fra mezzo ai giureconsulti Bolgaroe M. (Martino)
dimanda loro se ei puô tôrre ad un suddito suo per dare a un altro, e se
la legge ammette che ciô che place al signore debba essere osservato dai
sudditi. L' uno risponde che si, l'altro lo nega, e vuol la legge superiore
alla volontà del principe. Al primo, Federigo dona cappello scarlatto e
bianco palafreno, ail' altro potestà di fare una legge. Quistionandosi chi
fosse stato meglio rimunerato, si conchiude che il primo fu trattato come
un giullare, l'altro come uomo giusto.
Quîpajono confusi due fatti, due dimande che la tradizione assevera
fatte da Federigo ai dottori italiani. Ottavio Morena [Hist. Liuden.
in R. Ital. Script. VI, 1118) racconta che l'imperatore dimandô a
Bolgaro e Martino se fosse padrone del mondo, e poichè il primo
ebbe il premio di un cavallo per aver risposto che si, Bolgaro disse :
LE FONTl DEL NOVELLINO I7I
Amisi equum quia dixi aeqiium, quod non fuit aequum, 0 corne vuole il
Saliceto {In cod., L. 3, VII, 37) : Bulgarus dixit aequum, sed Martinus
habuit equum. Il Bellapertica (In cod., 1. 3, 345) concorda quanto
al donato e al non donato col Novellino e col Morena. L' aneddoto
è raccontato anche da Odofredo (in Dig. vet., 1. 3, H, i), ma a pro-
posito dell' altra dimanda, a chi, cioè, appartenesse il merum impe-
rium, e fa che gli interrogati sieno Lotario che risponde : a voi solo,
e Azo che risponde : a voi e ai giudici, sicchè il primo ebbe in dono un
cavallo : e a ciô alludendo Azo dice {Summ. codicis, tit. de jurisdict.,
III, 13): licet ab hoc amiserim equum, sed non fuit aequum. Il Savigny
(St. del diritto romano nel M. Evo, Firenze, Batelli, 1844, vol. II,
part. II, p. 47), da cui togliamo queste notizie, non ricorda punto
il dritto concesso di fare una legge dato ail' uno dei dottori, ne la
questione su chi fosse meglio rimunerato dei due.
NOVELLA XXV.
Corne il Soldano dono ad uno dugento marchi, e corne il tesoriere li scrisse,
veggente lui, ad uscita.
Raccontasi nell' ultima parte di questa novella corne il Saladino si
scandalezzasse veggendo che nel campo cristiano i poveri, amici del Si-
gnore, mangiassero umilmente in terra.
Con qualche maggiore svolgimento è la XXIV B.
Questo stesso fatto irovasinella Cronica di Turpino, cap. 14, appro-
priato ad Agolante (v. Dunlop, op. cit., p. 1 17 e 476,, e G. Paris,
Hist. poèt. de Charlem., Paris, Franck,, 1865, p. 501), e nel Poema
di Anseïs de Carthagea Marsilio (v. Gautier, Epop. franc., II, 475).
S. PiER Damianû (XI, I , lo appropria a un re Saraceno prigione di
Carlomagno (v. Paris, op. cit., p. 291). Nelle Enfances Godefroi {w°
4830 e seg.) il re Cornumarano rifiuta di farsi battezzare osservando,
tra le altre cose meno rette, che i cristiani danno ai poveri i rilievi
che meglio dovrebbero gettarsi ai cani {Hist. litt. de la Fr. , XXV, 518).
Lo racconta anche il Sacchetti nelle Novclle, CXXV, e nei Sermoni
evangelici (riprodotto anche in Zambrini, Libro di Novelle, n<^ LXXX).
Il Parenti nelle sue annotazioni ricorda opportunamentea proposito
di questa novella il cap. II, v. 2-6, dell' Epistola cattolica di S. Ja-
copû. Sulla venuta di Saladino in Europa per osservare i cosiumi
dei Cristiani, vedi Boccaccio, X, 9, Conde Lucanor, c. 12, 1' His-
toire de Jehan d'A\ennes (in Mél. d'une grande bibl. E., p. 2i3),e
VAvvcnturoso Ciciliano (ediz. Nott, p. 350). V. anche la Lcttcra II
del Lami xiQW Appendice a\ Manni (Milano, 1820, p. 14 e seg.).
NOVELLA XXVIII.
Qui conta délia costuma che era nello reamc di Francia.
172 A. D'aNCONA
Era vitupero in Francia a chi andasse in sul carro; ma dal giorno che
Lancillotto, forsennato per amor di Ginevra, si fece tirare sul carro per
molti luoglii, ciô non fu più tenuto ad obbrobrio. Se l'esempio di Lan-
cillotto valse a mutare un inveterato costume, perché l'esempio di Cesù
Cristo non dovrebbe valere a perdonare le offese ?
Con diversa moralità è la XXVII B.
Si direbbe che la novella, specialmente per la moralità, che le è
aggiunta, fosse iratta dal un qualche libro di esempj ascetici, simiie
ai Gesta Romanorum. Del resto, sull' avventura di Lancellotto, vedi
il poema di Cristiano di Troyes, Lancelot ou la Charette{edh. Tarbé
ne' Poct. champen., Reims, 1849, e ediz. Jonckbloet, La Haye,
1850), nonchè Keller^ Romvart (Mannheim, Bassermann, 1844,
P- 453-$>2).
NOVELLA XXXI.
Qm conta d' uno novellatore di Messer Azzolino.
Il favolatore di Ezelino non avendo vogiia di novellare, ma di dormire,
e pur dovendo obbedire al suo signore, racconta come un contadino
andô a mercato a comprare pécore, e tornandosene a casa trovô gonfio
un fiume, che non potevasi passare sopra piccola barchetta se non con
una pecora alla volta. Il novellatore qui si ferma, perché a far passare
a quel modo tutte le pécore ci vuole almeno un anno, e frattanto puô
a tutt' agio dormire.
Con lievissime varianti è la XXX B.
L'avventura trovasi già raccontata da Pietro Alfonso nella
Disciplina clericalis (ediz. Schmidt, p. 50 e 128; ediz. Labouderie,
p. 70; Castoiement d'un père à son fils, ediz. des Bibliophiles, 1824,
p. 58; ediz. Barbazan-Méon, Paris, Crapelet, 1808, II, 89; Le
Grand d'Aussy, Fabliaux, Renouard, 1829, I, 269). Piij tardi la
riferî anche Cervantes nel Don Quixote, I, 20, e prima di lui 1'
autore del Libro de los enxenplos, n'^ LXXXV (ediz. cit., p. 467). Per
altri raffronti con versioni letterarie e popolari vedi Grimm, K. u. H.
M^Vc/k (Gôttingen, 1856,111, 14$), Me\er, Deutsche Volksmàrch. ans
Schwaben (Stuttgart, Schober), n» 90, e Frischbier, Prussisch.
Volksreime (BerYm, Enslin, 1870, p. SS].
NOVELLA XLII.
Qui conta bellissima novella di Guglielmo di Bergdam diProvenza.
Accusato di dir maie délie donne, Guglielmo è circuito dalla regina e
dalle sue dame, e minacciato di mala morte con colpi di bastone. Fin-
gendo di rassegnarsi al suo destino, chiede una grazia, ed essendogli
concesso di dimandarla, prega che la prima a dargli sia la più disonesta.
Le donne si guardano l'una coU'altra, ed egli salva la vita con questa astuzia.
LE FONTI DEL NOVELLINO ly^
Il fatto è appropriato, oltrecheal Berguedam(ved. Lieder Guillelms
von Berguedam, hgg. von A. Keller, 1849, p. 4; Mila y Fontanals,
De los Trovador. en Espana, p. 283), anche ad altri, corne a Giovanni
di Meung 'Fauchet, II, 126), al Gonnella (Facezie del Gonnella,
ediz. Passano, Genova, 1868, p. 17;, al Marot 'Contes du sieur d'Ou-
ville), a Bertoldo, ecc, corne nota anche il Dunlop (op. cit.
p. 213). Trovasi anche nel Livre du Chevalier de la Tour Landry
(ediz. Montaiglon, Paris, Jannet, 1854, cap. XXIV). Nel Lai
d'Ignaurès, il cavalière di questo nome, minacciato da parecchie
donne, chiede di essere ucciso da quella che più l'abbia amato
(Le Grand d'Aussy, Fabl. IV, 162).
NOVELLA XLVI.
Qui conta corne Narcis s'innamord deW ombra sua.
È la nota favola di Narciso al fonte.
Con lievi varianti è la XLIII B. e ampiamente svolta, la XI P.
È superfluo rinviare aile fonti classiche. Puô perô notarsi che il
carattere cavalleresco, questa mitologica narrazione 1' ha già nel
Lai de Narcisse (Le Grand, Fabl. I, 258 : Barbazan-Méon, IV, 145),
e nelle tre versioni italiane del Novellino, in quella pubblicata dal
Papanti in aggiunta al Cat. del Novellieri (Livorno, Vigo, 1871,
p. XXIj più che nelle altre due.
NOVELLA XLVIII
Qui conta del re Currado padre di Curradino.
Il re Currado è allevato con dodici giovani suoi coetanei, e i maestri,
quando egli commette qualche fallo, battono non lui mai compagni,ond'
egli per pietà di loro si guarda dal cadere in errore.
Con lievissime varianti è la XLV B.
Senza il nome di Currado questa novella si trova nell' Ysopet primo,
pubblicato dal Robert {Fables inédites, Paris, Cabin, 182^, 11,492)
che cita anche il Fedro del Perotto in" XI), il Romolo (n^ LI), il
Galfredo (n"LI). In italiano trovasi nell' Esopo pubblicato dal Ghi-
vizzani (Bol. Romagnoli, 1866, II, p. 1241.
novella li.
Qui conta d' una guasca corne si richiamo allô re di Cipri.
Una donna che non sa come sopportare un torto che le è fatto, va al
Re, uso a sopportare dieci mila disonori senza risentirsene, acciocchè
egli le apprenda come portar pazienza del suo. Il Re, vergognandosi,
comincia a vendicarsi de' suoi offensori.
È taie quale la XLVIII B. e con lievi varietà, la XXXIII P.
Ripeterà qui la nota che apposi alla Novella XIX di Giovanni
174 A. d'ancona
Sf.rcambi (Bologna, Romagnoli, 1871, p. 290). È il racconto che
irovasi anche nel Boccaccio (Giorn. I, nov. 9). Nel Sercambi trat-
tasi ciel F-le Sparaleone di Poriogallo ; il Novellino e il Boccaccio
concordano fra loro.
NOVELLA LU.
D' ma campana che si ordino al tempo del re Giovanni.
Il re Giovanni di Atri ordina che sia messa un campana, la quale
potesse esser suonata da chi gli chiedesse ragione di torti ricevuti ; la
fune dopo qualche tempo si logora, ed è sostituita da una vitalba. Un
vecchio cavallo è cacciato dall' ingrato padrone, che non vuol più man-
tenerlo. Avendo famé e giungendo alla campana, mangia la vitalba e la
campana suona. Si aduna il consiglio del re, e ritenuto che il vecchio
destriero chieda ragione contra l'avaro signore, si condanna costui a
pascerlo, in rimerito dei servigi resigli da giovane.
Con varianti lievissime è la XLIX B. e con maggiori svolgimenti,
la XVII P.
Un fatto consimile è raccontato di Carlo Magno : ma chi suona la
campana è una vipera, nel cui nido e suUe cui uova si è posto un
rospo. Vedilo narrato in Grimm, Deutsche Sagen (trad. franc, del
Du Theil, II, 155), in Von der Hagen, Gesammtab. (II, 655, III,
CLXIII-V) e nei Gesîa Romanor. (ediz. Grasse, p. ^4$ ; ed. Oester-
ley, c. 105 ; vedi quest' ultimo a p. 728 per le fonti;.
NOVELLA LUI.
Qui conta d' una grazia che lo imperadore fece a un suo harone.
Un imperadore concède a un suo barone di far pagare un danaro a
qualunque uomo magagnato passasse da una sua terra. Si présenta un
zoppo che nega di pagare, e si azzuffa col gabelliere : ma levando le
mani, scopre di esser monco ; sicchè è richiesto di due danari. Segue a
negare e contrastare, ma cadendogli intanto la berretta di capo, fa
conoscere di essere orbo, onde è richiesto di tre danari. Si accapiglia
col gabelliere, e mostra di esser tignoso, onde è costretto di pagare
quattro danari, quando con un solo avrebbe potuto passar oltre.
È anche la L del B.
La novella è nella Disciplina Clericalis fediz. Schmidt, p. 45 ; ediz.
La Bouderie, p. 49; Castoiement, ediz. Biblioph. franc., p. 39;
ediz. Barbazan-Méon, II, 75, Le Grand, Fabl. III, 223). È nei
Gesta Romanor. ^cap. 157), ma manca al Violier. Per altre indica-
zioni, vedi lo Schmidt, p. 121, aile quali si aggiunga il Libro de los
enxempL, n° XIII, nonchè gli altri citati dall'OESTgRLEY, p. 738.
NOVELLA LIV.
Qui conta come il piovano Porcellino fu accusato.
LE FONTl DEL NOVELLINO ly^
Il piovano Porcellino è accusato dal vescovo Mangiadori di lasciarsi
sedurre dalle donne : ma sul punto di esser gastigato, sa che il vescovo
deve ricevere in caméra una amica. Si appiatta sotto il letto, e a un date
momento, esce fuori ; il vescovo gli perdona per forza.
Cfr. col Fabliau francese intitolato da Le Grand Fabl. III, 126) :
De l'évêque qui bénit sa maîtresse, e da Wright {Anecdot. Uteraria,
London, 1844) ; The Bisliop and the priest, e analizzato dal Le Clerc
nella Hist. liîter. de la France, XXIII, 135.
novella lix.
Qui conta d' uno gentiluomo che lo imperadore fece impendere.
È la LVI B.
È la notissima novella délia Matrona d'Ejeso (Petron. Satyr. XXV),
che sebbene abbia qualche rassomiglianza colla novella chinese di
Tchou-ang-îseu e la matrona di Soung (ved. Mille et un jours, ediz. Loi-
seleur-Deslong., p. 695), è pero ritenuta di greca origine : anzi il
Rémusat {Contes chinois, III, 14^) traducendola dal Chinese, la
crede imitata dalle favole efesie, penetrate forse fmo in Cina, e aile
quali probabilmente ebbe ricorso anche Petronio, seconde opina il
Dacier {Examen de Phist. de la matr. d'Eph. in Mémoires de TAcad. des
Inscript., XLI). Altri ritengono più probabile l'origine orientale, fra'
quali è da riporsi anche il dottissimo Benfey (Pantschaî. I, 460).
Nel Medio Evo la troviamo nel Policrati-cus di Giovanni Salisbu-
riense (VII, II), non che nelle coUezioni di favole esopiane
(Phaedr., ediz. Jannelli, I, 14; Romulus, ediz. Oesterley, p. 69),
e nelle varie versioni délia Hist. Septem Sapientum (vedi Mussafia,
Beitr. z. literat. d. sieb. weis. meist., p, 90; Loiseleur-Deslong.,
Essai, etc., Techener, 1838, p. 161; Keller, Roman des Sept
Sages, Einleit,, Tùbing., 1836, p. CLIX, e Pyocletianus Leben, Qued-
linb.. 1841, p. 49). Di qui passô aile varie traduzioni del Romanzo
dei Sette Savj (vedi pel Francese il Romanzo in prosa, Paris, Teche-
ner, 1838, p, 80; e quello in versi, ediz. Keller, p. 143; per Tin-
glese, la cit. Introduz. del Keller, p. LXXXIX; pel tedesco, la
ediz. di Marbach, p. 85 ; per l'armeno, la nov. XIV). In Italiano si
trova a pag. 66, del Libro dei Sette Savj da me pubblicato (Pisa,
Nistri, 1864, p. 34), nel testo pubblicato dal Cappelli (Bologna,
Romagnoli, p. 34), e nella Sioria d'una crudcl matrigna (Bologna,
Romagnoli, pag. 41). Independentemente dal libro dei Sette Savj, si
trova in latino, nelle Latin stories di Wright (p, 1 56, 297) : in ebraico,
nelle Parabolae vulpium Rabbi Barachiae NiRDANi(Pragae, MDCLXI,
p. 293); in tedesco, nei Beispiele di Boner, p. 59 ; in francese, oltre
che in Saint-Evremond (I, 236) e in Lafontaine, in Marie de
176 A. d'ancona
France (éd. Roquefort, 1820, II, 171), in Eustace Deschamps,
nell' YsoPET (Robert, Fabl. inédit., Paris, Cabin, 1825, H, 4J1),
e nei Fabliaux di Harbazan-Méon, III, 462. Per altre indicazioni,
vedi il Robert (loco cit.), e il Dunlop 'p. 41, 522). In Italiano
trovasi nell' Esopo senese, n'^ XLIX, nel Riccardiano, n'^ XXXI, nel
lucchese, n» XXXI, e in quello del Ghivizzani, n'^ XLIII, non che
nell' Accio Zucco, n" 49, e nei Tuppo, n" 49. Corne novella trovasi
in quelle del Sercambi (Bologna, Romagnoli, 1871, p. 136,, e in
quelle degli Incogniti, nov. II. Per altre versioni in verso 0 in prosa,
vedi Passano, Novellieri in prosa, p. 263, Novellieri in versi, p. 4,
273. H Dott. KoHLER in un artic. de\ Jahrb. f. Rom. literat. (XIII,
407) ricorda anche un' altra versione ebraica del liuch Kidduscim
(Giessen, 1817, p. 104), e una popolare russa narrata dal Lerch
neir Orienta. Occid., II, 373.
novella lx.
Qui conta corne Carlo d'Angiô amo per amore.
Con lievi variazioni è la LVII B.
Senza darne il sunto, ne indicarne le fonti, notiamo soltanto a
proposito délia smania pei tornei qui attribuita a Carlo, e délia con-
trarietà del re per simili ludi, corne Tolomeo da Lucca, fra le cause
per le quali S. Luigi acconsentî aile proposte pontificie di investire
il fratello del reame di Napoli, pone anche qaies sui regni quod pertur-
babat Carolus in torneamenîis [Rer. Ital. SS. XI, 1 1 54).
novella LXl.
Qui conta di Socrate filosofo, corne rispose a' Greci.
Il Soldano de' Greci manda ambasciadori a Roma per essere assolto
dal pagar tributo. I romani rimettono la risposta in Socrate filosofo
romano. Vanno a lui gli ambasciadori, e trovandolo occupato in lavorar
la terra ed essendo da lui banchettati assai miserainente, credono di
poterlo corrompere con danari. Ma Socrate, rifiutando i doni, sentenzia
che i greci seguitino ad esser soggetti a Roma nell' avère e nelle per-
sone.
Con lievi differenze è la LVIII B. e con maggiori assai, appro-
priata al re di Francia e a Seneca, è la VI II P.
Il Parenti osserva con ragione che questa novella, in cui sono
malamente scambiati i luoghi, i tempi e le persone, si potrebbe rife-
rire al fatto di Curio narrato dagli storici, e ricordato in brève da
Cicérone (De Senect. n. 5 5.) : Curio ad focum sedenti magnum auri
pondus Samnites cum attulissent, repudiati ab eo sunt. Non enim aurum
habere pracclaruni sibi dixit, sed iis qui haberent aurum imperare. Alla
leggenda di Socrate appartiene anche il cap. LXI dei Gesta Roma-
LE FONTI DEL NOVELLINO 1 77
norum (ediz. Keller; ediz. Swan, I, 213 ; Violier deshist. rom., cap.
$9)-
NOVELLA LXII.
Qui conta nna novella di Messer Roberto.
La Contessa di Ariminimonte in Brettagna giacesi con un portière,
del quale già le sue ancelle avevano provato le forze. Il conte lo sa :
ammazza il villano, e del cuore fa una torta che le donne mangiano e
trovano buona. Il conte allora scuopre loro di che è fatta, e la contessa
e le sue donne si fanno monache in un monastero da esse fondato. Nel
quale rimase il costume che ogni cavaliero vi capitasse, fosse di tutto
punto fornito. ma alla mattina di poi dovesse aile tre voUe mettere un
fil di seta nelia cruna di un ago, sotto pena di perdere ogni suo arnese.
Quest' ultima parte, con notevoli differenze, forma la XVIII P.
Il cuore dell' amatore dato in pasto ail' amata dal marito geloso,
trovasi primamente in quel laio di Gulron accennato nel poema di
Tristano (ediz. Michel, III, 39, 95 ; Wolf, Ueb. die Lais, p. 52) :
quindi nel Lai d'Ignaurès, ove non una sola ma dodici dame se ne
pascono, e poi si lasciano morir d'inedia v. Le Grand, FabL IV,
162; Hist. littér. de la Fr., XVIII, 776 . Su questo stampo sono
condotti il Romanzo délia Dama di Fayel (v. Le Roman du Chastelain
de Coucy et de la dame du Fayel, ediz. Crapelet, Paris, 1829; Hist.
littér. de la Fr., XVII, 664) che dopo l'orribile pasto ammannitole
dal marito si lascia morire di famé ; e la novella délia moglie di Gu-
glielmo Rossiglione che, mangiato il cuore del drudo suo Guardas-
tagno, si getta da una finestra, come racconta il Boccaccio « se-
conde che narrano i provenzali » [Decam., IV, 9^. Aggiungasi la
leggenda tedesca del cavalière Brennberger riferita dai Grimm nelle
Deutsche Sagen (trad. franc, II, 252J. Per altre versioni antiche e
moderne del cuore mangiato, vedi Von der Hagen (Gesammt., I,
CXVI), e per l'uso letterario e il significato simbolico che gli sidiede
nell' antica poesia, vedi la mia annotazione alla Vita A'uora di Dante
(Pisa, Nistri, 1873, p. 6). Délia leggenda del cuor mangiato ha
scritto Rochholz nel Zeitsch. f. deutsch. Philol., 1868, nonchè il
Graesse, Literârg. III, 1120.
novella lxv.
Qiù conta délia Rcina Isotta e di Messer Tristano di Lconis.
Tristano avea questo contrassegno colla Reina Isotta, che venisse a
favellargli d'amore ogni qualvolta fosse torbida l'acqua di un rigagnolo
che passava per il palazzo reale. Un giardiniere si avvide délia cosa, e
ne fece avvertito il re Marco, che si appiattô sopra un pino soprastante
alla fontana. Venne Tristano e fece il segno, e Isotta si mosse per andare
Komania,lll 12
178 A. d'ancoma
al convegno, ma alzando gli occhi al pino vide l'ombra sua più spessa.
Sospettando del vero, Isotta vitupéra Tristano accusandolo di parlar
maie e bugiardamente di lei, e Tristano, fmgendosi pentito, giura di
partire il di appresso per non più tornare. Il re è contenio dell' onestà
délia moglie, e trattiene a corte il nipoie che la mattina appresso faceva
fmta di partirsi.
Con lievi varianti è la LXII. B.
Vedi il poema di Tristano (ediz. Michel, I, 1-18), e la Tavola
Rotonda (Bologna, Romagnoli, p. 232 e segg.). Il Keller (Rom. des
Sept Sages, Einl. CLXXVIIy cita anche Gottfr. von Strassburg,
Wcrke ediz. Von der Hagen, II, 245) e il Bucli der liebe (éd. Bùs-
ching e von der Hagen, I, 49).
NOVELLA LXVl.
Qui conta d'uno filosofo lo quale era chiamato Diogene.
È la nota novella di Diogene al sole e di Alessandro Magno.
Quasi identica è la LXIIl B.
Vedi Valer. Mass. (IV, 5). Si trova anche nella Discipl. Cleri-
calis (ediz. Schmidt, p. 78; ediz. Labouderie, p. 179; Barbazan-
Méon, Fabl. II. 171 ; Le Grand, Fabl. I, 365) : ma ivi è attribuita
a Socrate, sicchè questa non puô esser la fonte diretta del Novd-
lino. Per gli autori antichi e medievali che riportano l'aneddoto,
vedi le annotazioni dello Schmidt {op. cit., p. 162}.
novella LXVII.
Qui conta di Papirio corne il padre lo mena a consiglio.
Papirio fanciullo romano viene dal padre condotto in senato un giorno
di seduta segreta. La madré vorrebbe saper da lui che cosa si è trattato ;
ed egli, per liberarsi dalla molestia, dîce €ssersi consigliato se siapiij pro-
ficuo alla Repubblica che gli uomini abbian due mogli 0 le donne due
mariti. La madré dice la cosa ad altre donne, la novella si sparge, e ne
nasce un tumulto délie romane innanzi al senato. La prudenza di Papirio
è lodata, ma si approva che d'ora innanzi niun fanciullo sia introdotto in
Senato.
Con lievi varianti è la LXIV. B.
Vedi in proposito Aulo Gellio, I, 23; Macrobio, I, 6, 20;
PoLiB., III, 20. Moite indicazioni sulle successive versioni di questa
novella trovansi nelle note di Oesterley alla novella 392 del Pauli
[Schimpf und Ernst) e in quelle dello stesso Oesterley al cap. 126
dei Gesta (p. 7 3 2;. In italiano trovasi nel Volgarizzamento del Giuoco
degli Scacchi (Milano, Ferrario, 1829, e Zambrini, Libro di Novelle,
Bologna, Romagnoli, 1868, p, ly, nel Fra Paolino, Trattato de Régi-
LE FONTl DEL NOVELLINO I79
mine Rectoris (ediz. Mussafla, Vienna, 1868, p. LUI, 44), e ndFiore
di Filosofi ediz. Cappelli, Bologna, Romagnoli, p. 16, einNANNUcci,
Manuale, Barhèra, 1858, II, 305). L'aneddoto è menzionato, ma, a
quel che pare, senza atiribuirlo al fanciullo Papirio, anche in un antico
predicatore francese, citato da Lecoy de la Marche, La chaire franc,
au moyen-âge (Paris, Didier, i868, p, 404).
NOVELLA LXIX.
Qui conta dello gran giustizia di Trajano Imperadore.
Con lievi varianti, e senza l'ultima parte, è la LXVII B.
È la notissima istoria dell' Imperatore Trajano e délia vedovella
riferita anche da Dante [Purg. X,ParadisoXX). Vedila in Giovanni
DiACONO (II, 44), Paul Diacon. (17), Giov. Damascen. [De Us qui
in fid. dorm. I, 16], Sigebert. Chron. ann. $91, citati in Gregoro-
vius. St. délia città di Rama, III, 3,2, nonchè nella Legenda aurea
(éd. Grasse, p, 196K Quantitàditesti, cosî sopra Trajano e la vedova,
comesullaliberazione dell' anima di Trajano per opéra di S. Gregorio,
sono raccolti dal Massmann, Kaiserchronik iIII, 752 e segg.). La
sola prima parte délia novella trovasi anche nel Dolopathos (in Loise-
leur, Essai, etc., p. 131; ediz. Montaiglon, p. 265;. Tutti gli
antichi commentatori danteschi ne fanno menzione, pères. I'Anonimo
Riccardiano (ediz. Fanfani, Bol., Romagnoli, II, 17), I'Ottimo (éd.
Torri, Pisa, II, 161], il Della Lana ediz. Scarabelli, Bol., Rom.,
II, 116), il BuTi (ediz. Giannini, Pisa, Nistri, 1860. II, 235;. Notisi
che seconde questi due ultimi è la lingua stesso di Trajano, trovata
ancor fresca, che parla allô scongiuro fattole dal Pontefice, e dice a
chi appart^nne. Trovasi questo racconto anche nel Fiore di Filosofi
(ediz. Cappelli, p. 58, e Nannucci, Manuale, II, 315). In proposito
della liberazione di Trajano vedi il libro intitolato : Istoria del
M. A. -F. Alfonso Giaccone nclla quale si traita esser vera la libe-
razione dell' anima di Trajano imperatore dalle pêne dell' Inferno per le
preghiere di S. Gregorio papa, fatta rolgare ed aggiuntane alcuna cosa
dal P. M. D. F. PiFFERi_, camaldol. iSiena, Bonetto, 1 595). Latradi-
zione invece è riprovata dal Baronio ^t. VIII}, e dal Bellarmino
{Depurgat., II, 8).
NOVELLA LXXIII.
Corne 'il Soldano avendo bisogno di moneta voile coglier cagione a un
giudco.
Per poter trarre moneta da un giudeo, il soldano gli dimanda quai sia
la vera fede : perché se egli dira che sia la propria, ingiurierù quella dei
saraceni. e se dira che sia questa, non dovrebbe osservarne un' altra. Il
giudeo risponde col noto apologo dei tre anelli simili lasciati da un padre
i8o A. d'ancona
morente a tre figli, ma dei quali uno solo è veramente prezioso, e il padre
solo il conosce.
Con lievi varianti è la LXXII B.
L'origine giudaica o maomettana di questa novella è évidente,
sebbene il libro ebraico del Scebet Jcliudà che la contiene non sia che
del secolo XV (vedi Landau, DieQ.d.Decam.,p.6/[:. il testo ebraico
trovasi tradotto in italiano dal Levi, Crisîiani e Ebrei (Firenze, Le
Monnier, 1866, p. 41 1, e su di esso è da vedere quel che dice il
Nicolas, Essais de philos, et d'hist. religieuse (Paris, Lévy, p. ?2 5).
È noto corne questa novella, délia quale si è giovato il Lessing nel
suo Nathan der weise, si trovi, oltre che nel nostro libro, anche nel
Decamerone (I, 5) e nell' Avventnroso Ciciliano di Boson da Gobbio
(III, 347, riportato in Zambrini, Libro di Noielle, p. 60 . Questa
stessa narrazione, ma animata da spirito assolutamente diverso, e
per provare la preminenza délia fede cristiana, trovasi nei Gesta Ro-
manorum (ediz. Keller, cap. 89; ediz. Swan I, 41 ; Violier, p. 224)
enel Dis dou vrai aniel analizzato nella Hist. litt. delà Fr. (XXII, 2 59),
e pubblicato dal Prof. Tobler Leipzig, 1871). Vedi altri raffronti
nelle note dell' Oesterley ai Gesta, p. 726. Il sig' Salvatore
Marino [Baronessa di Carini, Palermo, Pedone, 1875, p. 20 dice
che la novella è popolare in Siciha.
novella lxxiv.
Qui conta una novella d'un fedele e d'uno signore.
Un villano sapendo che a un signore piacciono molto i fichi, gliene
porta una soma, ma quando già se ne trovavan tanti che si davan anche
ai porci. Il signore credendosi scornato da questo dono^ ordina che il
villano sia legato, e i fichi gli sieno l'uno dopo l'altro gettati in volto.
Ogni fico che gli capita presso ail' occhio, il villano ringrazia Dio. Inter-
rogato del perché, risponde : perché se avessi seguito un pensiero che
ebbi di portar pesche, a quest' ora sarei cieco. Il signore ride, perdona,
e lo ricompensa largamente.
È la LXXIII B.
Trovasi nel Talmud [Medrasch Rabà, Levitico, parte VI, p. 172),
riferita ail' Imperatore Adriano, ed è tradotta dal Levi, Parabole,
leggende e pensieri race, dai libri talmudici ^^ Firenze, Le Monnier,
1861, p. 213), edall' HuRViTZ, D/e Sag^rt ^. He^raer (Leipzig, 1826,
p. 69). Anche questa novella è secondo il Sig' Salomone Marino
(op. cit., p. 20], popolare in Sicilia.
novella lxxv.
Qui conta corne Domencddio si accompagna con uno giullare.
LE FONTl DEL NOVELLINO l8l
Domeneddio e un giullare si accompagnano insieme : un giorno il secondo
va a nozze e l'altro ad un mortorio. Avendo risuscitato il morto, Dome-
neddio ne ha gran ricompensa, e con una parte dei danari, il giullare
compra un capretto, lo arrostisce, ma ne prende per se gli arnioni. Il
compagno dimanda gli arnioni, e l'altro risponde che in quel paese i
capretti non ne hanno. Un' altra volta, Domeneddio va a un par di
nozze, e il giullare a un mortorio, ma non gli riesce di risuscitare il
morto, onde è tenuto per beffatore e condannato alla força. Domeneddio
vorebbe saper chi mangiô gli arnioni , ma l'altro persiste nella sua ris-
posta : purtuttavia è liberato, perché il morto è risuscitato da Dome-
neddio. Questi perô dichiara di volersi partire dalla società, e fa tre parti
dei danari, una per se, l'altra pel giullare, e la terza per chi mangiô
gli arnioni. Allora il giullare confessa per ingordigia ciô che fmo allora
aveva ripetutamente negato.
Più brève, e cangiato il Signore in un mago, è la LXXV dei cod.
Marciano, stampata dal Tessier per nozze délia Volpe-Zambrini,
Venezia, 1868, p. 1 3.
VHist. littér. de la France (XXIIl, 93) dà alla novella una
origine francese, ma senza arrecarne nessuna prova. Le ver-
sioni tedesche notate dai Grimm {K. u. H. m., III, 109) a pro-
posito dei racconto popolare Brader Lustig (n" 81 j sono tutte
più recenti délia nostra. Altre versioni popolari, più 0 meno
compiute, si leggono in Glinski, Bajarz Polski (Wilna, 1862,
II, 220) ; in ScHÔNWERT, Sitten iind Sagen (Augsburg, Rieger,
1869, III, 302); in Strackerjan, Aberglaiibe 11. Sagen aus dcm
Herzog. Oldenburg fOldenb., Stalling, II, 301) ; in Peter, Volkst-
hiïmliches ans osterr. Schlesien (Troppau, 1867, II, 1 36^ ; in Wenzig,
Westslawischer Màrchenschatz (Leipzig, Lorck, 1857, p. 88). V. un
art. dei D'' Kôhler su! libro dei Peter nei Gott. gel. Anzeig.
(1868, p. 1377). Ne\h Zeitschr. d. deiitsch. morgenlând. Gesellsch.
(XIV, 280), trovasi un testo persiano pubblicato e tradotto da
RÙCKERT, contenente questa novella, alla quale si aggiunge anche
l'altra délia quale diremo più sotto al n° LXXXIII, ambedue appro-
priate, corne nel nostro libro, aGesù. Upoeta persiano Farîdat-Dîn-
'Attar che ne è autore, mori nella prima meta dei sec. XIII. La
prima parte di questa novella, fmo cioè alla condanna dei compagno,
e senza l'episodio degli arnioni, trovasi in un racconto popolare
toscano, riferito dal De Gubernatis, Novelline diS. Stefano (Torino,
1869, n" 33 : Gesà e Pipetta).
novella LXXVl.
Qui conta dclla grande uccisione che fece il re Ricciardo.
i82 A. d'ancona
Il Soldano manda, sotto specie di cortesia, un destriero al re Riccardo,
sceso in Palestina senza cavallo. Ma il re vi fa montar su un suo sou-
dière : il cavallo lo conduce al padiglione del Soldano, che aveva tentalo
con tal strattagemma, di impadronirsi del nemico.
Con leggiere varianti è la LXXV B.
L'Hist. littcr. de la France (XXllI, 162^ dice : L'anecdote, arrangée
en fabliau, peut fort bien venir de nos rimeurs; nous ne l'avons point
retrouvée dans leurs manuscrits.
NOVELLA LXXXIl.
Qui conta corne la Damigella di Scalot mori pcr amore di Lancialotto de
Lac.
Questa damigella spregiata nell' amor suo, morendo disperata, ordina
che il suo corpo sia messo in una navicella, nobilmente arredata, e in
una borsa alla sua cintura si ponga una lettera che dia ragione délia sua
morte. La navicella giunge a Camalot, e tutta la cortedel Re Artù legge
la lettera.
Con lievi varianti è la LXXXI B.
Vedi La morte Arthur (edid. Furnival, London, 1864, vv. 1048-
1095'), La mort d'Artlnirc... compiled by sir Th. Malory (edid.
Wright, Lond. 1866; e edid. Sîrachey, Lond. 1868, cap. IX, XIX,
XX).
NOVELLA LXXXill.
Corne Cristo andando un giorno co' discepoli suoi per un foresto luogo,
vider 0 molto grande tesoro.
Cristo passa co' discepoli da un luogo ove è molt' oro e consiglia di
lasciarlo stare, corne quello che è cagione che le anime si perdano.
Giungono dopo di essi due compagni che deliberano di dividersi il tesoro;
uno va alla città a prendere un mulo per caricar la preda : l'altro resta
a guardia. Ma quegli riporta un pane attossicato che dà da mangiare al
compagno, e questi, volendo rimaner solo possessore del tesoro, uccide
l'altro a tradimento. Poi è colto dalla morte, e i due corpi giacciono
accanto ail' intatto tesoro. Cristo ripassa coi discepoli, e mostra loro la
verità délia sua sentenza.
Più svolta e cangiato Cristo in un romito, è la LXXXIl B. e la
XVI P.
Negli Avadânas (trad. Julien, I, 60, II, 89) raccontasi che il
Budda un giorno, viaggiando con un compagno, scopri un mucchio
d'oro e di cose preziose : ed ecco, gli grido, un serpente velenoso.
Ma un uomo che li seguiva raccolse il tesoro e lo porto a casa, e
fece tante spese e si mise in tanto lusso, che eccitô la cupidigia del
re, e venne spogliato ed ucciso, mentre ricordando le parole di Budda,
LE FONTI ^DEL NOVELLINO - 185
esclamô : è un serpente velenoso. Il Liebrecht [Orient u. Occid., I,
654) assevera che il racconto ha origine orientale, e rimanda al Fa-
BRiTius, Codex Apocr. Nov. Test. [lU, 395), e aile Mille e una Noîte,
(trad. tedesca^, Breslau, 1856, XIV, 91). L^avventura è entrata a far
parte della Rappresentazione di S. Antonio [Rappres. Sacre, Le Mon-
nier, 1872, II, 33) aggiungendosi alla primitiva leggenda che nonne
ha traccia. In Francese trovasi nei Ci-nous-dit, raccolta inedita di
novelle ricordata da P. Paris [Les Mss. franc., IV, 83). In tedesco
è fra le opère di Hans Sachs (ediz. Godeke, I, 225 1. Dal Novellino il
racconto è passato al Morlini (nov. XLII, ediz. Jannet^ p. 84) e al
Chaucer (Pardoner's Taie). Per la versione orale popolare^ vedi
KuHN, Westfal. Sagen (Leipzig, 1859, I, p. 76, 245) e Zingerle,
K. u. H. m. 'Regensb., p. 104). -,
NOVELLA XC,
Qui conta corne lo imperadore Federigo accise un suo falcone.
Un giorno a caccia, l'imperadore lascia andareilsuo falcone prediletto
dietro una grue : questa fugge, e il falcone si rifà sopra un aquila gio-
vane. Federigo, accortosi della preda, gli taglia il capo, perché il falcone
uccise fellonescamente il suo signore.
Il Dott. Kohler m' avverte che l'avventura trovasi anche col titolo :
Der junge Kœnig und sein Falke nella raccolta di novelle ebraiche di
Tendlau, Fellmeiers Abende iFranckfurt, 1856, p. 25), pero senza
alcuna citazione di fonti.
NOVELLA XCl.
Corne une si confessa da un frate.
Uno si confessa a un frate di aver avuto intenzione di rubare, ma non
esser riuscito. Il frate non vuol dargli l'assoluzione, perch' egli ha peccato
corne se avesse recato ad atto il suo divisamento, se non gli porta i
danari che da lui saran dati in elemosina. Un altro giorno il peccatore
promette di mandare al frate uno storione : non lo fa e l'altro aspetta
invano. Redarguito, risponde che, poichè aveva avuto l'intenzione di
mandarglielo, faccia conto di averlo avuto in realtà.
Si trova anche in Pauli ^ediz. Oesterley, n° 298) e a pag. 507,
l'editore ricorda per racconto consimile : Scherz u. Warhcyt, 80,
MEMEL,77,p.49, e Lustigmachcr, 86,146. Trovasi anche in Waldis,
Fsopus (éd. Kurz, IV, 14I, salvo che il peccato è l'aver desiderato la
moglie altrui. Tanto I'Oesterley quanto il Kurz nelle loronote raf-
frontano questa novella con l'altra che vedemmo sopra al n" IX. Il
Kohler m' indica anche Nicolas de Troyes, Le Grand Parangon
des nouvelles, n° 28. -
184 A. D'aNCONA
NOVELLA XCIV.
Qui conta délia volpe e de! niulo.
La volpe vedendo un mulo ne ha paura, e corre al lupo raccontan-
dogli quai nuova bestia ha incontrato. Vanno tutti e due, e il mulo dice
loro che ha scritto il suo nome nel piè dritto che al/.a. La volpe si scusa
di non saper leggere; il lupo va sotto, ed è ammazzato con un calcio.
La volpe conclude che ogni uomo che sa Jettera non è savio.
Con lievi varianti è la XCI B.
Sulle antiche raccolte di favole che contengono anche questa,
vedi Robert, Fabl. inéd. \\, 3651, Schmidt \Beitrage, etc., p. i8ij
e DuMÉRiL \Poes. inéd. du moy.-âge, p. 19^). Fa parte anche de!
poema di Rcnardo w. Robert, id.), ed è anche nella traduzione
neogreca pubblicata dal Grimm (p. XLVIlIi, e dal Gidel, Etud. sur
la littér. grecq. moderne (Paris, 1866, p. 341;. Trovasi anche nei
Proverbi di Cintio di Fabrizi, n° III (v. Liebrecht in Jahrbuch f.
roman, liter., I, 43 3I. Per narrazioni orali e popolari, vedi Kuhn,
MiCrk. Sagen (Der dumme Vv^olf} e Haupt und Schmaler, Wendlsch.
Volksl. (II, 1611.
NOVELLA C.
Came lo impcradore Federigo ando alla montagna del Veglio.
Vi si racconta in primo luogo, come Federigo imperadore andô una
volta alla montagna del Veglio, e come questi per mostrargli quanto
fosse temuto e obbedito, con un solo cenno fece che due assassini che
erano su una torre si gettassero giù, morendo incontanente.
Questa favola, nota 1'Amari,S/. dei Musulmani di Sicilia (III, 649,
Firenze, Le Monnier, 18521, era stata già raccontata più volte in
tempi diversi mutando sempre i personaggi : nel IX e X secolo fu
attribuita agli Ismaeliani di Persia, nel XII, a que' di Siria quando
Saladino andôatrovare Sinan. Il Defremery, Nouv. recherches sur les
Ismaéliens, plus connus sous le nom d'Assassins (in Journ. Asiatiq.,
1854], dice che il fatto fu attribuito prima al fondatore délia setta
degli ismaeliani di Persia, Haçan Ibn Sabbah icfr. Elmakin, Hist.
saracenor., sub a. 4831, e si racconta pure del famosocapo deiCarmati
Abou-Jhâhir-Soleiman Icfr. Herbelot, Bibl. orient, sub Carmathe,
1776, p. 3261. Gli autori occidentali hanno pur essi avuto contezza
di questa leggenda : il continuatore di Guglielmo di Tiro ^in Mi-
chaud, Bibliot. des Croisades, I, 372' e Marin Sanudo, De secretis
fidel.crucis (p. 201I, nefanno menzioneanch' essi, ma sotto una data
posteriore di qualche anno alla morte di Sinân. In questi autori (v.
anche nella Collection des histor. occident, des Croisades, II, 286, 230,
231), il cavalier cristiano è Enrico conte di Sciampagna cui le No-
LE FONTI DEL NOVELLINO 185
relie antiche sostituiscono Federigo, e I'Amari crede originata tal
sostituzione dalla voce falta correre che Federigo facesse per suo
conto pugnalare il Duca di Baviera dagli Assassini, a'cuiambasciadori
diede un convito in Melfi nel 1252.
La seconda parte délia novella dice corne l'Imperatore conoscesse
di esser tradito dalla moglie, perché andando a lei, essa gli dice
che vi fu pur testé. E la XCVIII B. Trovasi ,già un simil racconto,
passato poi al Decamerone igior. III, n. 2), nel Calila e Dimna araho
Itraduz. ingl. di Windham Knatchbull, p. i6çi, e nell' Auwari-Sohaïli
0 Libro dci Liimi, p. 167. Vedilo tradotto da Galland e Cardonne
nei Mille et un jours lediz. Loiseleur-Deslong. p. 472I. Leggesi
anche nella versione spagnuola del Cailla è Dymna (in Gayangos,
Escritor. en prosa anîer. al s. XV, Madrid, Rivadeneyra, p. 36I In
Francese trovasi nel Roman de Trubert i'Méon, Nour. Recueil, I, 2131.
TESTO BORGHINI.
NOVELLA VI.
Corne un fabbro si riscosse d'una <juistione.
Un fabbro accusato presso ail' Imperadore Federigo di lavorare anche
le feste, si scusa col dire che ogni giorno deve guadagnare quattro soldi
e non più : dei quali una parte ne rende, l'altra ne dà, la terza getta, la
quarta adopera. Invitato a meglio spiegarsi, dice che colla prima man-
tiene il padre, colla seconda fa lemosine, colla terza alimenta la moglie,
e 1' ultima spende pel suo sostentamento. L' Imperatore gli comanda di
non spiegare a nessuno questo mistero, se prima non abbia cento volte
veduto la sua faccia, e chiamati i Savj propone loro la questione dei
quattro soldi, spesi in quei quattro modi. I Savj non sapendo corne
risolverla, vanno al fabbro che promette di parlarese gli si portino cento
bisanti d'oro. Cosi i Savj sciolgono la questione proposta; ma l'Impera-
tore si adira col fabbro^ che venuto alla presenza di lui si difende col
dire di aver cento volte visto la sua faccia sui bisanti d'oro.
Con non moite difîerenze è la VI P.
Vedi nei Gesia Romanor. 'c. 57, ediz. Keller; Swan, I, 189;
Madden, X, 25,6 part. II, 3, 279; Violicr, p. 128). Ma nelle
diverse redazioni dei Gesîa manca la seconda parte délia novella. E
la sola prima parte di essa trovasi anche nel W.-C. Smyth, The
pcrsian moonshec (London, 1840, n" 2 1). Intera, e come racconto
popolare trovasi in Simrock, Deutsche Màrch. (n" 8^ e nelle Sicilian,
Mdrch. délia Gonzenbach (n° (^o). La sola parte seconda trovasi
in racconti popolari dei Brandeburgo (v. Engelien, D. Volksm.
i86 A. d'ancona
in d. Mark, lir., 1, 116) e del Tirolo (Zingerle, K. u. H. A/., p.
I2ij. Per altrl riscontri, vedi Kohlek nelle annotazioni aile Sied.
Mardi. (II, 2^4) e Oesterley, Gesta Romanor. [c. 57, p. 722;.
NOVELLA LI.
Corne il Saladino si fece cavalière, e il modo clie tenne Messer Ugo di Ta-
baria infarlo.
Si narra corne il Saladino desiderasse esser fatto cavalière, e con
quai cerimoniale procedesse in farlo il suo prigioniere Messer Ugo di Ta-
baria.
È il poemetto De Vordene de chevalerie, analiz/.ato nell' Hist. Hier,
de la France (XVIII, 755 e segg.) e in Legrand d'Aussy, Fabl.
(I, 208), e pubblicato per intero in Barbazan-Méon, Fabl. I, 59.
Trovasi anche nel Roman de Jean d'Avesnes i'Dinaux, Trouv. du
Nord de la Fr., IV, 426), e in Chastelain, Instruct. d'un jeune prince,
(Mélang. d'une grande bibl. D., 297). Antiche versioni tedesche e
fiamminghe sono notate ne! Brunet, Manuel flll, 235, V, 1514).
Posteriore a questa del Novellino, checchè ne dica in contrario i!
Lami, Appendice al Manni /"Milano, Pirotta, i82i,p. 12), è, secondo
noi, la narrazione che si trova nel lib. III, c. 13, dell' Avventuroso
Ciciliano di Mess. Bosone da Gobbio 'Firenze, ediz. Nott, p. 3 10) :
Corne Messer Ulivo di Fontanafece cavalière il Soldano di Rambilonia.
Ê anche narrata dal Doni nella Libreria II, donde passô aile raccolte
di sue novelle (Novelle di M, A. F. Doni, Lucca, Fontana^ 1852,
p. 148).
NOVELLA LIV.
Qui conta come una vedova con un sottilc avvedimento si rimarito.
Essendo in Roma proibito aile vedove di rimaritarsi, ed una, ancor
giovane, avendone voglia, ordinô ai suoi famigliari che menassero perla
citlà un cavallo scorticato. Pel primo giorno se ne discorse molto per
tutta Roma, poi via via il ruraore si acchetô, e in brève non se ne parlo
più, per quanto lo spettacolo siprotraesse. Da ciô la vedova presecorag-
gio, e si rimarito, mostrando ai congiunticome délie cose nuove ed inusi-
tate si discorre qualche tempo, poi la gente se ne ristucca e pensa ad
altro.
Con varianti di dettato soltanto^, è la IX P.
Trovasi anche fra le Novellette, Esempj morali e Apologhidi S. Ber-
NARDiNO DA SiENA (Boi. Romagnoli, 1868, p. 27), e nell' Esopus
di Waldis (ediz. Kurz, Leipzig, Weber, 1862, III, 6 : Von einer
Witwen und einem griinen Escl). Il D' Kôhler a proposito di questa
novella in un artic. dei Gœtting. gelehr. Anzeig. (10 novembre 1869)
rimanda a Boner, Edelstein (n° 50), Abstemius, Fab. n° 80 : de
LE FONTI DEL NOVELLINO 1 87
vidua et asino viridi^ e a Gellert. V. anche le note del Kurz, II,
114.
novella lxv.
Qui conta dl due ciecfii che contendcano insieme.
Durante la guerra del re di Francia col Conte di Fiandra due ciechi
contendono insieme di chi avrà vittoria, ed uno sostiene le parti del re,
V altro dice : sarà chc Dio vorrà. Il re di ciô avvertito fa cuocere due
pani, in uno dei quali fa mettere dieci bisanti d' oro e questo dareal cieco
che tiene dalla sua. I due ciechi tornano a casa, e quelloche dice : sarà
che Dio vorrà, mangia il pane colla sua donna, mentre l'altro si ciba di
altro pane accattato, e délibéra di vendere quello avuto dal re. Il com-
pagno, a cui il pane del re parve assai buono, si offre compratore dell'
altro, e vi trova dentro il danaro. La mattina di poi conta la cosa al
compagno, il quale conviene anch' egli che le cose di questo mondo
sono in mano di Dio, e la cosaviene agliorecchi del re, chêne resta pur
esso convinto.
Con qualche variante è la XIV P.
Trovasi, a quel che dice il Robert, Fabl. ined. (l, CXLIXÎ, anche
nel Renart le contrefait. Qualche cosa di simile a questa novella,
ritrovano il Dunlop !'op. cit., p. 250) e il Simrock, Quellen des
Shaksp. (II, 246), nella novella I, giorn. X, del Decameronc, nel
Barlaam e Josafat, e nei Gesta Romanor. (c. 109). La forma primitiva,
senza menzione délia guerra, ma colla sola disputa se più giovi
l'ajuto di Dio 0 quello di Cesare, è probabilmente quella che si trova
nelle Latin stories n° CIV, e nel Pauli in" 526J, e vedi a pag.
510 le annotazioni dell' Oesterley, nonchè quelle dello stesso a
pag. 729 pel cap. 109 dei Gesta.
NOVELLA LXVIII.
Qai conta corne fu salvato un innocente dalla malizia de' suoi nemici.
I cortigiani di un re, invidiosi di un donzello venuto di récente a
corte, gli dicono che il Re è assai ofîeso del suofiato, eche, parlandogli,
torca la bocca 0 volga la faccia altrove. Il re si maraviglia di questo
contegno del giovane^ e i cortigiani glielo spiegano col dire che il don-
zello ha detto che non puô sostenere il fiato puzzolente délia bocca del
re. Questi adirato scrive ad un fornaciajo che faccia gran fuoco, e metta
nella fornace la persona che a lui mandera per prima. Dà una lettera al
giovane pel fornaciajo : ma essendo ora di messa, il donzello indugia
alquanto, e frattanto un cortigiano va al fornaciajo per sapere se avesse
bruciato l'invidiato rivale. Giungendo per primo, è messo lui nel fuoco :
e il giovane torna libero a corte ; il Re mandando a morte tutti i suoi
nemici, lo innalza di grado e di onoranza.
i88 A. d'ancona
Seconde il Liebrecht la prima parte diquesta novellaènel Soma-
deva, cap. 20 'trad. Brockhaus, II, 62 . Il Keller, Dyoclet. leben (p.
44, Einleit.), dice ch'essa ricorda l'avventura del giovane Ahmed nei
Seîte Viziri (trad. ingl. Scott, X, p. 531, che è riferita dal Loise-
leur-Deslongchami'S nel suo Essai p. 1 32^. Cristianizzata, diventa
questa novella il racconto du roi qui voulut faire brûler le fils de son
sénéchal (Le Grand d'Aussy, Fabl. V, 56; Méon, Nouv. Rec, II,
336), e il capitolo 89 dei Gesia Romanor. 'in inglese, ediz. Swan I,
CIV, éd. Oesterley, 283). In italiano è divenuta la Novella VIII, 6
degli Ecatommiti, e qualche cosa se ne trova nel poemetto popolare
di Florindoe Chiarastclla. Per altri raffronti vedi Dunlop [op. cit.,
p. 487,1, la cit. Introduzione del Keller, e le note dell' Oesterley,
p. 749. Altre versioni oltre le qui notate, si ricordano dall' Hertz,
Deutsche Sage in Elsass (Stuttg. 1872, p. 279-93).
novella LXXIV.
Qui conta di certi che per cercare del meglio perderono il bene.
Neir ultima parte délia novella, 0 per dir meglio nella terza novel-
letta che qui si contiene, ritrovasi il racconto di colui che non poteva ri-
avere un deposito fatto in buona fede ad un falso amico. Una vecchia lo
consiglia di far si che altri proponga ail' amico infedele un deposito di
gran valore, e costui temendo che l'ingannato non sveli la frode, gli ri-
manda i suoi scrigni, e ne riceve in cambio altri vuoti.
La novella è di origine orientale, e trovasi in Cardonne, Mélang.
de littcrat. orient., II, 62, e nelle Mille et un jours (éd. Loiseleur,
p. 652), trattadalP Agiaïb-Elmcaser. Vedila anche nella Discip. cleric.
(éd. Schmidt, p. 1 37 ; éd. La Bouderie, p. 91 ; éd. Biblioph. franc,
p. 88; éd. Barbazan-Méon, II, 107 ; Le Grand d'Aussy, Fabliaux,
III, 248]. Vedila anche nei Gesîa Romanorum [eà. Grasse ed Oester-
ley, n° CXVIII, e le note dell' Oesterley, p. 730), e nel Libro de
los enxcmplos (n" XCII). Parecchi critici \Hist. littér. de la France,
XIX, 829 ; Du MÉRiL, Hist. poés. scandin., 3 56, Landau, Die Quell.
des Decamer.,S2\ Dunlop, p. 247), trovano in questa novella l'ori-
gine délia X dell' VIII Giornata del Decamerone.
novella xcii.
Qui conta d'iino nobile romano che conquise un suo nimko in campo.
È il fatto di Tito Manlio Torquato tolto da Tito Livio iprima deçà,
libr. VII, § IX-X), colle parole delP antico volgarizzamento italiano [La
primadecadi T. Livio.... per cura del Prof. G. Dalmazzo. Torino, stam-
peria Reale, 1846, II, 163).
novella xcix.
Corne un rc per mal consiglia délia moglie uccise i vccchi di suo reame.
LE FONTI DEL NOVELLINO 189
Un giovane re ha moglie giovane, invidiosa e gelosa di un vecchio
precettore del marito. Ottiene da lui che si uccidano tutti i vecchi de! reame.
Più tardi il re si fa uno strano sogno, ma i suoi consiglieri, tutti giovani
anch' essi, si scusano per l'età loro di non saperlo dichiarare, ed egli
manda perciô ai savi vecchi di un re vicino. Gli rispondono che saprà
decifrargli il sogno chi venga a lui menando seco l'amico, il nemico e il
giullare. Un giovane quando venne l'ordine di uccidere i vecchi, aveva
salvato il padre nascondendolo senza saputa délia moglie, ma non senza
che questa se n' avvedesse. Quando andô in volta il nuovo bando reale, il
vecchio superstite consiglia il figlio a presentarsi al re col cane, la moglie
e un figlioletto. Ei va, ed afferma che il cane è il suo migliore amico,
perché anche percosso gli è fedele, il figliuoletto è il giullare che lo
Sûllazza, e la moglie è il peggior nemico. Questa si adira, e scuopre al
re che il marito ha disubbidito ai suoi voleri, salvando da morte il padre.
Il re, accordando perdono, manda a cavar fuori dal nascondiglio il vec-
chio, che gli dichiara il senso del sogno.
Questo racconto già dal sec. X trovasi in un sermone di Raterio
vescovo di Verona (v. D'Achery, Spicileg., I, 395; Mussafia, Ueb.
eine altfranzosisch. handsch. cl. Universit. biblioth. zuPavia, p. 58):
vi manca soltanto il fanciullo presentato come giullare, che trovasi
invece nella Scala cœli di Joannes Junior (Mussafia, id., idj e nel
Dolopathos (v. Loiseleur, Essai, p. 125, 291 ; ediz. Montaiglon,
Paris, Jannet, p. 225). Infinité sono le version! più 0 meno com-
piute di questo racconto. Ricorderemo soltanto quelle dei Gesta Roma-
norum (ed. Keller, 124; Swan, II, 164; Violicr, p. 422) e del
Schimpf II. Ernstde\PAUL\:ed. Oesterley, n°42 3), ovesono davedere
le note dell' editore a pag. 732 dell' un libro, e 521 dell' altro,
nonchè la citata dissertazione del Mussafia ad illustrazione di un
favolello francese di tal argomento : si aggiungano le notizie raccolte
dal Kohler in una rassegna sul lavoro del Mussafia, inserita nei
Gœtting. gel. Anz. (25 jan. 187I;. Per la forma orale e popolare di
questa novella, vedansi oltre i due scritti citati del Mussafia e del
KôHLER, anche le annotazioni (III, 170) alla novella 94 délie K. uiul
Hausin. dei Grimm.
TESTO PAPANTI.
NOVELLA I.
Corne uno filosafo isputà in hocca al figlio del re per lo più yilc luogo
délia casa.
Un figliuolo di un re conduce un filosofo a vedere la sua casa, e come
questa era lutta a oro, e il filosofo aveva bisogno di sputare, quando il
190 A. d'ancona
giovane aprî bocca, l'altro vi sputô dentro, considerando quello il più vil
luogo di lutta la casa.
L'ancddoto ô in Diockne Lafcrzio (II, 75) appropriato ad Aris-
tippo e a Simo tesoriere di Uionigi il tiranno. Di qui pass6 al libro
di Salomone e Marcolfo, donde probabilmente venne al nostro Ber-
îoldo. Trovasi anche nel Pauli (n"475), e vedi a pag. 528 le anno-
tazioni dell' Oesterley. In italiano, trovasi nell' Avventuroso Cici-
liano (eà. cit. p. :;46) riferito a Gian di Berri e al Saladino; nel
Rosaio délia Vita del Corsini ediz. Polidori, Firenze, 1845, p. 78),
è riferito a Diogene ed Alessandro ; nel Bandello (III, 42) corne
accaduto ail' ambasciator di Spagna in casa délia cortigiana Im-
peria.
NOVELLA II.
Raccontasi qui di un Signore che aveva comprato uno schiavo il
quale intendeva la lingua degli uccelli. Questi gli predice moite sventure
che poi si avverano, sicchè il padrone lo licenza dicendo di voler star al
piacer di Dio, ne voler pi\i sapere le cose prima che avvengano.
Non trovo l'origine précisa di questa novella, ma il prof. Teza,
La tradizione dei Sette Savj nelle novelline magiire 'Bologna, 1864,
p. 24), a proposito di quel racconto che forma il poemetto popolare
intitolalo : // compassioncvole caso e lieto fine di Ermogene figlio di un
mercanîe alessandrino, ricorda alcuni libri e racconti orientali ove
trovasi menzione dell' intendere il linguaggio degli uccelli ; di ciô si
vanta Salomone nel Corano (XXVII, 1 6), e dialoghi di lui cogli uccelli
si riferiscono nel //T^ro (rfei A'L Visiri (ediz. Bernhauer, p. 96l;nella
redazione turca del libro del Papagallo (Rosen, I, 238) il re indiano
dimanda d'intendere gli animali ecc. Vedi per maggiori indicazioni la
nota dello Schmidt, Die Mardi, des Straparola Berlin, 181 7, p. 523),
alla Novella 3 délia notte IV. Anche nell' Introduzione aile Mille e
una notte (ed. Loiseleur, p. 12) trovasi narrato di uno che intende
il linguaggio degli animali, e l'editore fa osservare che già lo Schle-
G^Ly Journal Asiat., 1836 (p. 599) aveva notato l'origine 'délia no-
vella dal Ramayana, aggiungendo che si trova anche nell' Harivansa
(trad. Langlois, I, 108}.
NOVELLA XII.
Un cavalière era felice tanto a questo mondo che di lui solea dirsi :
non gli manca altro che /' ira di Dio. Sentendoselo sempre ripetere, gli
vien voglia di sapere che sarebbe questa ira di Dio, e si parte con un
servo per cercarla. Un giorno si abbattono in due serpenti che fra loro
combattono : l'uno spicca ail' altro il capo, ma poi subito corre a cogliere
una certa erba, epostala fra il capo e il corpo del compagno questi torna
LE FONTl DEL NOVELLINO I9I
sano e intiero. Al Cavalière viene curiosità di tentar la prova su di se,
e si fa spiccare il capo dal servo, ma gli è poi rappiccato alquanto torto.
Il servo vorrebbe ricominciare per far meglio le cose, ma 1' altro si
rifiuta, e ricordandosi dell' ira di Dio, conclude col dire che tanto 1' è
ita cercando che 1' ha trovata e avuta.
Nelle novelle popolari troviamo chi va cercando la paura e non ci
riesce : v. Grimm, K. u. H. Mardi, (n» 4 e le note, III, 9 segg.)e
ScHNELLER, Màrcli. U. Sagen aus Wàlschtirol (Innsbruck, Wagner,
1 867) : e altro che cerca la morte e trovatala ne esce malconcio,
corne il cavalière délia nostra novella : v. Wolf, Deutsche Màrch. u.
S^^e« (Leipzig, Brockhaus, 1845, no 10). La serpe che riattacca il
capo colF erba, e cosi insegna a far rivivere le persone uccise, è
nel Pentamerone 1, 7, e nelle Fiabe e Leggende slciliane del Pitre 1,95.
NOVELLA XXI.
Masser Dianese cavalier trevigiano consuma tutto il suo in gentilezze
e magnificenze. Si annunzia che il re di Cornovaglia bandisce una giostra,
e darà la figliuola al vincitore. Gliamici di Dianese lo (ornisconodi tutto
punto, ed egli si avvia alla giostra. Dopo qualche tempo, nota come la
gente lascia la via diretta per un sentiero stretto^ e sa che ciô avviene da
che in quella giace insepolto un cavalière morto indebitato, ed è usanza
del paese non seppellire coloro che muojono in tal condizione. Egli si
offre di pagare pel defunto, e lo fa seppellire a grande onore, tanto che
consuma tutto il suo, e non gli resta che un cavallo. Quando si ripone in
viaggio è raggiunto da un mercatante, che gli si offre compagno e lo
fornisce di moneta, a patto che divideranno a meta tutto ciô che guada-
gneranno. Arrivano in Cornovaglia ; Messer Dianese vince la giostra,
e ha in moglie la figlia del re. Dopo qualche tempo, i due compagni
risolvono di tornare a casa loro, e sono riccamente donati dal Re. Giunti
vicino a casa, il mercatante ricorda al cavalière la sua promessa, e fa
due parti : l'una di tutto il tesoro, l'altra délia donna. Messer Dianese
sceglie questa, e 1' altro va per la sua strada : ma poi !o raggiunge, e
rendendogli ogni cosa, gli dichiara di essere colui di cui ebbe pietà,
pagandone i debiti, e seppellendone il corpo. Indi sparisce, e va in pa-
radiso.
È questa la novella del morto riconoscente délia quale sarebbe
troppo lungo arrecare tutte le versioni letterarie e popolari. Riman-
diamo adunque per maggiori notizie al libro del Simrock, Der gute
Gerhard und die dankbaren Todtcn (Bonn, i80j, ed aile giunte e
osservazioni del Kôhler nella Germa/î/'ii dello Pfeiffer (III, 199,
XII, 55^, nell' Orienta. Occ. (II, 322), e nelle Sicilian. Màrch. (II,
248;, del LiEBRECHT negli Heidelberg. Jabrb. d. litcrat. (iSbS, m' 29;,
192 A. d'aNCONA
dello ScHiEFNER ncll' Orient u. Ou. (Il, 174), e del Benfey, Pant-
schat. (I, 2iç)j. Solo aile versioni popolari ricordate più speciaimente
dal KôHLER nelle noie aile novelle siciliane, aggiungeremo la men-
zione dei Quentos populars catalans collecion. por J. Maspons y Labrôs
(II, p. 34. Barcellona, Verdaguer, 1872). L' origine del racconto
non è ben determinata. Benfey inclina ad ammettere una origine
orientale, notando che alcuni particolari rinvengonsi in racconti in-
diani, e opinando che la versione russa possa esser l'anello di con-
giunzione e di trapasso dall' Asia ail' Europa. Invece il Simrock
crede che la patria e la vera sede del racconto sia la Germania, e
risolutamente lo connette colla mitologia tedesca Deutsch. Mythol.,
p. 478;. U Prof. CoMPARETTi Prcfazione alla Novella di Messer Dia-
nese, ecc, Fisa, Nistri, i86s) opina che l'idea fondamentale del
morto riconoscente trovisi già in un passo di Cicérone, De divin.
(I, 27, cfr. Val. Mass., I> 7. yj, citato anche da altri [German., III,
209J. L' episodio del morto riconoscente trovasi anche nel Richars
H Bians, romanzo francese del sec. XIII, analizzato da C. Casati
(Paris, PYanck, 1868, p. 27 . In italiano abbiamo questa novella
con maggiori 0 minori differenze e modificazioni, nello Straparola
(Nott. XI, nov. 2), e nel poemetto popolare : Istoria bellissima di
Stellante Costantina figliaola del gran turco, la quale fu rubata da certi
cristiani che teneva in corte suo padre e Ju vcnduta a un mercante di
Vicenza presso Salerno, con molti interyalli e successi, composta da Gio-
vanni Orazio Brunetto.
novella xxii,
La moglie di un cieco, geloso tanto che da quella mai non si partiva,
dà la posta ail' amico sopra un albero di père. Al marito che è rimasto
sotto, stringendo il pédale perché altri non vi monti, cadono addosso le
père, e chiestone ragione alla donna, ella gli risponde che non v' è altro
modo per coglierle. San Pietro che vede dal cielo lo scorno e la beffa
del povero marito, chiede a Dio che gli sia reso il vedere. Aile parole
irose del marito, la donna risponde che s' ella non avesse fatto cosî, egli
non avrebbe mai più veduto lume, e quegli ne rimane quieto e contento.
La novella trovasi taie quale nelle Latin stories di Wright - n» 78)
e fra le favole metriche di Adolfus (in Append. aile Lat. stor.
p. 174, einLEYSER, Histor. poetar. med. aev., p. 2008). In tedesco,
secondo avverte Kôhler nei Gott. gel. Anz. (1869, p. 774) trovasi
anche in Keller, Erzàhlung. aus altdeutsch. Handschriften (p.
298 e fu imitata da Wieland (Oheron VI, 80 e segg.). Ram-
menta, solo in parte, la nota novella dell' albero délie père del
Decamerone (VII, 9;, che trovasi nel Baiiar-Danusch \Qd. Scott, II,
LE FONTl DEL NOVELLINO I95
64), e che fu imitata da Chaucer [The Marchaundes Taie in Canterb.
Taies vy. 9089; vedila analizzata in Pecchio, St. critic. délia poes.
inglese, Lugano, Ruggia, 185?, II, 197;, da Pope [January and May) ,
e da Lafontaine (La gageure des trois commères, II, 7). ■
NOVELLA XXIII.
Quattro figli di un Re vanno a cercar loro ventura. Il primo va a
Parigi e vi apprende tutte le scienze : il secondo in Cicilia e vi diviene
balestriere : il terzo in Catalogna e v' impara ad esser ladro : il quarto
a Genova e diventa esperto in far navi. Tornati a casa, vanno tutti e
quattro a liberare una donzella e ad acquistare un gran tesoro custodito
in un isola da un drago, e menano a buon fine l'impresa.
La novella è quà e là mutila, e manca délia fine, nella quale si
dovrebbe disputare chi abbia avuto maggior parte alla liberazione
délia fanciuUa, e meriti averla insieme col tesoro.
Il racconto trovasi nel Tùti-Nâmêh (novella IV del Pappagallo;, e
nel Siddikiir :nov. I, éd. Jûlg, Leipzig, 1867). Lo stesso motivo,
alquanto variato e con esito diverso, trovasi nella novella délie Mille
e una notte intitolata Storia di Achmed e délia fata Peiri-Barun (éd. Loi-
seleur, p. 610-41;, nel libro persiano del Trono incantato (trad. Les-
callier, I, p. 200;, e altrove con maggiori 0 minori differenze (v.
Benfey, Pantsch., I, § 104,. Per le versioni popolari tedesche,
ungheresi, russe, e perfino dei Negri e del Madagascar, v. Grimm,
annotaz. al n^ 129 (III, 212;, Schneller, Màrch. aus Wàlscht.
!n° 14), e Wesselofsky, // Paradiso degli Alberti Bologna,
Romagnoli, 1867, vol. I, part. II, p. 2^8 e seg.). Trovasi anche
nel Pentamerone (giorn. V, tratt. 7 ,e nello Straparola (Nott. VII,
fav. V), nonchè nel Morlini (n^ 80, Paris, Jannet, p. 155). Una
redazione popolare italiana fu pubblicata nel Jahrb. f. rom. liîer.
(VII, 50-36) : un' altra siciliana è nella raccolta délia Gonzenbach
novella XXVll.
Un imperatore scorgendo simiglianza fra se e un pellegrino, domanda
a costui se sua madré fu mai in Roma. L'altro gli risponde che non la
madré, ma il padre suo fu in Roma spesse volte.
Trovasi già, secondo avverte I'Oesterley (nota al n" 502 del
Pauli), in Plinio 7, 12, io,§( 55), Solino (1,83;, Val. Massimo (9,
14, 3 , Macrob., Saturn. 1, 4, 21,, ecc. Altri autori cita il Lie-
BRECHT nei Gotting. gel. Anz. il 872, stiick 17 in un art. sopra le
Novelle Anticlie del Papanti.
novella XXXI.
Un pellegrino commette un delitto ed è perciô condannato 0 a pagare
Romania, III I 3
ic)4 A, d'ancona
mille lire o a perder gli occhi. Non avendo di che pagare, è condotto ben-
dato, alla giustizia. Per via lo vede una donna ricca ma brutta, e si
offre a pagar per lui, purchè la sposi. Quando gli è tolta la benda, vista
la brutta donna che doveva sposare, comincia agridare : Ribende rilende,
che meglio è non veder mai che veder sempre cosa che gli spiaccia. Il Signor
délia terra, saputa la cosa, lo lascia libero.
Cfr. colla fav. 69, lib. IV, dell' Esopus di Waldis. In nota, il
KURZ (p. 170) rimanda fra gli altri a Hans Sachs (IV, 5,13, cfr.
con Pauli, Anhang, n" 4) ma il paragone non ci sembra esatto. Nei
Proverhj di Cintio dei Fabrizj (n'^ 37^ si trova narrato l'identico
falto, col motto di : Rehindemini. Il Prof. Lemcke {Cintio dei Fabrizj,
m Jahrbuch. f. roman, literat., I, ^18) darebbe alla novella e alla
parola una origine arabica : a noi pare che venga senz' altro da benda,
bendare. Il Liebkecht nei G ôtt. gel. An zeig. (1872, stiick 17) riferisce
in questo proposito un passo dei Zeloso di Don Alfonso Uz de
Velasco.
Alessandro d'Ancona.
ESSAI DE CLASSEMENT
DES MANUSCRITS DES LOHERAINS
SUIVI d'un
NOUVEAU FRAGMENT DE GIRBERT DE METZ.
« Je ne crois pas qu'il y ait un monument aussi hardi, aussi surpre-
nant dans aucune autre littérature. » C'est ainsi que M. Paulin Paris
termine l'avant-propos de son édition en prose de Garin '. Sans accep-
ter absolument ce brevet d'excellence que chaque éditeur est toujours
tenté de décerner à l'œuvre qu'il met en lumière, il est cependant incon-
testable que la geste des Loherains est un poème d'une grande valeur,
une production épique au suprême degré et du plus haut intérêt pour
l'histoire et la littérature nationales. Considéré en soi, il offre le tableau
le plus fidèle et à coup sûr le plus saisissant des mœurs et des institu-
tions de la société féodale dans sa période la plus reculée. Comparé aux
autres épopées, le poème des Loherains apparaît comme l'une des plus
populaires. Le nombre des manuscrits qui nous ont conservé cette geste
en tout ou en partie est plus considérable que pour nulle autre chanson.
S'il convient de juger le mérite d'une œuvre littéraire, ou du moins de
mesurer la faveur dont elle a joui, au nombre des reproductions qui en
ont été faites, assurément la geste des Loherains a droit d'être placée au
premier rang avec ses branches de Garin et de Girbert de Metz. Cette
prédilection de nos aïeux s'explique d'elle-même par l'esprit profondé-
ment national de i'œuvre_, par la fidélité avec laquelle sont tracées les
grandes lignes historiques, par la précision et l'exactitude des données
géographiques en ce qui concerne la région orientale de notre pays et
principalement la Lorraine et les environs de Metz, patrie présumée et
vraisemblable du poëme original.
1. Garin le Loherain, chanson de geste... mise en nouveau langage par A.
Paulin Paris. Paris, 1862, in- 12.
196 V. BONNARDOT
Ce poëme original, quel est-il et où est-il ? Ces deux questions,
je n'ai pas la prétention de les résoudre; il me suffit ici d'apporter mon
contingent de recherches pour une étude ardue et délicate. L'abon-
dance même des manuscrits est une difficulté de plus, tellement les
leçons sont divergentes ou mêlées. A cette première difficulté vient
s'ajouter celle qui résulte du nombre des fragments découverts un peu
partout, en France, en Belgique, en Allemagne, en Autriche. Je
donne la liste de tous ces mss. ou fragments parvenus à ma connais-
sance, en m'aidantde celle que M. E. Stengel vient de publier'. Malgré
l'inconvénient qu'il peut y avoir à ne pas reproduire les signes conven-
tionnels adoptés par le premier éditeur, je me suis décidé à suivre un
autre ordre et à adopter d'autres signes que M. St., pour les raisons
suivantes : M. St. a lui-même apporté quelques modifications à son
catalogue (p. 408^ ; le nombre des mss. ou fragments que je cite est
augmenté; l'usage provisoire des chiffres me permet de ranger succes-
sivement et par ordre les mss., fragments et rédactions en prose qui se
trouvent soit à Paris, soit en province, soit à l'étranger. Cette disposi-
tion préalable m'a paru faciliter l'étude des mss.; après quoi, et comme
résultat définitif de ce travail, je donnerai le groupement des mss. en
diverses familles. Dans cette première liste je fais suivre, quand il y a
lieu, le numéro provisoire de chaque manuscrit de la lettre qui lui est
affectée p. ^86-7 des Roman. Studien :
MANUSCRITS.
/ P. Paris, Bibl. nat. fr. 1442 (anc. 75 3 0-
2 G. — — 1443 ( — 7533^'-, Colbert 1 $60).
^D. — — 1461 (— 7H25-5, — 5172)"-
4F. — — 1582 ( — 7608).
5 I (. . . f°5 1-176.
(m — — i622!(— 7628^ de la Mare 282).
5^ ] ( . . . f°s 177 et ss.
6'X. — — 2179 (— 79915, — 227).
7 S. — — 4988 (— 96545-?a).
8 E. — — 19160 ( — Saint-Germain 1 244; ; une copie
à Épinal sous le n° 165.
9 G. — — 19161 ( — 2041).
1. Die Chanson de geste-Handschriftender Oxforder bibliotheken, dans ]es Roma-
nische Studien, pp. 580-408; le catalogue p. 386-7 et note additionnelle p. 408.
2. M. Stengel dédouble ce ms. en D et Da, sans doute parce qu'il est écrit
de deux mains. Mais comme il n'est, pour ainsi dire, aucun de nos mss. dans
lequel cet accident ne se soit produit avec des proportions plus larges encore,
il me semble plus rationnel de dédoubler les seuls mss. comportant dans leur
ensemble des leçons différentes, que l'écriture reste ou non la même. Tel est le
cas p. ex. du ms. 1622 = 5 et ^a.
LES MANUSCRITS DES Loherains 197
10 L. Paris, Bibl. nat. fr, 24377 f^^nc. La Vallière 60; n" 2728 du Ca-
talogue .
// A. — Arsenal, B-L.F. 180
12 N. — — — i8i(- Collège de Navarre A54j.
j3 I. Dijon, 300-'.
14. Montpellier 243.
i5 R.? Jadis dans la bibliothèque de Roquefort.
16 B. Berne, fr. 113.
i/Q_. Bruxelles 9630 ('anc. 28 ij.
/<y V. Ashburnham place.
ig U. Cheltenham 2937, bibl. de Sir Thomas Philipps.
20 W. - 3628, ' —
2/0. Oxford, Bodléienne, Rawlinson Poetry 160.
22 T. Turin;, fr. 36.
FRAGMENTS.
23 Y. De Thoré.
24 Z. De Carpentras, ms. 401
25 Z'. Des archives de l'Aube.
26 Z2, Des archives de la Marne.
27. De Paris, ms. 1461.
28. De Paris, communiqué par M. Léon Gautier.
2p H. De Hanovre, ms. 576.
3o K. D'un couvent d'Autriche.
RÉDACTION EN PROSE.
On connaît trois versions du poème en prose. L'une existe à l'Arsenal
sous la cote B~L. F. 218'' ; le ms., exécuté au xv siècle, est à deux
colonnes. La langue présente les caractères du dialecte lorrain '. Avant
de passer dans la bibliothèque de Paulmy, il a appartenu à Guyon de
Sardière. Le « Romans de Garens Loherens » est suivi de « Vieilles
Chroniques d'Angleterre « également en prose. Une note, due au biblio-
thécaire de Paulmy, attribue pour source à ces chroniques celles de
Telezin et Melkin, d'où Wace a pris le sujet de son roman du Brut.
La seconde version, œuvre de David Aubert, est conservée à Bru-
xelles dans la bibl. de Bourgogne. Des quatre énormes volumes exécutés
pour Philippe-le-Bon, le premier et le commencement du deuxième con-
tiennent Gérard de Roucillon, la fm du deuxième et le troisième le Lolierain
Giieri/i et Fromont de Lens ; le quatrième est rempli par le récit des
guerres de Lorraine et autres contrées. La date de cette traduction est
1. L'Hist. Int. dit (XXII, 641) nue le ms. de l'Arsenal contient le commen-
cement de la traduction de Vigneulles. Il ne faut point entendre par lA que ce
soit une copie de la traduction messine, laquelle est postérieure d au moins un
demi-siècle à la date du ms. 218.1.
198 F. BONNARDOT
fournie par la note suivante : « Ont esté/, par David Aubert escripts en
)) la fourme et manière qui s'ensieut en la ville de Brouxelles l'an de
)) l'Incarnation Nostre Saulveur Jhesu Christ mille cccc. soixante
» cincq. » '.
La troisième version est de Philippe de Vigneulles, le fécond chroni-
queur et conteur messin. Des deux exemplaires qui la reproduisent,
l'original est à la bibl. de Metz; une copie très-soignée et ornée de
miniatures était au xvii'= siècle en la possession de Ferry, qui l'avait
acquise en 1644 par échange avec la bibl. de Sedan; elle entra plus tard
dans la collection du comte Emmery de Metz, d'où elle passa en 1 849
dans celle de M. le comte d'Hunolstein *. La minute de Ph. de Vigneulles
porte le n" 97 du Catalogue de M. Clercx (maintenant 847)3. Il avait
des lacunes qui ont été comblées dans ces derniers temps par M. Aug.
Prost à l'aide du ms. Emmery. Ces mutilations et la restauration du texte
sont signalées dans une note en forme d'avertissement qui comprend la
copie, faite par M. Prost, des arguments des 167 chapitres d'Hervis.
Voici quelques-uns de ces arguments dont on peut rapprocher ceux du
ms. de Turin (ci-dessous 22) :
Chap. I". — En celluy temps advint que en la noble cité de Metz avoit ung
duc de grant autorité, nommé Pierre, lequel estoit duc et seigneur de toute
Estrasie...
Chap. 2. — Comment le duc Pierre mandait le conte de Bar et plusieurs
aultres ses parens, et du conseil que luy fut doneis touchant le mariage de
Aeilis sa fille.
Chap. 5. — Comment l'enfant Hervix fut neiz.
Chap. 31. — Comment li Lhorrain Guerrin et Baigue de Bellin son frère
furent engendreis et neiz.
L'œuvre se termine au fol, 32$ par ce résumé intéressant à divers
titres :
Ici fine l'istoire c'on dit a Metz le Lorrain Guerrin, c'est assavoir de toute la
lignie qui saillit du duc Piere de Lhoraine, et du noble duc Hervey de Metz,
de toutes leurs filles et filz, et de tous ceulx qui en descendirent, comme cy
devant avais oys ; pareillement de la lignie du conte Herdré de Lans en Lainoy,
de Froment et de Fromondin son filz. Lesquelles deux lignies se menèrent
durant leurs vies une si forte et mortelle guerre qu'ilz en furent tous déshéritez
et destruits, et moururent tellement par glaive en ceste mortelle guerre que de
tous les plus grans n'en eschapa que le roy Gerin, qui s'en alla rendre hermite
1. Barrois, Bibl. prolypographique, n" 1596, 1749-52.
2. A. Prost, Etudes sur l'Histoire de Metz, les Légendes, p,i400, note.
5. Catalogue des manuscrits relatifs à l'histoire de Met: et de la Lorraine, Metz,
1856, p. 7^-6. La notice de ce ms. donnée par M Clercx est reproduite dans
le Catalogue des mss. des Bibl. des départements. Metz, t. V, p. ^07. — Je suis
redevable à l'obligeance de M. Richard, archiviste-adjoint à Metz, des détails
qu'on va lire sur l'état et le contenu de ce ms.
LES MANUSCRITS DES Loheraîns 199
au boix comme il a ci-devant esté dit. Laquelle histoire je Phi. de Vigneulie
cy devant nommez l'a retraict, mis par chappilre et reccuellis de plusieurs livres
et rime ancienne, comme vous avés oys : si vous prie au nom de Dieu que
prenez en grey l'euvre^ car je vous advertis qu'elle n'est pas mise en cy beaulx
termes comme elle deult estre, mais y ait beaucopt faillis parce que je n'ay pas
l'art ne la science, et aussy je ne l'a faict sinon pour mon passe temps et
plaisir ; néant moins je l'ay mis au plus près de la vérité sellon que ez anciennes
rimes j'ay trouvés en escript. Et pour ce plaise vous a courrigier les faultes que
y trouvères, et je vous en sçaveray bon greys et dirai grant mercy, et pour
toutes conclusions nous prierons ou Rédempteur qui nous doient part en son
sainct paradis. Amen.
Ce fut la première production du fécond chaussetier messin, et sans
doute son œuvre de prédilection, Philippe de Vigneulles y revient dans
ses différents ouvrages :
Aussi y ai escript la vie en briet du noble duc Hervey, duc de Metz et sei-
gneur de toutte Austrasie, qui maintenant est appelée Lorraine, de la belle
Beatrix sa femme, et du Loherains Guerrin leur filz, duquel le corps gist a
présent tout enthier en la grande église d'icelle cité de Metz '.
En celle dite année mil. v. c. et xv. je Philippe de Vigneulie compouseur de
ceste présente cronique translatis et mis de ancienne rime en prouse le livre de
la belle Biautris et celui du Lourain Guérin, et fis pareillement ung livre conte-
nant cent nowelles ou contes joieulx 2.
Ainsi c'est en 1515 que Vigneulles fit sa traduction de l'épopée lor-
raine. Il s'est servi de deux ms., dont l'un ne contenait que la branche
à'Hervis. C'est ce qui résulte de l'expression « le livre de la belle Biau-
tris et celui du Lourain Guérin » : ce n'est pas faire injure à sa critique
littéraire que de croire qu'elle eût été incapable de discerner les différentes
branches d'un même poème si elles avaient été réunies en un seul tout.
Parmi les ms. qui nous sont parvenus, il en est deux (cV et 14) qui ont
pu être la source de la mise en prose : tous deux étaient à Metz au
moyen-âge ; tous deux présentent les caractères du dialecte lorrain, le
premier toutefois à un bien plus haut degré. En outre <S' est le seul ms.
(le ms. l 'j étant ici tout à fait hors de cause! qui possède la branche
à'Hervis, laquelle branche constituait d'abord un ms. à elle seule et ne
fut réunie aux deux suivantes que plus tard, à l'époque de la première
reliure du ms. actuel (voy. sous ^).
MANUSCRITS PERDUS.
Divers témoignages attestent l'existence de plusieurs manuscrits non
représentés par les précédents :
1. Dans ses Chronicjius publiées par Huguenin, p. 2, col. 2. — Voyez aussi
les Légendes de Met:, par M. A. Prost, p. 545 et p. 490-9 le fragment de la
chronique de Vigneulles relatif à la légende d'Hcrvis.
2. Mémoires de Ph. de V., édition Michelant, p. 283. Stuttgart, 18^2.
200 F. BONNARDOT
1 celui de Charles V, mentionné dans le catalogue de la librairie du
Louvre dressé par Gilles Mallet, en 1 573 : Des Wandrez qui vindrent en
France, du Loherans Garin, du bègue de Belin; rymé en petit volume*.
2 et 3) jadis dans la librairie des ducs de Bourgogne ^Du Méril, Mort
de Garin, p. Ixvij).
Le ms de Bruxelles ne représente ni l'un ni l'autre de ces mss., qui
n'auraient, semble-t-il, disparu qu'à une date assez récente, puisqu'ils
sont mentionnés par Saunderus {BibUothec£ belgic£ mst£. catalogus, pars
IP) sous les no" 225 « Laurens Garin, » et 760 « Lothar Enguerin, en
rithme. » Du Méril donne le premier et dernier vers de l'un et l'autre
d'après un ancien inventaire dont il n'indique pas la source./
4) à Eudes de Bourgogne, comte de Nevers (mort à Acre en 1266).
« Li dui grant romanz et li Chançoners por xxxi''. Ce fu li romanz des
Loheranz et li romanz de la terre d'Outre mer, et li Chançoners » (Inven-
taire et comptes de la succession d'Eudes, dans les Mémoires de la Société
des anticjuaires de France, t. XXXII, p. 188).
5) dans la librairie des comtes de Hainaut. En 1323, le romandes
Loherains était compté pour 16 livres 5 sols dans l'inventaire des bijoux
et joyaux achetés à Paris pour Marguerite et Jeanne de Hainaut, filles
de Guillaume F', publié par M. de Ménilglaise dansVAnnuaire-Bulletin de
la société d'Histoire de France, pour 1868, 2'' partie, p. 129. (Ibid.
p. 188, note I.)
ÉDITIONS PARTIELLES.
Un certain nombre d'extraits ont été publiés, quelques-uns traduits en
prose. Voici par ordre de publication le titre des ouvrages où !a geste
des Loherains a été l'objet d'une transcription ou d'une analyse.
1745. Histoire de Lorraine par dom Calmet, nouvelle édition, t. I,
Preuves: col. ccxlj-cclxxxj, une partie de Hervis, et du prologue de
Garin, col. cclxxxij-iv. D. Calmet a transcrit le ms. igiiw (anc. Saint-
Germain 1244) soit directement, soit indirectement d'après une copie
assez peu soignée : ainsi au v. 11 de Garin l'abréviation chrs= «cheva-
liers » est rendue par chrestiens, au v. 22 péris est une faute pour peW, etc.
Quand la leçon varie quelque peu entre les trois mss. qu'on verra
désignés sous le nom de « lorrains » , l'édition suit celle du ms. / 9 / 6" o . Dans
l'énumération finale du poème, ce dernier ms. et l'édition sont d'accord
contre le ms. 1442, qui donnent au vers 10 «norris» et celui-ci «ocis»;
de même pour le vers 14 on a d'une part: « Sous qui aidoient » et
d'autre part: « Cent q, a. ». Enfin l'énumération se termine par ces
deux vers adressés par le jongleur à son auditoire :
1. Bibl. nat., ms. fr. 2700, !« xix v°. Ce ms. porte le n" 41 1 de l'édition du
catalogue publié par M. Léopold Delisle dans le t. II du Cabinet des manus-
crits, actuellement sous presse.
LES MANUSCRITS DES Loherdins 201
Des Loherans ne poeis plus oir,
S'on ne le vuet controveir et mentir
qui ne se trouvent que dans le ms. de Saint-Germain. C'est d'ail-
leurs le seul qui possède la branche d'Hervis. — Une copie de ce ms.
existe à la bibliothèque d'Epinal; elle provient de l'abbaye de Senones.
Quoiqu'il y ait toute apparence que cette copie ait été faite pour dom
Calmet, abbé du même lieu, ce n'est point celle dont il s'est servi puis-
que VHistoire de Lorraine a été publiée plus de dix ans avant que cette
copie ait été exécutée (1757).
Dom Calmet a aussi publié dans le même ouvrage (col. cxxii et ss.'i
un extrait de la Chronique rimée qui se rapporte à la légende du duc
Hervis '.
183 5-? 5. Li romans de Garin le Loherain p. p. P. Paris, vol. II et III
de la Collection des Romans des Douze Pairs de France. Le premier
volume s'arrête au commencement de la 22'^ laisse à l'annonce du mariage
de Garin avec Blancheflor; le second se termine avec les funérailles de
Bègue de Belin. La leçon ne reproduit pas le texte de tel ou tel ms.,
l'éditeur a fait un choix parmi les variantes de tous les mss. Cependant
une note au feuillet de garde du ms. 4 donne à penser que la leçon du
ms. 146 1 a été suivie de préférence.
1855. Analyse critique et littéraire du roman de Garin par Le Roux de
Lincy. Compte-rendu de l'ouvrage précédent. L'épisode de la mort de
Bégon y est traduit presque complètement.
1836. Chronique rimée de Philippe Mouskes, édition Reiffenberg iBru-
xelles). Mousket fait entrer dans sa compilation des éléments empruntés
à la geste lorraine : t. I v. 2080-2125, récit de la mort de Bégon ;
v, 2126-2145, résumé rapide des événements accomplis jusqu'au
mariage de Girbert avec la fille d'Aimery de Narbonne. En outre il y
fait allusion en divers endroits, sur lesquels voyez la dissertation du
baron de Reiffenberg (II, cclxiij et ss.j.
1835-8. Chanson de la mort de Bègues de Belin réduite en prose par
Edward Le Glay, dans les Fragments d^ épopées romanes du xi^' siklc^.
Pour sa publication l'auteur s'est servi d'un ms. jusqu'alors inconnu, et
1. Les mss. de cette chronique, que M. Prost fait remonter )usqu'i la fin du
-xiv* siècle, sont fort nombreux, voy. A. Prost, 1. I., p. 102-6 et Chabert. La
première édition parut en 1698 (Metz, veuve Bouchard), sous ce titre : Les
Chroniques de la ville et cité de Met:, in-12, 97 p., réimprimée dans le même
format, par M. Chabert, avec une notice bibliographique, Metz, 185^, et
Ëubliée en partie dans la revue VAustriisie, 1855-6. Le fragment publie par
'. Calmet comprend 20 quatrains (p. 65-7); il a été reproduit par Du Méril
(Mort de Garin, p. XXII-IV).
2. Fragments..., p. 93-158. Paris, Techener, 1838, 325 ex. Hollande; et
antérieurement dans les Archives hisloriaiies du Nord de la France, IV', i9;-23i,
tiré à part à 50 ex., in-8' de 43 p. Valencicnnes, 1835.
202 F. BONNARDOT
qui figure actuellement dans la bibliothèque du comte d'Ashburnham
(ci-dessous /^).
1844-5. De ce même ms., alors dans le cabinet de M. d'Herbigny,
M. E. Le Giay a publié un extrait considérable dans le yowrncî/^wi^îi/^/i/s
de Normandie, 1844 pp. 849-858; la publication a été interrompue, le
Journal n'ayant plus continué la sienne. Cet extrait se rapporte au com-
mencement de la chanson de Girbert ('voy. ci-dessous /fV;.
1845. La Mort de Carin p. p. Edelestand du Méril pour faire suite à
l'édition de M. P. Paris; l'éditeur a reproduit de préférence le texte
de J.
1852. Hist. lin. de France, t. XXII : Notice sur les Loherains, par
M. P. Paris.
1862. Garin le Loherain ... mis en nouveau langage par M. Paulin
Paris. La branche de Garin comprend les pp. 1-54°» l'analyse des bran-
ches suivantes et la liste des mss. les pp. ^41-369.
1863. Etude sur les Chansons de geste et sur Garin le Loherain., dans le
Correspondant, par M. P. Paris.
186$. Les Foires de Champagne, par F. Bourquelot, contiennent des
extraits de Hervis (t. XXII des Mémoires de divers savants, Académie des
Inscriptions et Relies-Lettres, pp. 1 14-128) tirés du ms. A\
Enfin, pour ce qui concerne les citations ou analyses de notre poème
antérieures à Don Calmet, je renvoie à l'ouvrage de M. Prost qui a
étudié avec un soin particulier la source et la portée des ouvrages de
Hugues de Toul, de Jacques de Guyse, de Symphorien Champier, de
Wassebourg, de Meurisse ..., entant qu'ils ont trait à la partie légen-
daire de la geste.
Presque toutes ces publications ont pour sujet la chanson de Garin;
par contre, les fragments publiés appartiennent tous au Girbert, sauf 3o .
Des nouveaux fragments dont la description est donnée plus bas, deux
sont de Girbert, le ]^ (27) est pour moitié de Garin et pour moitié de
Girbert. J'indique pour chaque morceau la famille et le groupe auxquels
il se rattache.
23. — 360 vers, les premiers reproduits dans la Revue des sociétés
savantes, 4'' série, t. V, p. 442 ; le fragment entier dans le Cabinet histo-
rique de M. Louis Paris, 1867, et tiré à part.
Il commence au 4*^ vers de la seconde laisse de Girbert. Lems. auquel
ce fragment a appartenu comptait 2 col. par page et 45 vers à la col.
Sa langue est du picard entaché de wallon ; sous ce rapport il est voisin
du ms. 7. Pour la leçon il ne diffère pas essentiellement des mss. de la
Bibi. nat. Je relève seulement quelques divergences dont un certain
nombre sont assurément du fait de l'éditeur. V. 5 s'aucuns sospir {sic}
LES MANUSCRITS DES Loherains 20^
chaitis en autre terre ; ms. sovent qui est la bonne leçon, sospire. — V. n
commence la seconde laisse en a...e. Je remarque que dans plusieurs ms.
tels que i-S-j-S, les deux ou trois premiers vers de cette laisse sont
réunis à la laisse précédente en e...e : les assonances Pasques, charge,
Bordeile la large sont remplacées par feste (gieste 7) germe, Bordelle, en
sorte que cette laisse commence seulement au v. 13 ou 14, au milieu
d'une phrase, par A l'aleor de l'ancien estage corrompu dans 4 : Et a la
loi. — V. 20 guienage esl sans doute altéré de gaaignage ; ce mot est
isolé ; les mss. donnent treuage segnorage passage. — 24 grelles corr.
grailles. — V. 42 manque à tous les ms. — V. 63 escrire corr. escrit,
l'assonance étant en /. — V. 72 Par haute mer se nagierent ichil; la bonne
leçon est se nagent a I cri. — V. 76 sir, lis. issir. — V. 82 si lis. ansi.
— V. 92 dreciés lis. drecies, assonance i...e. — V. 147 voelent lis. soelent
etc. etc. L^éditeur n'a pas toujours respecté l'ordonnance des laisses : la
seconde ne fait qu'un avec la première sous deux assonances, par contre
la dernière est divisée en deux. Les traductions données en note ne sont
pas toujours justes : au v. 142 cadiel est expliqué par « manoir » qui
est contredit non-seulement par le sens mais par la construction même
de la phrase :
Gironviie est fremée en un vaucel
Sor une roche qui fu del tans Abyel,
Cayns le fist et si autre cadiel.
Il semble que les copistes aient été embarrassés pour ce mot qui est
chandel 3, cael 4, kaiiel 7, tandis que les ms. lorrains :-5-rS^ le suppri-
ment : et ses f reires Abels.
24. — 140 vers en deux feuillets non consécutifs, reliés à la fin du
ms. Carpentras 401; les premiers vers de chaque fragment dans la Revue
des soc. sav., ibid , p. 443. J'en ai la copie que je tiens de l'obligeance
de M. Barès, bibliothécaire de Carpentras. Par une heureuse rencontre
le premier de ces fragments se rapporte au passage conservé par -jj,
publié plus loin ; il commence et finit avec les vers 41-108 de notre
fragment. Le second feuillet débute par le 14»^ vers de la laisse
Vait s'en Gerberz li prouz et li guerriers (f" 1 3 <,d de 3)
et finit 70 vers plus loin par la réclame
Vait s'en li conte,
initiale d'une laisse. Ce ms. est picard par la langue, par la leçon il
appartient au même groupe que S-4 et Montpellier. Voici quelques obser-
vations sur le texte rapproché de celui de .V .■ v. 5 manque dans S-4 et
les mss. lorrains /o-A'. — V. 1 3 difière dans les deux mss. — V. 1 5
Car a mon oel Paverai jou plus chier corr. a mon ocs, qui est la leçon de 7 ;
a mon eus; le texte de J est obscur : a ucs {aves j') moi, les trois premières
204 ^- BONNARDOT
lettres surmontées chacune d'un apex ;. les autres mss. donnent avoc
avoec moi. — V. 21 Par vostre guerre on mes pères ochis, corr. on en/u
d'après les mss. — V. 26 diffère dans tous les mss. sauf .? et 4. —
V. 46-50 sont intervertis en regard des mss. J-4 qui font suivre ainsi :
49, 46, $0, 47, 48 ; c'est un dénombrement, l'accident est de peu.
Ce feuillet termine un cahier, ainsi que le montre la réclame. Entre ces
deux fragments du même ms. on compte 1012 v. d'après le ms. J, mais
d'après la justification du fragment lui-même 101 $ v., soit 29 col. par
^5 V. chacune. Et comme ce ms. n'est pas divisé en colonnes, la lacune
est donc de 29 pages entre les deux feuillets : cela étant le premier
feuillet = fol. 32 et le second = fol. 61 de Girbert tel qu'il se compor-
tait dans le ms. complet, écrit au commencement du xiv" siècle. Les
fragments sont reliés à la fm du ms. 401 de la bibl. d'Inguimbert à Car-
pentras, lequel provient du cabinet de M. de Mazaugues.
25. — 173 vers contenus dans la moitié d'un feuillet double, rogné
dans le sens de sa longueur; les quatre colonnes restantes sont celles de
gauche au recto et de droite au verso. Publié dans la même Revue (4"=
sér. t. VIII, p. 274-280), et rapproché par M. P. Meyer de nos mss.
5^-y-i I .
L'éditeur a remarqué que la leçon de ces 5 mss. est sensiblement dif-
férente de celle du fragment ; il n'a pu savoir que cette dernière est
suivie par tout un groupe de mss. Par le texte non moins que par la
langue, le fragment est lorrain ; il est plus voisin de / que de 8. La
col. I commence dans / au fol. 25 1", dans 8 au fol cccxxxix^ Je relève
en passant quelques corrections et variantes : v. 6 trous cor. trons. —
V. 16 est différent de tous les mss. — V. 24 est isolé en regard des
autres mss. — La col. II, séparée de la précédente par une lacune de
86 vers (Rev. des Soc. sav. p. 274 et 276), a son premier vers incom-
plet du commencement. Ce vers manque dans tous les mss., sauf dans i
qui porte :
[Tanrement ploure des biax eus de son vis
Que la cleirje iaue li cort aval le vis.
Cette partie du fragment ayant été conférée par M. Meyer avec les
mss. sus-indiqués, le lecteur pourra se rendre compte de la différence
des leçons entre ces mss. et le groupe lorrain, notamment pour les
V. 6-9. J'aime mieux faire observer la sagacité avec laquelle le critique
a su restituer les mots enlevés par le mauvais état du parchemin, bien
qu'il n'eût à sa disposition qu'un moyen de contrôle peu sûr. Les quel-
ques variantes entre son texte et la leçon purement lorraine qu'on pour-
rait relever sont en elles-mêmes insignifiantes : v. 2 Tant lis. Trop. —
V. 8 Ou 1. Ne. — V. 24 Par 1. Por. — V. 2$ Ses escuiers, 1. Li. —
LES MANUSCRITS DES Loherains 205
V. 29 vint arrier, 1. reîorna, etc. Au v. 59 ses mss. ne lui fournissant
rien d'utile, il a laissé une lacune qui doit être comblée ainsi : por
Pa[mor de]Jesu. — Au v. 22 il faut supprimer Et, et au v. 26 corr.
monta en monte. Cette faute existe dans tous les mss. qui écrivent soit :
Fromondins monta en faussant la mesure, soit Fromons monta en faussant
l'histoire, Fromont étant mort depuis longtemps déjà. Seul le ms. 7, qui
offre parfois de bonnes variantes, donne une leçon satisfaisante : Fro-
mond. monte.
On nous pardonnera d'entrer dans ces minutieux détails, en considé-
ration de leur utilité pour établir la valeur respective des mss. dans
l'intérieur d'une famille ou d'un groupe. C'est ainsi qu'en confrontant
successivement / et S entre eux et avec le fragment, le premier de ces
mss. apparaît préférable au second dans les vers I 34, Il 27, 28, III 6,
'V 5> 7> 9; st qu'au contraire celui-ci l'emporte sur celui-là dans I 16,
18, 20, 30, 35, II 5, 15, 16, 22, 23, III 15, 31, IV 2, 15. Enfin les
deux mss. sont d'accord contre le fragment dans I 39 bis 'c.-à-d. qui
manque au fragment), II 13 bis, 31-32 réunis en un seul, III 18 manque,
40 bis, IV 19, 24, 40 bis. Mais encore une fois ces variantes et ces
lacunes ne sont rien auprès de la divergence du fragment avec les mss.
autres que ceux du groupe lorrain. La seule particularité du nouveau
membre de ce groupe consiste en ce qu'il ne reproduit pas la justifica-
tion de 30 lignes à la colonne, identique pour les mss. i-5-8 et le frag-
ment 28 qui reproduit, lui aussi, la même leçon. Quant à notre fragment
il ne compte pas moins de 45 vers par colonne, dont les deux derniers
manquent en l'état actuel du feuillet. Chacune des 4 col. restantes cor-
respond dans les mss. ainsi qu'il suit :
Col. I ms. / fol. 251-1 ms. A' fol. cccxxxix^
— II — 252a — CCCXL"
— III — 252*^ — CCCXLC
— IV — 253c — CCCXLI<^
Pour le ms. rh'22, le passage répond au fol. 250, où la leçon suivie
n'est plus celle des mss. lorrains : il faut donc le mettre à l'écart.
26. — 200 vers en un feuillet; publiés à la suite de mon rapport dans
les Archives des missions, 3'' série, t. I"'"', pp. 286-291 et pp. 42-47 du
tiré à part. J'en avais rapproché la leçon de celle du ms. 1622, sans
remarquer que, par un cas peu ordinaire, ce ms. reproduit successive-
ment la leçon de deux familles différentes, et que la succession de la
leçon «française» à la leçon "lorraine» s'opère précisément au v. 88 de
notre fragment. C'est en ce sens qu'il faut entendre la note i de la
p. 83 ci-dessus, où je dis que Châlons n'appartient pas à la même
famille que le ms. 1622. Cette rectification ne vise que les 87 premiers
vers, tandis que les vers 88-200 se rapprochent sensiblement du texte
: >■
2o6 F. BONNARDOT
de ce même ms. C'est ce que démontre le tableau suivant où j'ai groupé
les différences saillantes de l'économie des deux textes :
a) — 1622 lorrain, fol. lyôb-d = Châlons v. 1-87.
Compte en plus les vers 4 bis, 1 5 bis, 1 5 ter, 37 bis,) ^ n \
45 bis, 46 bis, 81 bis, 87 bis.) ""' diff. 19
— moins — 22, 28, 29, 50-56, 82. =11 )
b) — 1622 français, fol. i77a-d — Châlons, v. 88-200.
plus 1 22 bis, 192 bis.
moins 123, 147.
Ainsi, dans la première manière, l'écart en plus ou en moins est de 19
vers sur 87, tandis que dans la seconde manière il n'est plus que de 4
sur I 1 3 ; soit, en moyenne, ici i sur 28 et là i sur 5 environ. Bien
qu'il ne faille pas appliquer à l'examen des œuvres de littérature la
rigueur de la méthode mathématique, il m'a paru que le présent cas en
supportait l'application. Et je regrette moins à présent d'avoir conféré
de prime abord mon fragment avec il'rj-j, puisque cela m'a permis de
faire ressortir d'une manière sensible la divergence entre l'une et l'autre
leçon, au moins en ce qui concerne Chulons.
27. — 2 fragments reliés dans le ms. 1461. Ils forment ensemble un
demi-cahier de 4 fol. paginé 113-116. Non-seulement les feuillets ne se
suivent pas, mais ils n'appartiennent ni au même cahier ni à la même
branche de la Geste. Ce sont^ deux fragments complètement distincts
dont l'un se rapporte à Girberîet l'autre à Garin.
Ils proviennent l'un et l'autre d'un ms. unique, comptant 2 colonnes à
la page et 30 vers à la colonne. C'est la justification même du ms.
146 1 ; et c'est ce qui explique tout à la fois comment ces feuillets ont
pu être reliés à la suite d'une lacune de ce ms., et comment l'auteur de
la note qui figure en bas du fol. 112 a pu prendre ces feuillets 115-116
pour la continuation du Garin. Avec le fol. 1 1 2 se termine le xvii^ cahier,
d'un autre côté le fol. 1 16 porte la réclame xxvii ; et les exemples sont
assez nombreux de mss. écrits de plusieurs mains pour que la différence
dans la forme de l'écriture et la couleur de l'encre n'ait pas arrêté
l'annotateur constatant une lacune de « 10 cahiers, 80 feuillets » entre
les fol. actuels 1 12 et 113. Obligé d'y regarder de plus près, il ne m'a
pas été difficile de reconnaître : d'abord que la quotité de cette lacune
est exagérée pour le point du récit où s'arrête le fol. 1 12 (= réellement
fol. 1 36) ; ensuite que les fol 113-116 n'appartiennent point à la der-
nière partie de Garin. Il fut moins aisé de déterminer le rapport des
4 feuillets l'un avec l'autre ; j'en dirai plus bas le motif.
Le premier fragment, par ordre de pagination, comprend les deux fol,
113 et 116, soient le premier et le dernier fol. d'un cahier numéroté
xxvii dans l'ensemble du ms. dont il faisait partie. C'est dire qu'il appar-
LES MANUSCRITS DES Lohera'ms 207
tient à la branche de Girberî. Et en effet, dans la suite de mon examen
du ms. 1461 , je rencontrai le même passage au fol. 171 , de telle façon
que le vers initial du fol. 11? •
Par ces ostex cil autre chevalier
répond au 1 5e vers du fol. 171^, et qu'il est en même temps le 1 3'' vers
de la laisse
Granz fu la feste que li cuens Fromons tient
dédoublée dans le ms'. Le dernier vers du fol. 1 1 3 = 14*^ de 172^:
Et çaint l'espee don li ponz fu d'or fin.
Entre le fol. 1 1 3 et le fol. 1 16 (celui-ci formant la seconde moitié du
premier feuillet double], il y a lacune des 6 feuillets intérieurs (=720
vers, mais 727 dans le ms.), en sorte que le fol. 1 16 débute par
Que fu es Landes l'orgoillox Fromondins
vers correspondant au v. 21 du fol. l78^ Il se termine par
Bien les connut quant les ci parler
et la réclame <( xxvii » pour le cahier et, pour le texte :
Ovri les iaiz
qui correspond au v. 20 de 179".
Les deux mss., similaires par la forme, le sont aussi par le fond : la
leçon du fragment est sensiblement identique à celle du ms. dans lequel
il est relié. La légère différence signalée dans le contenu respectif tient
sans doute au dédoublement d'un certain nombre de vers écrits sur deux
lignes.
En ce qui concerne le second fragment = fol. 114-115, une confron-
tation analogue n'a pas été possible, attendu que le passage correspon-
dant manque dans le ms. Pour plus de facilité, je l'ai conféré avec le
ms. ry dont la justification est la même. Ce fragment appartient au
début de Garin, pour mieux dire au prologue de la chanson. L'ensemble
du récit contenu entre les vers extrêmes du fragment a trait à la lutte
suprême du duc de Metz Hervis contre les barbares, à son trépas sous
les murs de sa capitale et aux mesures prises par son fils Garin pour
remédier aux suites de ce funeste événement. Mais il s'en faut que le
récit soit continu. Les fol. 114 et 115 n'occupant point le cœur du
cahier dont ils faisaient primitivement partie (ce cahier était le II" du
ms.), les faces intérieures du feuillet ne sont pas d'une seule teneur, le
premier vers du second feuillet ne fait pas suite au dernier vers du feuil-
let précédent. En outre il y a eu interversion lors de la reliure ; le feuil-
let double a été plié en sens inverse, d'où il suit que 1 1 5 était le 2" du
cahier, tandis que le fol. 1 14 était le 7"' du même cahier. Voici le début
1. Pour le détail de cette particularité, cf. ci-dessous la description de ce
ms. sous 3.
208 F. BONNARDOT
et la fin de chacun de ces feuillets conférés avec le ms. désigné plus
haut :
(f* 110 Moi et mon frère Garin que )e voi ci.
Ainz que manjast h riches rois Pépins
va dans le ms. y du v. 27 du fol. S'^ à v. 27 de 9*-.
(f» 1 14) Les messagiers a Garins apelez.
Lors commença W diax : graindre ne vi.
correspond du v. 25 de 1 i,b au v. 20 de 14t.
Entre la ligne finale du premier feuillet et la ligne initiale du second
s'étend une lacune qui varie suivant les mss., mais qui ne peut être ni
inférieure ni supérieure au contenu de 16 colonnes 4 feuillets du cahier
de notre fragment), soient 480 vers' en admettant que chaque vers
n'occupât pas plus d'une ligne.
En résumé, les fol. numérotés 113-116 dans le ms. 3 ne font pas
suite à 1 12. ils se dédoublent eux-mêmes en deux groupes : l'un, com-
posé des fol. 115 et 116, représente le premier et le dernier feuillet du
cahier coté xxvii dans l'état intégral du ms. ; l'autre, composé des fol.
115 et 114, représente les feuillets 2 et 7 du second cahier du même
ms. Si ce ms. nous était parvenu intact et qu'il fût paginé, chacun de
nos feuillets prendrait le rang suivant :
- \io\. iM=fol. 10 . Ifol. 115= fol. 209
r^ fragment. - , , . , 2^ fragment.! . , . . , :,
^ /fol. 114 = fol. 17 ^ (fol. 116 = fol. 216
Quoique la disposition par 2 colonnes et par 50 vers soit assez com-
mun (c'est celle qu'ont adoptée 7 de nos ms.,, cependant aucun des
nombreux fragments signalés jusqu'ici ne comporte cette même justifi-
cation 2. Il suit de là que chaque fragment représente autant de mss.
perdus. Que si aux mss. dont l'existence n'est plus attestée que par ces
débris 'dont la série n'est sans doute pas close) l'on ajoute ceux qui ont
péri sans laisser aucune trace, on pourra se rendre compte du nombre
considérable de copies qui ont été faites de notre geste, et partant de la
faveur dont elle a joui chez nos aieux. Mais en revanche combien notre
tâche est laborieuse avec tant et de si grandes solutions dans la succes-
sion des mss. intermédiaires. En pareille matière quod abundai vitiat.
1. 491 vers dans le ms. 4; 48^ v. dans ^-2-5-<S' ; 430 v. dans 7 qui a ici une
leçon passablement divergente ; enfin 462 v. dans 9 avec lequel est conféré le
fragment, c'est seulement 15 colonnes au lieu de 16, le copiste ayant çà et l;\
dédoublé quelques vers et sauté un passage tout entier au f" 1317.
2. Il faut toutefois faire exception pour le fragment de Hanovre, qui est
d'ailleurs par sa langue indépendante de tous les autres fragments. Les extraits
publiés par Mené (ci-dessous, parag. 50), reproduisent cette même justification ;
malheureusement ils sont tellement mutilés qu'on ne peut guère en tirer parti
pour les identifier avec tel ou tel autre fragment.
LES MANUSCRITS DES Loherains 209
28. — 296 vers en un feuillet double ; publiés ci-dessous avec le rap-
prochement de tous les ms. de Girbert que j'ai eus à ma disposition.
2g. — 95 vers, fragment d'un feuillet à deux colonnes et mutilé dans
les conditions que j'exposerai tout à l'heure. Ce fragment, publié dans
les Rom. Sîud., pp. 377-9, faisait partie d'un ms. appartenant au même
groupe que / et (S' (dont se rapprochent fort 5 et 6). C'est un point
sur lequel je reviendrai plus bas. Quant à i-H-28., ils se reproduisent l'un
l'autre avec la plus exacte fidélité. C'est même texte et, on le verra bien-
tôt, même justification. L'unité de source ressort surtout du rapproche-
ment de 2<Ç avec 8\ le seul vers 56 réunit 28 tX i:
Dedans Nerbone entrèrent en la cit
contre 8 : la fort cit;
aux v. 17 et 26 la répétition en assonance de chair et croisir au lieu de
morir et desartir n'est que l'effet d'une négligence passagère. L'exécution
de 8 est plus soignée que celle de / (voy. ce qui vient d'être dit à ce
sujet sous 25). En outre ce dernier ms, laisse échapper de temps à autre
un vers, et sa leçon varie quelque peu vers la fin. C'est donc le ms. 8
qui nous servira de type.
Le fragment de Hanovre présente cette particularité qu'après les vers
23, 46 et 69, c'est-à-dire après chaque série de 23 vers, il y a une
lacune de 7 vers après les deux premières séries et de 6 après la troi-
sième. Nous pouvons ajouter dès à présent qu'il y a une égale lacune de
6 vers avant le v. i de l'édition, et qu'il manque aussi un vers après
le v. 93 et dernier en l'état du feuillet. Au total manquent 27 vers. Ces
lacunes ont été reconnues et comblées avec l'aide de 8.
Quant au texte, voici les rares variantes que j'ai relevées; encore
sont-elles presque toutes purement orthographiques : on verra d'après
cela combien les trois copies ont respecté la leçon commune. Quand
il n'y a qu'une variante, elle représente les deux mss.; s'il y en a deux
la seconde appartient à / :
V. 5, /// rois, le vers est faux; mss. ////; — 1 1 ferh vehtih corr. enfer
vestis, mss. fers vestis; — 12 voy. 5; — 13 ains, éd. au[s] qu'il faut pro-
bablement lire an; — 17 chair, morir de / est la bonne leçon;
dans I (J160 chair a été attiré par le vers suivant où ce mot figure en
rime; — 21 comme 11, manque dans /; — après 23 s'ouvre la
première lacune qui comprend les sept vers suivants :
23 Gib«r5 s'elaise, si a l'espié brandi, iH'2 Girb.
[Si fiert A. roi devant enmi le vis,
Desor la bocle li a l'escu maulmis
Et le haubert derout et desarti ;
Le bon espié li met p^rmi le pis,
Mort le trébuche dou destrier ou il cist. d. arrabi
Romania,in I4
2 10 F. BONNARDOT
Voit le Corsubles, a pou n'enrage vis,
Le chevaul broche des espérons massis].
24 Et va ferir le scnichaul Gcrin.
26 croisir dessartir même négligence que pour 1 7 ; — 35 coffe, coife
— 39 Han.: La gent, Par.: sa gens gent — 40 Gibers comme 25 et plus
bas 47, 60, 85, 89, tandis que 1442 a toujours Girbers — 45 corr. voint
en voient — après 46 vient la seconde lacune :
45 Quant paien voient lor sires est ocis
En fuie tornent por lor vies garir
[Gib«r5 après entre lui et Gerin 1442 Girb.
Et avoc aus le vallet Mauvoisin
Et de lor gens trovercnt .xv. mil. Et avoc aus
Cil de Nerbonne virent paien venir,
Tantost se courent armeir et fervestir,
De la ville issent et furent bien garni.
Paiens encontrent, lor cors ont envais.]
47 Et d'autre part G\htrs li fis Qmn
Sore lor courent
47 le point qui se trouve après Garin doit être enlevé. Ce vers manque
dans 144-2. — 48 sonn; f ici et ailleurs doit être résolu en p^r plutôt
que par comme l'a fait l'éditeur: la première notation est plus congruente
avec le dialecte que la seconde. — $ $ c'en retorne, retornerent;—^6 Han.
et 1442 entrèrent en la cit,i(ji6o ent. lafortcit; — 57 on, el; — 59 onques
telle ne vi, ains ci belle ne vi; — Gosallue Gib, salluie Girb .\ — 61, 62 corr.
vus en vos écrit ainsi en toutes lettres à 80; — 62 vostre doit être corrigé
en .v.c. (cinq cents). On voit ici une nouvelle preuve de l'identité de
Han. avec igiôo : ce dernier ms. présente l'abréviation ainsi disposée
v; le c suscrit a été pris pour un e, d'où la lecture « vostre » qui n'aurait
pas été possible avec la disposition de 1442 qui est telle : V. C; —
66 icest, icel; — 6j jusqu'au; — 69 Rainmon mieux que Raimmon,
filluel; ici se présente la troisième lacune qui ne compte cette fois que 6
vers au lieu de 7 :
69 Rainmon le conte et le filluel Gerin. i442
[En fait Gib^rz aporteir devant li, ai f. Girb.
Puis les ai fait richement sevelir : moût bien mccvdir
Si sont covert de .ii. pales porprins. sunt couvert, pailes macis
Et l'ondemain quant il dut esclarcir, ajornir
Vont au moustfiV por le servise oir; mosteir, cervise
Après la messe sont dou moust«ir p^rti, A. l. m. font les mors
70 Puis remontèrent] on pallais signori. [enfoir
70 enlever le point après signori; — 71. VII arcevesques, Han. VI
réduits, on ne sait pourquoi, à ./. par l'éditeur, quoique le verbe soit au
pluriel : « .i. arcevesques qui molt sont de haut pris »; le 5 final de arce-
LES MANUSCRITS DES Loheraitis 21 I
ves(]ues, qui est en effet fautif, ne peut infirmer l'emploi du verbe au
pluriel. On remarquera que le ms. de Hanovre a toujours gratté 17 final
des nombres romains, ainsi « vi )> pour « vu « et plus haut « m j) pour
« Mil « aux vers 5 et 12 où cette prétendue correction fausse la mesure;
— 74 tôt, tout; — 77 sera, cerai; — 78 Han. Genns est fautif pour
Giberz, Girberz; — 79 // en apelle, Il apelai; — 80 cuisins; — 81 Ger.
il rois a dit, Ger. li respondit; — 82 manque à 1442 ; — 85 Gib., Girb.;
tous j. moût /.; — 89 Ens el p allais s'estut, sus el. p. esîut; — 90 que il
pout tantameir, que il out amenei. — 91 mouî, tant; — 92 cui Deus puisse
sauveir, cui Deus croisse bontei; — 95 prennent, prirent.
Nous pouvons maintenant restituer l'état civil du fragment de Ha-
novre :
Avec les lacunes comblées, il compte 120 vers, par 2 colonnes à la
page et 30 vers à la colonne. Le feuillet a été coupé à ses deux extré-
mités supérieure et inférieure; le ciseau a enlevé six vers en haut et un
vers en bas de chaque colonne. A la seconde colonne du verso, le ciseau
s'est légèrement relevé et a respecté la fm du septième vers après en
avoir emporté le commencement. C'est pourquoi la lacune ouverte après
le v. 69 ne s'étend que sur six vers ou plus exactement six vers et demi
au lieu de sept. Dans son état intégral le feuillet commençait donc, ainsi
que dans igiGo et 1442., par les six vers suivants :
[Mort le trébuche del destrier sejornei, iiî2
La lance brise, si trait le branc letrei, // Irons en est vollcis
Si fiert .i. autre sor son hiaume germei. elme
Paien le voknt, si en sont efraiei, en sunt mont efraci
Dist l'uns a l'autre: « Ptr Mahomet mon dei,
« A. c. diaubles soient tuit conmandei! »] diaubk
Et la suite, de sorte que le v. i est en réalité le v. 7 ; de même 24
doit être numéroté 37, 47 tombe sur 67, et 70 sur 96, si 94 existait il
compterait pour 120.
L'idlntité des trois mss. est donc assurée; ils sont issus tous trois
d'une source commune et représentant la rédaction dialectale lorraine et
messine et non pas le dialecte « bourguignon fortement imprégné de
français » (.'') comme l'avance l'éditeur p. 376. On pourrait même
aller un degré plus avant et conclure, pour Hanovre, à la transcription
d'un ms. messin faite par un copiste wallon : tout au moins l'ortho-
graphe de « fer// ve/iti/i » aux v. 11 et 21 accuse une influence wal-
lonne dans la substitution de h à s. On sait que cette notation de i en
position est propre au dialecte de Liège.
Les deux mss. içfiGo et 1442, quoique présentant la même leçon
et la même justification, n'ont pas le même contenu. Outre les branches
de Garin et de Girbert, le premier contient celle d'Hervis qui remplit ses
2 I 2 F. nONNARDOT
88 premiers folios. Il suit de là que le passage correspondant de Hano-
vre se trouve dans l'un au fol. 345 et dans l'autre au fol. 257. Le ms.
de Hanovre reproduit spécialement la leçon de / i (ftio ; on peut croire
qu'il contenait aussi Hervis; tout doute à ce sujet serait levé si la pagina-
tion du feuillet avait été conservée.
3o. — Dans Mone, Anzeiger 18^8, 408-41 1; provient d'un couvent
d'Autrichk non désigné. Ce fragment en assez mauvais état, comme il
apparaît par les lacunes et les blancs de l'édition, se compose de trois
feuillets de parchemin enlevés à un ms. qui comptait 30 vers à la col.
et 2 col. à la page. Il a trait aux hostilités qui ont suivi la mort de
Bégon. La leçon participe de celle des mss. -2 et 3 = 1443 f* 92c
et 1461 f" lojtj, auquel se rattache étroitement le ms. 4 = 1682 f°
95a. Voici quelques corrections à ce texte, conféré avec les ms. dont il
vient d'être question: v. 3 Gautier deno, mauv. leçon déjà corrigée par
Mone en « d'Hénaut « ne se trouve que dans 2 et 3 ; les autres portent
« d'Anjou )) 4, 10 « del mont » 1-5-8 <f del Mans » 6. La faute
« deno )) dérive de la même source que celle de 2 « del no »; — 5
Mes corr. mes ; — 9 Car il i metent lor pooir a devis de 3 ne s'accorde
pas avec le fragment et les autres mss. C ./. / m. et lecuer et lepiz; man-
que 2; — 1 ? Miles et Gantiers 3, bonne leçon ; 2 = Hue et G.; — 16
= 2 contre 3'y — 17 // rois de France 3 concorde; // rois Pépins 2;
— 18 Disî la roine : «/o/ que doi s. Denis » est remplacé partout par:
D. l. r. par le cors s. D. — 19 = J; — après 22, j intercale : Et de sa famé
la franche empereiz, non suivi par les autres mss. — 25^=2; — 26=^;
— 28 tous les mss. ont «xxxvi» au lieu de « xxxv « ; — 32 se fust Huon
2 ; se li cuens Hues 3\ — i^et lui et si ami 2, et il 3; — 53 Hues de
Lavardin ; Huon 2-5 Miles 3 et tous les ms. sauf 10 Jofroi; — 40 a
mis; mss. a pris; — 41 si li di, biax amis 2 et mss., ce dist li dus Garins
3\ — 44 De son chier frère li doit il sovenir 2 et mss., remplacé par :
Soviegne vos de Huon le hardi 3; — 46 je dirai vo plesir 3; g' i ferai ton p.
2 ; — 49 An sont entré 0 chastel de Baugi 3 et mss., Par force en entrent
el c. de Bugi 2 ; — 51 Sauves lor vies 2 , Salve l. vie 3; — $ j [C]ovent lo[r
tint c 'jonques [ne lor menti'} 2 ; Covent lor a tenu qu'il lor a dit 3, est isolé
— Manquent ici dans le fragment 5 vers complètement effacés — 54
Lip(aisant cil) qui sont del pais 2-5; ierent 6\ furent 4-10; qi furent 0
pais 3 — 55 C(il de Ver)dun et de Bia{ne aut)resi ne se rencontre qu'avec
4\ Dijon Biaune 2-3-1 0; Verselai Biaune 5, mal transcrit par cV Verselai
Slaves, plus défiguré dans 6" De vers Soloil et de vers Blave aci, et surtout
dans I de Satenai et des autres auci^ — 56 corr. // en ///ec pour la mesure
— 56 un restitué par Mone doit être remplacé par li (marcheant).
I. On voit ici, dans le concert défectueux des ms. du groupe /-5-6-^, l'un des
LES MANUSCRITS DES Loherains 21 5
Je poursuis la référence du fragment avec les divers mss. Mone n'est
entré dans aucun détail sur la condition extérieure et l'état des trois
feuillets dont il publie le texte. Celui-ci est d'ailleurs si mutilé et présente
tant de lacunes qu'il faut y regarder de très-près pour pouvoir se rendre
compte de ce qu'était le ms. et de la place respective qu'y occupait
chaque fragment.
Au v. 58 commence ce que Mone appelle « fol. 2 ». J'indiquerai tout
à l'heure de quelle manière doit être entendue cette dénomination de
« folio ». Je rappelle seulement que le v. 58 de Mone est réellement le
v. 61 du fragment, et que c'est le vers initial d'une nouvelle colonne, la
3^ Dans ce qui suit, je m'attacherai principalement à faire ressortir la
divergence des mss. du groupe lorrain avec les autres mss., au point de
vue surtout des données géographiques.
58 Qui achetèrent et le vair et le gris = 3-4-j-g et le pain et le vin 2-6 —
Verdun 7, faute grossière.
jc)-6o= 2-g:, au lieu de vuidie 6 donne viandes.
61 Ces sales ardent dont i ot grant péril, telle est la leçon de 6, seul
contre les autres mss. ; mauvaise leçon.
62 Mason (Mone) Mascon mss. — Chaumont i , Caumont 5, Hatmont 6~,
Hautmont 8.
65 = dans 6 : Garins chevalche qui a cheval se cit, mauv. leçon.
70 Puis passa (sic) Issere, si ne dota Garin; — mss. puis[et) passa Ise
[Ise, Isse).
71 R/u/25 est altéré de Rivier 2, Riviers 3-y et i-5-S, manque 6 —
Nevers dans 4-g.
73 bis. Je désigne ainsi un vers manquant chez Mone, et que je ne
signale d'ailleurs que parce qu'il contient un nom géographique rendu
par Valenson i-5-8, mais Valence 2-3-4-6-g\ la leçon de 6Mden-
tique à celle de 2. — A partir d'ici le ms. 6 abrège le récit : il saute
d'un coup les vers 73-100.
77 parsis corr. pansis.
78 a Piere Late=^ mss. — Piere Lete /-cV, P. Lee 5. — Par je ne sais
quelle négligence, 3 donne : a grant mervoille.
79 Riuns-Riviers comme à 71 ; par inattention les mss. lorrains répètent
Piere Leie i Lee 5 Leite S.
Manquent ici quatre vers dans le fragment.
81 gaagne corr. gaaing gaang.
cas où les noms géographiques ont été défigurés dans la rédaction de Jehan de
Flagy. C'est un point important pour l'étude du texte et sa reconstitution défi-
nitive; nous ne pouvons le traiter ici, mais peut-être y reviendrons-nous prochai-
nement. Il ne peut être question aujourd'hui que clos divergences constatées à
l'cccasion de notre fragment.
2 14 ^- BONNARDOT
8i bis existe seulement dans 4-7, celui-ci avec une leçon altérée,
82 en ces chevestres — en ces longes 4.
8^ jà h'icrt li chastiax pris 3-4-y-f/ — manque 2.
84 Li chastiax 4, répétition fautive.
87 varie dans tous les mss. : Que cil dedanz ne la parent tenir 2 ; — Qui
sont dcfon cjiie ncs p. t. 3, — Q. s. d. qui ne pooit t. 4,— Connos p.
t. y, — Qui est dejors qu'il ne porent t. ().
ç)o feii, corr. [le] Jeu.
92 Mason iMone) Mascon mss. — Maiscon 1 , Mascons 5, Auvignon 8.
93 Mais ilec =2 — Devant la vile = 3-4- y -g.
94 à 97 reproduisent assez fidèlement les mss. 2-4 ; — ils manquent
dans 7.
98 les bordiax ^ -3-4-^ — l'estandart et le pont torneiz 2 - manque 7.
99 F// = mss.; VIII = 2.
100 = 4.
Après le v. 102, nouvelle lacune de 3 vers,
104 et 105 = 6.
106 = 4-7-g contre 2-3-6.
107 = 2-3-4-y.
108 = 3-4-'j-g contre 2-6.
Avec le vers 108 (en réalité 1 181, se termine le « fol. 2 » du frag-
ment ', lequel est immédiatement suivi du « fol. 3 » sans indication de
lacune. Et en etîet l'assonance se retrouve être la même, sans quoi la
lacune se serait dénoncée d'elle-même. Il en existe cependant une consi-
dérable entre les vers numérotés 108 et 109 : elle varie, suivant les mss.,
de 220 vers à 272. Comme elle porte nécessairement sur un nombre
pair de colonnes dans le fragment, elle ne peut compter ni plus ni moins
que 8 colonnes, soient 2 feuillets ou 240 vers, chiffre égal à celui du
ms. 2 (242 vers). Cette rencontre confirme l'attribution indiquée dès le
commencement de cet examen comparatif 2.
1. Il doit y avoir ici une nouvelle lacune de 2 vers, à moins que le ms. n'ait
développé quelques vers sur deux lignes.
2. Dans ce passage la leçon de 5 est sensiblement abrégée avec 220 v. seule-
ment; elle est au contraire plus étendue dans les autres mss. : 256 v. dans 9,
270 et 272 dans 4 et 7. Cette parenté formelle du fragment avec le ms. 2 ne
veut pas absolument dire que l'un et l'autre soient membres de la même famille.
De cela je ne sais rien, ni personne ne le saura jamais. La similitude entre ce
fragment et 2 (et //-/2 et i3) n'est sûre que pour les passages parvenus jusqu'à
nous, mais on ne peut rien inférer pour le ms. complet. On verra en effet que les
mss. que je viens de citer appartiennent à une famille fort différente des autres
mss., desquels ils divergent en plusieurs points. Le hasard a voulu que, préci-
sément pour le passage en question, ils ne s'écartent pas de la leçon commune.
La similitude avec 2 ne vaut donc que pour ce passage. — Montpellier offre un
cas analogue.
LES MANUSCRITS DES Loherains 21 5
La lacune en cet endroit ou, pour mieux dire, la perte de ces feuillets
est d'autant plus regrettable qu'elle porte sur un passage fort intéressant
à établir de près. Les noms géographiques abondent dans ces deux
feuillets. En attendant qu'un spécialiste dresse la carte des chansons de
geste [ei celle des Loherains est fort riche en indications de ce genre) ,
j'ai relevé les mentions géographiques dont la divergence accuse chez
les divers mss. soit une rédaction particulière, soit un remaniement par-
tiel, soit simplement des fautes de copiste. Je place la bonne leçon en
tète ' .
Meuse 2-7, 1-5-8-6; Moselle 3-4-9.
Prissi PresciPrinsi 3-7-9, 1-5; Prisny àf\ après lui 2; après ce que je di
8; manque 6.
Vient ensuite l'énumération des seigneurs composant la suite de Garin ;
je remarque que 3 est ici seul contre les autres mss. Puis :
Le mostier S. Martin de Chalons 2-4-7, 5-^-8; S. Seurin 4, S. Servin
[Seruin] i ; S. Denis 9.
Lagni Leigni mss. ; Laingni 5 ; Ligni 1-8.
Rebez Resbi mss. ; Rebois i-$-8 ; Retes 7 ; manque 6.
Colomiers mss. ; Miaus i-$-8.
S. Michiel S. Millier mss. ; Verdun 3.
Ais mss. ; Han 3 .
Loon 4-7, 1-5-8 ; Lions (= Loon ?j 2-3-9 > Orliens 6.
F ère mss.. Serre 6-8.
Hem Ham Hans Hain mss. Len 4.
Revenant au fragment, le v. 109, avec la restitution de l'éditeur :
terre [a je] puisse gésir, présente la même leçon que 7 ; mais il faut rem-
placer les mots entre crochets par ceux de [ou mort] donnés par 2-4-9
qui ont la bonne leçon « gésir » ; tandis que 4 = ou je puisse tenir et 6
= ou me couchasse vis.
I 1 1 est isolé. Parmi les mss., 6 offre seul un sens satisfaisant avec :
Ne ou ester por mon cors garantir. J'avoue ne pas comprendre le commen-
cement des vers dans les autres mss.: Ne vis ester por mon repos tenir;
9 manque.
113 = 2; comme chetis 3-9 ; v^ corn atre chatis 6 ; juit corn hon qu'est
eschis 4-7.
114-116=6; — 117= 2-6.
Après quoi vient une lacune de 17 vers non indiquée par l'éditeur.
118 = 2-3-4-7, et cors et oUfans 6, et cil cor d'olifant 9.
I. Ce passage prend au f' 93c dans le ms. 2, f" 104^ dans 5, f" ^6a dans 4,
f° 78c dans 7, f° 124^ dans .9; dans les mss. lorrains au f" 122/' pour 1-ti et
210/' pour 8, enfin dans 6 au f" 461/. Sauf indication contraire ce dernier ms.
représente le groupe lorrain.
2l6 F. BONNARDOT
1 19 no issoiz corr. n'oissoiz, n^oist on 7.
122 et 124 = 2-4-7 et 6, contre 5-9.
125 et 126 = 2-3-9 ^t ^^ contre 4-7.
127 = 2 et 6, contre les autres mss.
Ici s'ouvre une lacune de 19 vers.
129 neuon corr. nevou; cousin 6-9.
130 = 2-4-9, ^•
131 et 132 Gerins, Girberz. mss.
Après 1 3 1 nouvelle lacune de 2 vers réduits en un seul par 6 ; de
même pour 1 38 et 159 suivis d'une seconde lacune de 19 vers.
142 = 2, 6.
147=2-4-7,6.
144 Roie = mss., altéré en Troies par 8 ; — le seul ms. 6 donne Boves,
par réminiscence du v. 134 qui a Boves.
148 Vos le prendroiz, le les ai tôt di fi, corr. d'après 3 ce le sai t. d. /.;
que je le s. 2-4-7-9 \ ^' '^ janra que le sai bien de fi 6.
149 = ^_4_y_c)j Vos iroiz la et ge remeindrai ci 2, je m'an irai et vos
remainrez ci 6.
1 so Ge irai sires, l jes Gerins dit, corr. lenfes Girbers a dit d'après
tous les mss., à l'exception de 6 qui manque.
Ici s'arrêtent les fragments publiés dans VAnzeiger. Il est regrettable
qu'il soit si mutilé que la plus grande partie de son contenu n'ait pu être
déchiffrée par l'éditeur. Par la leçon il est plus voisin de 2 que des autres
mss., sous la réserve mentionnée page 214 note 2. J'espère que
le lecteur pardonnera à l'aridité nécessaire d'une pareille démonstration,
en faveur du résultat acquis dès lors en ce qui concerne la géographie.
Les ms. lorrains^ très-fidèles et fort précis en général, quand le théâtre
des faits est circonscrit dans la région nord-orientale de la France,
s'abandonnent à la fantaisie la plus large dès que la scène est transportée
au-delà de la Marne et de la Saône. Cette observation s'applique aussi
au ms. 4. Or ces mss. sont précisément ceux qui nous ont transmis la
rédaction de Jean de Flagy. Il suit de là que cette rédaction est néces-
sairement postérieure, remaniée et altérée de l'original. En toute justice,
il faut donc retirer à Jean de Flagy les éloges mérités que VHisî. littér. et
les éditeurs de Garin adressent à l'auteur inconnu qui a doté notre litté-
rature nationale de cette production remarquable à tant de titres.
Il est temps maintenant de reconstituer l'état réel de ce fragment.
Les indications de l'éditeur, telles qu'elles résultent de la disposition du
texte, se réduisent à ceci : 1 50 vers pour 3 feuillets; les deux premiers
sont indiqués comme étant à deux colonnes ; le nombre de vers man-
quants (c'est-à-dire illisibles] est indiqué, mais sans que le numérotage
en tienne compte. Pour le 3"^ feuillet, mention n'est faite ni de la division
LES MANUSCRITS DES Loheraïns 217
en colonne, ni de l'étendue des lacunes. Cela étant, on reconnaît d'abord
que les feuillets i et 2 se suivent sans interruption, mais qu'il n'en est
pas de même du fol. 3, séparé du précédent par deux feuillets perdus.
Chaque colonne compte 30 vers. Les lacunes intérieures du v. 1 au
V. 1 50 s'élèvent à 67 vers, dont 3 pour le i^"^ fol,, 7 pour le 2*, et
57 pour le 3°. Chaque fol. comprend donc respectivement les vers
î-57, 58-108 celui-ci avec 58 vers seulement y compris les 7 vers man-
quants; enfin le fol. 3 va de 109 à 1 $0, soient 42 vers. Si à ce nombre
l'on ajoute celui de 57, résultant des lacunes signalées, on obtient le
chiffre 99, ce qui signifie que les vers 91-99 appartiennent à la 4* col.
du feuillet ; cette colonne est donc incomplète des 2 1 derniers vers. Et'
le fol. 3 doit être ainsi reconstitué :
ire col.
v.
109-1 17 — 9 V.
3e col. lacune
— I V.
3^
lacune 1 7
V. 132-139
— 8
2« col.
v.
V.
118-121 — 4
30 V.
122-127 — 7 V.
lacune 1 9
lacune
V. 140-141
— '9
— 2
30 V.
n admettant que
vers
jpe pas plus d
V.
129-131 — 3
4^
col. 142-1 50
= 9v.
\ê Sr
lacune 1
ÎO V.
lacune
— 21
ÎO v.
ïque
e ligne
Quant aux deux premiers fol., comme ils ne comportent chacun que
2 col., sans interruption de l'une à l'autre, il faut en conclure que ce sont
les deux faces internes d'un feuillet double occupant le cœur du cahier et
dont les faces externes, devenues illisibles, auront été regardées comme
non avenues par l'éditeur : d'où cette mention de 2 col. seulement par fol.
Avant de passer à la description des mss., il ne sera pas inutile de
donner la récapitulation des fragments, disposés dans l'ordre du récit.
Ce tableau permettra au lecteur de se rendre compte du lien des divers
fragments entre eux et avec le ms. 1622, duquel ils sont rapprochés
pour l'enchaînement du récit. Le nombre des vers de chaque fragment
est celui qu'il aurait s'il était complet, sans tenir compte des lacunes
intérieures.
1. 1622. Nombre de vers.
120
120
60
60
Branche.
Fragments.
Correspondance avec
(f° 115..,
, f" lod — l\d
Garin
^27 1
' .,4...
— \<,d — i6d
—
^^4 m ::::::
. — 1 2 WJ — \22a
. — 1241! — [2^d
F. BONNARDOT
— I47</ — 1 51Û 360
— 1 56^ — 1 58c 296
— 1 56c — I 57c 70
— 165^ — 165c 70
— 176^ — '77^ 200
— 20 \ ii — 202d 120
— 2081/ — 209^ 120
— 249e — 249^/ 43
— 250c — 2516 86
— 252(3 — 2526 43
— 255^ — 256^ 120
1888
J'arrive maintenant aux manuscrits proprement dits, dont je donne le
contenu et, quand il y a lieu, l'énumération des lacunes.
i). Ms. 1442. Il présente la même rédaction que le ms. «Ç; on vient
de voir à l'article du fragment de Hanovre avec quelle fidélité ces deux
mss. se correspondent. L'un et l'autre sont à deux colonnes comptant
chacune 30 vers. Un troisième ms. identique par le texte et la justifica-
tion est 1622 que je désigne par 5. La même leçon, mais abrégée, se
retrouve dans 2iyg (= 6) qui compte seulement 28 vers par colonne.
L'examen comparé de ces quatre mss. donne lieu à diverses observa-
tions. Mettant d'abord à part le ms. 6, écourté et incomplet du com-
mencement et de la fin, on reconnaît facilement la concordance plus
intime de i ei S entre eux qu'avec 5. La seule différence entre les deux
premiers consiste en ce que cV renferme de plus que / (et que tous les
autres mss. de la Bibl. nat.) la branche d'Hervis, qui remplit les 88 pre-
miers feuillets. Il a donc en tout 349 fol. tandis que i n'en a que 261.
L'un de ces deux chiffres est aussi le total des fol. du m.s. de Hanovre ;
malheureusement la mutilation du feuillet empêche de savoir lequel il
représente de tV ou de / . Ce même total de 260 feuillets devrait être
pareillement celui du ms. 5, qui jusqu'au fol. 176 concorde de tout point
avec /. Mais à partir du fol. 177, la main change et avec elle changent
non-seulement l'écriture et la langue, mais aussi la leçon et la justifica-
tion des feuillets. La seconde moitié de ce ms. n'appartient pas à la même
famille que la première. Cette modification se manifeste dès le premier
vers de la nouvelle leçon : le fol. 176, qui termine le cahier xxij porte
en réclame les mots : Et cort plus tost, qui est la leçon suivie par / et
(?; mais cette réclame n'est pas reproduite au vers initial du f" 177
qui débute ainsi : Et va plus tost. Dès lors aussi le ms. ne compte plus
toujours 30 vers à la col., comme il avait fait jusqu'alors en compagnie
de / et 6'; sa justification change de cahier en cahier jusqu'au moment
LES MANUSCRITS DES Loherains 219
où elle reviendra au chiffre normal. Ainsi le cahier xxiij compte ]2 vers
par colonne, soit une avance de 8 vers par feuillet et de 64 vers par
cahier de 8 feuillets; mais en réalité cette avance est réduite à 53 vers,
la nouvelle leçon suivie par 5a étant ici un peu plus longue que celle
des ms. / et 6\ Le cahier xxiv compte 31 vers par colonne; enfin avec
le cahier xxv et suivants le ms. rentre en possession de sa première jus-
tification de 30 vers. Pour donner une idée de la divergence de la leçon
nouvelle de 5 a avec celle de / (et 8), voici le tableau de la concor-
dance du premier vers de chaque cahier respectivement dans nos deux
mss. Suivant que la nouvelle leçon est amplifiée ou écourtée, chacun des
mss. se trouve tour à tour en avance ou en retard sur l'autre.
5a (1622). I (1442).
Le V. initial du 24^ cahier f° 18$ = f" 185*^, avec une avance de 66 v.
2f 193 = 193S — 66
26® 201 = 2oib, — 47
27^ 209 = 209a, — 26
28^ 217= 217a, — 10
Avec la col. 218^, la leçon retombe en ligne dans les 2 mss., de sorte
que 218^ commence ici et là par le même vers. Mais cet accord ne dure
pas; un nouvel écart se produit, en sens inverse cette fois; c'est à son
tour / (et 8) qui prend l'avance sur 5a :
29« fo 225 = 224^^ avec un retard de 1 1 vers,
puis nouvelle interversion :
30" cahier f° 233 = f» 233*^ avec une avance de 77 v,
31'' 240'= 241b — 53
32« 248 = 249^^ — 78
33*' 256= 257C — 70
Enfin la chanson de Girhert se termine dans / avec 261b, dernier
feuillet du ms., tandis que dans 5 cette branche est suivie au fol. 259/'
d'une nouvelle branche qui ne se trouve, à ma connaissance, que là et
qui n'a pas encore été signalée.
Comme conclusion de ces rapprochements, il faut dédoubler le ms. 5
et n'attribuer que la première partie (f"^ 1-176) à la famille qui comprend
les mss. /-6"-(Ç et les fragments 25-29. Dans cette famille je groupe
ensemble /-<V; la leçon de 6, plus voisine des précédents que celle de
5, est malheureusement infirmée par de nombreuses lacunes.
Le premier feuillet de notre ms. a été ajouté à une date postérieure au
xiV siècle. Il y a quelques différences entre ce feuillet et son correspon-
dant dans 5-(V; je les relève en les soulignant :
I. Le dernier fol. du cahier x.x.x manque dans.^; par suite le cahier .xx.\i a
été paginé 240 au lieu de 241, et de même pour les cahiers suivants, 248, 256.
2 20 F. BONNARDOT
a). V. j Sy comme ly Wambre vindrent/ort en cest paiis.
5 Les hommes mors et ars tout par le pais.
12 Oncques nulz hons vers eulz coup ne ferit.
14 Karles Martiaux ne le pot plus souffryr.
22 Mes moinnez noyrs que S. Beneoys fist.
24 Nen avoit terre ne scz filles ne filz.
b). 3 Se Dame [Dciis] consel ne y meist.
4 Qu'elle en deust venue estre a déclin.
5 A i'apostoille ed avoit il jor prins.
18 Arce ont ma terre et destruit tout mon paiis.
c). I Que il se puissent sauveyr et garantyr.
2 Aussy se non je vous rent le paiis. >
j Je m'en yrai comme un aultre chetifs.
d) 4 Nous prierons Dieu pour tous nos ancmys.
7 Toutes droitures commentés a tenir.
12 Tort en avés, archevesques Henry.
17 Chascun y mette du sien .i. bien petit.
De toutes ces variantes une seule doit être acceptée pour la bonne
leçon, c'est du: Tort en avés, au lieu de « droit » que portent les mss.
5 et (?. Cette leçon est celle de 4, de 3 qui est refait lui aussi à cet
endroit, de 7 sous une autre forme; les autres mss. manquent. Cepen-
dant ce n'est pas d'après 4 que notre feuillet a été transcrit : le vers i ]
Et la merveille qui la porroit oir
manque dans 4, et plusieurs rimes sont différentes.
Le V, a 19 :
Ne povoit mye faire tout son plaisir
manque dans tous les mss. Les vers I? 9-10 sont intervertis. L'intro-
duction de ces variantes fausse les vers a 3, /? 18, ^ 4. Enfin un certain
nombre de vers comptent 12 syllabes au lieu de 10, tels sont :
a). 10 Et en sa compaygnie des chevaliers .vij.m.
1 1 Et par le doulz Jhesus y furent vrai martyr.
18 A l'oure avoit il grant paour de morir.
c). 17 Que nos y meissiens .ii. deniers monnoiez.
En définitive cette transcription a été faite sur un ms. du même
groupe que 5 et S; la justification est la même pour le recto du feuillet,
27 vers sur 30 lignes à la première colonne; en outre l'orthographe
conserve des traces du dialecte lorrain, témoin dans c la désinence ei de
l'infinitif du part, passé et 2^ p. pi. assonant avec é: levé, apellé, dormeis,
mettes, armeiz, leveiz, penseir, etc.
Dans notre ms. et dans tous ceux de la même famille la fin de Garin
est marquée par la mention suivante :
Ci faut li chans de Jehan de Flagi.
Après quoi Girbert commence immédiatement par une lettre ornée.
LES MANUSCRITS DES Lo/zerams 221
2). 1443. Ce ms. compte 191 feuillets à 2 colonnes et 40 vers par
colonne. Au point de vue de la classification, il ne se laisse rappro-
cher d'aucun ms. de Paris, si ce n'est Arsenal 180.
On verra par les variantes du fragment l'-V publié ci-dessous à quel
point la leçon de 2 est divergente non-seulement pour le texte, mais pour
l'esprit. Cette divergence s'accuse, d'une manière plus sensible que tout
ce que je pourrais dire, par la simple constatation suivante : sur les 7^
premiers vers du fragment conférés avec tous les mss. de Paris, le ms. 2
ne se rencontre avec notre texte et la majorité des mss. que deux fois
(vers 7, 8); — au v. 17 sa variante coïncide avec celle de trois mss.;
— sa leçon lui est propre aux v. i, 2, ?, 9, 16, 53, 54, oii il est isolé,
tout en reproduisant encore l'esprit, sinon la lettre, de la leçon
commune ; — enfin les 64 autres vers ou bien manquent ou bien leur
place est tenue par une leçon toute différente.
Le ms. 2 n'a donc qu'un rapport éloigné avec les autres mss. de la
Bibl. nat. Ceux-ci se peuvent ranger sous deux groupes représentés par
les mss. I ex 3\ quant à 2, ses congénères sont plutôt les ms. de I'Ar-
SENAL et de Dijon. En outre il est fort incorrect^, et Ars. iS'o lui est de
beaucoup supérieur, ne fût-ce que par la date. Ce n'est pas d'aujour-
d'hui que sa leçon est suspectée : une note consignée de longue date sur
le feuillet de garde en fait foi. On ne peut trop regretter que ce soit pré-
cisément de cet exemplaire que Du Cange ait extrait celles des citations
de son Glossaire qui visent notre poème.
Une particularité de ce ms., qui n'a d'analogue que dans ceux
que je viens d'indiquer comme ses congénères, est le dédoublement d'une
branche unique en plusieurs chansons, la coupe arbitraire et la réparti-
tion sans fondement des divers rameaux du tronc. Un épisode impor-
tant est séparé de l'ensemble du poème, pour former une branche à
part. La démarcation est marquée par la formule usuelle « explicit,
ci faut l'istoire »_, et, si l'exécution du ms. le comporte, par l'illus-
tration en miniature ou en couleur de la lettre initiale. Ainsi est traité
l'épisode de la mort de Bégon dans Ars. 181 et Dijon, ainsi le ma-
riage de Girbert dans notre ms. C'est au fol. 167*^, en fin de la laisse
Par le conseil Gen« le bon guerrier
A fet Qtvbers sa gent apareill/fr,
que se lit l'explicit
Ici faut i'estoire des Loorens
Tresq'a la mort de Fromondin,
corr. en « Fromont ».
Après quoi le récit reprend au bas du fol. i68d (i67ii et le haut de
168 restant en blanc) par la laisse :
2 22 F. BONNARDOT
François entendent Saradin et Escler
Et la grant noisse que il font démener.
Li dus Gir. a Ger. apelé :
<< Sires cosins, a moi an entendez ;
168A « Oiez la gent que Dieu puist mal doner. »
La lettre initiale de cette laisse encadre une miniature, comme si elle
commençait authentiquement une des branches de la Geste. — On verra
plus loin (sous 5a) que dans cette dernière partie du Girbert notre ras.
se rencontre avec le groupe 1-6-S' contre le groupe 3-4-5 a.
3). 1461 . Ce ms. est uni avec le suivant par une communauté d'ori-
gine incontestable. Sa leçon est reproduite avec une grande fidélité par
le fragment de Carpentras et par celui qu'on lira ci-dessous. En outre le
manuscrit 7, d'une date plus moderne, présente souvent des variantes
utiles qui ne permettent pas de douter qu'il n'ait été transcrit sur un
exemplaire dont la leçon, très-correcte en général, remonte à la même
source que celle des ms. 3 et 4.
Rapprochés de notre fragment ces deux derniers ms. n'offrent qu'un
fort petit nombre de divergences soit entre eux soit avec le fragment
lui-même. Toutefois j'accorde la préférence à 3 sur 4. On doit d'autant
plus regretter que le ms. 3 compte tant et de si importantes lacunes.
Elles lui enlèvent une bonne part de son prix et de la faveur qu'il mérite
par son exécution soignée et sa leçon correcte. Voici le relevé de ces
lacunes, pour la reconnaissance et l'évaluation desquelles j'ai recours au
texte de son congénère 4.
à). Les deux premiers cahiers manquent, soit (à 2 colonnes par
page et 30 vers par colonne) un déficit de 1920 vers. Le premier vers
du fol. paginé 1, mais qui en réalité porterait le n" 17 si le ms. était
complet, répond au 2 r vers du fol. 1 3^ du ms. 4.
b). Après le fol. actuel 16 qui est le dernier du second cahier (ancien
iv), je constate la perte du cahier v : ce qui donne un déficit de 960
vers s'étendant dans 4 du vers 38 du fol. 25» au vers 38 du fol. 3 1^.
c). Énorme lacune après le fol. 112, dernier feuillet du cahier anc.
xvij. Elle commence dans 4 au v. 16 du fol. loid pour durer jusqu'à
la fin du poème de Garin, fol. ii6a; elle compte environ 2050 vers
d'après cette dernière leçon. C'est à peu de chose près le contenu de
18 feuillets, 2 cahiers et 2 feuillets, en admettant que la leçon des deux
ms. se corresponde toujours exactement, ce qui n'est pas absolument
vrai, la leçon de 4 étant parfois allongée. Pour évaluer la quotité de
cette lacune il ne sert de rien d'avoir constaté que Girbert commence
avec un cahier, ce qui nous forcerait de donner un nombre plein pour
les cahiers manquants, ou 2 ou 3 . En effet, dans notre ms. , Girbert est d'une
LES MANUSCRITS DES Loherains 223
autre main que Garin; et en outre les cahiers ne sont plus numérotés
en bas de leur dernier feuillet. Les deux branches ont été copiées séparé-
ment et raccordées Fune avec l'autre lors de la reliure du ms.
Si j'insiste sur le nombre des cahiers perdus en ce cas particulier,
c'est que la plus rigoureuse précison est de nécessité en pareille matière.
De prime abord j'avais été induit en erreur par une mention qui figure
au bas du fol. 112. Cette mention est telle : « Lacune de 10 cahiers ou 80
feuillets. » L'auteur de cette note ne s'était pas avisé de rapprocher son
texte de celui d'aucun autre manuscrit, sans quoi il eût bien vite reconnu
qu'à ce point du récit, la chanson de Garin touche presque à sa fin. Le
calcul est donc évidemment exagéré. Il repose uniquement sur la juxta-
position, due à une erreur de reliure, de 4 feuillets interpolés après le
fol. 1 12 (anc. cahier xvij) sous les numéros 1 1 5-1 16, ce dernier termi-
nant un cahier numéroté xxvij dans le ms. auquel il appartenait. En fait
le déficit est celui que j'ai dit : il porte sur deux cahiers et quart seule-
ment.
C'est qu'en effet pour l'évaluation du déficit, il n'y a pas à tenir
compte des feuillets 1 1 3-1 16; la raison en a été donnée plus haut (27).
Ces feuillets sont adventices ; ce sont deux fragments distincts d'un ms.
perdu qui, se trouvant ès-mains d'un possesseur de notre ms., auront été
ajoutés à Garin. soit par mégarde, soit plutôt dans l'intention de combler
en partie une lacune évidente. Et ainsi reliés, ils sont arrivés jusqu'à nous,
comme faisant partie intégrante du xxvij" cahier de Garin. L'erreur était
d'autant plus facile que la justification est la même pour le manus-
crit et pour les fragments, que l'écriture n'est pas sensiblement différente,
si ce n'est la couleur de l'encre un peu plus noire et les lettres un peu
plus grosses. On sait que la leçon de ces fragments est très-proche voi-
sine de celle du ms. lui-même. Je pose donc comme assurée l'existence
d'un ms. jusqu'ici non signalé, appartenant à la même famille que 3' et 4.
d). Revenant au ms. 3, j'ai déjà dit que Girbert commence avec un
cahier au fol. 117. La justification est la même que précédemment,
à savoir 2 colonnes à la page et 30 vers par colonne ; mais l'écriture
est d'une autre main et désormais les cahiers ne portent plus que la
réclame sans numéro d'ordre. Les quatre premiers cahiers font suivre
sans encombre leurs 32 feuillets = 117-148. Le ^^ cahier n'est en
réalité qu'un demi-cahier, il compte seulement les 4 feuillets 149-1 52.
Puis les lacunes recommencent avec le cahier 6 dont le premier et le
dernier feuillet ont été enlevés , de sorte que le cahier ne se com-
pose actuellement que des 6 feuillets 1^3-158. En comparant comme
ci-dessus les deux mss. 3 et 4^ on constate que la lacune initiale s'étend,
dans le dernier, du vers 4 de 142^ au vers 10 de 142^, soit 126 vers
au lieu de 120 qui est la contenance de chaque feuillet de 3.
2 24 ''• BONNARDOT
e). Pareille lacune de 120 vers est celle que le fol. 8 du même cahier
devrait combler. Il m'est impossible de déterminer le vers extrême infé-
rieur de cette lacune, attendu que le premier folio du cahier 17 man-
que. Il y a donc déficit de deux feuillets consécutifs mais apparte-
nant :\ deux cahiers différents, soit en tout 240 vers. Les limites de
cette lacune sont marquées dans le ms. 4 par le vers 12 de 147^ d'une
part, et d'autre par le v. 7 de 148^; elles comprennent 235 vers, avec
un écart de 5 v. en moins. Le cahier 7, fol. 159-165, est donc incom-
plet du premier feuillet.
J). Le 8'^ cahier offre une particularité intéressante. Pour être irré-
gulière en soi et défectueuse au point de vue de la pure transcription de
l'original, elle n'en dénote pas moins chez son auteur une culture intel-
lectuelle supérieure à celle de la moyenne de ses confrères en copie. En
même temps elle accuse la connaissance de la façon dont se «fabriquaient»
à son époque les chansons de geste remaniées et coulées dans un moule
à peu près uniforme; elle témoigne d'une liberté d'allure dont le copiste
a d'ailleurs fort bien fait de restreindre les mouvements. Il ne s'agit de
rien moins que d'une modification d'assonance, et cela à deux reprises
presque coup sur coup. Il est vrai, pour la décharge du coupable, que
sa tentative porte les deux fois sur la même assonance qu^il s'imaginait
sans doute devoir être de meilleure composition que toute autre. Mais ni au
f° ijodet 171a ni au fol. 173^, il n'a pu réussir dans son essai de rem-
placer l'assonance ie par /. Notre homme ne tarda pas à se convaincre de
l'inanité de ses efforts. Copiste fidèle et respectueux, il recula devant les
distorsions fréquentes qu'il aurait dû infliger à la leçon du ms. qu'il avait
sous les yeux. Et après avoir réduit nbries-» en ^^bris», mécontent à bon
droit des résultats qu'il entrevit dans l'application de son procédé, il re-
nonça bravement et intelligemment à son entreprise. Usant à propos du
procédé de la «répétition» ou «énumération», si cher à nos trouvères et
jougleurs, dès le cinquième ou le sixième vers il continue la laisse comme
il aurait dû la commencer, avec l'assonance originelle. De la sorte, il y a
une petite laisse d'une demi-douzaine de vers, précédant la grande avec
laquelle elle doit se confondre. Pour permettre au lecteur de mieux
juger tout ceci, je mets en regard la leçon des deux manuscrits.
Assonance impure. Assonance pure.
Granz fut la feste que il cuens Fromons tint; tient
Vait i hernaus et sa moill;£rs gentis, et il et sa moilkr
Doz li venerres et ses filz Ma.uvoisins, (manque)
Ansamble 0 lui d'Orlenois Htrnais, (id.)
Et d'une chose ne fist Bcrnaus que bris le fist H. mo/t bien
C'o lui mena jusqu'à .c. fers vestis. .c. chevaliers'
Après quoi la laisse reprend en ie{n):
LES MANUSCRITS DES Loheraifis 22J
Vait s'en Hernaus li preuz et li legier,
Ansamble o lui jusqu'à .c. chevalier.
Tuit conreé d'armes appareillier;
Ce fu la chose qui puis li ol mestier.
Hernaus descend chiés son oste Garni^r,
Un borjois riche qui mo/t fist a pnsier.
Doz li ve«nerres, Harnais li pnsiez
En l'autre ostel sont aprh h^rbergié,
Et Mauvoisins se herberja el tierz;
Par ces ostex cil autre chevalier...''
Un peu plus loin, même tentative, même résistance de l'assonance à
l'adaptation de ie en /, même échec et même retour pour masquer la défaite.
A la rescose ou li cuens Tieris vint vient
Fu Fromondins correciez et marris ; c. et iriez
Ferant les moinent la ou la gelde tint tient
Puis se retraient li chevalier eentil; \ , .,
^, , ,. , ., .' \( manquent)
D aier avant n i ot nul consoil pris. '
La bonne leçon iriez peut être changée sans grand inconvénient en mar-
ris; dans // chevalier gentil, il n'y a besoin que d'intervertir l'ordre du
substantif et de l'adjectif pour obtenir une assonance parfaite dans l'un
et l'autre cas ; le vers suivant peut, à défaut de leçon expresse, se laisser
restituer ainsi :
D'aler avant n'i ot nul conseiller.
Mais il n'y a pas moyen de faire passer « anchaucier », qui vient après,
dans la 4*^ conjugaison pour l'adapter au système; aussi l'auteur y
renonce-t-il avec une abnégation qui fait honneur à la fidélité du copiste.
La laisse continue en ié comme si de rien n'était :
Hernauz retorne, pas ne vost enchaucier
Et Fromondins repaire toz iriez.
Ces deux petites laisses provignées sur la laisse de l'original ne se
retrouvent dans aucun autre ms. C'est donc bien là une production per-
sonnelle, une tentative de copiste intelligent dans sa faute même, et à
qui il faut savoir gré moins de son talent pour l'avoir essayée que de sa
probité pour ne l'avoir pas continuée.. Cette retenue n'a pas été observée
par tous nos mss., notamment par 10.
g). Le ms. i56'2 avec lequel a été jusqu'ici conféré le texte de 1461
s'arrête au fol. 199^ de ce dernier ms. Dorénavant c'est du ms. 1622
(seconde leçon) que je rapprocherai le ms. dont je poursuis l'examen.
Du reste, à partir du fol. 159, il n'y a plus de lacune à signaler; le texte
se comporte sans interruption jusqu'au fol. 229 et dernier. La réclame
du cahier suivant :
1 . A ce vers correspond le premier du fragment 27, relié dans notre ms. et
paginé 113.
Remania, III I 5
226 F. BONNARDOT
a J'oi les barons qui sont ceianz entré » *
correspond au v. 2 du fol. 258^ de i ly^'j. Le ms. s'arrête ici, au milieu
du récit du meurtre de Fromondin par Girbert; il a perdu le feuillet
final avec lequel se terminait la chanson de Girbert. D'après 1 1)22, cette
dernière lacune serait de 80 vers environ.
En résumé, le ms. 141') i est d'une bonne langue; sa leçon est très-
sensiblement identique avec celle de 1 5S2. Mais il est déparé par des
lacunes nombreuses qui, pour Cann, portent sur plus de 40 feuillets et
environ 5000 vers; pour G/r!;er/ le déficit est de beaucoup moindre: 440
à 450 vers.
4). — i5S'2. Voy. l'art, précédent. Sur ce ms. qu'il désigne par F,
M. Stengel remarque (p. ^89) que sa leçon est celle qu'a adoptée de
préférence M. P. Paris. Les 26 vers qui forment le début de Garin ne
présentent de divergence avec le texte imprimé qu'aux v. 9, 10, 19,
26. Cette conjecture est confirmée par la var. « bailli » du v, 5 qui ne
se retrouve que dans 4 et dans l'édition de M. Paris'. Ce ms. ne con-
tient pas Girbert tout entier: le copiste a arrêté sa transcription au fol.
179, après le récit du mariage de Girbert. Selon le texte des mss. 3 et
5a qui approchent le plus près de notre ms., la lacune est d'environ
3700 vers, matière de 23 feuillets à 40 vers par col. et 4 col. au feuillet.
C'est de parti pris que le copiste a posé la plume à cet endroit, après
avoir écrit cet « explicit » :
Ci fenist lai chançons
De Girbert le fil Garin
Etd'Ernaut et de Gerin.
On a déjà vu à l'art. 2 et l'on verra tout à l'heure (art. 6, 12 t\ i3)
d'autres exemples de la répartition arbitraire des diverses branches de
la geste. L'examen et la discussion de ce fait entraîneraient trop loin ;
pour le moment je me borne à le constater. Je relève de même, sans y
insister autrement, une autre particularité intéressante de ce ms., à
savoir l'emploi partiel du vers de 12 syllabes au lieu de 10, Cet essai
d'adaptation du mètre antique et consacré au mètre qui sera désormais
celui de la poésie épique, implique forcément la date supérieure de la
transcription de notre ms. ou même peut-être de son original. En tout
cas c'est certainement l'un des exemples les plus anciens de la substitu-
tion du mètre de VAlexandre au mètre jusqu'alors exclusivement adopté.
En même temps c'est une preuve de la faveur avec laquelle l' « alexan-
drin )) fut accueilli dès son apparition, puis qu'on tentait de l'introduire
1. « Baillis » est aussi la leçon de i8 (Ashburnham); mais ce ms. ayant
été inconnu à l'éditeur, il ne reste toujours que i pour avoir fourni la leçon.
Cependant une note inscrite sur le feuillet de garde signale l'édition comme faite
d'après le ms. 3.
LES MANUSCRITS DES Lohera'ins 227
dans le cadre des productions antérieures au risque de le faire éclater. Il
est juste de reconnaître que le copiste (s'il faut continuer de l'appeler de
ce nom) s'est maintenu dans les bornes d'une sage liberté, et que, en
dépit de son appareil nouveau, la leçon n'est pas sensiblement modifiée
quant à la forme, mais elle y perd en mouvement et en énergie. Voici
les premiers vers d'un passage modernisé; je souligne les modifications
introduites au texte de 3 [f° i6c) :
(f° 25 a) « Honte II fêtes grant qui gastez son pais, Texte de 3.
I) Par vostre orgoil avez son home lige ocis ;
» Flandres vos retodra et s'en serez fors mis. » F. aura
« Amis, » ce dit li quens, « folie avez requis; Et d. 1. c.
5 » Ainçois que Fenperercs soit de Flandres sesiz Ainz que Pépins
» Ne pris Us fermetez que sont delà le Lis Des f.
» Ainz morront maint proadome qui encore sont vif. » En morra tex
A vrai dire, ce ms. n'est pas le seul à faire usage du vers de 12 syl-
labes; j'en ai rencontré ailleurs quelques exemples épars, notamment
dans le ms. 3. Mais ils y sont à l'état sporadique, et c'est seulement
dans 4 que l'innovation tend à devenir systématique en s'appli-
quant, à diverses reprises, à un nombre de vers plus ou moins considé-
rable, entre autres aux f°s 8c, 9a, iid, 12a... et surtout aux f^^ 25^-28^
sur une série de 508 v.
Il est un point sur lequel notre ms. se sépare de tous les autres quant
à l'exécution matérielle. Je veux parler de l'épisode de la mort de Bégon
qui, partout ailleurs, constitue un épisode à part distinct de ce qui
précède, et qui même a été regardé par certains mss. (6", 12 et i3)
comme le début d'une branche de la geste. Dans tous les mss. le vers initial
Un jor fu Bègues au chaste! de Belin
est orné d'une grosse majuscule historiée; le ms. 4 est le seul qui
manque à cette convention : il rattache purement et simplement (f° 60)
ce vers et les suivants à la laisse précédente
« Laz ! » dist From. « que porrai devenir ? »
preuve péremptoire contre les mss. cités plus haut que les deux épisodes
de la mort de Bégon et de son père terminent la branche de Garin au
lieu de commencer celle de Girbert.
On sait que ce ms. ne comprend pas la fm de Girbert; le copiste
s'arrête brusquement (fo 179) à l'annonce du mariage de Girbert avec
la fille du comte de Narbonne :
Li rois Girb. a Es si se sejorne.
Si corn il jure Jhesu qui fist le monde
Ja n'aura pes si aura Terascone ;
Il la conquist, si com la geste conte,
Puis ot la fille Naimeri de Nerbonne.
Après ce vers, qui termine la laisse dans tous les mss., le copiste
ajoute celui-ci, en guise d'explicit :
El cul me tort qui mes me querra honte.
228 F. BONNARDOT
5 et 5a). — i6-jj. Voy. ce qui en est dit sous /. J'ajoute seulement
ici que, pour la seconde partie {5a qui va du fol. 177 au fol. 259^), ce
ms. appartient à la même famille que les deux mss. précédents.
C'est de ce ms. que j'ai rapproché le fragment de Châlons. Alors je ne
m'étais pas encore rendu compte de la particularité qui le distingue, et
qui justement se révèle dans le passage correspondant à ce fragment. Le
vers initial du fol. 177 (v. 88 de Chàlons) commence avec la leçon «va»
au lieu de « cort n qui est propre à la rédaction du groupe lorrain ''cf.
sous /). Il arrive ainsi que notre fragment se partage presque par égale
moitié entre les deux « manières )> du ms. 16 2 2 (voy. sous 26).
La nouvelle rédaction porte à peu près sur les trois quarts de Girbert.
La chanson commence au fol. 147^ et suit la leçon lorraine jusqu'au fol.
176 qui termine le 22*-' cahier. La main change en cet endroit et encore
plus loin au fol. 257 (^33'' cahier), mais la justification reste partout la
même, et aussi la langue. D'où il faut conclure que le ms. a été copié
tout entier en Lorraine, et la seconde leçon mise en harmonie avec la
première quant aux formes du langage. Pour le fond de la leçon, elle
paraît légèrement abrégée sur celle de 3. Les deux mss. conférés l'un
avec l'autre, à l'occasion d'une lacune d'un feuillet dans 5a, donnent
celui-là 128 v. contre celui-ci 120. La lacune s'ouvre au fol. 2:59, après
le 9*^ vers de la laisse :
Annadas fut an sainz fons beneis.
Le roi Gir. en apelle Ger.,
Lo sien fillueil si l'ait a raison mis.
lequel vers correspond au v. 11 du fol. loSd dans 3; et le vers suivant
(c'est-à-dire le 121'']:
Et elle l'ait a Jhesu commandei,
ne répond qu'au 18'= vers du fol. 209^ dans le ms. qui nous sert de
point de comparaison. C'est du reste la seule lacune du ms. 1622. Si
maintenant l'on compare la leçon 3-4-5 a avec la leçon i-6-8, on
reconnaîtra que ces deux groupes procèdent d'une source sensiblement
commune et qu'ils sont entre eux dans un rapport beaucoup plus immé-
diat qu'avec le ms. 144.3 et ceux de V Arsenal par exemple. Il est
cependant un point oii la divergence s'accentue entre les deux représen-
tants des deux premiers goupes : c'est dans notre ms., à partir du fol.
229^, après la laisse :
François antandenf Sarrazin et Escler
Et la grant noixe que il font démener.
Li dus Girb. ait Gerin apelez...'
Les laisses suivantes donnent, dans 3-4-5a, le détail des réjouissances
I. On sait qu'au ms. ili3 cette laisse sert de début au tronçon de chanson
découpé dans Girbert (voy. plus haut sous 2).
LES MANUSCRITS DES Loherains 22c)
qui ont accompagné le mariage de Girbert '. Ce détail n'est pas exposé
avec autant d'étendue dans les mss. du groupe lorrain, et en outre il y
est précédé de la description d'une bataille contre les païens, qui occupe
un feuillet et demi — soit environ 1 80 vers — et qui manque absolument
dans les mss. de l'autre groupe. Cet épisode fait également défaut au
manuscrit 4g88, tandis qu'il est reproduit par le ms. 1448 (fol. 168 ,
si différent par ailleurs de l'un et l'autre groupe. Nouvel exemple de
la pénétration réciproque des leçons, et qui n'est pas fait, on l'avouera,
pour faciliter notre travail.
Au fol. 259® s'arrête Girbert^, immédiatement suivi d'une nouvelle
chanson ou branche, qui n'existe que dans ce ms. et que j'appellerai du
nom d'Yon fils de Girbert. Voici le début de ce poème qui se termine
à la mort de Girbert. Il comprend les fol. 259^-3 1 ^b et compte 6700
vers. Les événements qui constituent le fonds du récit ont été repris par
les continuateurs d'Anseïs sous une forme abrégée et toute différente :
dans le ms. -^^t?c? la partie correspondante s'arrête au fol. 168 avec
moins de 900 vers. Dans le ms. 243yy elle comprend les sept premiers
feuillets, soit environ 800 vers; enfin dans Arsenal 180 elle occupe les
fol. 1 3 9^- 148c avec plus de 2800 vers :
Oi avez, seingnor, de Fromondin
Commant l'ocist li riches rois Gerins
En l'ermitaige del Gros Bordon fresnin,
Por ce qu'il volt Girbert mètre a sa fin,
Gen« meismes et le preu Mauvo/^m,
D'un grant coûte! tranchant et acerin :
Grant joie an firent ansanble li coisin.
Vers lor pais s'en vinrent au chamin ; •
A Ais remest Glrberz li filz Garin,
Et a Saint Gile le conte Maui'0i5/>!,
Et li fix Bègue le seingnor de Belin
Vint a Coloigne et descent soz .i. pin.
Ainz qu'il montast en son palais marbrin,
(f* 2^9c) Vint la roine qui l'ama de cuer fin
Et vers lui ot son corage anterin :
Souef la baise li cortois palazin.
Li rois Otrins molt anvoisieemant
Baisa s'amie la roine au cors gent.
La fin annonce la vengeance que les fils de Girbert, Yon et Garin de
Monglane, prennent de ses meurtriers, en mettant à mort leurs cousins,
fils d'Hernaut et de Ludie, derniers descendants de la lignée de Hardré
et de Fromont.
1 . C'est à cet endroit que s'arrête le ms. /.%'2.
2. Girbert commence (comme dans /) au fol. 147./ après la mention: Ci [dut
Il cha:is de Jehan de FU}o,ior, qui par sa syllabe finale semble faire partie, dans
l'esprit du copiste, de la laisse précédente.
2J0 F. BONNARDOT
Yons fut prous et chevaliers manbrez,
Bien tint sa terre an viron et an lez ;
Vers les prodommes fut paisible et souez,
Vers les félons fiers corn lyons crestez ;
Mais de son père ne fut pas oubliez :
Puis fut per lui li filz Hcrnaut matez.
Grant fut la guerre, jamais tel ne vairez.
Garins ses frères l'aidait, c'est veritez.
Moult s'antramerent li dui frère senez.
(f" 315) Li rois prist famé de molt grant richetez;
Garins meismes fut après oiserez,
Li rois d'Espaigne qui riches iert assez
Sa belle fille li donna de ses grez,
Monglanne tint qui est riche citez
Vient ensuite l'énumération ou dénombrement des héros de la geste
(ci-dessous p. 259). On remarquera que la geste des Loherains y est
rattachée aux gestes postérieures d'Aimery de Narbonne, de Roland,
de Girard de Viane, de Garin de Monglane... considérées comme autant
de rameaux successivement issus de l'antique souche lorraine.
6). — -iJO'-, appartient au groupe lorrain 1-5-6-8. C'est même
de tous les ms. de ce groupe celui qui a la physionomie dialectale la
plus prononcée; il présente les caractères de la langue de Metz, j'entends
par là lin renforcement de la caractéristique dialectale lorraine. Ce ms.
ne renferme que Girberî (incomplet) et la dernière partie de Garin ; il
s'ouvre par l'épisode de la mort de Bégon. Toutefois ce n'est pas,
co.mme on pourrait le-croire, le débris d'un ms. qui aurait contenu Garin
tout entier : les cahiers sont numérotés I, II, III... C'est donc bien le
commencement d'une branche que le copiste greffe sur la laisse :
Un jor fu Bègues au chastel de Belin.
Par là notre ms. appartient à l'école qui encadre les trois épisodes de
la mort de Bégon, des représailles des Lorrains, et de la mort de Garin
dans la branche que nous appelons du titre de Girbert. Cette répartition
est suivie par les mss. i2-i3 (voy. sous ce dernier numéro). Seul dans
les deux groupes de la famille opposée, le ms. 6 représente cette tra-
dition.
Quoi qu'il en soit de cette particularité, notre ms. appartient incontes-
tablement à la rédaction lorraine. Dans son état actuel il compte 122
fol. par 2 col. à la p. et 28 vers à la col.
La leçon est bonne (voy. ci-dessus /); mais les lacunes sont nom-
breuses. Voici le relevé de ces lacunes et des autres particularités de
notre texte d'après les ms. /-5; on remarquera que la leçon de 6 est
un peu abrégée.
a). F** I mutilé de ses colonnes b-c presque entièrement et en partie
LES MANUSCRITS DES Loherains 231
pour^-^; ce premier feuillet correspond à 75^ des mss. auxquels je le
confère; il compte 109 vers pour 1 1 3 de i-5.
b). Après le fol. 1, s'ouvre une lacune de 2 fol. soit 224 vers, entre
Sire a ce! vis et a ce! cors traitis
et
A luemant de barons chivaliers,
fol. •j6d-']Sd des mss. i-5.
c). Avec le fol. 5 se termine le premier cahier dans l'état actuel, mais
il y manque le fol. 8; 112 vers contre 118 dans les deux mss. entre
Ne fuiera, si vanra a Paris (f° 82c)
et
Et faites dire vostre prevost Oudin (f* 83^)
d). Le cahier suivant 6-1 3 est sans lacune; le rapport des mss. p aux
mss. 1-5, fol. 83^^-913 est de 896 à 914. — Le cahier suivant n'est
composé que des 4 feuilles 14-17; il porte en réclame le premier vers
d'une tirade en forme de prologue ou d'annonce qui ne se rencontre
que dans ce seul ms.:
(fol. i8<i) Grans fuit la guerre que jai nepanra fin.
Tez est an estre qui an mora sovin,
Com vos porez an la chanson oir.
Or ancommance Tystoire a venir.
Après la mort duc Begon de Belin
La rancomance Rigaus li fis Hervin.
En Bordelois ait fait sa gent tenir
Et ci guerroie ces mortez enemins...
Les autres mss. commencent le récit de cette nouvelle phase de la
lutte par la formule usuelle :
Hui mais devons a Rigaut revertir.
En Bordelois (f» 95^).
Le 4^ cahier, sans lacune, se compose seulement des 6 fol. 18-25
avec 672 vers contre 680, fol. 9 5^1-1 00c. Il porte en réclame:
Forz s'an isirent armei sur le destrier.
Le Ç cahier comprend les huit feuillets 24-32, avec la réclame:
Et fait iluec sa mainie venir;
il correspond aux fol. looc-ioSb et compte 896 vers contre 908. Au
bas du fol. 30, se trouvent deux lignes de langue allemande écrites en
caractères romains assez effacés. Ce détail semble démontrer que notre
ms. a séjourné sur les bords du Rhin.
Le 6*= cahier fol. 33-40 ne compte que 874 vers dans les mss. /-.^
du fol. loSl^aufol. ii^c. La différence de 22 vers sur sa justification
ordinaire tient à ce qu'un certain nombre de vers occupent deux lignes.
Il a pour réclame :
Trestoz sanglans gisoit anmi le prei.
Le 7'" cahier de 6 feuill. seulement (40-4^), se termine en réclame par
De son nevout le borguignon Aubri
2 52 F, BONNARDOT
= fol. \i<^c-\2\b; on a d'une part 672 vers et 69^ d'autre part.
Le 8" cahier (fol. 46-5 5) correspond aux fol. 1 2 ifc-i 29^ dans la pro-
portion de 880 V. contre 967 ; une partie de l'écart doit être attribuée
au dédoublement d'un certain nombre de vers.
Le 9'' cahier (fol. 54-61) de :
Li dus Girbers an vint a S. Michiel
à
L'erme s'en va et li cors s'estandit
= 872 vers pour 918a cause des dédoublements ; il va de 1 2C)b à 1 37a.
Le 10" cahier, fol. 62-69, va jusqu'à :
Et ci i est li borguignons Aubris
de 1 37a à 144c par 870 vers environ contre 920 v. Le fol. 6Sb-c est
mutilé.
Le I r cahier, fol. 70-77, va jusqu'à :
Dou doz li traient le blanc habert trelix
= fol. 1 44c- 1 53c, par 878 V. contre 10023 v. Cette différence con-
sidérable s'explique, en outre de la réduction habituelle, par la lacune
de la dernière laisse de Garin :
Gironville est fermée en .i. regort.
Le 12" cahier, fol. 78-85, se comporte jusqu'à la laisse :
Vont s'an li niés, s'ont fait a roi grant honte"
avec 878 vers (== fol. 1 53C-161C) contre 976.
13® cahier, fol. 86-93 :
A Monlouon herbegeret le soir
= fol. lôid-i-joa, avec 885 vers contre 1018.
14'' cahier, fol. 94-101 :
Gerin a fait la soie gent venir
= fol. 170(2-1 78c, avec 887 vers contre 996.
Le i j'^ cahier, fol. 102-109, porte en réclame
Fromondin sire
= fol. 178C-186C, avec 872 vers contre 965.
Le 16" cahier, privé de son premier feuillet, va du fol. 1 10 au fol. 1 16.
La leçon en était identique à celle du ms. 1442 puisque la lacune porte
sur 1 1 2 vers, nombre égal au chiffre contenu dans un feuillet de notre
ms. Dans son état actuel le 1 6e cahier correspond aux fol. 187C-194C,
entre
Mal connisiez Fromont le posteis
et
Se sont andui si duremant hurtei.
Le rapport est de 773 vers contre 842.
Le 17' et dernier cahier, fol. 1 17-122, n'a que 6 feuillets ; manquent le
6* et le 8«. La lacune s'ouvre après le 63^^ vers de la laisse
I. Ms. grant honte a roi.
LES MANUSCRITS DES Loherains 2^3
Li Galios sont de Gofre tornez
Et dist Fromons : J'ai n'orez veritei ;
et le texte reprend par :
Tes os condure et ton règne tenir.
Les cinq prem. fol. de ce cahier correspondent à 194c- 199 dans le rap-
port de 546 vers contre 601. La lacune s'étend de 199c à 200c, sur
1 10 V, pour 1 18. Enfin le ms. se termine au septième feuillet du cahier
par:
A Gironvile on mandei Fromondin
= V. 16 du fol. 20 1^. Tout le reste de la chanson manque, soit les
folios 201^-261^ comprenant 7200 vers, c'est-à-dire plus de la moitié
du poème.
7) — Ms. 4g8H. Il contient les trois branches de Garïn, Girbert et
Anseis. Le rapport de cette dernière chanson avec le ms. 10 sera indi-
qué plus bas ; pour les deux premières, la leçon est en général celle des
ms. 3-4, quoique avec quelques variantes et lacunes '. Pour plus d'une
de ces lacunes et variantes, il arrive que notre ms. se rencontre avec 2
(voy. le fragm. de Girbert publié plus loin) ; toutefois il s'en écarte dans
tous les passages où celui-ci possède en propre une leçon divergente.
D'où la conclusion que la leçon représentée par la famille 2-1 i-i2-i3
est foncièrement altérée et remaniée presque d'un bout à l'autre.
Le ms. est à 2 col. par page et 47 vers par col. Chaque cahier compte
12 feuillets, à l'exception du 6^ qui n'en compte que 10 {f°^ 60-70) sans
lacune d'ailleurs, du 14^ et dernier cahier de Girbert qui n'a que les 9
fos 155-16^, et du cahier final qui se termine avec le 8^ feuillet des
fol. 284 à 291 . Que le cahier qui termine Girbert soit incomplet du der-
nier tiers de ses feuillets, cela seul suffit à démontrer que le ms. n'était
primitivement constitué que par les deux premières chansons de la
geste. Aussi bien Anséis, quoique écrit de la même main et au même
temps que Gariri et Girbert, se comporte comme un ms. à part pour le
numérotage de ses cahiers qui recommencent la série I, II X. Puis
ces deux ms., exécutés l'un et l'autre au xiv^- siècle, ont été reliés
ensemble, comme il est arrivé pour 3 et comme on va le voir pour (S*.
Quant à l'état matériel du ms., j'ai remarqué seulement les deux par-
ticularités suivantes: i°) une interversion des feuillets entre 122 et
127 ; pour la suite du récit, il faut ordonner les folios selon l'ordre 122-
124-1 23-1 26-1 2 5-1 27. — 2") La seconde moitié du f" \6']b et le verso
sont restés en blanc, en sorte qu'il manque la laisse finale de Girbert :
I . Outre les lacunes proprement dites dans le récit, le copiste a laissé en
blanc çà et là un certain nombre de vers qu'il n'aura sans doute pas pu lire dans
son original. Quelques-uns de ces blancs ont été remplis pas une main moderne
avec l'aide des autres mss.
2)4 P- BONNARDOT
De Panpelune est Girberz départis,
soit environ 40 vers.
'^). — i()i(to. Ce beau ms. peut être considéré comme le type du
groupe lorrain; pour la partie commune aux ms. 7-5-6", voy. ci-dessus
à l'art. /. Seul des mss. de Paris avec Ars.iSi , il possède la première
branche de la geste, Hervis de Metz, ainsi appelée du nom du père de
Garin. Le ms. de Turin contient aussi cette branche dans des conditions
particulières sur lesquelles je reviendrai. On sait que, bien que placée en
tête du poème, la branche d'Hervis est postérieure aux autres. La date
de sa composition ne peut remonter au-delà de la seconde moitié du
XII*" siècle, en admettant qu'il ne faille pas la faire descendre au xiii«.
M. Auguste Prost, qui a étudié de très-près les origines et les dévelop-
pements de cette conception, n'hésite pas à y reconnaître le tableau
fidèle des mœurs et des institutions sociales de la république messine à
l'époque qui vient d'être indiquée. Pour l'étude de cette légende, de son
esprit particulier, de la tendance peu commune qu'elle affecte au point de
pouvoir à peine mériter le titre de chanson de geste, mais bien plutôt celui
,de composition romanesque, je ne saurais mieux faire que de renvoyer
le lecteur à l'intéressante analyse de la geste des Loherains et spéciale-
ment de la légende d'Hervis que M. A. Prost a donnée dans ses Légendes
de Metz (pp. 340-402). Je rappellerai seulement ici que la branche d'Her-
vis est la mise en œuvre du prologue de la chanson de Garin. Ce pro-
logue contient environ 1 200 vers et raconte les exploits du duc Hervis
contre les Barbares, les défaites successives qu'il leur fait essuyer, ses
démêlés avec le roi de France dont il refuse de subir plus longtemps la
suzeraineté, enfin son glorieux trépas dans une bataille livrée aux envi-
rons de Metz contre les envahisseurs du duché de Lorraine'. Cette ver-
sion, vraiment héroïque de souffle et de ton, forme le fond ou, pour
mieux le dire, le prétexte de la branche d'Hervis. Remaniée, amplifiée,
délayée, noyée au milieu d'éléments nouveaux et discordants avec la
conception primitive, elle ne présente plus, sous sa seconde forme, qu'un
intérêt local, assurément considérable et digne en soi de fixer l'attention,
mais qui n'est pas en harmonie avec la donnée générale des composi-
tions épiques, non plus qu'avec celle des autres branches de la geste.
Et même le remaniement modifie la version primitive en deux points
I. Les mss. sont peu explicites sur le lieu du combat. Une tradition locale
recueillie exclusivement par le ms. 4 (f° 16^) place le champ de bataille à Ancer-
villCj distant de quatre lieues de Metz environ, sur la rivière de Nied française :
Anseis fet ses Chartres seeler.
Son ost venir quanqu'en poet assembler,
A Anservile venir et auner ;
Sor l'eve (de) Mez tendent loges et très,
leçon suivie par M. P. Paris dans son édition de Garin.
LES MANUSCRITS DES Loherains 235
principaux : le mariage de Hervis et sa mort. En ce qui concerne ce
dernier fait surtout, la version moderne est bien mal venue à faire du
duc de Metz un croisé qui va combattre les Sarrazins en Terre-Sainte
et trouver la mort à Acre « oii l'on voit encore son tombeau. « Mieux
inspirée et plus fidèle à l'esprit de l'œuvre, la première version le fait
mourir et inhumer devant Metz, en l'abbaye de Saint-Arnould, non loin
du « Grand Moutier » (la cathédrale) où reposaient les cendres de son
fils Garin. Cette antique tradition était encore vivante au xvi^ siècle ;
Philippe de Vigneulles en fait foi dans sa Chronique, laquelle contient
une analyse de notre chanson.
Une autre preuve frappante de la divergence constitutionnelle des
deux versions a été relevée et mise en complète lumière par M. A. Prost' .
Dans la branche (seconde version) qui porte son nom, Hervis est pré-
senté comme étant d'extraction bourgeoise, et cette donnée joue un rôle
essentiel dans l'ouvrage 2, tandis qu'on ne voit rien de pareil dans le
prologue de Garin première version). Et si la qualification de « vilain»
apparaît attribuée à Hervis dans la chanson même de Garin, elle ne se
rencontre que dans les trois mss. /-5-cV constitutifs du groupe lorrain,
issus d'une source commune. Selon toute vraisemblance, ces mss. ont été
exécutés à Metz sous l'influence de la légende exclusivement locale qui
venait de prendre corps dans la branche d'Hervis. Tant il y a qu'aucun
autre ms. ne reproduit la leçon du groupe lorrain :
. . . li Loherans Garin
Li dus de Mes, fils au vilain Hervis
Ils remplacent tous « vilain » par « duc » ou k vassal »5.
A l'appui de cette argumentation, j'ajouterai que la même particularité
se retrouve dans l'énumération finale des personnages de la geste. Des 9
mss. dont je reproduis ci-dessous l'«explicit » récapitulatif, six ne men-
tionnent pas Hervis; les trois autres mss. [i-S'-io) qui rappellent l'ex-
traction bourgeoise d'Hervis :
Ci faut l'estcire dou Loherant Garin,
Et dou villain qui eut a non Hervi,
1. Légendes de Metz, p, 580 et note.
2. Voici entre autres quelques rubriques de la branche à'Her%'is dans le ms.
de Turin (ci-dessous n° 22) :
« Ensi comme Hervis achata Biatris a la foire a Laingni as escuiers qui
l'avoient reubé.
>> Ensi comme Hervis vendi le drap en la cité de Tirs au roi Witace et au
roi Flore son fil.
» Ensi que Hervis revint de Tirs de vendre le drap...»
5. On m'objectera peut-être que l'un des héros de la geste, Rigaud, est sou-
vent dit « filz au vilain Hervis. » Mais, outre que ce dernier nom se trouve
fréquemment écrit « Hervil, Hervin », il ne peut être ici question du duc de Metz
qui n'avait que deux fils : Bégon et Garin.
2^6 y. BONNARDOT
se réduisent en réalité à deux, puisque les deux premiers ne comptent
que pour un. Quant à ro, qui contient seulement la branche d'Anseis,
il faut admettre qu'il reproduit la dernière partie d'un ms. qui possé-
dait les quatre branches, Hervls compris. Si Anseïs avait existé dans l'un des
ms. /-rV, il est bien probable que l'identité entre ce ms. et lo se pour-
suivrait à travers la leçon et s'affirmerait d'une manière évidente. Dès
lors il n'y a plus qu'une seule mention de la roture originelle d'Hervis,
mention appartenant exclusivement aux mss. qui contiennent la branche
d'Hervis ou qui ont été copiés sur un original qui la possédait. Dès lors
aussi est démontré ce que le lecteur a sans doute pressenti : la présence
de « villain, » soit dans Garin soit dans le dénombrement final, est due à
une interpolation de la première branche dans les autres.
Pour terminer cette discussion et, en même temps, pour donner un
nouvel exemple de la pénétration mutuelle des leçons et de leur influence
réciproque, il est curieux de voir le ms. de Turin traiter de menson-
gère la tradition d'après laquelle Hervis serait issu d'une lignée bour-
geoise. On vient de voir les preuves à l'appui de la roture, extraites du
même ms.; mais précédemment il avait soutenu la thèse contraire en
l'exagérant jusqu'à assigner une origine princière et même sacrée à son
héros :
Aucun vous chantent dou Loherent Garin
Et de Begon le vassal de Belin,
Que point ne sevent a dire dont il vint ;
Aiiçois vous dient por l'enchaçon tenir.
De vilounie fu li frans dus norris.
Chil qui le di(en)t, sachiés, il se menti :
Il son[t] estrais de sains de paradis,
De dus, de princes, de rois, d'empereis.
La prime geste dou Loherenc gentil
Fu Floriens, .i. rois qui Roume tint
Et l'autre geste de son fil S. Seurin
Et l'autre geste dou très bon duc Hervi.
Assurément cette généalogie imaginaire n'a pas d'autre mérite que de
protester en faveur du véritable état civil d'Hervis, ou tenu pour tel par
la légende à défaut de preuves historiques; mais c'est néanmoins un
mérite assez grand. Elle témoigne du peu de crédit qu'avaient rencontré
les invraisemblances romanesques de l'auteur de la seconde version,
et par contre de la faveur qui restait attachée aux autres branches de la
Geste. Nécessairement postérieure à la chanson de Hervis dont elle vise
à rectifier la donnée fausse, cependant elle la précède dans le ms. comme
pour prévenir le lecteur de se tenir sur ses gardes. Cette sorte d'avant-
propos est lui-même suivi d'un prologue qui n'existent l'un et l'autre
que dans le ms. de Turin.
LES MANUSCRITS DES Loherains 237
Quant au ms. igiGo la chanson de Hervis remplit ses 88 premiers
fol.;, après quoi viennent les branches de Garin (fol. 89-2 3 ^^i) et de
Girbert (fol. 235^-349/^). Hervis compte 10560 vers, les deux autres
chansons ont le même nombre de vers que dans i, c'est-à-dire l'une
17640 vers, l'autre 1 3680 en chiffres ronds. Le ms. entier compte donc
41880 vers.
g). — iqiôi . Non paginé, 142 fol. à 2 col. par page et 30 vers à
la col. Le premier feuillet a été enlevé; le ms. débute par ce vers de
la harangue du pape à Charles Martel :
Et si vos prest les dîmes, sire fis,
qui correspond au 3e v. du fol. \d dans le ms. 4. Sauf cette lacune, les
cahiers se suivent régulièrement de i à xviij, lequel se termine par
Conques Girbers te! plait ne me requist
correspondant au 21^ vers de 1 11". Le déficit pour Garin est donc de
780 vers suivant la leçon de 4 qui se rapporte de près avec celle de
notre ms. Comme la reliure du ms. est moderne, on ne peut affirmer a
priori que celui-ci contînt Girbert; toutefois cela est probable, aucun
ms. ne donnant la première de ces branches sans la seconde (voy. cepen-
dant 3 in fine) .
10). — 243yj. Cems. est dans un parfait état de conservation. Il pro-
vient de la bibl. du duc de La VaUière; le catalogue de de Bure (II, 204)
nous apprend qu'il a été vendu 20 livres. On sait déjà qu'il ne contient que
la 4'- branche. Les trois mss. de Paris {y-io-i'j) qui renferment cette
branche ' présentent cette singularité qu'aucun ne concorde avec les deux
autres pour le nombre et la succession des laisses. Le début est diffé-
rent dans les trois mss., et alors même qu'ils sont arrivés à tomber d'ac-
cord ils sont loin de toujours procéder de concert. Je relève les points
communs de 10 avec 7 seulement, la leçon de 12 étant par trop diffé-
rente comme pour les branches précédentes. J'avertis qu'il faut entendre
ici la signification du mot « rapprochement » dans son acception la plus
large, c'est-à-dire que je regarde comme correspondante l'une à l'autre
toute laisse dérivant ici et là d'une leçon commune, soit par la forme soit
seulement par le sens.
24377 ï'id Crans fu li guerres ki onques ne prist fin. 4988 f» 164Û
4e Dist Manesiers : « Dame, par Deu merci. i66b
4e Don, dist la dame, tu m'es, or vous hastés. i66b
5c Huimais commence cançons a enforcier. 1G6J
1 . On sait que le ms. 5a contient, sous une forme beaucoup plus développée,
le début de cette chanson.
2^8 F. BONNARDOT
Les deux mss, marchent de concert jusqu'après la mort de Girbert et la
laisse
Sb Hernaus apiele le prou vallet Segin. \6ç)a
après laquelle ils se séparent, pour reprendre ensemble
9c Dist Ludias la dame 0 le cler vis. \6<)c
lo/'Grans fu l'ester et merveillos il cris. 170c
Nouvelle bifurcation portant sur cinq feuillets jusqu'à :
1 5c Fors fu l'estors et ruiste l'envaie. 174J
i6tFors fu li caples et grans li ferreis. 174c
ijd Desus la rive se sont tout aresté. i-j'^d
et la suite. Le fol. 2od est resté en blanc attendant la fin de la laisse
commencée à la col. précédente. Il y a accord entre les mss. jusqu'au
fol. ^d = 189^. La laisse
3 ^(^ Si com il orent fait lor gent arester 189^
est beaucoup plus allongée dans le premier que dans le second.
Ici nouveau désaccord, causé, je pense, par une interversion des
cahiers'
40c Guires s'en torne et Hernaus li marcis 190/'
et la suite jusqu'au fol. ^éd ^= ic)/[d où la laisse
46^ Giometrie li aprist par vigor
manque dans le second ms. A part cette lacune, l'accord se continue
pendant ]] feuillets jusqu'à 88c = 225c. A ce point apparaît une nou-
velle cause de divergence ou de défectuosité. Sans vouloir décider
laquelle des deux leçons est préférable, je les prends telles qu'elles se
présentent; de leur comparaison résulte ceci : que l'une des leçons est
en cet endroit considérablement abrégée sur l'autre. Ce résultat est
obtenu par le changement de certaines assonances 2, ce qui permet de
réduire le nombre des laisses en en fondant plusieurs dans une seule
sous une assonance unique. C'est dans le ms. 243- -j qu'a lieu cette
réduction, dont voici les exemples :
Les deux laisses consécutives
Quant il en orent les haus homes sevrés
La tierce eskiele reconduira quens Guis. 225c
n'en forment qu'une dans 88c sous l'assonance é. De même le fol.
%%c-d n'est pas identique à 22 5c-2 36^. Tandis qu'il y a ici cinq laisses
1 . Il est bon d'avertir que le ms. 24577 n'étant numéroté ni par feuillets ni
par cahiers, la constitution divergente de sa leçon rend plus difficile la constata-
tion de pareilles erreurs.
2. J'ai signalé à l'art. S un essai de tentative quelque peu analogue, heureu-
sement non suivie d'effet.
LES MANUSCRITS DES Loheraïns 239
assenées in ee en i ié, là elles sont réduites à deux : i en; ainsi condensée,
la leçon de 70 est notablement plus courte que celle de '^.
Le parallélisme reprend avec la laisse suivante
Sç)d Si corn Hernaus ot dit tôt son penser 226a
pour se poursuivre jusqu'au bas du fol. 121^ = i^od.
A cet endroit existe une lacune après le 1 3e vers de la laisse
\2\d Sï comme Bauce ot sa gent ordenee 250/»
Cette lacune qui se clôt 290 vers plus loin au fol. i^ib est le fait
d'une interpolation qui a transposé les fol. 2 et 5 du xvj« cahier en fol
6 et 7 du xviie cahier. Si le ms. était paginé, ils seraient numérotés
134 et 135 au heu de 122 et 123. L'ordre régulier étant rétabli, on
voit que nos deux mss. continuent à marcher de conserve. Par contre
huit feuillets plus loin c'est le ms. 7 qui se trouve en défaut à son tour •
en effet les deux premiers vers de son fol. 258 appartiennent à deux
laisses différentes :
Jamais meschine n'i vaura ne pastiaus.
Lors traist l'espee dont bien trence li brans ;
ils se trouvent dans /o : le premier au fol.iiqb, le second au fol. 129c
30 vers plus loin. Le copiste de 7 aura sauté ces 30 vers par inatten-
tion.
En voilà assez sur la constitution comparée de la leçon des deux
mss. Ce qui précède suffit pour attirer l'attention de qui voudra entrer
dans le détail. J'arrête donc ici la référence réciproque des mss. d'au-
tant plus que la fm du poème m'a paru être sensiblement convergente
Je terminerai ce qui regarde le ms. 10 par quelques observations qui
lui sont propres.
Je viens de dire que c'est après le fol. 1 3 3 que viennent les deux fol
interpolés, de sorte que le fol. 1 36 devra réellement porter le n° 1 34
Le fol. 26d renferme un anachronisme dont il convient de laisser la
responsabilité au copiste : il ne se rencontre en effet que dans ce seul
ms. 11 est curieux à relever en ce qu'il montre l'influence exercée par
une chanson sur une autre de date et d'intérêt différents. Dans l'espèce
Il s'agit de la chanson de Roland et de la défaite de Roncevaux Parmi
les seigneurs de la cour figure Pieron d'Artois dont la sagesse était fort
prisée dans les conseils du roi. Afin sans doute de justifier cette estime
le copiste n'hésite pas à donner à Pieron une longévité hors de toute
proportion :
Il avoit plus de .ce. ans et dis
De Rainscevaus escapa il jadis
De le bataille u Rolans fu trais;
Si fu od Karle quant l'Espagne conquist :
Or est si viols a poine puet seir.
240 F. BONNARDOT
Les invraisemblances de tout genre accumulées dans ces quelques
vers sautent aux yeux; elles ne méritent pas l'honneur d'une réfutation.
Ainsi d'ailleurs que le fait remarquer une note inscrite au bas du fol., ce
n'est là qu' «une bévue de copiste qui, comme cela arrivait souvent, aura
écrit de mémoire et confondu ensemble plusieurs chansons de geste. )>
Encore aurait-il pu respecter le texte auquel il empruntait sa digression
intempestive.
L'intérêt de cet anachronisme est dans son rapprochement d'une
autre mention de ce genre, rapportée au ms. 1622 et s'appliquant non
plus à un personnage secondaire mais à l'un des principaux héros de la
geste, à Gerin, cousin de Girbert :
Après Hernaut lo conte palazin,
Gerin vesquit, ce truis en perchamin.
Tant qu'en Espaigne ala li fiz Pépin;
En Ronceval 0 Reliant le meschin
Fut li frans rois ocis d'un Sarrasin.
Cette réminiscence se trouve tout à la fm du ms. dans l'énumération
des héros du poème, sur l'esprit de laquelle voy. 5 in fine.
Enfm une autre concordance est celle qui relie notre ms. à ceux du
groupe lorrain par la qualification de « vilain » accolée au nom de
Hervis fvoy. sous tS', p. l'^'^-G).
Le ms. 243^ y est d'une très-belle exécution; il est à deux col.,
comptant chacune 36 vers. Le poème débute au verso du fol. i; la pre-
mière colonne de ce verso est remplie par quatre miniatures superposées
l'une à l'autre; la seconde col. commence par la lettre ornée G enca-
drant une miniature; une autre miniature se trouve au bas du fol. 19^
en marge inférieure. Avant d'entrer dans la bibl. du duc de La Vallière,
le ms. avait appartenu, aux xvi<= et xvii^ siècles, aux personnages dont
les noms se lisent sur le feuillet de garde : « A madamoi'<^ Anne de
Graville, v^ xxi » « A monseigneur d'Urfé. «
//). — Arsenal 180. Ce ms. est de la même famille que 2-1 2-1 3;
néanmoins sa leçon est souvent indépendante. Tantôt abrégée, plus sou-
vent amplifiée, au total elle est plus étendue que dans aucun autre ms.
11 compte 30 vers par col., et 2 col. à la page. Garln y remplit les fol.
1-159!? avec 19000 vers; Girbert va de 159^ à 261^ avec environ
1 2 300 vers. Ce manuscrit présente différentes particularités d'écriture sur
lesquelles je reviendrai tout à l'heure. Il est dans un bon état de conser-
vation; les fol. I et 2, jadis mutilés en tête et en marge, ont été refaits
au xiv*^ siècle. Le 24^ cahier se compose de 7 feuillets seulement (185-
191), sans lacune.
Ce ms., l'un des plus anciens de la Geste, a successivement appartenu
LES MANUSCRITS DES Loherains 241
dans le xviiie siècle au maréchal d'Isenghien, au duc de la Vallière, au
marquis de Paulmy dont les livres et mss. constituent le fonds princi-
pal de la bibliothèque actuelle de l'Arsenal. Il n'a jamais été en la pos-
session de Barbazan, comme le pense M. Stengel (p. 408). Ce qui a pu
Pinduire en erreur, c'est l'annotation marginale qui figure à la page 389
du ms. 839 H. F. de la même bibliothèque, intitulé « Catalogue de
Manuscrits. ;> Dressé par Barbazan, ce catalogue contient à cette page
l'mventaire des mss. de « M. le duc de la Vallière « au second rang des-
quels se présente le « Roman de Garin le Loheran, en vers francois,
13e siècle, venant du Maréchal d'Isenghien, 4°. « Puis en marge:
« Ces trois mss. ■ ont passé dans ma bibliothèque, aux f° « ; c'est-à-
dire dans la bibliothèque de Paulmy, auteur de la note. Barbazan n'a
donc jamais été possesseur du ms. actuel 180, il en a seulement signalé
l'existence chez le duc de la Valhère; et Paulmy, après s'être r'endu
acquéreur du catalogue et du ms., constate sur le premier l'entrée du
second dans sa bibliothèques Cette note a d'ailleurs servi à M. Stengel
pour rectifier sa propre liste des mss. des Loherains, en identifiant''^
(Arsenal 180) avec / (Isenghien).
De ce ms. Isenghien, Mone a donné une analyse succincte et cité
quelques vers 3. M. Stengel a déjà remarqué qu'un grand nombre des
feuillets de ce ms. sont d'une autre main, par exemple les fol. 16, 24,
39, 4o> 46, 56, GG, 68, 69, 70, 178, 181, 192 bis, 197, 219/220',
223, 225, 228. Ces feuillets d'une écriture différente, appelés à combler
des lacunes existant anciennement dans le ms. 180, ont-ils été copiés
sur l'original .? Présement-ils la même leçon que les feuillets perdus et
remplacés par eux.? C'est ce qu'il est impossible d'affirmer sans avoir
au préalable fait une étude minutieuse du ms., mais déjà nous pouvons
dire que les divergences qui seront constatées tout à l'heure entre
la leçon de /o et celle de 12 et de i3 ne portent sur aucun des fol
désignés ci-dessus. Dès lors, il ne semble pas qu'il faille (non plus ici
que dans les autres ms. copiés de différentes mains) réunir ces fol.
isolés en une collection qui prendrait le rang de loa. Il suffit de signa-
ler l'accident, la mention a étant réservée pour le cas où non-seulement
la mam, mais aussi la leçon, vient à changer: tels 5 et 5a.
12). — Arsenal 181. De tous les ms. des Loherains c'est le seul
prose^'"°^' ''''"• '° ^^Destruction de Troye; 2' Garin- y \t Saint-Craal en
2 Cette attribution est confirmée par la mention suivante qui figure au bas du
feu.net de garde de notre ms.: « M. de Barbazan qui a connï ce ms. qui a passé
fAïèdet '^^''"ë'^''" ^ ^- '^ °"^ ^' '^ Vallie?e, dit que l'écriture en eSdu
3. Mené : Anzeiger fur Kunde des deutschen Mittelalters, IV (1835), 341.
Romania, III ^ (^
242 F. BONNARDOT
qui contienne les quatre branches de la geste. Sa valeur, qui sera tou-
jours très-grande, serait inestimable n'étaient les conditions de date
et de rédaction qui lui enlèvent une part de son prix. Transcrit au
\i\^ siècle, il porte en maints endroits la marque de cette époque et de
la manière dont on comprenait alors 1' « adaptation » des anciennes chan-
sons à la langue et aux idées présentes (voy. ci-dessus -j et 6"). Par
exemple il fait commencer Girbert, comme 6 et i3, au départ de Bégon
pour la chasse ; en outre il prolonge cette même branche jusqu'à la mort de
son héros, c'est-à-dire assez avant dans Anseïs. De cette façon Girbert
devient la branche la plus considérable de la geste, tandis que, ramenée
à ses véritables proportions, elle en est la plus petite. Je signale cette
répartition spéciale pour bien marquer le caractère propre de notre ms.
en cela proche voisin de 2. La constatation faite, je reviens au mode
naturel de division du poème pour indiquer suivant quelle proportion le
ms. répartit ses 56,250 vers (nombre rondj entre les quatre branches
dont il se compose. De dimension in-fol., chaque feuillet est séparé en
5 col. sur chacune de ses faces, et chaque col. compte 5 1 vers. Hervis
remplit les fol. 1-44^ avec 1 3 160 vers, Garin les fol. 44^-97^^ = 161 50
vers, Girbert les fol. 97/-1 39^ = 12070 vers, Anseïs les fol. 1 39^-1 88^
= 14850 vers.
On sait déjà que ce ms. est de tous celui qui se rapproche le plus du
ms. nouvellement découvert à Dijon'. J'ai montré précédemment que
pour la leçon celui-ci l'emporte sur celui-là. Néanmoins, parce qu'il
réunit la geste dans une seule teneur, le ms. de I'Ars. doit être regardé
comme le type de la famille 2-10-12-13. Il en est le représentant le
plus accentué, le plus défectueux si l'on veut, mais au demeurant le seul
complet. L'indépendance de sa leçon est accusée de la façon la plus
nette possible, pour les trois premières branches, vis-à-vis des groupes
1-5-6-8 d'une part et 3-4-5a-'j-g de l'autre; et pour la quatrième
vis-à-vis de j-io que l'on vient de voir assez divergents l'un de l'autre.
Cette dernière branche n'existe malheureusement pas dans le groupe lor-
rain, l'isolement de /o ne permettant pas de l'y rattacher ^ pr/on quoique
la mention du c< vilain Hervis « pèse d'un certain poids en faveur de
cette attribution (voy. ci-dessus p. 240).
Au contraire des ms. i-5-8 qui, par inadvertance du copiste, ont
fait passer cette appellation dans le passage de Garin cité plus haut (p.
235), Ars. a maintenu l'esprit de la première version, la bonne :
Li dus de Mes, li fils au duc Hervi
L'énumération finale ne fait pas davantage mention de Hervis, non plus
I . Voy. ci-dessus, p. 78 et ss.
LES MANUSCRITS DES Loùrains 243
que les mss. qui ne contiennent pas la branche de ce nom. Sous ce rap-
port il concorde avec 7 contre 10.
La chanson de Hervis ne contient au fol. i recto que 36 vers par col.
au lieu de 51 ; le chef de la page est occupé par une miniature, et l'en-
tête de chaque col. par une lettre historiée. Avec deux autres lettres du
même genre dont il sera question plus loin, c'est là toute l'ornementation
du ms.
La lettre initiale de Garin (fol. 44^) ne se distingue en rien des lettres
mitiales des laisses précédentes et suiv. Le fol. 77^ se termine par la
mention, que j'ai déjà relevée, du nom du copiste et du lieu où la copie
fut exécutée ; elle assone avec la laisse :
Ciz romans est a Jaques de Paris.
Haut soit pendus qui l'enblera en fin!
Sachiés qu'il fut escris a S. Quentin
En chiés Robert Dardane Houdebin.
Certes, une pareille mention est bien ^équivalent d'un « explicit »
Pour l'avoir insérée à cette place, il faut que le copiste ait eu sous les
yeux un ms. qui terminait à cet endroit même la chanson de Garin : or
on verra que le ms. de Dijon est dans cette condition, seul de tous ceux
qm nous sont parvenus. Et comme par ailleurs la leçon concorde, celte
rencontre danslacoupe — défectueuse.? je n^examine pas ce point -de la
chanson est un nouvel et puissant argument en faveur de la communauté
d'origine assignée aux deux mss. dans mon précédent article.
Aussi bien la laisse qui vient immédiatement après cette note commence
par une lettre historiée, qui reçoit de la condition générale du ms., assez
peu soigné en somme, et de l'absence totale d'ornememation intérieure,
une valeur intrinsèque considérable. Encore une fois, pour le copiste de
notre ms. et pour son original (celui-ci dérivé d'un original premier par
combien d'intermédiaires et quels.? je ne sais, et ce serait là le point
qu'il importerait de savoir;, la laisse
Un jour fu Bègues au chaste! de Belin
forme le début d'une chanson nouvelle. On a vu tout à l'heure le
ms. 6 en fournir une preuve matérielle.
11 va de soi que dans les mss. de cet ordre, le début réel de Girbert
ne se distingue pas extérieurement de la laisse précédente ni de h. sui-
vante. Le ms. 12 renchérit encore sur cette donnée logique. Il s'est
dit, non sans raison, que ces vers si solennels dans leur simplicité, si
beaux, si pleins, et d'un souffle véritablement épique dans leur retour
cadencé :
Granz fu la guerre qui ja ne panra fin ;
Après les morz l'encommencent ii vif,
Après les pères la reprennent li fil,
244 ^- BONNARDOT
Après la mort au Loheranc Garin
La rencommance li dux Girberz ses filz*,
il s'est dit que ces vers, que la laisse tout entière n'étant autre chose
que l'exposition du drame, sa place était en tête et non à l'intérieur de
la chanson. Et comme, suivant son calcul, la chanson de Girbert comp-
tait déjà 8000 vers et plus (fol. 77^-97/), il a purement et simplement
supprimé cette laisse initiale et une partie de la suivante, comme entra-
vant la marche du récit commencé. C'est ainsi que Girbert est relié à
Garin sans transition, brusquement et comme par un ressaut de mémoire.
Le vice de composition est patent dans ces vers, dont les quatre premiers
(bien qu'altérés; appartiennent à la seconde laisse de Girbert, et dont les
suivants sont de la façon du copiste qui se raccroche tant bien que
mal à la leçon primitive :
Ce fu en mai qu'il fet chaut et seri,
Cil oisel chantent doucement au matin,
Et ses pucelies por amor nos amis
Demainent joie, et varlet et meschin.
En ceste istoire avez arier oi
Mors fu a tort li Loherens Garin.
Gibers n'a perez, ne Hernaus ne Gerins ;
Mais chascun jor, les blanz haubers vestiz.
Vont guerroier Fromont et Fromondin.
Biax sires Dex, pères de paradis,
Fu ains mais guerre qui ne traist a fin
Ne mes icelle du Loherent Garin.
Aprez la mort au franc duc palazin
La recommence et Giberz et Gerins,
Li preus Hernaus et li preus Mauvoisins,
Contre la geste Fromont le posteis.
Hâtons-nous d'ajouter que cette leçon n'a pas fait école; elle est isolée
et à juste titre.
Dans ce ms. le commencement du fragment publié à la fm de ce tra-
vail se rapporte au fol. 99^. J'ai déjà dit que les deux mss. de l'Arsenal
suivent de tout point la leçon du ms. 2 ; pour la correspondance de
cette leçon avec celle du fragment et des autres mss. voy. les variantes
qui accompagnent la publication de ce même fragment.
Le verso du fol. 135 est resté en blanc ainsi que la majeure partie de
la ^^ col. du recto.
Le milieu du fol. 1 39^ correspond à la fm de Girbert dans les autres
mss., avec la laisse fmale :
De Panpelune s'est Gibers depertis
1. Ms. 1461, f» 11 7^.
LES MANUSCRITS DES Lofierains 245
fin : Et a S. Gille s'en ala Mauvoisin,
A Gironville Hernaus li palazins.
Li rois Gibers est demorés ainsi.
Mais notre ms. ne l'entend pas de cette façon. Non content d'avoir
annexé à Girbert la dernière partie de Garin, il pousse la ramification de
cette branche jusqu'en plein cœur d'Anseïs. Ainsi constituée, du départ
de Bégon pour la partie de chasse où il devait trouver la mort jusqu'au
propre trépas et funérailles de Girbert assassiné par ses neveux, la chan-
son s'étend du fol. 77c au fol. 148^, comptant près de 22,000 vers,
nombre presque double de l'étendue réelle de la chanson.
Pour étonnante qu'elle paraisse, cette extension ne peut être révoquée
en doute. Nous retrouvons ici l'application du même procédé signalé au
début de Girbert (fol. 97/); le procédé s'est même perfectionné. Au
moins s'il était greffé sur Garin, Girbert débutait par une laisse indépen-
dante : cette satisfaction est refusée à Anseïs, dont le début est englobé
dans la laisse finale de la chanson précédente, une de ces laisses en i
interminables, comme les Loherains en comptent tant.
Après les vers qu'on vient de lire et qui terminent Girbert, le ms. con-
tinue sans autre avis :
Mais de sa mort ne de son grant péril
Ne se prent garde Gibers li filz Garin.
Du filz Hernaut qui estoit son cousin
Cil prist la guerre et commença l'estrif.
Huimais commence la chançons a venir.
La col. suivante commence toujours avec la même assonance et par
conséquent dans la même laisse, par le vers :
Enz en la voie de S. Jaque en Galis
correspondant au début d'Anseïs dans le ms. 7 qui est tel :
f° 164e Huimais orrés une bonne cançon,
Boin sont li vier et boin en sont li ton.
Ch'est après Paskes en une rouvoison
Que a S. Jake alerent li baron.
Mais cette laisse, qui ouvre le récit, y est elle-même précédée d'un pro-
logue récapitulatif, qui donne le dénombrement des deux gestes enne-
mies et rappelle rapidement la succession des faits jusqu'au point oii
l'action nouvelle va s'engager. J 'ai déjà fait observer (sous 70) que le récit
de cette nouvelle branche ne concorde point avec celui des deux autres
mss., déjà eux-mêmes passablement divergents. Il n'y aurait aucun
intérêt à donner ici la succession des laisses comme je l'ai fait plus haut,
puisqu'il n'y a point de rapport comparatif à établir dans le cas présent.
Je me bornerai à dire qu'avec la i ^^ laisse à partir du fol. 1 59 verso,
et dont voici le premier vers :
246 F. BONNARDOT
Granz fu l'estorz, la nosse et li hutins (fol. 148c)
se termine dans notre ms. l'appendice à la chanson de Girbert, qui
s'annexe ainsi la y partie du ms. .S^. Toute cette partie, jusqu'à la des-
cription des funérailles du héros, compte un peu plus de 2800 vers;
j'ai indiqué sous 5 l'étendue de ce même récit dans les autres mss. de
Anseïs.
Puis la laisse suivante commence par une lettre historiée dans le genre
de celle qui figure au fol. 77c :
Un jor fu Bègues
L'une et l'autre annoncent le commencement d'une nouvelle branche.
Anseïs , mutilé de plus de 2500 vers par l'attribution de sa première
partie à Girbert, se poursuit désormais jusqu'à la fm du ms., fol. 188.
Le feuillet de garde du commencement et de la fm du ms. contient
une analyse succincte du poème en prose, qui remonte, d'après le ca-
ractère de l'écriture, à la première moitié du xV^ siècle.
En résumé le caractère distinctif du ms. /2, et qui lui assigne une
place distincte entre les mss. mêmes de sa famille, c'est l'importance
numérique qu'il donne à la branche de Girbert^ considérablement accrue
au détriment des branches de Garin et d'Anseïs. Pour le fond de la leçon
il doit désormais céder le premier rang au ms. de Dijon, mais il n'en
conservera pas moins une valeur incontestable et hors ligne, grâce à la
réunion des quatre branches de la Geste, dont la première et la dernière
ne se retrouvent chacune que dans deux autres mss.
i3). — Dijon 3oo-K J'ai donné une description détaillée de ce ms.
pp. 78 et ss. Mais une particularité m'avait échappé durant l'examen
sommaire que j'en avais fait lors de mon passage à Dijon. L'existence
de cette particularité resserre la connexion de ce ms. avec Ars. 180,
connexion établie alors d'après la seule comparaison des leçons. On sait
que je veux parler du dédoublement de Garin, et de l'attribution de sa
dernière partie à Girbert, répartition qui ne se reproduit que dans ces
deux ms. (voy. sous 12). Ce partage est encore plus nettement marqué
dans Dijon que dans Ars. L'explicit est formel et complet:
De ceste guerre faiçons ci bone fin.
Dex vos garisse qui en la croiz fu mis,
Et Dex garisse celi qui l'ai escri !
Amen. Amen. Amen,
Ci faut la première perde des Lorans.
Explicit.
Ainsi se termine le î° xlviij ' . En présence d'une affirmation aussi
I . J'emploierai exclusivement les chiffres romains du foliotement primitif, à
peu près contemporain du ms. et par conséquent antérieur aux mutilations subies
par ce volume.
LES MANUSCRITS DES Loherains 247
absolue, ignorant que cette coupe est le caractère distinctif d'une famille
de mss. , et d'ailleurs dénué de tout moyen de contrôle, j'ai dû m'en tenir à
une indication aussi précise que celle-là, et la prendre pour base de mes
calculs. Je m'y suis confié avec d'autant plus de sécurité que cette men-
tion termine à la fois un feuillet et un cahier. Pour comble, le feuillet
suivant, dont le début aurait pu m'éclairer :
Un jor fu Bègues au chaste! de Belin,
fait précisément défaut.
De tout ceci il résulte que j'ai donné le feuillet xlix (manquant) comme
contenant le début de Girbert, assertion vraie au regard du ms. de VAr-
senal, similaire de Dijon, mais fausse au regard de tous les autres mss.,
à l'exception de 6 qui est un ms. fragmentaire. Comme cette division,
spéciale à un groupe d'une famille particulière, ne peut être admise et
que je l'ai déjà rejetée à l'art, précédent, il convient de rectifier ici ce
qui est dit fpp. 80-81) du contenu des deux branches du ms. de Dijon
et des lacunes y afférentes.
Donc Girbert, au lieu de commencer au f xlix, immédiatement après
r « expHcit )) qu'on vient de lire, commence réellement au f" Ixxvj/;,
avec le début consacré, reconnaissable sous cette forme :
Granz fu la guerre, jemais n'i mastrai fin.
Après les pères les repanront 11 fiz;
Lai recommance 11 cuens Giberz ses fiz.
dont la lettre initiale ne se distingue extérieurement par rien qui puisse
la faire prendre pour le début d'une chanson. Il en est de même dans
181 , avec cette aggravation que la leçon a été profondément modifiée,
et qu'ici la copie ne respecte en aucune façon le texte original.
Ainsi ramené au cadre des autres mss., Garin compte environ 1 5,800
vers pour les f°M-lxxvj-', et Girbert environ 11700 pour les f"^Mxxvi/'-
cxxx '. Ces chiffres concordent avec ceux du ms. /<V/ qui donne d'un
côté 161 50 V. et de l'autre 12070 environ : on sait que la leçon de ce
ms. est un peu plus développée que celle de Dijon.
Au surplus, voici la correspondance d'un certain nombre de vers dans
les trois mss. de Dijon et de V Arsenal. Outre le premier vers de chaque
cahier ^, j'en donne quelques autres tirés des passages cités dans mon
précédent article.
1. Dans ce nombre cxxx sont compris les quatre feuillets qui manquent à la
fin du ms. et que je lui restitue d'après le rapport du te.xte de Dijon avec celui
à'Ars.181. Ici encore je donne à la chanson 1 étendue normale qu'elle a d;nis tous
les manuscrits sauf /<S7. Il importe peu de savoir si Dijon comportait ou non
les développements de ce dernier ms. pour Girbert; le problème est insoluble, le
ms. s'arrêtant au f" cxxvj.
2. M. Ph. Guignard, bibliothécaire de Dijon, a bien voulu me copier le
premier vers de chaque cahier à partir du 4'.
248 F, BONNARDOT
Dijon Arsenal 181 180
Cahier 2 f* XIII : Ce poise moi, dist Car... 52a i ^d
— 2 XIV : A .1. baron qui ma terre traist j2e iSa
— 3 XV: Que vos seist la pucelle au cor gent 5 je 20a
— 4 XXV : Je ne suis mie li Alemanz Orris 61b 40a
— 5 XXXIII : A .IIlI.Mt. qu'a des autres savrez 66/ ^-jb
— 6 XLI : N'est eust droiz que li donast Paris ■j\d 74c
— 6 XLVIIL^ : (Explicita fin de la première branche) 776 85e
— 7 [XLIX : Un jor fu Bègues au chastel de Belin] 77c 856
— 7 L : L'oste fu saiges, cortois et bien apris. 78a 86^
— 8 LIX : Dolanz en fu quant il dire l'oit 8}/ 102a
— 9 LXVI : Il dessandirent en .i. bruillat foilli 90^ 1 lafin deCûW/j
— 10 LXXIII ; Il et Guillaume l'orgolloux de Monclin ç)-jd' ne corr. pas
— 10 LXXVIè : Granz fu la guerre jemais n'i mastrai fin
(Début de Girbert) 97/ 1 59^
10 LXXVIIIa : Ce fu en mai que florissent li pins 99^/ 164c
— 1 1 LXXXII : Enz en la chambre une pucelle fu 104c 174^ . leçon
II LXXXV^ : En cel agait que li viauz Fromonz fit loja iSoai difî.
— 12 XC : Trait ai l'espee, celé part est alez i loc 190c
— 13 XCVIII : Et dan Bernart le conte de Nasil ' ii6a 203^
— 14 CVI : Li suens tressor sempres enfondrez fu 121e 218c
— 16 CXXIII : Deci ez danz l'a fandu et partiz 133e 250a
16 CXXVI fin : Puis trait l'epee qui li pant au costé 136;^ 253 c
Le reste manque. Girbert se termine au fol. i}C)d iGxd
En même temps que ce tableau donne, dans un coup d'œil ensemble,
l'état et l'importance des lacunes du ms. de Dijon, il fait ressortir la cor-
rélation intime qui unit ce ms. à 181, issus tous deux d'un origmal
commun, contre 180 dont la leçon est parfois fort divergente. Cette
divergence s'accuse en plusieurs endroits dans ce tableau dressé au
hasard de la succession des cahiers, et notamment à la fin du Garin et
dans le passage correspondant au fragment publié ci-dessus pp. 83-87.
Parfois écourtée, mais bien plus souvent amplifiée, la leçon du ms. 180
lui assigne une place à part dans la famille à laquelle appartiennent 181
et Dijon. Son plus proche parent est le ms. 2.
14). — Montpellier 243 '. « Petit in-4° vélin. Le roman de Garin le
Loherins (par Hugues Metellus, chanoine de Saint-Léon de Toul) —
xiii^ siècle. — De l'oratoire de Troyes à qui le président de Corberon
l'avait donné. Il avait appartenu à Perrin Roucels, échevin de Metz au
xiye siècle. « Cette notice est empruntée au Catalogue des mss des Bibl.
des départements (I, 377). Pour être succincte, elle avait néanmoins suffi
à m'inspirer quelque doute relativement à l'assertion de M. Stengel
(p. 408) que le ms. de Montpellier est une version en prose. A elle
I . Je dois à l'obligeance de M. Boucherie les renseignements qui m'ont permis
de décrire ce ms.
LES MANUSCRITS DES Loherains 249
seule, la date du « xiii^ siècle n est un argument puissant contre
l'existence d'une réduction en prose. Et en effet le ms. de Montpellier
est bien en vers, et il tient un bon rang tant pour la date que pour la
leçon.
Il contient 260 feuillets sans lacune, 2 colonnes à la page et 30 vers
par colonne. Quoique dérivé de la même source que /o, il n'a pas suivi
la leçon divergente de ce dernier ms. et ne présente pas le même déve-
loppement : dans l'un Garin se termine au f° 147a avec 17,520 vers,
dans l'autre il se prolonge jusqu'au f° 1 59^ avec environ 1 500 vers en
plus. Tous les deux cependant remontent à un original commun ainsi que
l'atteste la communauté de leur formule d' « explicit » (ci-dessous,
p. 256-7). Dès le début du poème, la substitution des « Hongres» aux
« Wandres « ^v. 3) n'a lieu que dans les ms. de cette famille, et au
V. 7 la mention de la ville de « Saint-Denis, » propre à Montpellier,
n'a d'analogue que celle de « Saint-Remis » dans /cVo, interprétation
plus fautive encore d'une leçon mal lue ou altérée dans l'original commun.
J'ai déjà eu occasion de dire que /-Vo s'est développé à part; sa
rédaction amplifiée, moins sobre d'incidents et d'un ton moins bref,
abonde en dialogues étendus; elle vise à la recherche de l'effet et à
l'agencement dramatique. Parmi les ms. de Paris et de la province, les
deux seuls qui s'en rapprochent sont Arsenal 181 et Dijon et surtout
1443. Encore les deux premiers ne s'en rapprochent-ils que de loin,
et tel passage, celui p. ex. qui est reproduit p. 83-87 ci-dessus, n'admet
qu'une confrontation par la tangente; à peine y trouverait-on trois ou
quatre points de contact entre les deux leçons, après lesquels la diver-
gence s'accentue avec d'autant plus d'énergie que le contact a été plus
intime et plus prolongé.
Les représentants de cette rédaction forment ainsi deux groupes
bien distincts, composés : l'un des mss. iSo et 1443, l'autre des mss.
iSi tt Dijon, celui-ci suivant de plus près la leçon des autres mss.,
commune aussi à Montpellier. Ce fait que Montpellier, issu du même
original que 180, est cependant bien différent de ce dernier ms.,
témoigne contre la famille Arsenal-Dijon, dont la rédaction a été refaite
et altérée comme il vient d'être dit.
i5). — Ms. jadis dans la bibliothèque de Roquefort et dont il s'est
servi concurremment avec un autre ms. (La Vallière 2727) pour les
citations de son Glossaire. Ce ms. ne m'est connu que par les premiers
vers rapportés par Roquefort (Glossaire II, 777) :
Vielle chanson voir[e] plest vos oir?
De bone estoire vos dirai sanz mentir,
Si con li Vendre par merveillous air
Vindrent en France crestiens envair.
250 F. BONNARDOT
Ces deux derniers vers présentent une leçon isolée, indépendante de
tous les autres mss.
Oij est passé ce ms. ? D'après les renseignements donnés par Roque-
fort, il avait successivement appartenu à Grosley, puis au président de
Corberon, qui en fit présent au collège de l'Oratoire de Troyes. On sait
que lesms. de cet établissement ont été répartis, lors de la Révolution,
à la Bibl. nat. et à l'Ecole de médecine de Montpellier. Je me suis assuré
que le ms. de Montpellier (qui provient aussi de l'Oratoire de Troyes
par le président de Corberon) n'est pas le ms. de Roquefort. Comme il
n'est pas probable que ce ms. ait disparu depuis le commencement de
notre siècle, il y a des chances pour qu'il se retrouve dans l'un des deux
mss. actuellement en possession de sir Thomas Philipps (voy. ci-dessous
19-20).
Sur les mss. de Berne, Bruxelles, Ashburnham-place, Cheltenham (2
mss.), Oxford et Turin, j'ai peu ou point de renseignements particuliers.
Des notices sommaires et quelques extraits de ces mss. se trouvent
dans les ouvrages suivants :
16). — Berne / i3. Catal. des mss. de la bibliothèque de Berne par
Sinner, t. III (1772), p. 344-6; — Extraits de quelques poésies des XII^,
X 111" et XIV^ siècles, par le même, Lausanne 1759, 6j vers du Garin en
plusieurs fragments, pp. 21-26. Autant qu'on peut en juger d'après des
éléments de comparaison si peu nombreux, il m'a semblé que le texte
de Berne suit la leçon de 1443 de plus près que celle de tout autre ms.
Il compte 29000 v. pour 86 f% 3 col. à la page et 5$ vers à la col.
77). — Bruxelles Cf63o (anc. 281], analysé par Mone dans ses
Untersuchungen zur Geschichte derteuschen Heldensage, 1836, pp. 192-281.
Ce ms. contient environ 32000 vers; il est composé de 25 cahiers;
chaque page est partagée en 2 colonnes; chaque colonne renferme
40 vers. Il est incomplet de la fm; une partie seulement de la lacune
porte sur le chapitre correspondant au fragment de Hanovre. Ce frag-
ment ne peut donc être rapporté au ms. de Bruxelles {Romanische Stu-
dien p. 377), alors même que ni la langue ni la justification du feuillet
de Hanovre ne s'opposeraient à cette identification (voy. ci-dessus 28^.
La lacune existe de longue date, puisqu'elle est constatée dès le
xvie siècle par une note de l'un des possesseurs du ms., Charles de
Croy, comte de Chimay (cf. ci-dessus même art.). Mone a donné de ce
ms. de nombreux extraits, parmi lesquels deux passages étendus : l'un de
Garin p. 224-23$, c'est l'épisode de la mort de Bégon qui comprend
les vers 9234-9814 du ms. ; l'autre de Girbert p. 253-264, v. 20422-
20975, se rapporte à la campagne de Girbert contre les Saisnes pour le
compte du roi Anseis de Cologne.
LES MANUSCRITS DES Loherains 251
Un passage de Bruxelles rappelle, au moins par J'esprit, celui du
prologue du ms. de Turin. L'un et l'autre s'élèvent vigoureusement
contre l'imposture des jougleurs qui osent prétendre que la noble geste
des Loherains est issue de «vilounie», et qui substituent aux témoignages
historiques leurs inventions controuvées (ci-dessus p. 236) :
Huimais conmence la chançons a venir
Grans et pleniere qui bien fait a oir
Cil jougleour qui vont par le pais
N'en sevent riens, certains en sui et fins.
L'estoire en ont corrouté des biaus dis
•Et lor mençoigne [ont] ajousté et mis'.
Ce passage annonce la reprise des hostilités par les Loherains impa-
tients de venger la mort de Bégon. Les quatre derniers vers ne se
retrouvent dans aucun autre mss., non plus que les six vers suivants
où Bruxelles rapporte que 1' « estoire » était écrite sur un rouleau de
parchemin conservé dans le trésor de la cathédrale de Cologne. Tous
nos manuscrits ignorent ces dix vers et ordonnent ce passage de la
façon suivante ;
Huimais conmence la cançon a venir,
Crans et pleniere ki bien fait a oir,
De la grant guerre c'onkes puis ne prist fin,
Que d'hoir en hoir le covint rafrescir;
Après les pères le reprissent li fil.
Telle est la leçon de 4()S(9 fo jjd, la plus voisine de Bruxelles. Les
autres manuscrits ou modifient le 5^ vers, ou le suppriment ainsi que le
4" et quelques-uns même le 5''; mais aucun ne reproduit ni la source
prétendue de la chanson ni la réfutation de l'assertion injurieuse que
Bruxelles et Turin sont seuls à repousser et par conséquent à con-
naître.
ft^). — AsHBURNHAM-PLACE. Conservé anciennement dans Pabbaye
de Saint-Valery-sur-Somme, ce ms. a passé dans la bibliothèque de
d'Herbigny, puis dans celle de Barrois d'oià il entra dans la collection du
comte d'Ashburnham. Il se compose de 226 feuillets in-4°, 2 col. à la page,
le nombre des vers variant de 32 à 36 par colonne. Les 5 derniers
feuillets (382 vers) sont différents des précédents ; ils paraissent avoir
été refaits à une époque moderne 2. Cette restitution commence avec les
vers :
1. Dans Mone (1858), 193, v. 1776.
2. Je dois une partie de ces renseignements, ainsi que la connaissance du
début de dvin, à M. Paul Meyer. Voy. CaLilogiu of ihc rruuiuscripts at Ashburn-
ham place, part the second, comprising a collection formed by Mons. J. Barrois,
n° XXV.
2<,2 F. BONNARDOT
Sire cousin, par Dieu qui ne menti
Tout vostre [bon] vos sera acompli.
Sus el palais s'estut Girbers li ber.
L'examen comparatif du résumé final de chaque ms. (voy. ci-dessous)
démontre que le ms. d'après lequelles feuillets en question ont été refaits
est celui d'Isenghien, auj. Arsenal iS'o.
C'est de ce ms. , alors à d*Herbigny, que s'est aidé M . Edward Le Glay
pour sa publication de la Chanson de la mort de Bègues de Belin, réduite en
prose'. En outre le Journal des savants de Normandie (1844, pp. ^49"
858} contient un extrait de G/rl'm, publié par M. E. Le Glay, et qui porte
sur les aventures des fils de Garin chez le roi Anséis. Le Journal ayant
cessé de paraître^ la publication de ce morceau a été forcément inter-
rompue. En l'état elle compte 288 vers qui vont dans le ms. 3 du
f"" ni/' au f" 1 33c/, et dans le ms. 5 du f° 161^ au f° 164a. La langue
est conforme à celle du premier de ces mss. La leçon s'y rattache d'assez
près aussi ; néanmoins la rédaction dite « lorraine » fournit çà et là des
mots et même des vers entiers contre 3. Quant à l'autre famille repré-
sentée par 2, le passage en question tombe précisément dans un endroit
oh ce ms. diffère profondément de la leçon commune.
De tout cela ne pourrait-on conclure que le ms. de Saint- Valéry, qui
présente un caractère d'ancienneté assez prononcé, a été copié sur un
exemplaire contenant la leçon primitive avant sa bifurcation dans les deux
rédactions lorraine et française ^
Comme particularité propre au passage publié de ce ms., je remarque
qu'il est seul à contenir les 4 vers soulignés dans l'extrait suivant. Il
s'agit d'une tentative de séduction de Girbert par la reine, femme
d'Anséis :
Li dus la baise, elle l'a embracié
Elle eust bien conquis quan qu'elle quiert
Et de Girbert eue l'amistié :
Jamais li dus ne s'en feist prier.
Mal de la biische qui ens ou fu se sic!
Quant on la soufle, se ele n'esprenî nient !
Tôt por le duc vos ai ice traitié
Eschaufés fu, s'a coraige changiè.
Quant Biatris au gent cors afaitié,
Sa bêle fille, estoit en I vergier.
I. P. 93-158 de ses Fragments des épopées romanes du XII* siècle. Publiés
d'abord dans les Archives historiques du nord de la France, les extraits de Raoul
de Cambrai et de Garin ont été tirés à part à 3 2 s exemplaires, papier de Hollande.
Paris, Techener, 1858. — La date de cette publication montre cju'il faut corriger
celle de 1845 (Stengel, p. 386 V) en 1835. C'est d'ailleurs la date indiquée par
Mone dans son Anzeiger IV (1835) 341, où il est dit quelques mots de notre ms.
LES MANUSCRITS DES Lolieruins 255
Si vit le duc a sa mère baisier.
A haute voix commença a huichier :
ip et 20). — Cheltenham, bibliothèque de sir Thomas Philipps. D'où
proviennent ces deux mss. ? Représentent-ils l'anc. La Vallière 2727
et celui qu'a possédé Roquefort ? Les premiers vers de l'un et de l'autre
sont cités parmi les sources oti Roquefort a puisé pour son Glossaire.
J'ai donné en sa place le début du ms. /5; voici d'après Roquefort
celui du ms. La Vallière :
Vieille chanson voyre vueillez oyr
De grant ystoire et merveillous pris,
Sy com ly Wambre vindret en cest pays.
fin : Proies por iaus, Dix lor face mercis
Dites amen, que Damediex l'otrit*.
21 et 22. Oxford {Bodléienne , Rawlinson, Poetry i5o) et Turin
{mss. fr. 36) ont été décrits par M. Stengel : le premier dans les Roma-
nische Studien p. 385-^90, les 26 vers du début de ce ms. publiés p,
387-9 avec les variantes des autres mss. ; — lesecond dans ses Mitthei-
lungen aus franzœzischen Handschrijten der Turiner UniversiWs-Bibliothek,
p. 1 1 et ss. C'est l'un des 3 mss. qui contiennent la branche de Hervis.
J'ai indiqué plus haut les particularités qui distinguent ce ms., telles que
le prologue et l'avant-propos à la chanson. Une notice succincte de
ce ms. avait été précédemment donnée par M. Auguste Prost ^.
ÊNUMÉRATION FINALE.
Chaque manuscrit se termine par l'énumération des personnages qui
ont figuré dans ces longues et sanglantes luttes 3. Ce dénombrement
varie selon le texte de la leçon et plus encore selon le rang qu'occupe
dans l'ensemble de la liste la branche à la fin de laquelle il vient. Prise en
soi, la récapitulation des héros et de leurs exploits ne peut être d'une
grande utilité pour la distinction des familles. J'avais espéré y trouver
un élément sérieux de classement, mais la comparaison démontre qu'à
part le début, chaque mss. possède sa liste propre oij les noms et les
1. Glossaire de la langue romane, II, 777. Roquefort donne au ms. La Val-
lière le n° 2728, mais c'est une erreur manifeste puisque ce dernier ms. existe
à la Bibl. nat. =^ 24,577 ^^ 9"'' "^ contient pas Garin (voy. ci-dessus 10).
L'Histoire littéraire, XVIII, 747 a endossé l'erreur de Roquefort.
2. Dans la Revue de l'Est, Metz, 1864, I, 1-9. Voy. aussi du même les
Légendes de Metz, chapitre sixième : Hervis.
;. Il faut naturellement faire exception par les mss. suivants qui sont incom-
plets de la fin : 1461, 1 ^82, 2179, 19161 .
2 54 ^- BONNARDOT
faits sont rangés dans un ordre particulier qui ne se reproduit pas ail-
leurs.
Le seul groupe lorrain fait exception : i()i6o et 1442 reproduisent
les mêmes noms dans le même ordre. Tous les autres mss. varient comme
je l'ai dit, au gré de la leçon et de leur contenu.
Il m'a paru opportun de donner ici ces résumés énumératifs. Outre
l'intérêt particulier qui s'y attache, leur comparaison avec ceux des
mss. que je n^ai pu étudier pourra peut-être provoquer des rapproche-
ments plus intimes entre divers mss. issus d'un même original, les uns et
les autres par des intermédiaires plus ou moins nombreux. L'identité de
cette récapitulation entraîne , pour les mss. qui la présentent , une
origine commune. C'est le cas du groupe lorrain par exemple. — Là
oi;i, le fond restant le même, les détails et l'ordre varient, il faut néces-
sairement admettre l'existence d'un ou de plusieurs intermédiaires per-
dus. — Tel détail, spécial à une rédaction dont les deux ou trois pre-
mières branches seulement nous sont parvenues, se retrouve dans un
manuscrit qui ne renferme, lui, qu'une seule branche, étrangère aux pré-
cédentes. Il en résulte que ce dernier manuscrit remonte, plus ou moins
immédiatement, à un original qui possédait les quatre branches dissémi-
nées en divers ms. C'est ainsi que la qualification de « vilain » donnée
au duc Hervis ne se rencontre que dans le groupe lorrain après Cirbert
et dans 243- y après Anseïs.
On remarque encore dans ces résumés des indications d'une autre
nature, notamment celles qui tendent, au moyen de généalogies plus ou
moins authentiques, à relier la geste des Loherains avec les autres gestes
de France. C'est dans le ms. 1622 qu'on verra l'exemple le plus frap-
pant de cette préoccupation de relier toutes les gestes isolées en un
vaste cycle national, qui renfermerait d'une seule teneur la succession
des « Annales de France » '. Le ms. de Turin exagère encore cette ten-
dance cyclique : au moyen d'un préambule qui sert de transition entre
la chanson des Loherains et celle de Vespasien, il relie la geste de France
à celle de Rome :
Chi commence l'estore des Loherens ensi que s. Seurins qui fu père le duc
Piere qui fut taions au Loherenc Hervis chachierent les Sarrasins après la ven-
ganche Nostre Signour.
I Oi avés de Vespasianus
Et de son fil le bon vasal Titus.
10 Or vous dirai de leur frère Seurin
Toute sa vie coument il se contint.
160 Espousa famé li gentis rois Seurins.
I. Ces mots « Annales de France » servent de titre relié au ms. 4988.
LES MANUSCRITS DES Loheraifis Éj j
Chedaire ot non la bêle o le cler vis,
Et de Chedaire ot Seurins .iii. biaus fis.
192 Li autres fis au baron s. Seurin
Il eut a non li dus Pieres l'anti
Qui tint Grandpré et Blanmont et Chini,
195 Tout le Baroi et tout le Bassegni,
Et Loherainne et To et Nansi,
Mies fist fonder el pendant d'un lairis
Entre .ii. iaues que'je noumerai chi
Seille et Mouselle
Une pareille préoccupation porte sa date et sa valeur avec elle : elle
ne peut être que l'effet de la prétention d'un copiste à faire étalage de sa
science, et elle ne peut se manifester qu'après la période héroïque des
chansons de geste, alors qu'elles entraient dans leur déclin pour tomber
bientôt dans l'oubli ou, sort plus indigne encore, pour fmir à n'être plus
regardées que comme une banale matière à déclamation.
Pour mettre un ordre au moins idéalement chronologique entre les
diverses leçons du résumé que je vais produire, je les classe suivant le
rang qu'occupe, dans la geste entière, la branche particulière que ce
résumé termine. C'est du reste à cette dernière branche que se rapporte
le plus grand nombre des personnages cités.
1. RÉDACTION PRIMITIVE s'arrêtant AVEC G'irbert.
i) Ms. 1442, f° 261t.
Si faut ristoire dou Loherant Garin,
Et de Begon qui au bois fut ocis.
Et de Rigaut le bon vassal hardi,
Et d'Ernaïs, de Jofroy l'Angevin,
S Et de Huon qui fut de Cambrisis,
Et dou bon dus qui out a non Aubri,
Et dou villain qui out a non Hervi,
De son afant Tyon et Morandin,
De l'allemant qui out a non Ouri,
10 Et de Douon qu'a Bordiax fut ocis.
Et de Gautier qui out non Orphenins,
Et de Gerin le bon vassaul hardi.
Et de Rainmon qu'ocirent Sarrazin :
Gent qui aidoient a Girbt// le gentil ;
1 5 Et de Fromont qui ai Deu relanqui.
Et de Guillaume l'orguillous de Monclin,
(Et) de Fromondin, qui as bois fut ocis
1 . Extrait des Miitheilungen aus franzœsischen Hatidschriften der Turiner Univcr-
sitats-Bibliotek, de M. Edm. Stengel, p. 25 et suiv. Voy. aussi ibid p. 12,15.
256 F. BONNARDOT
Lai ou devoit Nostre Signour cervir,
Qui vout Girbert le Loherant murdrir.
20 Aies vous en, ii roumans est finis.
Explicit ii roumans dou Louherant Garm.
2) Ms iQi6(), f° '^i\c) b. Même leçon, si ce n'est qu'au vers 10 il rem-
place la bonne leçon « ocis » par « norris », et au v. \^ t< gent (qui
aidoient) » par « sous q. a. » Après le v. 20 il ajoute les deux suivants :
Des Lofierans ne poeis plus oir,
S'on ne le vuet controveir et mentir.
De décider si dans ces deux vers on ne doit voir qu'une formule finale
toute faite, un « cliché » à l'usage de toutes les chansons, mutandis mu-
tatis , ou si au contraire c'est une indication précise et sérieuse par
laquelle le copiste a voulu mettre ses lecteurs en garde contre les pro-
duits de l'industrie des renouveleurs, et les avertir que l'œuvre originale,
telle qu'elle est sortie du cerveau de son auteur, se termine avec la mort
de Fromondin et la chanson de Girbert : c'est ce que je laisse à de plus
habiles que moi. Toutefois j'incline vers la seconde explication ; l'éten-
due déjà considérable des deux chansons de Garin et de Girbert, et sur-
tout le nombre si restreint des mss. qui possèdent les autres branches,
sont de puissants motifs de croire que l'œuvre originale s'arrête à la
vengeance tirée par le fils de Garin sur le meurtrier de son père. Les
branches d'Anseïs, à'Yon sont des ramifications postérieures au même
titre que celle de Hervis, l'une ayant été mise en chef et les autres en
queue du poème primitif.
Dans tous les autres mss. où l'énumération termine le poème de Gir-
bert, elle est considérablement diminuée et restreinte aux seuls noms des
chefs de l'une et l'autre geste :
3). Ms. 1443, f° \ç)\d.
Si faut l'estoire del Loherant Garin,
Et de Fromont qui et Dieu relanqui.
Et de Guillaume l'orguellex de Monclin,
Del conte Hernaut, et del vasal Gerin,
5 Et del vasal qui et non Malvoisin,
Del filz Fromont l'orguellex Fromondm,
Et de Girbert le roi poesteif
Qui tante terre 0 s'espee conquist.
Cil deffaut l'estoire des Lohorans. Explicit.
4). Ms. Arsenal iSo, f° 291c. Il s'est inspiré de la même leçon dans
sa disposition générale. Cependant comme il y a d'une part deux vers
en moins et d'autre part deux vers en plus, j'en donne ici le texte :
Ci faut l'estoire du Loherenc Garin
Et de Fromont qui Dieu ot relenqui,
Et de Guillaume l'orguillox de Monclin,
LES MANUSCRITS DES Lohera'ins 257
Du fil Fromont l'orguillox Fromondin :
5 Par son outrage avoit esté ocis.
Du roi Gerbert noz ferons fin ici
Qui tantes terres 0 l'espee conquist.
N'en i a plus si com l'estoire le dist.
Explicit des Loherenz.
5) Ashburnham-place 25, f" 226d; identique à la précédente énuméra-
tion (cf. plus haut p. 252). C'est de ce ms. que Mone a donné l'analyse
succincte avec quelques extraits dans IMnze/ggr... i8j^, 341.
6) Montpellier p 259 b, est encore plus écourté :
Ci faut l'estoire au Loherant Garin,
Et de Fromont qui ot Deu relenqui,.
Et de son fil l'orguillox Fromondin,
Et de Girbert le roi poëstei
Qui Tarascone a l'espee conquist.
Explicit la mort de Fromondin.
II. — RÉDACTION AMPLIFIÉE COMPRENANT Anseïs.
i) Ms. 4qiS8, f° 291^. — Le premier vers est de douze pieds.
Ychi fine l'estoire del Loherenc Garin,
Et de Beghon ki ou bos fu ochis
Desous le tramble la u li pors fu pris,
Et de Gerbert, de son fil Anseys,
Et de Fromon et de chiaus de son lin.
Si ke bien aient tout chil ki l'ont oy
Et ki premiers le raconta et dist.
Si prions tout Jhesu de Paradis
Qu'il nous amaint trestous a boine fin.
Amen. Explicit.
2) Ms. Arsenal 181, fo iSyf. — U reproduit fidèlement le type ci-
dessus, qu'il fait précéder, ainsi que deux autres mss. (7 et /o;, de
rénumération de la lignée issue du mariage du roi Pépin avec Berthe au
grand pied.
Ci faut l'estoire du Loherant Garin,
Et de Begon qui ou bos fut ocis
Desous le tremble ou li pors fut repris.
Et de Gibert, de son filz Anseys,
Et de Fromont et de ceux de son lin.
Beneoit soient tuit cil qui l'ont oi,
Et qui les vers (n)en ont conté et dit,
Et trestous ceuls qui le livre ont escrit;
Et si prions Jhesu de Paradis
Qui nous laist toz a bonne fin venir.
Amen.
Explixit li romans des Loherans.
Romania,IU '7
258 F. BONNARDOT
?) Ms. 243"" ^ f" 174c. Ce ms. ne contient que la branche d'Anseïs.
Néanmoins l'énumération finale dénombre les héros des branches de
Garin, de Girbert et même de Hervis. On retrouve ici un écho de la tradi-
tion vivante dans les mss. qui nous ont conservé cette dernière branche.
En outre, à l'opposé des deux mss. précédents qui se bornent à citer les
chefs de chaque geste, notre ms. 24577 énumère longuement tous les
personnages qui figurent dans Anseïs. Cette double particularité lui assi-
gne une place à part. Pour expliquer cette mention de Hervis, ne pour-
rait-on pas admettre que notre ms. représente la dernière partie d'un
original qui déroulait successivement l'un après l'autre les quatre chan-
sons dont l'ensemble constitue la Geste des Loherains ?(Voy. à A', p. 236.)
Du reste voici cet exposé final, dans lequel les noms sont jetés confu-
sément et comme au hasard de la mémoire :
Ci faut l'estoire dou Loherenc Garin^
Et de Begon le chevalier hardi,
De Moriane l'empereor Tieri,
Et de Huon celui de Cambresis,
Et de Gérant, del alemant Ouri,
Et dou vilain qui et a non Hervis,
Et de son fill le vaillant Rigaudin,
Et de Thion, et dou preu Morandin,
Et de Gerbert, d'Ernaut et de Gerin,
Et d'Anseis fil Gerbert le marcis
Et de Borgoigne le bon duc Amauri,
Et de Fromont qui tant fu poestis.
Et dou FJamenc le comte Bauduin,
De l'orgellous Guillaume de Monclin,
L'autre Guillaume celui as Poitevins,
Le tierc Guillaume de Blanceflor la cit,
Et de Bordele duc Aimmon le hardi,
Et de Bernant le segnor de Naisil.
Et de Leskieres et Boucart et Baudri,
Et de Boloigne dant Ysoré le Gris
Qui pères [futl Berengiers le marcis.
Et de Beraut, de Fouquier le petit.
Et del preu Bauce dont bien avés oit
Comment il fu en la forest mordris.
Proies por iaus Dex lor face mercis.
Dites amen, que Damedex l'otrit.
IIL Autre rédaction comprenant la branche de Yon.
Ms. 1622, p 31$^. Ce ms. est le seul qui possède la branche de
Yon. Sa récapitulation finale est très-curieuse : elle montre comme étant
accompli le travail systématique d'agencement et de cohésion, grâce
LES MANUSCRITS DES Loherains 259
auquel toutes les gestes particulières se sont fondues dans un cycle
unique'. Rien de plus naturel à l'esprit humain que de rechercher la
raison secrète des choses, l'enchaînement des faits qui l'ont frappé da-
vantage à diverses époques. A défaut de souvenirs précis, de témoignages
historiquement assurés, la légende intervient pour renouer la succession
interrompue et rattacher l'un à l'autre les anneaux épars. Un événement
considérable qui sera resté gravé dans la mémoire d'un peuple, et qui aura
donné naissance à une œuvre poétique, ne tarde pas à être regardé
comme le noyau central autour duquel doivent graviter toutes les pro-
ductions postérieures dans une orbite plus ou moins rapprochée. Ce travail
de gravitation, de synthèse, s'accomplira d'autant plus vite que l'événe-
ment et le poème se rapprochent davantage de la période juvénile et
impressionnable de ce peuple. Posî hoc, ergo propter hoc. L'importance
du sujet grossit par l'éloignement. L'une et l'autre condition se rencon-
trent dans notre Geste : elle est la première en date pour le fonds même
de son sujet dont l'intérêt éminemment et étroitement national ne saurait
être contesté. Le poème raconte la lutte pour la suprématie et même
pour l'existence de l'une des deux races ennemies qui se partagent le
sol de la patrie: est-il un cadre plus approprié pour embrasser tout
ce travail de synthèse, de condensation, reliant par des transitions telles
quelles (mais qui ne sont pas en cause ici) les dates, les faits, les lieux,
les noms les plus importants du passé national, pour en faire un édi-
fice imposant et complet de tous sens, sans solution de continuité ni
lacunes ? C'est ce qu'a senti l'auteur de la branche dont il nous reste à
donner le résumé final en laissant à de plus habiles que nous le soin d'y
reconnaître la part de la vérité historique et celle de l'invention poé-
tique.
Signor baron, antandez a mes diz.
Grant pièce après ot Gmns .iiii. fiz :
Li ainsnez fut Hernaut, ce m'est avis,
Et tint Biaulende et trestot le pais;
De cestui fut li frans quens Aymeris
Qui tant ot guerre contre les Arrabis.
Rayniers li prous ot nom li secons fis.
Père Ollivier et Aude, ce m'est vis,
Fuit, et tint Jennes, por voir vos le plevis.
Milles de Puille ot non li tiers des fis.
Girars fut quars, ce fut li plus petis.
Cil tint Vianne, prodons fut et gentis.
De ces gens fut li lignaiges anplis
Qui durerat jusqu'au jor du )uis.
Mais ja par moi n'en iert mos avant dis.
I . J'en ai signalé une trace dans le ms. 24577, ci-dessus 10.
200 F. BONNARDOT
Après Hernaul, lo conte palazin,
Gerin vesquit, ce truis en perchamin,
Tant qu'en Kspaigne ala li filz Pcpin ;
En Ronceval o Rollant le meschin
Fut li frans rois ocis d'un sarrazin.
Ci faut l'estoire dou Loherant Garin
Et del quens Bègues li signor de Belin,
Del conte Hernaut et del prout Mauvoisin,
Et del lignage qui tant fut antierin ;
Del vielz Fromont, de son fil Fromondm,
Et de GuWlaume l'orguillox de Monclin,
Del quens Doon, del Flament Baudoin,
D'Udon son fil, del fellon Lancelin,
Et del lignage qui tant fut de put lin.
Explicit.
RÉPARTITION DES DIVERSES BRANCHES DE LA GESTE DANS CHAQUE
MANUSCRIT '.
Hervis.
Ms. 1 9160 ; du f" I au fol. 89 inclus., 4 col. au f", 50 vers à la col. —
10560 vers.
181 ; f° 1-44^, 6 col. au f°, 5 1 vers à la col. — 1 3160 vers.
Garin.
Ms. 1442 ; fol. 1-147^, 4 col. 30 V. — 17640 vers.
— 1443 ; fol. i-i iib, 4 col. 40 V. — 17680 vers.
— i46i;fol. 1-112,4 col. ^0 V. — 1 3 440 vers ; incomplet.
— 1582; fol. i-i 16^, 4 col. 40 V. — 18440 vers.
— 1622; fol. 1-147^,400!. 30 V. — 17640 vers.
— 2179; fol. 1-7 3a, 4 col. 28 V. — 8090 vers, la dernière partie seu-
lement.
— 4988; fol. 1-94C ; 4 col., 47 V. — 17600 vers.
— 191 60; fol. 89-235^, 4 col. 30 V. — 17640 vers.
— 19161, fol. 1-142, 4 col. 30 V. — 17040 vers; incomplet du
commencement et de la fin.
— 180; fol. i-i 59^, 4 col. 30 V. — 19000 vers.
— 181 ; fol. 44^-97/, 6 col. 51 V. — 161 $0 vers.
— Dijon ; fol. 1 3-76^, 4 col. $ 3 v. — 1 3 100 vers ; lacunes.
— Montpellier; fol. 1-146, 4 col. 30 v. — 17500 vers.
Girberî.
Ms. 1442; fol. 147^-261^, 4 col. 30 V. — 13680 vers.
1 . Pour le nombre et la portée des lacunes, cf. l'article descriptif de chaque
ms.
LES MANUSCRITS DES Loherains 261
— 1445; fol. 1 1 1^ (pour les 5 premiers vers) -191^, 4 col., 40 vers
— 12880 vers.
— 1461 ; fol. 1 17-229, 4 col. 30 V. — 1 3 $00 vers ; incomplet,
— 1582; fol. ii6a-i-jç)a, 4 col. 40 v. — 1 0240 vers, incomplet de la
fin.
— 1622 ; fol. i4'jd'2<^c)h, 4 col. 30 V. — 13400 vers.
— 2179; fol. 73^-122^, 4 col. 28 V. — 5800 vers; écourté et
incomplet.
— 4988; fol. 94c- 16 5^; 4 col. 47 V. — 12900 vers; incomplet de la
fin.
— 19160; fol. 235^-349/7, 4 col. 30 V. — 13680 vers.
— 180; fol. 1 59^-261.^, 4 col. 30 V. — 12300 vers.
— 181 ; fol. 97/- 1 39^, 6 col. 5 1 V. — 12070 vers.
— Dijon ; fol. j6b-i 26, 4 col. $ 3 v. — moins de 1 0000 vers ; lacunes.
— Montpellier; fol. 147^-259^, 4 col. 30 v. — 13600 vers.
Anseïs.
Ms. 4988; fol. 164^-291^, 4 col. 47 V. — 24060 vers.
— 24377 ; fol. i-i74c,4col. 36 V. — 24980 vers.
— 181 ; fol. 1 39^-i88a, 6 col. 5 1 v. — 14850 vers.
Yon.
Ms. 1622; fol. 259^-31 5 î», 4 col. 30 V. — 67 10 vers.
D'après ce qui précède, et en escomptant le résultat fourni par
l'appareil des variantes comparées dans le fragment qui sera publié dans
un prochain numéro, il est possible de dresser le tableau des mss. par
familles. On doit reconnaître deux familles, subdivisées elles-mêmes cha-
cune en deux groupes. Les fragments sont rattachés à tel groupe qu'il
convient; je les désigne par leur initiale en minuscule.
FAMILLE
Groupe 1 .
1461 ==
1582 =
1622 (f°' i77etss.) = C
4978 =
19161 =
Montpellier -^
Carpentras ==
Châlons =
Couventd'Autriche
Paris (Léon Gautier) = g
Paris (1461) = p
Thoré = th
Groupe 2.
(Rédact. lorraine.)
1442 -= G
i622(f'"i-i76)-=H
19160 — I
2 179 (écourté) =-- J
24377 (/l/!5t/i)=K
Hanovre = /;
Troyes = t
FAMILLE II.
Groupe 1 ,
'443 ■- L
i8o(Arsen.)-0
Groupe 2.
Dijon = D
181 (Arsenal) -^N
202 F. BONNARDOT
Cette division générale porte sur l'ensemble de la leçon dans chaque
ms., ce qui n'exclut pas la concordance fortuite de tel membre de la
première famille avec tel membre de la seconde, et réciproquement, à
l'exclusion des autres mss. de son propre groupe. C'est par exemple le
cas de E et J, qui se rencontrent parfois avec L soit pour l'esprit de la
leçon contre les autres mss., soit même pour l'absence de certains vers
retenus par les mss. de leur groupe respectif. J'ai déjà dit que M se
rencontre avec 0 pour le début et l'énumération fmale, mais qu'il s'en
écarte là où ce dernier mss. remanie et amplifie la leçon originale. En
un mot le tableau est dressé : quant aux familles, suivant les différences
spécifiques dans l'esprit et le texte de la chanson primitive; quant aux
groupes, suivant les variantes intérieures d'une même leçon identique
ou sensiblement commune. A qui serait désireux d'entrer dans le détail,
il serait loisible de constituer des sous-groupes tels que A C M t\ B F
d'une part, de l'autre G I, qui se rapprochent plus l'un de l'autre que du
reste de leur parenté. D'un autre côté L"l'emporte sur 0 et D sur N.
Restent encore les mss. qui contiennent la branche à'Anseïs, soit
complète E K N, soit restreinte à son premier épisode (mort de Girbert) C.
On a vu qu'aucun de ces mss. ne concorde avec l'autre pour la première
partie de la chanson, laquelle est beaucoup plus développée dans C que
dans E K N. J'ai dû les ranger dans le groupe auquel ils appartiennent
par ailleurs; l'attribution de K (lequel ne contient que cette seule
branche) au groupe lorrain, est fondée sur la dénomination de « villain »
donnée à Hervis, quahfication exclusivement propre aux mss. de ce
groupe.
Pour les mss. étrangers ou dont on ne connaît que quelques vers, je
ne puis mieux faire que d'accepter l'attribution proposée par M. Stengel
(p. 389) qui groupe ensemble Arsenal iSo (ou 1448^ et Berne, Roque-
fort et 1443, Bruxelles et 4g88, Turin et Arsenal iSi (et Dijon).
François Bonnardot.
ROMANCES SACROS
ORAÇÔES E ENSALMOS POPULARES DO MINHO.
A provincia do Minho nào è tâo pobre de cantos populares, como se
poderia suppôr pelo Cancioneiro e romanceiro gérai portuguez ; mas a
gente do povo, mais desconfiada aqui que a da Beira e d'outras provincias,
mais difficilmente dicta ao collector curioso que a interroga os cantos e
tradiçôes conservados na sua memoria. De duas mulheres d'Ourilhe
(concelho de Celorico de Basto), Anna Alves Leite e uma sua sobrinha,
consegui eu, depois de termos certa familiaridade, que me dictassem um
bom numéro de cantos e todos os romances, oraçôes e ensalmos 'excep-
to os quelevam indicaçâo d'outra fonte) que agora publico, alem de ver-
sées de doze dos romances publicados por Theophilo Braga. No Minho,
como nas outras provincias, assiste-se ao phenomeno triste, mas curioso,
da dissoluçào de antigos romances em narrativas em prosa. Alguns dos
episodios dos romances de Clara-Unda, do Conde d^Allemanha, da Silvana
[Conde Alberto) ouvi eu da bocca de Anna em prosa ampliativa, em quanto
G resto era em verso. Na minha colleçâo de contos populares portu-
guezes, que em brève verâoa luz publica, incluo um intitulado D. Ale-
xandra e uma Loenda de Santo Aleixo, ambos do Minho, que representam
muito evidentemente antigos romances.
ROMANCES SACROS
i . 0 Nascimento do Senhor
Valha-me nossa Senhora Eram da virgem sagrada ;
Valha-me o seu redemptor. Os pannos que alimpavam
<( Que pariu nossa Senhora ? Eram da fma hollanda.
— Bento filho sem dolor. Pois o sol esprandeceste,
— 0' filho para que nasceste Estrellas e lua cercaste,
Se havias de padecer ! » Là no dia da ascensâo
Os peites que leite davam Para o ceo assubirâo ;
264
Lc1 verao os santos padres
Que de hoiro (?) sangue sào.
Por aquelle verde pendào
Vae una cordeiro sagrado ;
Sua lanceta que leva
Vae no seu santo costado.
Sangue que d'elle cai'a
No seu santo calix ia :
Quem este sangue beber
Victorioso se acharia.
Quem esta oraçâo disser
Dm anno e um dia
Poderâ ter a certeza
A. COELHO
Que nossa Senhora ihe apparecerâ
Très dias antes de sua partida
E Ihe dird : filho ou filha confessa-te,
Que eu sou a virgem sagrada
Que te venho buscar;
Os peccados que tu tens
Eu t'os venho alembrar.
Vou pedir a meu filho
Que te haja de salvar ;
Que elle \à te assente
No seu livro de rezar,
Onde tua aima nâo pesé
Nem va ter a mâo logar.
Sua santa humanidade
Que correu toda a cidade
Co grande peso da cruz.
As pedras acalentavam
E os caminhos davam luz.
0 filho de Deus morria
Morria por nos salvar.
Se 0 nâo podeis crer
Assubi â quelle oiteiro ;
Vereis as ruas regadas
Do seu sangue verdadeiro.
0' mysterio tâo profundo
Que alumeia a todo 0 mundo !
Jâ là vae a Magdalena
Jâ là vae a enterrar ;
Sâo José e mais Maria
Sào Juaquim e Sant'Anna,
0 nosso mestre, Senhora,
Começou a quarantena.
Subindo a cruz ao alto
De golpe vos deixaram cair
Nem em lençoes vos embrulharam !
Postes descido da cruz
Posto em braços de Maria.
« Que gritos vâo no Calvario !
A subida do Calvario.
. . . Enterra-me a mim com eila
. . Que ambas morremos d'um mal.
<( Ora escuita, Maria, escuita;
Sâo José esta no lado
E Jésus esta na cruz
Ouvindo com tanta dor.
0' meu Deus, ô meu Jésus,
Que as costas levaes abertas
Do madeiro tâo pesado
Qiae nem sete 0 levavam.
— Ajudae-me aqui, Simâo.
— Eu ajudarei, Senhor,
De todo 0 meu coracâo ;
Mas haveil-a de levar
Quinta feira d'endoenças
Para se todo 0 mundo salvar. »
Amen.
A ressureiçâo.
— Magdalena, que séria .''
E' Jésus crucificado
Sâo ais da virgem Maria. »
Magdalena nâo dormia
E mal-as suas amigas.
0' que bella madrugada
Tiveram as très Marias !
Foram juntas ao sepulchro,
Mas jâ era sol nascido.
Viraram-se para 0 sepulchro
5-
Todas cheias de terror ;
Viraram-se para trâs
Todas cheias de resplendor.
Veiu um anjo e Ihe disse :
<f Vos, mulheres, nâo temaes,
Que eu vos darei boas novas
A. Romance daalma.
ROMANCES SACROS
D'esse homen que buscaes.
265
Esse homen é Jésus,
E' Jésus crucificado.
Vedes ahi 0 sepulchro,
Mas jâ é ressuscitado. «
Aima vae a Santiago,
Vae comprir a romaria ;
A companhia que levava
Era a virgem Maria.
0 peccado ia atrâs
A ver se a tentaria.
« Vae-te d'ahi, 6 demonio,
Deixa-me a aima que é minha.
Que me deram de alviçaras
Por um filho que eu tinha. »
Chegou mais adeante,
Caiu a um poço sem fundo
D'onde sair nâo podia,
Todos osgritos que dava
Todos 0 Senhor ouvia.
Do palacio d'onde estava
De \é. Ihe respondia :
« Se es cousa minha ajudar-te-hei,
Se es cousa ma esconjurar-te-hei.
— Senhor, eu cousa ruim nâo sou :
Sou uma aima peccadora
Que d'esse sangue se gerou.
— • Apega-te aos rosarios que rezaste ,
Aos jejuns que jejuaste.
— Eu jejuar nâo podia ;
Apego-me aos rosarios
Que rezava cada dia. «
Estava outra aima da banda
Que Ihe disse : « Eu m'apejo
A sete quarentenas que jejuei ;
Uma por si offerecerei ;
Encostado â columna
Uma vêla t'accenderei. »
II
ORAÇOES
^ Ave Maria.
Ave Maria, ave sem fatsa,
Ave que subiu tâo alta,
E que fez 0 assento
Là ao pé da bella cruz
Para dar ao mundo luz.
Ella para nos dar 0 gosto
Nos livrou de tanto perigo.
0 gosto que eu queria,
Benedita Maria
Era ir morar ao céo,
Onde v6s, Senhora, moraes,
Que todos alumeaes,
Lci no ceo e cd na terra,
Até os que andam na guerra.
Bem se vos pode chamar
Madré de Deus, com razâo :
De vosso ventre saiu
Um cordeiro innocente,
Para remedio da gente.
Deus vos salve, clara luz.
Solde commigo, Jésus.
Esta aima que m'a deste,
Nâo na deixeis morrer triste ;
Vos nas terra m'a creastes
E no ceo m'a apresentastes.
Quem esta oraçâo disser
Todos os dias da santa quarentena
Tirard quatro aimas de culpa e pena.
A primeira serd sua,
266
A segunda de seu pae.
A terceira de sua mâe,
Aquarta do maior amigo
Ou amiga que tiver;
COELHO
Quem a ouve nao a aprende,
Quem a sabe nâo a à'u.
No dia de juizo
Verds o que ella prétende.
6. Oraçào do peregrino '.
Oraçào do pelingrino (sic) : Para que o diabo me nào osqueça,
Quando Deus era menino,
Sete livrinhos a 1er,
Sete candieiro a arder.
0 Senhor é meu padrinho,
A Senhora é minha madrinha.
Para que me poz a cruz na testa ?
Nem de noite, nem de dia,
Nem ao pino do meio dia.
Ganta o gallo, abre a luz ;
Là vem o anjo da cruz ;
Minha aima v& com elle
Para sempre. Amen, Jésus.
« 0' padre nosso saboroso,
0' triste desconsoloso,
O' meu Deus, 6 meu Senhor,
Nâo vos lembreis que eu errei.
Que eu confesso que pequei,
Bendito rei da verdade.
— Levanta-te, peccador,
Salve rainha
Rosa divina,
Cravo d'amor,
Mâe do Senhor.
Padre nosso.
Chega-te ao confessor.
Olha bem christâo que es terno,
Olha bem que has de morrer;
Nâo caias na atentacâo,
Como a calma na geada.
Que te andam atentando
Os très inimigos de aima. »
8 Salve rainha -
Dae-me memoria
E entendimento
Para receber
0 santissimo sacramento.
9. Oraçào a Christo.
« O'meu Senhor, Jésus Christo, 0 meu cabello banhado em sangue
Para onde caminhaes ?
— Caminho para Jérusalem.
Nâo sei 0 que là me quer,
Nem 0 que me quererâo.
Uma coroa de espinhos
Na minha cabeça porâo.
Outra de junços marinhos.
Por elle me arrastarâo.
Quem esta oraçào disser
Très vezes na procissâo,
Tirarâ duzentas aimas
Do purgatorio
E alcancarâ trezentos
Mil annos de perdâo.
10. Oraçào à Virgem Maria.
0' Maria suavissima, 0' Maria suavissima,
Livrae-me de todo 0 mal, 0' estrella resplandecente
Assim como forte livre Permitti que nâo me engane
Do peccado original. Aquella infernal serpente.
1. Cfr. Cancloneiro popular p. 172.
2. Cancloneiro popular, publ. por Théophile Braga, p. 171.
ROMANCES SACROS 267
0' Maria suavissima , 0' Maria suavissima,
Virgem pura e màe amavel, Tende cuidado em mim.
Fazei que todos sejamos Eu me lanço em vossos braços
Do vosso filho agradavel. Para nunca ter mâo fim.
1 1 . Exhortaçâo ao peccador.
Converte-te, peccador,
Que se acaba à tua vida ;
Se te agora nâo convertes
Nunca mais seras ouvido.
Peccador adormecido,
Chagas do Sen.hor,
D'aquellas mais lastimosas ;
0' coraçào trespassado,
Digno de ser reverenciado;
12.
Que assim vives esquecido,
Nâo te deites a dormir
Nem uma hora descansado.
Dormindo acordards
E apparecerâs condemnado.
0' sangue derramado
De nosso Senhor Jésus Christo,
Valei-me agora
E na hora da minha morte.
Os sete sacramentos.
Os sacramentos do baptismo
Confesso que sete sào.
Oprimeiro é 0 baptismo,
Que é 0 signal do christâo.
0 segundo confirmaçâo
Que sô os bispos a dâo ;
Ficam as aimas alegres
Corn toda a liberacâo.
Terceiro é communhâo,
E' Jésus sacramentado ;
Quem confessa a sua culpa
Tem perdào do seu peccado.
Quarto é penitencia :
Todos devomol-a ter ;
14-
Gracas a Deus
Que jâ me deitei ;
Com sete anjos
Me encontrei ;
Très aos pés
Quatro à cabeceira,
E nossa senhora
Na deanteira,
Quem amara Jésus Christo
Nâo se ha de arrepender.
Quinto extrema-uncçào.
Serve para a hora da morte ;
Quem a receber em graça.
Nâo pode ter melhor sorte.
O sexto é a ordem
Que se dâ aos sacerdotes
Para consagrar a hostia
Com toda a liberacâo.
Setimo matrimonio,
Que sedâ aos bem casados ;
Se elles se derem bem
De Deus serâo ajudados.
Oraçào ao deitar.
E ella me disse :
— « Durme e repousa ;
Nâo te temas
De nenhuma cousa. »
Persina-se e persino-m'eu.
Benta é a hora
Em que Christo nasceu,
Bento 0 altar,
268 A. COELHO
Benta a hora A Virgem a adora.
Que me eu fôr deitar. Ditosa a aima
Tange a hora ; Que se deita
O Christo a tange , N'esta hora.
1 5 . Responso por pessoa ausente.
Quando uma pessoa vae para fora de casa diz-se o seguinte :
Fulano (o nome da pessoa) foi para fora :
Annel de Santa Helena
Levou por gloria ;
O manto de nosso Senhor Jésus Christo
Levou coberto.
Fulano, Deus te crie e Deus te salve
E îe livre de teus inimigos,
Mortes e vivos.
Olhes tenham e nào te vejam;
Bocas tenham e nào te fallem ,
Màos tenham e nào te offendam.
Pés tenham e nào te alcancem.
Fulano, tu faça la ida que fez
0 filho da virgem Maria
Da santa casa de Belem
Para a de Jérusalem.
i6. Oraçào ao anjo da guarda.
Anjo de minha guarda, Peço-vos, anjo bendito,
Semelhança do Senhor, Pela graça e poder
Que de Deus fostes creado Que do laço do demonio
Para meu guardador, Me ajudeis a defender.
17. Sào Christovâo.
Sào Christovâo se vestiu e calçou, — Ora vae, Christovâo, vae.
E na sua cajatinha pegou, Bota-os ao monte balhinho ■ ,
E ao caminho se botou Onde nào haja pào nem vinho,
Jésus Christo encontrou. Nem ramo de figueira,
« Tu, Christovâo, onde vaes ? Nem bafo de menino,
— Vou talhar estes trovôes ; Nem nada que faça mal, )>
Sobre nos andam armados. Amen Jésus.
18. Sanîo Antonio^.
Santo Antonio se vestiu e calçou Jésus Christo encontrou;
E suas santas màos lavou, 0 Senhor Ihe preguntou :
E ao caminho se botou. « Tu, Antonio, onde vaes ?
1. Balhinho ou balinho, corrupçào de maninho, esteril.
2. Cfr. Cantos do archipclago açoriano, publ. por Théophile Braga, p. 148.
ROMANCES SACROS 269
— Senhor, eu vou para o céo. Todas tu depararâs ;
— Tu ao céo nàô iras. Quantas missas se disser
Tu na terra ficarâs; Todas tu ajudarâs. «
Quantas cousas se perder
19.
Finards, nâo morrerâs ; Commigo parte nem quinhâo terâs.
Pelo campo de Judaphas ' Eu em dla da Sanîa-Cruz
Passards; Cem vezes disse ye5U5 ,
0 inimigo d'alma encontraris E cem vezes me persinei
E tu Ihe diras : E cem vezes 0 châo beijei. »
<( Arreda de mim, Satanaz,
20. Oraçàô de S. Bartolomeu ^.
Sâo Bertolameo [sic) me disse Nem à unha revoltada.
Que me deitasse e dormisse ; Se o diabo viesse
Que nâo tivesse medo à onda, Para m'atentar
Nem â bomba, As areias do mar
Nem a cousa de ma sombra, Lhe mandaria contar.
Nem à mâo furada,
III
ENSALMOS.
Reservando para um trabalho especial sobre o maravilhoso popular
portuguez o tractar in extenso dos usos populares relativos as doenças e
sua cura, nâo posso todavia, publicando aqui algumas das formulas em-
pregadas n'essas curas, deixar de indicar as praticas que as acompa-
nham.
Essas formulas comparam-se facilmente ao que conhecemos de simi-
Ihante d'outros povos ; o mesmo se dâ corn as praticas que as acompa-
nham 5 ; mas na maior parte dos casos as coincidencias a indicar sâo
d'um caracter gérai, ainda que nâo seja difficil encontrar algumas formu-
las portuguezas que sâo simples variantes de formulas d'outros povos.
Entre as que publicamos a oraçâo de S. Custodio, por exemplo, est.i
n'este caso.
Algumas das oraçoes précédentes e particularmente os n"' 1 7 e 1 8
eram, segundo toda a evidencia, antigos ensalmos que perderam 0 seu
1 . Josaphat.
2. Cfr. Cantos do archipclac,o açoriano, publ. por Thcophilo Braga, p. 1 57.
3. Vid. Grimm, Dmtschc Mythologie capp. XXXVl, XXXVIl e XXXVIII ;
idtm ùkr Marallus Burdigaknsis {Kldnerc Scliriftcn \l, 114-151); Rud. Rotli,
LitercHiir unJ Gcschichtc des Veda (1846) p. 12, 57-4S ; idem, Indischc Sprùchc,
A. K.uhn und W. Schwartz, Noradcutschc Sage, elc, p. 431-444; K.uhn, Sagen,
etc., aus WestfaUn, II, 191-215, etc., etc.
270 A. COELHO
uso; essas duas oraçôes pertencem ^is formulas de (!,enero varrativo ''vid.
Jacob Grimm, Deutsche Mythologie 'i 1195 s.), assim como outras que
aqui publico.
Devo fazer uma observaçâo prévia sobre a palavra talhar, como ella
se acha empregada n'essas formulas. A antiga crença que um grande
numéro de doenças em produzido per vermes inieriores, serpentes
mesmo introduzidas na economia ', ou pela influencia de animaes (prin-
cipalmente reptis) que tinham passado por cima dos doentes, etc.,
crença que vemos achar écho em muitos dosantigos medicos, deu logar
a olhar como remedio para as doenças a que se attribuia aquella causa
uma pratica que tivesse como resultado cortar, îalhar a cabeça ao verme,
ao reptil ; d'ahia palavra passou entre 0 povo portuguez a designar 0 cu-
rativo, por meio de formulas e praticas supersticiosas, de doenças a que
nâo se attribuia aquella causa, como 0 ar mdo, 0 quebranto, etc.
2 1 . Oraçâo de S. Custodio.
Diabo. Custodio, amigo meu.
Pénitente. Custodio sim, amigo nâo.
Diab. Dize-me as santas palavras,
Dize m'as ditas e retornadas.
Pen. Eu te digo duas, \
È a tabua de Moysés /
Onde Jésus Christo poz os pés l
E morreu por nés. Amen. )
Diab. Custodio, etc.
Pen. Custodio, etc.
Diab. Dize-me, etc.
Pen. Eu te digo très,
Sâo as très pessoas da Trindade.
(Repete-se i.)
Diab.
Custodio, etc.
Pen.
Custodio, etc.
Diab.
Dize-me, etc.
Pen.
Eu te digo quatre,
Sâo os quatro evangelistas
(Repete-se i e 2.)
Diab.
Custodio, etc.
Pen.
Custodio, etc.
Diab.
Dize-me, etc.
Os exemples poder-se-hiam appresentar em grande numéro.
ROMANCES SACROS 27 I
Pen.
Eu te digo cinco,
Sâo as cinco chagas.
(Répète i, 2 e ].)
Diab.
Custodio, etc.
Pen.
Custodio, etc.
Diab.
Dize-me, etc.
Pen.
Eu te digo seis,
Sâo os seis cirios bentos.
.^Répète i, 2, 3 e 4.J
Diab.
Custodio, etc.
Pen.
Custodio, etc.
Diab.
Dize-me, etc.
Pen.
Eu te digo sete
Sâo os sete sacramentos.
(Répète i, 2, 3, 4 e $■)
Diab.
Custodio, etc.
Pen.
Custodio, etc.
Diab.
Dize-me, etc.
Pen.
Eu te digo oito,
Sâo as oito bem-aventurancas.
(Répète i, 2, 3, 4, 5 e 6.)
Diab. Custodio, etc.
Pen. Custodio, etc.
Diab. Dize-me, etc.
Pen. Eu te digo nove
Sâo os nove mezes que nossa Senhora »
trouxe 0 seu amado filho no ventre. 1
(Répète i, 2, 3, 4, 5, 6 e 7.)
Diab. Custodio, etc.
Pen. Custodio, etc.
Diab. Dize-me. etc.
Pen. Eu te digo dez.
Sâo os dez mandamentos.
(Répète 1,2, ?, 4, S- 6, 7 e 8.)
Diab.
Custodio, etc.
Pen.
Custodio, etc.
Diab.
Dize-me, etc.
Pen.
Eu te digo onze.
Sâo as onze mil virgens
272 A. COELHO
(Répète 1 , 2, ?, 4, ^, 6, 7, 8 e 9.)
Diab. Custodio, etc.
Pen. Custodio, etc.
Diab. Dize-me, etc.
Pen. Eu te digo doze;
Doze raios tem 0 sol
Doze raios tem a lua;
Rebenta d'ahi, diabo,
Que esta aima nào é tua.
Esta oraçâo, cujo thema é bem conhecido f6ra de Portugal ', é muito
usual n'este paiz ; em logar de um Custodio figura n'outras versôes /"por
exemplo, n'uma da Beira que recolhemos incompleta) um Cypriano e
entâo chama se Ihe Oraçâo de S. Cypriano. Conta 0 povo que aquelle
dialogo se travou entre um S. Custodio ou S. Cypriano e 0 diabo que Ihe
queria ganhar a aima ; se 0 santo errasse na série de palavras estava
perdido. A versâo que acaba de ser lida e nos foi fornecida por Anna
Alves Leite é incompleta ; falta-lhe a primeira palavra, e alem d'isso a
segunda palavra (aqui a primeira) é uma tabaa de Moysés em vez das
duas tabuas ; nas versôes complétas a primeira palavra é Nosso Senhor
Jésus Christo. N'uma versâo da Beira, publicada no Almanach de lembran-
ças para 1869 p. 285-286, a oraçâo nâo tem a forma de dialogo.
Reproduzimol-a :
1 . E' nosso Senhor Jesu Christo
2. Sâo as duas tabuas de Moysés.
(Repete-se i).
^. Sâo as très pessoas da Santissima Trindade.
(Répète 1-2).
4. Sâo os quatre evangelistas.
(Répète 1-3).
5. Sâo as cinco chagas.
(Répète 1-4).
6. Sâo os seis cirios bentos.
(Répète 1-5).
7. Sâo os sete sacramentos.
(Répète 1-6).
8. Sâo os oito coros d'anjos.
(Répète 1-7).
9. Sâo os nove templos.
(Répète 1-8).
10. Sâo os dez mandamentos.
1. Vid. Romania I, 223.
ROMANCES SACROS 273
f Répète 1-9).
1 1 . Sâo os onze mil virgens.
(Répète i-io .
12. Sào os doze Apostolos
(Répète i-i i).
« Estas palavras ditas e repetidas sejam em louvor de S. Custodio.
)) Sete raios leva 0 sol !
)) Sete raios leva a lua !
)) Arrebenta para ahi nabo,
» Que esta aima nào é tua. »
0 collecter d'esta versâo da Beira diz : « A oracào de S. Custodio, se
assim é que se pôde chamar, é uma lengalenga, que esta pobre gente
costuma rezar à noite para evitaros maleficios e tentaçôes do espirito das
trevas. » Mas nào é este 0 unico fim da oracào : attribue-se-lhe grande
poder na cura das doenças e para usar d'ella corn este fim 0 curandeiro
assume 0 papel de diabo e 0 doente responde como Custodio. Este uso,
que ainda hoje se observa, podemol-o ver em vigor no seculo XVII. 0
ms. n° $60 da Bibliotheca da Universidade de Coimbra contém a
sentença proferida contra Anna Martins, benzedeira e feiticeira, pela
Inquisiçào de Lisboa ', em que se acham muitos ensalmos de que essa
pobre mulher, relaxada -k justiça secular isto é, condemenada â fogueira)
fazia uso nas suas curas ; lê-se ali que Anna Martins confessara que
usara « tambem da reza do Anjo Custodio, por ser muito efficaz para
lançar fdra todos os achaques e espiritos malignos, que ella lançava dos
corpos obsessos, e dizia na forma seguinte :
« Custodio queres ser solto ? »
« Elle respondia :
» Em graça de Deus quero. )>
« Dize-me um que, é sô Deus, amen ;
)) Dize-me deus, que sâo as tabuinhas de Moysés;
» Dize-me très ; as très sâo os très patriarchas de Jacob ;
» Dize-me quatro, que sâo os quatro Evangelistas Lucas, Marcos e
Matheus (ainda que sejam quatro nâo se noméiam mais de très) :
» Dize-me cinco, que sâo as cinco chagas de N. S. J. Christo ;
)) Dize-me seis, que sâo os seis cirios bentos,
» Que a virgem accendeu
» Quando seu bento filho nasceu ;
» Dize-me sete, sâo os sete goivos que goivaram a Virgem Maria ;
» Dize-me oito, que sào os oito corpos dos Santos ou os oito corpos
christâos que estâo em Massarelos ;
1. Essa sentença, que lemos no ms., foi publicada no Institulo de Coimbrii \'ol.
IX, 379 ss.
Romania, III I o
274 '^- COELHO
» Dize-me nove, que sâo os nove anjos ;
» Dize-me dez, que sâo os dez mandamentos ;
« Dize-me onze, que sâo as onze mil virgens ;
» Dize-me doze, que sâo os doze Apostolos ;
j) Dize-me treze, que sâo
» As treze varinhas do sol,
)) Que arrebatam ' ao diabo,
» Do pequeno até ao maior.
» E que, repetindo très vezes esta oraçâo saiam os espiritos das pes-
soas, que os tinham, sem demora alguma, porque haviam de sair ou
arrebentar ; da quai oraçâo ella usava sempre corn bom successo, nâo sô
para este effeito, mas tambem para curar todo o achaque. «
22. Para îalhar as bichas (lombrigas) as creanças.
Em nome de Deus, amen,
Jésus, Maria, José,
E i virtude do santo Inofre^,
Que te livre 5 das bichas,
Que te comem o coraçâo.
Pela misericordia divina
Se convertam em agua.
Amen, Jésus, Maria, José.
Fazem-se très cruzes na testa, bocca e barriga da creança, repetindo
a formula très vezes.
23. Para îalhar 0 fogo louro.
Chama-se fo go louro no Minho a uma certa erupçâo cutanea localisada
no pescoço ; é crença que é um bicho e que se rodea 0 pescoço todo, se
se une a cabeca com a cauda do bicho, 0 doente morre irremediavel-
mente. Para îalhar 0 fogo louro, toma-se esparto d'um archote queimado
e palhas d'alhos, tambem queimados e cortam-se miudamente com uma
tesoira dizendo :
Eu te corto a cabeca,
Eu te corto 0 corpo.
Eu te corto 0 rabo.
Eu te corto todo.
Depois deita-se isso sobre 0 pescoço do doente dizendo :
Eu 0 Tejo e 0 Douro
E 0 Minho passei ;
Fogo louro
Talhei.
1. Deve-se muito provanelmente corrigir em arrebentam.
2. Onofre.
3. 0 nome da creança. ,
ROMANCES SACROS 275
24. Para talhar a impigem.
Impigem, rabigem, Assim como eu fallo verdade,
Sae-te d'aqui, Assim tu medresaqui.
Que eu jà hoje comi, Impigem, rabigem,
E jâ bebi ; Sae-te d'aqui,
Jâ passei a ponte Que a cinza do lar
De Mondim. Corre atrâs de ti.
Esta formula diz-se emjejum, deitando cinza do lar sobre a impigem.
N'algumas partes (em Vizeu, por exemple, deita-se saliva em cruz
sobre a impigem e a formula reduz-se, como me communica um amigo,
ao seguinte :
Impigem, rabigem,
Sae-te d'aqui ;
Assim como eu hoJe
Comi e bebi,
Assim tu medres aqui.
2 5 . Para as queimaduras e escaldaduras.
Santa Iria Ardente vivia.
Très filhas tinha ; Encontrou Nossa Senhora,
Uma urdia, E ella Ihe disse que talharia,
Outra tecia. Que Ihe cospisse e talhasse
Outra em fogo Très vezes ao dia.
Um amigo forrece-me a seguinte variante usadaem Guimaràes, Porto
e Vizeu :
Santa Iria (ou Santo Elias) tinha E Ihe perguntou
Uma foi a fonte, [très filhas ; Que remedio Ihe faria ;
Outra foi ao rio, Nossa Senhora Ihe respondeu :
Outra em fogo ardia. « Cuspe-lhe, cuspe-lhe »,
Encontrou Nossa Senhora, Que ella Ihe sararia.
Cospe-se très vezes sobre a queimadura durante très dias.
Na Sentença da Inquisiçâo, acimacitada, encontra-se outra variante :
Santa Sophia très filhas tinha ; Que Ihe faria
Uma mandou-a a fonte, Santa Sophia ?
E a outra pela lenha ao monte, Cuspa-lhe, sopre-lhe
E a outra por lume à villa. Très vezes ao dia,
A que foi por lume à villa Que mais nâo lavraria.
Em fogo ardia ;
26. Para talhar a erysipela.
a « Pedro Paulo que vae là ?
Pedro Paulo foi a Roma, — Muito mal e erysipela.
Pedro Paulo foi e veiu, — Pedro Paulo torna \A ;
E 0 Senhor Ihe perguntou : Dd-lhe com sal do mar,
276 A. COELHO
Agua da fonte, De nosso Senhor.
E herva do monte, Deus te torne a teu estado,
Que a Senhora permittirj Como foste nado e creado.
Que este mal abrandanî. c
h Indo eu pela Serra da Guia [Maria
Que faria a rosa vermelha ' Encontre! corn 0 filho da Virgem
Que aqui corne, arde, doe e proe ? E elle me perguntou 0 que tinha,
— Dd-lhe com sal do mar, E disse-lhe que tinha um bicho
E herva do monte ; Que me comia e ardia,
Dd-lhe com tudo defronte ; E elle me disse que talharia
Que a Senhora permittirâ Com très folhinhas d\ir da Guia
Que este mal abrandard. E très pinguinhas d'agua fria.
Assim venha este mal Deixa fulano (0 nomeda pessoaj,
A bem e a amor. Que é pobre, nâo tem que te dar ;
Assim como vieram as chagas Vae para as ondas e areias do mar.
Qualquer d'estas très formas diz-se applicando gotas d'agua , um
pouco de sal e certas hervas. Na formula c 0 ar da Guia séria para mim
um enigma indecifravel, visto que Anna Alves Leite que m'a dictou
nâo sabia 0 que era e me declarou que dizia assim por que assim Ih'o
tinham ensinado, séria para mim um enigma se nâo tivesse encontrado
uma formula muito similhante na Sentença de Anna Martins em que se
tracta da folha da ardegaria (nome de planta) ^. Eis essa formula e as
palavras que a precedem e indicam 0 seu uso : « E que tambem curava
as pessoas que tinham cambras ou bichos nos corpos, e 0 fazia tom.ando
très folhas de silva, uma por cada vez, e, benzendo a pessoa enferma,
dizia as palavras seguintes :
<( indo eu pela Serra d'Albergarria
)> Encontrei com a Virgem Maria
» E Ihe perguntei 0 que faria
» A esta pessoa, que d'ansansere > me morria;
» Que Ihe picava,
» Lembrava,
» Mordia,
i . Cfr. para esta designaçao da erysipela 0 allemâo rose.
2. A palavra ardegaria falta em todos os diccionarios portuguezes ; mas vê-se
claramente que é um antigo nome de planta que parece hoje perdido. Como
no seculo XVII a benzedeira empregava os rarrios da silva e nâo a adergaria, na
sua cura^ é muito de crêr que ella nâo sabia jâ 0 que designava a palavra.
Ardegaria dériva talvez d'ardcgo. No Brasii, uma planta é designada com 0 nome
de ardentia, accepçâo ignorada dos diccionarios.
5. Ansansere désigna uma doença de caracter mysterioso, uma doença causada
por um maleficio. Falta tambem nos diccionarios portuguezes estas palavra que
muitas vezes tenh ouvido na bocca do povo. A palavra parece derivar d'um
modo irregular de aso, asar ; cfr. a:ara por aso, colligido por Moraes, Dicc.
port.
ROMANCES SACROS 2 77
» E pruia
)> E todo 0 mal Ihe fazia :
» Que Ihe farei, Virgem Maria?
— Borrifa-a très vezes ao dia
» Com a folha da ardegaria
» E com aguasinha fria,
» Que mais nâo lavraria,
» Comeria
» Nem mal faria,
') Com 0 nome de Jésus e Virgem Maria;
» E entào molhava a folha da silva com agua da fonte e borrifava a
parte lésa. »
27. Para îalhar a farfola.
No Minho e Douro chama-se farfola ou farfalho as aphtas que nascem
as creanças de leite ; para a talhar pousa-se a creança attacada per
cina da pia dos porcos e diz-se :
Farfola, vae-te d'agui,
Que porcos e porcas
Comem aqui.
• 28. Para a inflamaçào dos seios da mullier.
O Senhor pediu pousada ;
Bom homem ihe deu pousada,
E ma mulher Ihe fez a cama,
N'uma grade sobre lama.
Sara peito, sara mamma.
Anna Alves Leite contou-me : <c Quando Deus andava pelo mundo foi
dormir a uma casa ; o dono d'ella era muito bom e a mulher muito
ruim. A mulher fez-lhe a cama sobre uma grade e por baixo estava
lama, edepois de noite começou a doer muito um peito â mulher que
tinha leite ; ella estava muito mal e o homem perguntou se elle
(0 Senhor), como andava por muita terra, se Ihe saberia dar um remedio
à mulher ; e o Senhor disse-lhe : « Olha, faze-lhe très cruzes e diz :
O Senhor pediu pousada, etc.
« Diz-lheisto très vezes e faze-lhe très cruzes, que ella sarâ. » Desde
entào aquellas palavras ficaram servindo para a cura das dores do peito
com as très cruzes. » Eis uma formula que se baseia sobre uma lenda,
a nâo ser que a lenda venha explicar a formula.
29. Para talhar o ar mdo.
0 povo do Minho e Douro crê muito que certas doenças, principal-
mente das creanças, sâo produzidas per ar mâo, isto é, ar em que havia
algum maleficio ou tinha estado algum espirito malefico. Para livrar a
creança do ar mâo ha muitas praticas e formulas. Conhecemos très.
278 A, COELHO
a.
Faz-se um bolo de pào e dâ-se d creança que tem 0 ar mâo e 0 que
a creança niio corner deita se a um ciio e uma noite de luar a creança
deve dizer :
Lua, luar
Dâ-me a minha côr,
Dou-te 0 teu ar.
b
Leva-se simplemente a creança d rua n'uma noite de luar e a màe
d'ella diz :
Lua, luar,
Toma 0 teu andar ;
Deixa 0 meu filho
Que 0 quero crear.
c
Vae-se d fonte por um caminho e vem-se por outre com a creança nos
braços ; ao afastar-se da fonte diz-se :
Eu 0 ceo vejo, Eu ar vejo ;
Eu estrellas vejo, 0 mal que esta creança tem
Eu terra vejo, Pela minha màoo despejo.
E deita-se para tras das costas uma mâo cheia d'agua, sem olhar para
traz. A formula a foi-me communicada por um amigo do Minho \ b t c
por Anna Alves Leite.
50. Para talhar a asia.
A pessoa que tem asia sobe acima d'uma pedra e diz-se-lhe :
Corto-te a asia^ Salta burrinha
E corto-te a atrela ; , Abaixo da pedra.
F. -A. COELHO.
Porto, dezembro de 1875.
MÉLANGES,
PHONÉTIQUE FRANÇAISE.
I. Oi, ui = 0+ i, u+l.
La répartition de oi et ui en français moderne qui tire celui-là de
u et celui-ci de o a paru capricieuse à M. G. Paris, Alex. p. 7$. M. C.
Chabaneau dans la Revue des langues romanes III, 541 ss., et M. E.
Mail dans son édition méritoire du Comput de Philippe de Thaun,
p. 60 ss., ont essayé de débrouiller l'histoire de ces deux diphthongues,
mais ne sont pas arrivés à un résultat satisfaisant. Je crois que cette his-
toire n'offre pas de difficulté particulière à celui qui, ainsi que cela
devrait toujours se faire dans la phonétique romane, part du latin vul-
gaire. Se servir du latin vulgaire dans un ou deux cas seulement est plus
préjudiciable qu'utile. M. Chabaneau pour expliquer pluie et puits s'au-
torise d'un lat. vulg. plôvia et pôtius (p. ^^6 s.); mais à la place de
cette difficulté écartée s'en présente une plus grande: comment expliquer
que le latin vulg. crôce ne se soit pas changé en cruix, etc.? Je me réserve
de soumettre quelque jour cette question à une étude plus détaillée, dans
laquelle je tiendrai compte non-seulement des anciens dialectes, mais
aussi des nouveaux; pour le moment je me contente d'établir de ces « ca-
tégories a priori » dont M. Mail parle avec trop de dédain.
Oi (en tant qu'il n'est pas sorti de ei ou de ai) et ui ont primitivement
chacun à la syllabe accentuée une double forme :
1. Lat. vulg. ô-\-i : v. fr. ôi (écrit oi et ui) : fr. mod. ouà ou ouc
(écrit oi) .
Lat. vulg. ô répond régulièrement :
à) au classique // :
dans une syllabe ouverte : criicem, crôce, croiz {cruiz), croix ;
câncum, cônio, coin (cuin), coin.
dans une syllabe fermée : angustia,ang6stia, angoisse (anguisse), angoisse;
junctum, jôncto ', joint {juint), joint.
I . Comme il y a latin vulgaire et latin vulgaire, nous observerons qu'il s'agit
28o MÉLANGES
b) au classique n dans une syllabe ouverte :
donet, dônet, doinst 'duinst,,
vôcem, voce, voit 'vuizj. voix.
Il répond exceptionnellement :
a) au classique u dans une syllabe fermée :
cùgnoscere, conôscere(Vok. II, 124 s.), conoutre
(conuistre), connoître ;
b) au classique ô dans une syllabe fermée :
longe, longe' {Vok. II, 1 17), loin Quin), loin;
c) au classique ô dans une syllabe ouverte :
canônicum, canbnico ''comp. Vok. Il, 157),
canoine (assonne en d), chanoine.
II. Lat. vulg. à-{-i: v. fr. ai écrit ai, non pas m';, fr. mod. ouà 'écrit
oi).
Lat. vulg. 6 répond régulièrement :
au classique au :
gaudia, godia, joie, joie;
claustrum, clostro, cloistre, cloître.
Il répond exceptionnellement :
au classique 0 et 0 devant r :
memôria, memoria, mémoire, mémoire \
glôria, gloria fainsi dans la prononciation ital.i,
gloire, gloire.
Comparez la catégorie suivante.
Le fait que 6i et ai ont donné une forme unique en français moderne ne
doit pas étonner; l'avancement de l'accent sur la seconde voyelle a fait
disparaître la différence entre ô et 0; les deux 0 se sont transformés
en ou bref. M. Mail (p. Gi) n'a pas bien tiré au clair la nature de
la diphthongue oi du français moderne; de ce que le v. fr. ô devient en
général ou en fr. mod., il semble s'attendre à trouver à la place du v.
fr. ôi un fr. moderne oui. D'après lui un semblable oui se trouverait
dans grenouille, dépouille, etc., où « 1'/ après avoir opéré le mouillement
de VI aurait à peine été en état de former avec ou une véritable diph-
thongue » (.'').
III. Lat. vulgaire Oi-|-/: anc. roman uoi: prov. uèi: v. fr., fr. mod.
ui. Nous avons en lat. vulgaire un son quelqjue peu hypothétique, un
dans le tableau ci-dessus spécialement du latin de la Gaule. Le latin vulgaire de
l'Espagne favorise en général l'u en position, mais celui de l'Italie, tandis qu'il
change Vu dans ce cas la plupart du temps, conserve cette voyelle devant une
nasale gutturale.
I . En lat. vulg. de l'Italie lange. Longe est à lange tout-à-fait ce que jâncto
est à jurdo. Au reste le français a de ce mot deu.x formes; l'une où i = g a été
attiré, l'autre où Vn a été mouillée.
PHONÉTIQUE française: 01, u'i 28 1
0 qui certainement se prononçait ouvert mais qui cependant a dû être
différent de Vo qui vient d'être cité, car il a une autre origine et un
autre résultat. Peut-être que l'un a été prononcé très-ouvert et très-
allongé et que l'autre, que je désigne avec ô,, l'a été à demi ouvert
et à demi allongé. Le lat. vulg. o, dont s'est tout d'abord développée,
dans presque tout le domaine roman, la diphthongue uo, répond réguliè-
rement au classique ô :
a) dans une syllabe ouverte :
môdium, niàdio, muoi, maei, mai (muid)\
côcjuere, cocre, moire, cueire, cuire;
b) dans une syllabe fermée (ici la diphthongue n'a pu se développer
que lorsque Vo a été écarté de la position par 1'/ qui s'est uni à lui) :
nôcte, nocte, nàite, nuoiî, nueit, nuit;
pôst, pas, pois, puois, pueis, puis.
En lat. vulg. ô se trouve exceptionnellement au lieu d'd == classique û :
pliivia, plôvia, plovia (it. piàggia, piovej, pluoia,
plueia, pluie.
Il est impossible d'expliquer autrement ui = classique ô-\-i; car si
ailleurs oi et ui se produisent de la même manière aussi bien à la syllabe
accentuée qu'à la syllabe atone, cela n'a pas lieu dans ce cas. A la syl-
labe accentuée ô-\-i devient ui, à l'atone oi : foyer =fÔcarium, moyeu =
môdiolum (dans des dérivés nouveaux ou dans des dérivés anciens dont
le rapport avec le mot primitif est resté clair, nous trouvons il est vrai
ui aussi à la syllabe atone : appuyer à côté de puy, nuisible à côté de
nuire). Il doit donc s'agir ici d'un son qui ne s'est produit qu'à la syl-
labe accentuée; parmi tous les sons qui entrent en considération, cela
n'a lieu que pour un seul, la diphthongue de o : uà, uè.
Ui^= uè/ n'a rien de surprenant, et nous trouvons aussi en provençal
hui à côté de huei, nuit à côté de nueit, puis à côté de pueis, etc., et la
succession des formes iu = ièu = eu qui se présente en provençal et en
roumanche est tout à fait analogue à celle que j'ai établie : ui = uci
(ou peut être aussi immédiatement = uài) = ô/ '.
Quand donc on voit en v. fr. l'une à côté de l'autre les formes hoi et
hui, noit et nuit, il ne faut pas voir là le même rapport qu'entre croiz et
cruiz, loin et luin, etc., mais ces formes sont dans la même relation que
prov. oi et uei, noit et nueit^ etc. Le fait que dans l'union avec / la voyelle
simple se présente à côté de la diphthongue ne peut étonner, car cela a
lieu en dehors de cette union, par ex. dol et duel, pot et puet. Lorsque je
lis dans le Roland d'Oxford trois à côté de truis je n'y vois pas autre
I. Ud ou uo — di n'est pas absolument inconnu au v. français. Au reste u
devant ;7 signifie sans doute souvent la diphthongue uc, comme dans fitil, viiil,
cuiknt à côté defuetl, niai, cucillaU.
282 MÉLANGES
chose que lorsque dans le même texte je lis trovent à côté de troevent.
IV. Lat. vulg. u-)-/ : v. fr., fr. mod. m.
Lat. vulg. a répond régulièrement au classique u :
a) dans une syllabe ouverte :
diicere, ducre, duire ;
jùnium, junio, juin;
b) dans une syllabe fermée :
friictum, fructo, fruit.
Il répond exceptionnellement :
a) au classique û : /"g'^ /"^'^ Z"'^-
Le lat. vulg. /ug/f est donné par l'it. fuc,ge, etc.; 1'/ a-t-il protégé
Vu suivant? Au reste /o/r à côté de fuir (Burguy 1, 340) renvoie à une
forme secondaire du lat. vulg. : fogire (comp. refogium Vok. III, 214).
h) au classique 0 : ôstium {Vok. II, 127), ustio (ibid.), huis. Mais
huître = ostrea appartient à la troisième catégorie, comp. it. àstrica, esp.
ostra, etc. angl. oysler.
Je ne nie pas du tout que diverses formes telles que puits =^ lat. vulg.
pôtio I it. pôzzoï ^^ class. piiteum, v. fr. loi à côté de lui, etc. n'aient encore
besoin d'être expliquées. M. G. Paris regarde tuit comme équivalent à
tait, mais cette forme se présente aussi là où l'orthographe u = 6 n'est pas
usitée. Le paradigme de ce pronom est en latin vulgaire de la Gaule
tôttos tôtta
îôtto totta
tutti [tôtte]
tôttos tôttas.
Tt pour / se montre aussi dans l'it. tutto ; de tota lefr. aurait fait 'toue,
comme roue de rota. Tutti est assuré pour la France par les glosses de
Cassel. C'est à l'influence de ïi qu'on doit le passage de l'o (qui persiste
dans les autres formes) à u. Je compte étudier prochainement dans la Ro-
mania cette influence de Vi d'une manière plus complète. Je demande
pour le moment qu'on compare le v. fr. cil = lat. vulg. ecce-llli (nom.
sing. et plur.) et cel, cels = lat. vulg. ecce-illo, ecce-illos, d'autre part
port, puz = lat. vulg. posi == class. posuT et poz = lat. vulg. poset =
class. posuït.
J'ai tout à fait laissé de côté ici l'origine de 1'/ avec lequel s'unissent
0 et u. Un / parasite s'introduit volontiers devant s (M. Chabaneau
explique par ex. puis par pojs, pocs, pots, postV) mais d'où vient 1'/
devant /5, par ex. dans croiz ?
II. CH.
Le c latin persiste en français sous trois formes : sous la forme pri-
mitive de k devant 0, u, sous celle de c devant a, sous celle de ç devant
e, i. Pourquoi a-t-on créé pour c une notation spéciale tandis qu'on
PHONÉTIQUE FRANÇAISE : ch 28?
ne l'a pas fait pour ç? Dans l'ancienne langue on écrivait en fait ca
pour ca (camp = champ, quar = car, orthographe analogue à ciel, qui);
mais la syllabe ca s'était dans beaucoup de mots changée en ce et pour
distinguer ce ce de ce on a eu besoin d'un signe spécial (tout à fait
comme pour ç devant a, o, u). Le signe que l'on employa fut plus tard
introduit aussi pour c devant a; c'est CH.
Ce CH n'est pas germanique, comme le croit M. G. Paris, Alex. p. 87;
mais roman, aussi bien que le son lui-même, dont on cherchait autrefois
aussi à expliquer la formation avec l'aide de l'allemand. Dans le roman de
l'ouest H, après une consonne, exprime / palatal ou y (Diez, Gramm.'^ I,
381. 405 s., '). En conséquence CH signifie primitivement ky. Si l'on
écrivait en v. franc, pâlie \>onr palye, on ne pouvait pas écrire pareillement
c/e/pour kyef, car cette forme aurait été considérée comme équivalant à
çief. Cette signification du signe CH concorde avec l'histoire du son c.
Nous connaissons comme valeurs successives de ca: kya^, tya, tya {y —
ch allemand dans ichj, tcha, cha. On objectera peut-être qu'on a écrit de
bonne heure déjà pour CH : IH et /, écritures qui ne sont pas facilement
conciliables avec la prononciation ky. En ce qui concerne IH on cite
tout d'abord le mot iholî du Frag. de Valenciennes. Or, comme CH est
d'ailleurs toujours employé dans ce texte, iholt doit avoir sa cause parti-
culière. Nous le trouvons deux fois. Grann'/zo/r s'expliquerait par gw;?/ y oit
pour grant tyolt, si nous admettons qu'alors ca n'avait pas encore dépassé
le degré tya. IH serait un double essai de représentation du son, ni / ni H ne
pouvant seuls rendre le son y. Au second passage on a lu grances iholt, mais
on ne sait que faire de grances et je suis convaincu qu'on a mal lu ; le fac-
similé de Génin présente, entre s et /, un grand intervalle qui est
rempli par un trait. Il vaut mieux, jusqu'à ce qu'on ait trouvé la leçon
correcte, ne pas tenir compte de ce passage. Dans le fragment de
l'Alexandre nous trouvons iausir et ianget. Mais ce texte est sur la limite
des deux langues. On cite enfin iose tiré des lois de Guillaume le Con-
quérant, mais les leçons manuscrites de ce texte sont tellement corrom-
pues qu'on ne doit pas accorder à cette forme trop de portée.
1. C'est sans doute aussi de cette manière qu'il faut voir l'équivalent du
catalan tj, pat. des Gris, tg, dans th que Diez considère comme une inter-
version de ht.
2. A propos d'un kya qui persiste encore aujourd'hui dans le domaine
français je me permets de renvoyer à une source quelque peu étrangère au
linguiste. Durand, Les origines animales de l'homme éclairées par la physiologie et
l'anatomie, Paris 1871, dit : « Cette forme de transition entre la prononciation
CA et la prononciation CH c'est KJA (kia) : généralement disparu et ne formant
plus de bande continue, ce type intermédiaire s'est conservé sur quelques points
épars, forts rares et fort restreints. Il m'a été signalé dans la prononciation
propre à un faubourg de la ville de Saint-P'Iour habité par quelques très-anciennes
lamilles de bouchers et de tanneurs chez qui le patois local se transmettait dans
ses formes les plus archaïques » (p. 159).
284 MÉLANGES
J'ai déjà dit plus haut que de ca est souvent sorti u\ mais le passage
de fl à e ne pourrait-il pas aussi être plus ancien que celui de c à c ? cher =
ker = carum ne pourrait-il pas coïncider avec champ =:campum, comme
dans le dialecte de l'Engadine chdr-=.kdrz=conum avec champ ou comme
en français même échine = germ. skina avec champ ^ Les deux transfor-
mations de sons e=a^ ca = ca s'étaient opérées longtemps avant qu'on en
trouve des traces dans les textes. Aux vu*' et vin" siècles on écrit toujours
a, jamais e, ainsi dans la correspondance satirique de Frodebert et d'Im-
portun', dans les glosses de Cassel, dans celles de Reichenau; et même
les Serments ne connaissent que fradre, salvar, returnar, Christian et
cadhuna, cosa. Toutefois si l'on considère attentivement la propagation
géographique des deux phénomènes phoniques on se sentira porté à
admettre qu'en français e= a n'est pas plus ancien que ca:=ca. Chose
= causa montre que ca est plus ancien que 0 = au, et l'orthographe
témoigne de cette transformation bien plus tôt que de celle de e = a; elle
se trouve non-seulement dans les Serments, mais aussi dans les glosses de
Reichenau plus anciennes d'un demi-siècle au moins ^Diez, Altrom. gloss.,
p. 66), tandis que les glosses de Cassel présentent au même dans les
mots tout à fait romans aucas, auciun.
Mais ca est postérieur à ce, ci. Même en laissant tout à fait de côté le
fait que ce, ci sont communs à tout le domaine roman et qu'on en trouve
de bonne heure des exemples dans les textes, cette postériorité résulte
de la comparaison des développements historiques de ç el c :
c : — ky, ty, tch, ch.
C devant a et c devant e, i se développent dès le principe d'une manière
tout à fait semblable; si le changement avait commencé dans les deux
cas à la même époque, il n'aurait pas manqué à une époque quelconque
d'atteindre le même degré. On s'étonnera de ce que dans le premier
développement de tch soit sorti îs et non ch comme dans le second.
En fait cependant nous avons ch comme forme parallèle de ts = ç
(comme l'inverse : ts à côté de ch =. c] et nous allons tout à l'heure
parler de ce ch. Cette préférence accordée à ts=zç est due à une influence
renouvelée de la voyelle palatale suivante, préférence qui ne s'exerce
plus à l'égard de tche = ce, c'est-à-dire à une époque de beaucoup
postérieure.
Il existe une classe de mots dans lesquels c et ç ont commencé en
I . Dans cet intéressant texte se présente un mot roman que Boucherie et moi
avons méconnu. V, 15, humilc facit cjptadura ne signifie pas plus: « chatte
méchiintc, il se fait humble » que « (7 fait une vile capture «, mais « (7 fait une
figure humble « (esp. catadura [et. roum. cautatura, regard, coup d'œil — Réd.],
mot qui, il est vrai, n'a pas encore été trouvé en provençal ni en français; voy.
Dkz Et. Wb.'l, 118).
PHONÉTIQUE française: Iz, nz 285
même temps et ont eu aussi par là le même résultat. Ce sont les mots
germaniques. De skina est venu échine, comme de skankjo, échanson, et
comme cet échanson concorde à son tour avec échelle = scala, nous
pouvons sans doute admettre que ca = ca ne s'est produit qu'après les
invasions germaniques mais pas beaucoup plus tard. Dans un dialecte
français le c devant a ne s'est pas changé et le ç. se trouve à quelques
degrés en arrière [camp, cherfi. C'est le picard. Mais comme ce dialecte a
pris part au changement de a en e, ke s'est très-souvent introduit et l'e a
encore développé ici son action assimilatrice : picard kien, kier = canem,
carum, aujourd'hui en rouchi tien, lier. Nous voyons ainsi çe=. ke avoir
trois points de départ chronologiques et donner par là trois résultats : i ; ce
à l'époque romaine — se; 2] ce après les invasions germaniques — che; ^)
ce quelques siècles plus tard — tie. Je ne puis donc être d'accord avec
M. G. Paris, lorsqu'il dit {Alex., p. 79, note 5) : « Ce n'est pas le son
chuintant de ch qui amène 1'/, c'est la gutturale comme telle. Le picard,
qui remplace le ch par k, qii, n'en insère pas moins 1'/: cerkier, pecjuié. «
Ce qui est commun à toutes ces consonnes qui changent sans plus
ou sous certaines conditions e = a en ie, c'est précisément leur
étroite parenté avec /; mais comment des gutturales pourraient-elles
exercer une semblable influence ? A côté de cerch-ier on a cerki-er ' . En
picard ce, ci avaient le même son que che, chi; on n'avait pas besoin du
signe CH, qui s'est cependant peu à peu introduit du sud et a causé
quelque désordre 'comp. A. Tobler, Li dis dou vrai aniel, p. xxi).
III. Lz, nz.
M. G. Paris, Alex., pp. 99, loi, constate le fait que les noms qui se
terminent par une / mouillée reçoivent comme signe de flexion z à la
place de 1'^; mais je tirerais de ce fait la conclusion opposée à celle qu'il
en tire, à savoir non pas que le z marque la prononciation mouillée de 1'/,
mais qu'il marque bien plutôt la suppression du mouillement.
Z, lorsque la finale reste invariable, ne prend la place de Vs qu'après
deux consonnes, / et n. Nous trouvons ahanz à côté d'ahans, rniilz à côté
de mais. La cause en est simple : Is, ns sont phonétiquement identiques
à nz, lz; la langue, en se portant du lieu d'articulation de / ou de // à
celui de s, produit une dentale. Mais après une / ou une n mouillée s
n'a plus le même son que z. Si donc l'on trouve écrit z après une / ou
une n primitivement mouillée, cela prouve que ces consonnes ne sont
plus mouillées. Je considère amiralz, orthographe régulière du nom.
sing. à'amiraill dans k^Roland d'Oxford, comme concordant parfaite-
I. Ou, si l'on veut être rigoureux : à coté de caky-ur = caky-ar : cerky-cr
= cerk-er.
286 MÉLANGES
ment avec la prononciation. On trouve il est vrai plus souvent devant
!'/ Vi qui marque le mouillement et qui semble donc être en contradiction
directe avec le -. Mais on conserva l'orthographe habituelle du mot
tel qu'il se présentait sans signe de flexion, et l'on préféra mar-
quer le changement de prononciation par la lettre de flexion. Si l'on
avait supprimé 1'/, on n'aurait pas eu besoin du z : génois ou genoilz. Si
z avait possédé la fonction que lui attribue M. G. Paris, il n'aurait été néces-
saire qu'après un petit nombre de mots (chez lesquels, du reste, comme
dans péril, le mouillement n'est pas même exprimé dans la forme sans s);
on aurait aussi évité d'écrire fideilz à côté de fideils, pour le séparer de
soleilz et d'autres mots analogues, car dans fideilz on ne peut pas,
comme le fait M. G. Paris, voir une / mouillée. Le fait que lys s'est
réduit à /-5 est naturel , les sons mouillés demandant à être placés à la
finale ou devant des voyelles; nous avons donc aussi / = /// devant
le t de la troisième personne du subjonctif de la première conjugaison :
merveilt, îravalt, conselt consent. Les formes modernes igenouUj — genoux,
œil — yeux, travail — travaux renvoient clairement aux formes anciennes
genoil — génois, oil — ois, travail — travals. Ce qui est vrai pour / l'est
aussi pour Vn : je regarde donc compainz par ex., comme identique
à compans , car je ne pense pas que ce mot ait la diphthongue ai,
comme le croit M. G. Paris, Romania, II, 265, note 5. Il existe,
il est vrai, des mots dans lesquels une / mouillée suit une diphthongue
avec / : conseill par ex., qui dans le Roland assonne en ei, se prononce
donc conseily. Mais a-t-on aussi prononcé compainy? Si le scribe du
Roland prononçait compainy-s, pourquoi le régulier cumpaign n'a-t-il
qu'une seule fois la flexion cumpaignz et vingt-quatre fois cumpainz?
Janvier 18V4 H. Schuchardt.
II.
REMARQUES SUR LE VOCALISME DES SERMENTS
DE STRASBOURG.
Avant d'examiner ces textes vénérables, il faut considérer ; 1° Qu'au
IX' siècle c'était encore une chose toute nouvelle que d'écrire en langue
vulgaire; on était enchaîné par l'orthographe traditionnelle du latin
classique et par l'orthographe confuse du bas-latin, et on ne pouvait pas
arriver tout d'un coup à des notations plus précises ; 2" Qu'à cette époque
l'état phonétique de la langue d'oïl était moins éloigné du type franco-
provençal qu'au xi" siècle. Plusieurs sons, plus tard décidément déve-
loppés sur tout le domaine du nord, ont pu être encore à l'état de
germe.
LE VOCALISME DES SERMENTS DE STRASBOURG 287
Nithard avait probablement copié les Serments sur un texte écrit. En
tout cas le scribe du ms. renonce ici à l'orthographe régulière qu'il suit
dans le texte latin : tantôt il se sert de notations usuelles en bas-latin,
tantôt de l'orthographe latine classique, tantôt enfin il suit la pronon-
ciation du temps.
Partant de ces points de vue, je vais considérer plus spécialement les
notations de la série a-i des voyelles accentuées (cf. Rom., 1,318 ss.i Je
choisis ce groupe de sons parce qu'il renferme les formes du texte les
plus difficiles.
I. Notation a.
1. Pour les cas de position forte ^ Karlus, part, il n'est pas douteux
que a n'ait le son latin encore conservé dans Charles, part.
2. Pour les a hors de position forte : salvar, returnar, fradre, cela me
semble au contraire fort problématique, surtout quand on considère les
formes de la cantilène de sainte Eulahe, texte postérieur d'un demi-
siècle à peine : spede, presentede, virginitet, honestet, getterent. Faut-il pro-
noncer ici spéde comme au xi» siècle ? et même dans les serments salvér,
frédre? Mais alors le scribe aurait certainement choisi la notation e. Je
suppose que le son de a était modifié dans le sens de t', mais pas assez
pour être noté e. Je propose donc de prononcer dans les serments un
son intermédiaire entre a tl è: salvar, fradre, à peu près comme le a
bref anglais dans hat, back. La notation £ aurait été la plus naturelle,
mais elle était à peu près tombée en désuétude : £ était devenu e qu'on
confondait avec e. Pareillement en ancien anglais on se servit de a
après que le £ anglo-saxon fut devenu hors d'usage; cet^ = 4;' est
devenu maintenant é long [ê) dans les syllabes ouvertes, mais l'anglais
retient toujours la notation a : haïe, hake. — Dans Eulalie j'incline à pro-
noncer spede plutôt que spéde. Quand a latin est devenu é en français,
nous ne le savons pas au juste, mais qu'il soit arrivé à é d'un saut, ce
serait contre la nature des choses : il faut nécessairement qu'il ait passé par
les phases intermédiaires. On peut suivre ces mêmes développements à
travers les dialectes émiliens : pa/er devient en plaisantin pj:dar, en reggien
pcder, en faentin pédar; dans le bolonais on prononce pxder, mais on
écrit le plus souvent pader : encore une analogie avec l'orthographe
I. Je sais que M. Ellis, O.t Early Pronunciation, croit avoir prouvé qu'aux
XIV-XVI' siècles on prononçait a pur, p. ex. nature comme nâtur, mais les rimes
et les témoignages des grammairiens qu'apporte M. E. ne me paraissent pas
concluants. Et même si M. E. a raison, \\i pur ne serait qu'un développement
partiel, amené probablement par l'influence française sur la prononciation des
hautes classes. Il est impossible de ne pas voir la continuité de Vu bret anglo-
saxon avec le é (écrit a) anglais. Déjà dans l'ancienne langue à était rare : on
disait bac (angl. back), bœccrc (a baker) mais bacan (to bake). Le son.ra fini par
prévaloir : bacan est devenu btekcn (écrit bakcn), puis bëk (écrit bakc).
288 MÉLANGES
des serments. — Mais alors comment se distinguait, dans Eulalie,
(= j lat. de e ■-= c lat.? Par la seule position du dernier cas, il
est plus probable que le premier e a été moins ouvert que le second
sans cesser d'être ouvert, à peu près comme, dans le faentin, ê '«■ suono
stretto ))i = a latin est plus fermé que é (« suono semiaperto ») = e
latin, sans être Ve le plus fermé du dialecte, voy. Mussafia Rmg. g 14
ss. — Cependant déjà Saint Léger semble avoir constamment é et non c,
voy. Rom. I, 279. Pourrait-on ici supposer deux nuances du son ouvert?
et pourrait-on voir une trace d'une prononciation plus ouverte dans l'as-
sonance irrégulière cruels: crever s\t. 26? [Rom., I, 279 cf. demanded:
envers Passion str. 35.
Dans xpïan on a également conservé l'orthographe traditionnelle =
Christian, mais on prononçait probablement crestian 'crestiain?' , ou cres-
tiian, cf. xpiien Eul. 14. — La forme sjanit m'est obscure.
Notation e.
1 . Le son é est probable dans eo à côté de io (et dans deus, deo, écrit
d^s, dô\.
2. Le son l dans la position forte : conservât, sagrament, sendra. Quant
au dernier mot, je ne comprends pas qu'il ait pu devenir plus tard sire.
M. Diez l'explique par l'analogie de térin, tarin, dont la dérivation du
picard tere= tendre semble elle-même douteuse. Et si sire est picard,
comment a-t-il pu supplanter d'emblée les autres formes? Il me semble
qu'il faut voir ici deux formes indépendantes l'une de l'autre. Sendra,
c'est-à-dire sendre est identique au prov. sénher, au roumanche sénger
(Ascoli, p. 25, 47). Dans sire au contraire je suppose le produit d'une
forme 'se'ior ['se're) avec l'élision de n qui n'est pas douteuse dans sieur
en ital. fam. et dans les dialectes sior, sor. Cet allégement anormal de
la forme a été amené par la proclise du titre devant les noms, laquelle
a produit aussi les abréviations prov. En, Na, esp. Ustéd, Usla, etc.,
sire de se'ior comme pire de pejor, roumanche p/r, pijr 'Ascoli, 37); y
disparu comme dans aiie, aiudlia, Diez, Sprachd., 8 '.
lU. Notation /.
1. Le son i est figuré dans di (dies), //(illi), etc.
2. Dans savir, podir, on pourrait voir un changement flexionnel comme
dans fleurir de florëre, etc. Cependant comme ces deux verbes (et beau-
coup d'autres) n'offrent nulle part en français la forme -ir ^Diez, Sprachd.,
8), il sera permis de prononcer savér, podér, suivant l'usage du moyen-
âge, fréquent surtout dans les chartes franques, de noter par i le son
é, voy. Schuchardt, I, 226 ss. Quand même on trouverait savir, poir
I. [Voy. une explication analogue, Romania^ II, p. 311. — Red.}
LE VOCALISME DES SERMENTS DE STRASBOURG 289
dans !e picard du xiii'' siècle, ce ne serait pas une raison pour accep-
ter ces formes dans les Serments, texte dont le caractère général s'ac-
corde avec le français proprement dit. Dans savér la voyelle est encore
à l'état roman, cf. prov. esp. sabér, it. sapére. Il est possible aussi
qu'un faible son d'/ ait commencé à se faire entendre après é : saveur,
précisément comme dans le roumanche plazer, c'est-à-dire plajér « on
entend pour ainsi dire en germe la diphthongue ei » Asc. 242. En tout
cas dans les Serments ce son se distinguait encore de ei ' dan& dreit] , diph-
thongue franco-provençale et partant plus ancienne, à laquelle il fut
bientôt après assimilé, cf. concreidre, Eul. 2 1 . Au savir des Serments il
faut comparer le savier de Saint Léger {Rom., I, 283), où le scribe a
peut-être voulu exprimer par ie un son intermédiaire entre é et ei. Pour
l'existence d'un tel son comp. encore à l'anglais â prononcé é'. Je pro-
nonce de même sit comme sét {sé'î}, qui est devenu plus tard seit.
3. Dans int je vois l'orthographe latine et je prononce ent, forme
qui se trouve dans Eulalie; cf. in (dans in avant] que le scribe avait
d'abord écrit en conformément à la prononciation; puis il lui a substitué
la forme latine conservée partout ailleurs in se trouve six fois). Cette
correction de la main du scribe est un précieux témoignage de la pro-
nonciation du temps. — De même il faut probablement prononcer ist,
cist^ (cas régime) comme est, cest. Au xi" siècle cet e était ouvert:
l'était-il déjà au ix*^ ? L'orthographe int, in (en), ist, cist semble indi-
quer un son fermé, é ou /.^ Ainsi on distinguerait encore / lat. de e dans
la position, comme en italien on dit quésio et non qucsto. Mais dans prindrai
de "prindre c'est le son è qui doit être exprimé (ital. prèndere). — Pour
dist je suppose la prononciation indiquée par l'orthographe, mais je ne
puis accepter la dérivation de débet donnée par Diez, Gramm.i, 235,
Sprachd. 9. Prust iprobet), cité à l'appui, est bien postérieur; dans
rist (ridet) et Ust (legit) s est d'une origine différente. Dans dist je vois le
latin dëcet^, conservé comme mot populaire dans le roumanche descha
Asc. 15, et dans les dialectes italiens (Rom., II, 117); en ancien ital.:
i. Peut-être quand c = a est devenu è, c = i lat. est devenu ci. Dans ce cas
il faudrait prononcer spéde déjà dans Eulalie.
2. Pour le nomirfatif je conserve naturellement la prononciation cist. J'explique
avec M. Mussafia (cité par Diez, Gram. 11^ 1021 cist au nom. pi. par *cisti, cil
de *cilli; l'existence de cet i final se prouve directement par /(' (nom. plur. de
l'article), cf. tuit de tutti {Gloss. Cass.), tui Alex. 85 b, Jui ibid. 9 d. Dans les
pronoms le nom. sing. masc. suit ordinairement l'analogie du nom. plur., c'est
pourquoi on a cist, cil aux nominatifs des deux nombres. De i7 (pron. pers.,
nom. sing. masc.) et de li (article, même cas) on peut reconstruire un ancien
*illi, qu'il faut comparer à l'italien égli, quégli, anc. esp. clli, anc. port, cli,
voy. Diez, Gram. IP 83.
3. J'apprends que M. G. Paris a bien avant moi expliqué dist par dccet dans
son cours de la Sorbonne.
Romania, III 1 9
290 MÉLANGES
non dece spada a femmina fra Jacoponci. Dist de decet comme diz ''dix)
de decem, cf. i^ist de jacet par l'intermédiaire de ^ésir. Il est vrai qu'on ne
retrouve point ce dist = decet] mais à cette époque bon nombre de mots
vivaient encore qui ont disparu de l'usage. Je prononce cjuid comme qued.
Cette forme se trouve devant les voyelles, que devant les consonnes : in
0 quid // mi altrcsi fazel , = sagrament que son fradre karlo jurât cf. anc.
ital. ched è, encore p. ex. dans le dialecte romain (Belli, Sonnetti, p. 68|.
Ces formes avec l'ital. ché, l'espagnol que, prouvent qu'il faut dériver le
français que (relatif et conjonctioni de quid et non de quod [d. G. Paris,
Alexis, p. 97, I 17,).
J. Storm.
III.
LES ASSONANCES DU ROLAND.
M. G. Paris a donné ici (II, 265-4^ un tableau des assonances du
Roland d'après l'édition Bœhmer. Dans ce tableau se sont glissées
diverses erreurs et omissions qu'il est utile de corriger. La meilleure
façon de le faire m'a paru être de publier le tableau rectificatif suivant,
qui a été dressé à l'occasion d'un travail de la conférence des langues
romanes à l'Ecole des hautes Etudes, et qui a été contrôlé par M. Paris.
a 57. 71. 87. 95. 155. 1 58. 2:58. a. e I ^ 20. 28. 52. 58. 60. 86^.
247.
an 19. 22. 24. 30. 42. 47. 63
69. 76. 85. 90. 100. 109. 112
121. 123. 128. 1 33. 137. 143
164. 173. 179- 183. 191. 195
201 . 216. 219. 225. 229. 239
242. 250. 253. 289.
en confondu avec an.
é 5. 9. M. 27. 33. 40. 54. 72
81. 84. 91. 146. 148. 1 59. 163
178. 182, 188. 198. 203. 21 1.
227. 284.
ié 3. 8. 18. 26. 36. 41. 51. 59.
64. 89. 102. 114. 126. 131.
140. I $3. 160. 162. 176. 180.
184. 192. 199. 280. 282.
96. 104.
12^. 129.
147.
■.68.
202. 213.
218. 226.
246.
248.
251. 279.
281. 287.
. an. e i. 67.
73. 86a.
138.
171.
207. 224.
261. 267.
290.
en. e 108.
120. 134.
215.
259.
273. 285.
■ é. e 34. 55
. 106. 1 1 I
197.
2^-
257. 268.
ié. e 217. 243.
è46. 107. 167. 232. 269. 277.
99.
118.
e 4. 25. 53. 6j. 75
127. 1 56. 166. 181. 189. 208
221. 236. 244. 270.
LES ASSONANCES DU Roland 291
ei 6 38. 43. 79. 196. 235. 245. ei. e 78.
249. 256. 271. 274. 283.
i 10. 12. 31. 35. 49. 88. 94. loi . -i. e 7. 14. 21. 37. 39. 44, 56.
139. 150. 152. 157. 17$. 205. 77. 122. 124. 130. 142. 172.
212. 230. 240. 2')2. 2-]6. 187. 194. 209. 222. 241. 254.
265. 291.
6 45. 83. 92. 116. 13$. 144. 169. ô. e 119.
210. 231.
oe 23. 262.
6 15. 17. 32. 48. 61. 66. 68. 70. ô. e 2. 29. 50. 74. 98. 113. 132.
80. 93. 97. 10$. 1 10. 1 1 5. 1 36. 149. 186. 190. 214. 223. 233.
141. 161. 165. 177. 185. 193. 255, 258. 263.
204. 206. 220. 228. 234. 266.
272. 275.
u 16. 62. 82. 117. 145. 151. u. e 103. 170. 264.
154. 174. 200. 260. 286. 288.
Gaston Raynaud.
IV.
FRAMMENTO
Dl UNA RaCCOLTA DI FaVOLE IN PROVENZALE.
Al codice magliabechiano Cl. VII, 103 5, che contiene l'unico esem-
plare compiuto del poemetto Pintelligenza, vanne uniti alcuni brani di
altri manoscritti periti 0 dispersi. Ultime di tutti è un foglietto membra-
naceo, in cui si legge il frammento che qui mi faccio a pubblicare. La
scrittura è accurata ; le iniziali dei versi sono attraversate per erdinario
da una linea rossa, miniate là dove cade una divisione d'importanza.
Striscie rosse serpeggianti tolgono il vano che resterebbe in ogni riga
dopo la scrittura; solo la parte inferiere del r" ( <) versi i manca di
questo complemento. Il v" è ornato di una miniatura; essa rappresenta
un uemo a cavallo ad un mulo ed è preposta alla narrazione corrispon-
dente. în cape al r" si vede a meta délia larghezza il numéro xxx, dello
stesso carattere che s'ha nel reste; il feglio era dunque trentesimo nel
codice originarie.
Questo pevero avanzo apparteneva ad una raccolta di favole ridolte
in versi provenzali. Esso ci dà la fine délia favola notissima del corvo
che si riveste délie penne del pavone, colla rispettiva morale ; poi il
principie di un altra mené nota, che sarebbe da intitolare la mosca c la
inula. Che i ventinove fogli che precedevano al nestro spettassero tutti
alla medesima opéra, nessuno potrebbe asserire con certezza ; ma non è
improbabile; e in tal case la parte anteriore al frammento doveva contare,
se si tien calcolo dello spazio occupato presumibilmente dalle miniature,
292 MÉLANGES
più che milledugento versi. Si aggiunga quanto si è perdulo dal frammento
in avanti, e sarà da conchiudere che questi 42 versi, scampati soli alla
rovina, stanno probabilmente a rappresentarci un testo di mole conside-
revole. Condizioni infelici délia letteratura provençale ! dappertutto
lacune, dappertutto macerie! E ancora ci dobbiamo stimare fortunati
quando se non altro ci riesce di mettere allô scoperto qualche rudero,
che almeno attesti l'esistenza dell' edificio, se anche non ci da modo di
ricostruircelo in qualche maniera nella mente '.
I . [La découverte de M. Rajna est d'autant plus intéressante que le genre
de la table ésopique, si riche dans l'ancienne Httérature française, n'était jusqu'ici
représenté par aucun texte provençal. Cependant on pouvait être assuré a priori
qu'il n'avait pas été inconnu à la langue d'oc. Il y a dans les Le)s d'amors (III,
256) deux vers qui semblent être le début d'une fable :
La volps ei lops si son trobat,
E portan se gran amistat.
Ailleurs, traitant de la prosopopée, les Leys s'expriment ainsi (III, ji6):
u D'aquestas figuras uzec aquel que fe \'I:op el Tandord, quar fenhic que las
bestias, et autras causas a las quais naturalment non es donatz parlars, parlesso
entre lor. >> Nous ne savons ce que signifie Tandord, mais on voit qu'il s'agit
évidemment d'un recueil de fables, peut-être de celui-là même dont M. Rajna
vient de retrouver un fragment.
Le recueil dont ce fragment nous est seul parvenu devait contenir, d'après
l'estimation de M. Rajna, environ 1200 vers avant la page sauvée. C'est à peu
près ce qu'il en faut pour représenter les 34 premières fables de l'Anonyme de
Névelet (à 55 vers en moyenne par fable). C'est en effet ce recueil , si populaire
au moyen-âge sous le nom A'Acsopus ou plutôt Ysopus, qui paraît avoir été
traduit en provençal, comme il l'a été en français, en italien, en allemand, etc.
On sait que V Ysopus, composé au XII" siècle (voy. Oesterley, Romuliis, p. xxiv),
est la paraphrase en vers elégiaques des trois premiers livres de Romulus. Dans
VYsopus comme dans Romulus les deux fables dont nous avons ici des fragments
se suivent immédiatement (Romulus, II, 16 et 17; Ysop. 35 et 36), et on
pourrait par conséquent vouloir rapporter l'imitation provençale directement à
Romulus. Mais les modifications assez importantes faites par l'auteur des fables
elégiaques à son original se retrouvent ici. Dans Romulus, par exemple, comme
dans Phèdre (I, 3), ce sont plusieurs paons qui dépouillent le malencontreux
oiseau paré de leurs plumes : ici, comme dans Ysopus, il ne s'agit que d'un
seul paon. — Dans la seconde fable, nous voyons dans Romulus et dans Phèdre
(III, 6) la mouche se poser sur le timon et menacer la mule, tandis que dans
Ysopus, comme ici, elle la pique dès l'abord.
Les deux fables dont nous devons ces fragments à M. Rajna répondent donc
aux fables 35 et 36 d'Ysopus, de Graculo d Pavonc, et de Musca et Mulione. Il
ne faut pas s'étonner de voir un corp dans la première fable au lieu d'un geai.
Plusieurs traductions de cette fable, par exemple la française (Robert, I, 251) et
l'italienne [Volgarïzzamento di Galjredo, éd. Ghivizzani, Bologna 1866, p. 87),
rendent ainsi le graculus du latin, et ce n'est pas précisément un contre-sens,
puisque le fr. grôle vient de gracula. Ce serait une erreur de vouloir pour
'" cela rapporter cette fable à la version oij figure une corneille, version sensible-
ment différente, que nous avons dans l'Esope grec, à laquelle Horace fait allusion
dans des vers connus {Epp. I, m, 18-19), et qui se retrouve fréquemment aussi
au moyen-âge, p. ex. dans la 37' des Narrationts d'Eude de Cerington [Jahrb.,
IX, 149; cf. Oesterley sur Kirchhof, VII, 52). — Rèd.]
FRAMMENTI DI FAVOLE PROVENZALI 295
« Et aitant quant vos n'aves fag
Compreres o car atresag. »
E va li tolre mantenent
La pluma e lo vestiment,
5 El corp remas aqui tôt nus,
Fort menassat e fort batutz.
Ab tant venon per lo boscatge
Ganren de corbs de son lignage ;
Viron lo despul[l]at e nut ;
10 E l'uns, que saup con es agut^
Dis li : « Nous quai aver vergoigna : (ms. non vos)
)) Fols es qui de sos pars si lueigna,
» Ni vol mudar per bella pluma
» Son usage ni sa costuma.
1 5 » Mas con que aias faig vostr' afar,
)) Nos nous podem desamparar. »
Lo proverbi fag per semblant
Dis e mostra per azenant,
Que neguns homs de bas afar
20 Non deuria trop aut puiar.
Ni penre luec que non 1' escas,
C'om dis : qui aut pueia bas cas.
Ben es doncs fols qui vol aver
Mais d'onor e mais de poder
2 5 Que non li porta sa natura
Ni [non] li consent sa ventura :
Ben es doncs razons que mescap
Aquo pauc que dir ni far sap. (m5. saup)
E cel que nos ten per pagat
30 Del don que Dieu li a donat,
Lo deu ben perdre per razon
Si con lo corp fes, que perdet
Las plumas qu'ai paon emblet.
3 5 Uns mulatiers .j. vegada
Menava corrent per l'estrada
Una mula que destregnia
Tant fort que esteigner la volia.
El mosca vi la mula corre
40 E venc al mulatier acorre,
Mot fort menassant he brugent,
(ms. qi)
294 MÉLANGES
R trais son agullon pognent,
F, pois fort la mula detras.
Pic Rajna.
LES JOURS D'EMPRUNT.
Fr. Mistral fait allusion dans Mireille ' à une croyance populaire qu'il
fait connaître dans les termes suivants :
Les paysans du Midi ont remarqué que les trois derniers jours de février et
les trois premiers de mars amènent presque toujours une recrudescence de froid,
et voici comme leur imagination poétique explique cela :
Une vieille gardait une fois ses brebis. C'était à la fm du mois de lévrier, qui,
cette année là, n'avait pas été rigoureux. La Vieille, se croyant échappée à
l'hiver, se permit de narguer Février de la manière suivante :
Adieu, Febriê ! 'mé ta fcbrerado
M'as fait ni phi ni pdado !
« Adieu, F'évrier ! Avec ta gelée tu ne m'as fait ni peau ni pelée ! «
La raillerie de la Vieille courrouce Février, qui va trouver Mars : « Mars !
» rends-moi un service! — Deux, s'il le faut! » répond l'obligeant voisin. —
« Prête-moi trois jours, et trois que j'en ai, je lui ferai peaux et pelées ! »
Prcsto-me lèii très jour, et très que n'ai,
Peu e pelado ie farai.
Aussitôt se leva un temps affreux : le verglas tua l'herbe des champs ; toutes
les brebis de la Vieille moururent, et la Vieille, disent les paysans, regimbait,
reguignavo. Depuis lors, cette période tempétueuse porte le nom de Reguignado
de ta Viéio, ruade de la Vieille. (Notes du ch. VI.)
Quand la Vieille eut perdu son troupeau de brebis^ elle acheta des vaches ; et
arrivée sans encombre à la fin du mois de mars, elle dit imprudemment :
En cscapant de Mars e de Marseu
Ai escapa mi vaco e mi vedeu.
Mars, blessé du propos, va sur-le-champ trouver Avril :
Abrieuj n'ai plus ijue très jour : presto-me n'en quatre,
Li vaco de la Viéio faren batre !
Avril consentit au prêt... ; une tardive et terrible gelée brouït toute végéta-
tion, et la pauvre Vieille perdit encore son troupeau. {Notes du ch. VII.)
Par suite, les trois derniers jours de mars et les quatre premiers d'avril
sont appelés « les jours de la Vache, « li Vaqueiriéu. J'ignore si ce récit
populaire a été l'objet d'aucune recherche. Je laisse aux savants le soin
I . Eiça quand la Vièio encagnado
Mando à Febrié sa reguignado.
(Ch. VI ; 3« édit., p. 244.)
E li jour nègre de la Vaco.
(Ch. VII; p. 288.)
LES JOURS d'emprunt 295
de déterminer sa valeur mythologique, et je me contente de réunir ici
les versions diverses que le hasard de mes lectures m'a fait rencontrer.
Tout d'abord je donnerai place à un récit que je n'ai point trouvé par
hasard, mais qui m'a été envoyé par notre collaborateur M. Cornu. Voici
ce que m'écrit M. Cornu à la date du 25 février dernier :
u ... Je viens de trouver à Montbovon (Fribourg) la superstition dont vous me
parlez. J'ai lu à mon retour de la Gruyère les passages de Mireio que vous
m'avez indiqués, et, si j'ai bonne souvenance, ma version renferme quelques
divergences. La voici comme je l'ai entendue de la bouche des paysans.
Lei y avey una vîlië që 11 eçey a non Rùlldn. Ll avey una txîvra e on
tsëvry. Ll eçey û mey de ma. La vîllë n'avey ren mê de fen. Fajey bî
ten : l'erba crexey. La vîllë 11 a de û mey de ma : « A ! A ! Ma, ma
» txîvra e mon tsëvri xon envernâ ! » Ma ley rexpôn :
Trë dza de ma e trë dza d'avri
Faran creva ta txîvra e ton tsëvri.
Xù xen Uë vûnù le pë ten e la ney që la pûra ville lei y a fallu alâ
per le bû tsertxî dû de e dû tëri por pûyey xôvâ xa txîvra e xon tsëvri ' .
Quand le printemps est mauvais, et qu'il y a disette de loin, on dit prover-
bialement : Le dza a la vîllë xon pd oncô paxd (les jours de la vieille ne sont pas
encore passés). »
En Provence, d'après le récit que nous a fourni l'auteur de Mireille
la mésaventure de la vieille se reproduit deux fois, en mars et en avril. Ici
elle n'a lieu qu'une fois. Pour le reste le fonds est le même. Même fonds
encore dans la rédaction andalouse que j'emprunte aux Cuentos y poesias
populares andaliices de Fernan Caballero ^ ; seulement l'histoire a été un
peu dramatisée : c'est un pâtre et non plus une vieille ; et comme les
troupeaux jouent un rôle dans le récit, cette substitution a dû se pré-
senter naturellement. Puis ce pâtre avait promis un agneau [horrego] à
Mars, et c'est pour le punir d'avoir manqué à sa promesse, que Mars
emprunte quatre jours à Avril Tout cela paraît asser. arrangé.
Un pastor le dijo a Marzo que si se portaba bien, le regalaria un borrego.
i. Traduction : Il y avait une fois une vieille femme qui s'appelait Rullion.
Elle avait une chèvre et un chevreau. C'était au mois de Mars. La vieille n'avait
plus de foin. Il faisait beau temps : l'herbe croissait. Elle a dit au mois de Mars :
« Ah ! ah ! Mars, ma chèvre et mon chevreau n'ont plus à craindre l'hiver. »
Mars lui répond : « Trois jours de mars et trois jours d'avril feront crever ta
chèvre et ton chevreau. » Là-dessus est venu le mauvais temps et la neige, de
façon que la pauvre vieille a dû aller par les bois chercher des branches de sapin
et du lierre, afin de pouvoir sauver sa chèvre et son chevreau.
2. Le même récit est rapporté par le baron de Reinsberg-Dùringsfeld (mais sans
indication de provenance) dans son opuscule intitulé : Das Wdtcr in Spriclurort
(Leipzig, 1864) p. 97.
296 MÉLANGES
Marzo le prometiô hacerlo, y cumpliô portândose grandemente. Cuando ya se
iba saliendo, le pidiô el prometido borrego al pastor ; pero las ovejasy borregos
estaban tan hermosos que el pastor, considerando que solo quedaban très dias
de reinado a Marzo, se rechiflô y no se le quiso dar. — ^No quieres P le di|o
Marzo, pues no tengas cuidado :
Con très dias que me quedan
Y très que me preste mi compadre Abri!,
He de poner tus ovejas al parir.
E hiz6 por sels dias tan crudo temporal de agua y frio que se murieron todos
los borregos y las ovejas todas.
Enfin, notre conte a trouvé sa route jusqu'en Ecosse. J'en trouve la
preuve dans un ouvrage peu connu sur le continent, même des diplo-
matistes, à qui il s'adresse : le Medu<£vi Kalendarium de Hampson '. T. I,
p. 210-1, j'y lis ce qui suit :
Les trois derniers jours de Mars (ancien style) ont été appelés jours d'emprunt
(Borrowing Days or Borrowed Days). Comme ils sont d'ordinaire tempétueux,
nos ancêtres crurent trouver l'explication de ce fait, en supposant que Mars
empruntait à Avril, afin d'allonger son règne d'autant :
Mars emprunta à Avril
Trois jours et ils étaient mauvais*.
Les gens superstitieux s'abstiennent d'emprunter ou de prêter en aucun de
ces jours ; et si une personne voulait leur emprunter à cette date, ils suppose-
raient à cette personne l'intention d'employer l'objet emprunté pour quelque
sortilège contre le prêteur. Le D'' Jamieson cite à ce propos ces curieux vers :
« Mars dit à Avril : — je vois trois agneaux sur une hauteur ; — mais prê-
» tez-moi vos trois premiers jours, — et je m'engage à les faire mourir. — Le
» premier jour il y aura vent et pluie ; — le second jour, neige et grésil ; — le
» troisième il y aura une telle gelée, — que les oiseaux en seront collés aux
I) arbres. — Mais quand les trois jours empruntés furent écoulés, les trois stu-
» pides agneaux rentrèrent à la maison boiteux ". »
1. Voici le titre complet: Medii avi Kalendarium, or dates, charters and
customs of the Middle Ages, with Kaletidars from the tenth to the fifteenth
century, and an alphabetical digest of obsolète names of days : forming a glos-
sary of the dates of the Middle Ages; with tables and other aids for ascertaining
dates. By R. T. Hampson. London, Henry Kent Causton. S. d. [1841],
2 vol. in-8°.
2. Dans le texte, deux vers écossais :
March borrowit fra Averill
Three days, and they were ill.
5. Voici le texte :
March said to Aperill :
I see three hogs upon a hill ;
But lend your three first days to me,
And ni be bound to gar them die.
The first, it sali be wind and weet;
The next, it sali be snav/ and sleet;
LES JOURS d'emprunt 297
Parmi les habitants des Highiands, la même idée des jours d'emprunt est
communément admise, avec cette différence que les jours sont considérablement
anti-dates. Cfiez eux les Faiolteach, ou trois premiers jours de février, servent à
beaucoup d'objets pratiques. On dit que Février les emprunta de Janvier, après
l'avoir corrompu par le présent de trois jeunes moutons. Ces trois jours, selon
le calcul des Highiands, prennent place entre le 1 1 et le m février, et on con-
sidère que c'est un excellent pronostic pour le reste de l'année s'ils sont aussi
tempétueux que possible. S'ils sont beaux, on n'espère plus aucun beau temps
pendant le printemps*.
P. M.
P. S. — Ce qui précède était à l'imprimerie, lorsque j'ai eu connais-
sance d'une récente publication anglaise qui a beaucoup d'analogie avec
l'ouvrage de M. de Reinsberg-Dûringsfeld cité ci-dessus en note. Dans
le Handbook of Weather Folk-Lpre du Rév. C. Sv^rainson - sont rapportés
quelques uns des récits dont il a été question plus haut, à savoir ceux
de l'Ecosse (p. 51 aux 12, 13, 14 Février, et p. 65 aux 29, 30,
3 1 Mars), et celui de l'Andalousie, qui est donné d'après M, de Reins-
berg-Dûringsfeld. J'y trouve encore ces lignes béarnaises :
Un homme riche dit le 30 mars :
Mars et Marsilloun que passât,
Ni braou ' ni baque non m'en a constat.
Mars dit alors à Avril :
Abnou, preste m'en un, preste m'en dus, preste m'en très; e un qu'en é que haran
qnouate; toutos lac haram espernobate.
M. Swainson attribue ce dicton aux Hautes-Pyrénées. Il le fait suivre
d'une traduction française dont il n'indique pas la provenance, et qui se
termine ainsi : « Et un que j'en ai ça fera quatre, et nous mettrons tout
son bétail aux abois. )> Je soupçonne que le dernier mot du texte est
fautif.
Enfin je trouve encore dans le même recueil (p. ^4) ce dicton
milanais qui peut bien, comme le suppose M. Swainson, avoir quelque
rapport avec les jours d'emprunt :
Marx l'a comprà el tabar a sa papa,
E dopo tri di el ghe l'a impegna.
« Mars acheta un manteau à son père, et trois jours après le mit en gage. »
The third, it sali be sic a freeze,
Sali gar the birds stick to the trees.
But when the borrowed days were gane,
The three silly hogs came hirplin hame.
1. Grant, Superstitions of the Highlandcrs, 11, 217; Jamieson, Suppl., art.
Borrowing Days.
2. Swainson, A Handbook of Wcathcr Folk-Lorc, being a Collection of Pro-
verbial Sayings in vanous Languages, relaling to the Weather. Edinburgh and
London, Blackwood, 1875. — In-i2,x-275 p.
3. Taureau.
CORRECTIONS
LES LETTRES SATIRIQUES DE DIEGO HURTADO
DE MENDOZA.
Le célèbre ambassadeur de Charles-Quint, l'auteur de la Guerre de
Grenade et du Lazarillo de Tormes, a écrit, sous le pseudonyme de :
El bachiller de Arcadia, deux lettres qui peuvent passer pour ce que
l'Espagne a produit de plus heureux dans le genre de la satire littéraire.
L'auteur s'adresse à Pedro de Salazar et persifle un commentaire de ce
dernier sur la déroute que Charles-Quint fit éprouver aux Saxons. Les
traducteurs espagnols de Ticknor (Ticknor-Julius, II, 759) ont montré
que ce commentaire n'est pas la Historia de la guerra que Carlos V...
moviô contra las principes y ciudades reheldes del regno de Alemania, im-
primé à Naples, 1 548, f", et l'on n'a pas retrouvé jusqu'ici le livre de
Salazar qui a été le but des railleries de Mendoza. Mais cela n'empêche
pas de goûter la satire en elle-même, car son auteur s'attaque non pas
tant à la personne de Salazar qu'à sa manière d'écrire et de raconter
qui était celle de beaucoup d'écrivains de son époque. La première lettre
de Mendoza a été publiée : 1° dans le tome XXIV du Semanario erudito
de 1789; 2° dans la Bibl. de aut. esp. de Rivadeneyra, t. XXXVI, par
Adolfo de Castro; 5° dans la Bib. de escrit. granadinos, t. I. Ces trois
éditions proviennent certainement d'un seul ms. M. Mussafia (Ueher eine
spanische Handschrift der Wiener Hofbibliotek, Wien 1 867) a en outre
donné quelques variantes à ce texte, tirées du ms. de Vienne, n'^' ^,941 .
Mais une œuvre de ce genre, dont le charme réside presque autant dans
l'expression que dans les idées, ne saurait être vraiment appréciée que
si le texte en est parfaitement correct : or, il reste à le purger de cer-
taines fautes qui le déparent ; aussi avons-nous pensé qu'il ne serait pas
sans intérêt de donner ici les variantes les plus importantes d'une copie
de cette lettre contenue dans le ms. de la Bibl. nat. esp., 258, f" 235-
249t. Ce ms. d'une belle écriture du xviii*^ siècle contient, outre
plusieurs lettres en prose de Mendoza, un certain nombre de poésies
inédites que nous publierons prochainement. Nous comparons le ms. de
SUR LES LETTRES SATIRIQUES DE MENDOZA 299
Paris (P) au texte de Adolfo de Castro (C) en tenant compte des va-
riantes du ms. de Vienne (M).
2. C lafama recuerdo gênerai del mundo ha llegado a esta corte, cargada
de las victorias, etc. — P intercale de Roma après corte.
]. C y pensando (la Renomée) pasarlo como doblon de plomo, vino tam-
bien cargada con un libro vuestro, etc. — P v pensando pasallo embuelto
entre ellas (les victoires) como doblon de plomo, etc., ce qui est beaucoup
plus clair.
15. C se lian metido (les critiques) igualmente en las necedades de otros,
hablando con perdon de vuestra merced, etc. — P an metido la lengua...
y, hablando con perdon, en las de Vm. Il faut évidemment en las, car
sans cela Mendoza n'aurait pas eu à s'excuser.
91. P est d'accord avec C pour ne pas donner le second membre de
phrase qui se trouve dans M : y si veia lo que hacian delante à viva
fuerza, etc.
100. El Emperador es jiisto principe y hombre de conciencia, porqué os
habia de negar un espaldarazo, etc. — P après conciencia intercale : y si
dignus est mercenarius mercede sua.
103. P mas menester avec M au lieu de : merecido mas que donne C.
125. Cuanto mas vos, que, demas de ser quien sois, estais encarnizado
en higadillos de tudescos, que deben saber 0 sacar tonadas de cômo todo lo
componen d estocadas ; mas quien no fuera entonces valiente, etc. .'' — Les
moX% sacar tonadas r[^or\x. aucun sens; la leçon de P est assurément la
bonne : que deven de saveros à carbonadas con vino; mas quien, etc.
i<f'i. Salgan, cuerpo demi, estos petracristas y estos coronistas, etc. —
P intercale après petracristas i petrarquistas') : estos boscanistas.
159. C â riesgo de que os cargasen de sâtiras. — P est d'accord avec
M pour donner : à riesgo de que os cargasen de lena como le cargaron a el,
mais il lui manque : como el asno de Isopo, et il a comme C : nuestro
amo p. vuestro a.
170-172. Juvejas... juveja n'est pas un mol castillan; il faut lire avec
P javejas... javeja, grand filet.
191. Peor hizo el conde don JuUan que vendiô â su patria. P san Julian
que mata a su padre y a su madré avec M.
195. Porque, es gran cosa vivir los hombres de industria. il faut, si
l'on veut garder cette leçon, mettre un point d'interrogation. On peut
aussi lire avec P que no es cosa nueva vivir, etc.
21^. « Si Salazar no vale un maravedi para trompeta del Duque, valdrd
para cronista extravagante. » P ajoute : o para dobladura como haca de
cavallo ligero.
260. Y sera menester que si la excelentisima Duquesa quisiere, por descn-
fadarse, leer en vuestro libro, tcnga un Calepino delante que lo construya 6
JOO CORRECTIONS
interprète y déclare. — P. ajoute : pues Vm., scnor, no sois ahora de los
soldados viejos, digo como las espadas del Cornadillo.
i6j[. Casa. — P M cava, qui est la seule leçon possible, comme l'a
montré M. Mussafia.
266. Mendoza reproche à Salazar l'emploi de mots italiens : Para (jué
decis... el caz y no el vado. Je ne sais s'il y a en italien un mot caz signi-
fiant : gué. Dans le doute je préfère lire avec P : esguaço sguazzo) y no
vado.
3^0. Pareçeos amigo... que sabria decir « la razon de la razon que tan
sin razon por razon tengo » para alabar vuestro libro. — P por raçon de ser
vuestro tengo, para alabar vuestro libro et il ajoute : mife,hermano Salazar,
todo esta em bentura; a fa que te dica bono, -> dizen aqui, qu'es lengua de
mi îierra, como si dixesemos : mas vale buena bentura que mala ganancia.
358. Veis alii el obispo de Mondohedo... que no hay quien no le célèbre,
etc. — P que no ay perro que [no] llegue à olerle et il ajoute : veis a
Feliciano de Silva que en toda su yida [no\ salio mas lejos que de Ciudad
Rodrigo a Valladolid, criado siempre entre Darida y Garaya, metido en la
torre del universo adonde estuvo encantado, segun que dize su libro, diez y
siete anos. A ' Dios padre, que tuvieron de comer y aun de cenar y vos que
aveis andado no teneis ni aun de almorçar y es menester que os andeis d
inmortaliçar los hombres... pero « estate de bona voila »_, que quiere decir, ne
se os dé dos cagajones, parque para Vm., etc.
358. Su magestad os quiere dar el habita de Santiago, sin que tomeis el
trabajo de probanzas, en recompensa de lo que haveis servida. — P ajoute:
y para enmienda del dano que recibistes quando os pusistes la cruz de San
Juan, pues es verdad que parecera mal el umilladera sabre el monte de brocado
que soleis traher, casa séria de ver, que quanda le dia lareynacatholica, etc.
391. No hay habita tan mala ni tan peligrosa opilacion coma la de las
donaires, las cuales tienen estrecho parentesca con ciertos desahagos de la
naturaleza, etc. — P v en esta tienen estrecho parentesco con los pedos,
salva la barba de Vm., los quales en quiriendo salir, etc.
La seconde lettre de Mendoza qui se présente comme une réponse de
Salazar à son critique {Respuesta del capitan Salazar al Bachiller de Arca-
dia), est également contenue dans P, f" 24Ç)b-26^b. M. Mussafia l'a pu-
bliée d'après le même ms. de Vienne (1. c, p. i lo ss.) en donnant les
variantes du ms. de Madrid, Bibl. nac, G 139. Le savant éditeur qui
n'avait que ces deux copies assez incorrectes à sa disposition n'a pas pu
arriver partout à la bonne leçon. Nous remarquons tout d'abord, pour
ne pas multiplier les citations, que P est en général d'accord avec le ms.
de Madrid (G) contre M.
9. Y si quisiere parfiar con sus agudezas, camo suele, que por ser vencido
SUR LES LETTRES SATIRIQUES DE MENDOZA ^1
merece mas que por ser vencidor, etc. — P intercale avec raison après
como suele : y si dixere que antes por ser, etc.
30. Estamos buenos de ducientos coronistas... que no tenemos un pan que
corner. — P mieux : bonicos duzientos, etc.
56. M habia y a comenzado d escribir... y un traîo dello de las causas —
— G un tradillo de las cosas. — P seul a la bonne leçon : îratadillo.
164. Conociendo claramente que de pura envidia no liabian de decir,
viendo mi libro ni del de otros, etc., n'a aucun sens. — P que se conoce
claramente que d. p. e. nunca diran bien de mi libro, etc.
18^. Trampa, lisez avec P trompa.
1 87. Pero si no es verdad no es mas fria que las leyes de Platon ya quere.
Replicar tantas vezes al emperador... que gravedad tiene, etc. — Les mots
ya quere ne donnent pas de sens, il faut rétablir avec P : y aquel repli
car, etc.
194. Aceîibar. — P mieux : agetibar.
197. Les mots qui manquent dans M G sont d'après P : passar ade-
lante sobre esto.
229. M Veis aqui aniquilados y escurecidos todos los silogismos de mis
contrarios. — G Veis aqui cazados. — La vraie leçon est donnée par
P : cagados.
243 [el Cid) despues se muerto. — Lisez : de muerto avec P.
259. Lite. Lisez : litera avec P.
287. Abjones. Lisez de même abejones.
Le troisième texte en prose de notre ms. est la Carta de D. D° de los
cata-riveras (f° iGi^b-i-j'èb) qui est également contenue dans le ms. de
Vienne (voy. Mussafia, p. io2j avec le titre plus explicite de : Carta
sobre lo que pasan los catarriberas y otras personas pretendientes oficios en
cories. Cette satire, longtemps attribuée à Mendoza, a été restituée par
Gallardo (dans son Criticon, 1835, n" 3) à son véritable auteur, c'est-
à-dire Eugenio de Salazar, le fils de Pedro de Salazar, l'adversaire de
Mendoza. Les lettres de Eugenio de Salazar ont été publiées récemment
par M. de Gayangos {Carias de Eugenio de Salazar... escritas à muy par-
ticalares amigos suyos, etc. Madrid, Rivadeneyra, 1866. Voy. Revue cri-
tique, 1866, art. 163J d'après le ms. autographe; il n'y a donc pas
d'intérêt à noter les variantes de notre ms.; nous remarquerons seule-
ment que P concorde avec M dans la manière dont il développe la fin
delà lettre. Voici le passage (cf. Mussafia, p. 103) : Hecha tengo mi
cuentd que si la moneda llega a podernic sustentar otro mes, esperarla lie,
pero si passa de alli, con el quai se cumpliran seis de mi asistençia en esta
corte sin ser empleado, determinado estoy de bolberme a mi casa, porque me
pareçe que rasîara ser medio ano necio y ya que en este îicmpo no fuere
^02 CORRECTIONS
proveydo, sera J lo menos cosa averiguada cjue Itiré bien despachado.
No nuis.
On lit au f" zjSb-zSo : la Carta de D. Diego al cardcnal Spinosa qui
a été publiée par les traducteurs espagnols de Ticknor (voy. Ticknor-
Julius, H, 756 ss.). Cette lettre fut écrite par Mendoza à l'occasion d'une
scène violente qui se passa à la cour de Philippe II. Mendoza, insulté
par un gentilhomme, lui avait arraché son poignard et l'avait assez
malmené; dans cette lettre il s'excuse en invoquant un grand nombre de
précédents. La version de notre ms. est par endroits si abrégée qu'elle
rend très-difficile l'intelligence du texte, qui est clair et correct dans
Ticknor. Le ms. 2 5 8 se termine enfm par une lettre politique de Mendoza
adressée à Philippe II (f" 280/^-283/0.
Les lettres officielles ou politiques de Mendoza, dont il existe des col-
lections importantes aux bibliothèques nationale et de l'Académie de
l'histoire de Madrid, n'ont point encore, à notre connaissance, trouvé
d'éditeur. Leur importance n'a pas échappé à M. Ranke qui, dans son
histoire de Paul III [Dicrdmischen Pàpste, I, p. 1 56 ss.), a utilisé une
partie de la correspondance diplomatique de notre auteur. Au point de
vue littéraire, s'il faut en juger par la lettre de notre ms. et par une sorte
de mémorial adressé à Charles-Quint (publié par Adolfo de Castro, El
Buscapié de Cervantes tercera éd. Cadix, 1850, p. 52), cette partie de
l'œuvre de Mendoça ne pourra rien enlever à sa réputation d'écrivain
de premier ordre ' .
Alfred Morel-Fatio.
1. Le ms. de la Bibl. nat. fr. ^107 contenait autrefois (f° 1327) un «Extrait
d'un recueil de lettres escrites à l'empereur Charles V par dom Diego de Men-
doza, son ambassadeur à Rome, durant le pontificat de Paul III, 1 547, 1 548 »;
mais il ne reste plus aujourd'hui de ce texte que le premier feuillet qui porte le
titre que nous avons transcrit, les autres ont été coupés.
COMPTES-RENDUS
Gedichte der Troubadours, in provenzalischer Sprache. Zum ersten Mahl
und treu nach den Handschriften herausgegeben, und mit kritischen Anmer-
kungen versehen, von C. A. F. Mahx, D'. Berlin, Duemmler. Petit in-8'.
— I, i8$6, vi-240 p. — II, 1856, 1857, 1862, viii-240 p. (cinq livraisons).
— III, 1865-4, iv-240 p. (trois livraisons). — IV, 1865-73, viij-280 p.
(trois livrais. )-
M. le D"" Mahn a publié il y a quelques mois le troisième et dernier fas-
cicule du t. IV de ses Gedichte der Troubadours. Est-ce la fin du recueil? On peut
le croire : toutefois rien ne l'assure. Dans les publications de M. Mahn tout est
en dehors des règles ordinaires. La dernière page pourrait aussi bien être la
première, et réciproquement, sans que le plan de l'auteur en parût modifié :
l'ordre même selon lequel se succèdent les volumes est indépendant de leur
tomaison; tout enfin dans ce recueil échappe aux prévisions.
Le recueil lui-même a jusqu'à présent échappé au contrôle. Du moins n'en
ai-je jamais vu nulle part aucun compte-rendu. Est-ce embarras d'aborder une
publication qu'on ne sait par quel bout prendre? Est-ce dédain? Je ne sais ;
peut-être est-ce aussi le désagrément d'avoir affaire à un auteur qui dans l'une
de ses préfaces Scelle du tome II des Gedichte) s'exprime ainsi : « Les notes
» paraîtront en volumes séparés après l'achèvement de l'édition ou peut-être
)) avant. Jusque-là je prie instamment messieurs les critiques de s'abstenir de
t) toutes remarques ou conjectures sur les textes, car je sais ce qu'ils ont à
» me dire aussi bien, et dans beaucoup de cas mieux encore peut-être et
)> plus complètement qu'eux-mêmes. S'ils ne peuvent résister à une déman-
« geaison de produire des critiques inopportunes, et si faciles en beaucoup de
» cas à réduire au silence, c'est à eux seuls qu'ils doivent s'en prendre si je ne
» lis pas leurs critiques, etc., etc. »
Si M. Mahn sait tout ce que les critiques ont à lui dire, il en sait long; et
s'il en sait si long, pourquoi le laisse-t-il si peu voir? Puis M. M. se gendarme
un peu tôt contre la prétention qu'on pourrait avoir de lui en remontrer. Il est
dominé par cette illusion singulière que la critique n'aurait d'autre but que de
l'éclairer. Éclairer M. M. serait certainement un objet désirable, mais éclairer
le lecteur est aussi un but qu'il n'est pas défendu à la critique de se proposer.
C'est celui auquel tend le présent compte-rendu, qui n'aspire aucunement à
l'honneur d'être lu par M. Mahn,
Mais tout d'abord il convient de donner au lecteur une idée des publications
provençales de M. M. et de leur succession. Ce n'est pas chose facile, et les
commis de librairie qui savent trouver l'arrangement de tous ces petits cahiers
ont là une spécialité rare, sinon bien utile.
Les publications dont s'agit se divisent essentiellement en deux séries, qui se
subdivisent à leur tour. Ces deux séries sont les Werke der Troubadours et les
^04 COMPTES-RENDUS
Gedichte dcr Troubadours. On y peut joindre deux fascicules indépendants publiés
l'un en 1853 : Du Btographiecn dcr Troubadours (iv-^8 p.), l'autre en 1871 :
Commcntar und Glossar zu den Werkm und Gedichten dtr Troubadours {]i p.).
C'est l'explication mot à mot d'un petit nombre de biographies et de poésies
de troubadours; quelque chose de comparable aux traductions interlinéaires
dont font trop souvent usage les aspirants au baccalauréat.
La série des Wtrkc s'est formée ainsi qu'il suit.
En 1846 M. Mahn en publia un premier volume contenant la réimpression
des poésies (déjà publiées par Raynouard ou Rochegude) de 20 des plus anciens
troubadours. L'ordre adopté était conforme à la succession chronologique des
poètes telle qu'elle est présentée dans les Lcbcn und Wcrkt dtr Troubadours de
Diez. C'était assez intelligent. — En 1853 M. Mahn publia un quatrième
volume contenant les poésies à très-peu de chose près complètes de l'un des
plus récents troubadours, de Guiraut Riquier. L'édition, assez bonne pour le
temps où elle parut, avait été préparée par le D'' Pfaff, qui, croyons-nous, n'a
fait aucune autre publication provençale. M. Mahn ne mit rien de lui dans cette
édition, sinon une courte préface. C'était fort intelligent. — De 1855 à i86j
ont paru quatre fascicules formant le tome II des Wcrkc, et contenant les poé-
sies de Peirol, de Guill. de Saint-Didier, du moine de Montaudon, d'Arnaut
Daniel, de Gaucelm Faidit, de Raimon de Miraval, de Blacatz, de Savari de
Mauléon, d'Ugo de Saint-Cire, d'Aimeric de Pegulhan, de P. Cardinal et
de Sordel. Cette fois les pièces ne sont point publiées uniquement d'après les
éditions antérieures comme dans le premier volume, ni uniquement d'après les mss.
comme dans le quatrième, mais d'après les éditions et les mss. C'est du moins
ce qu'annonce le titre : j'avoue que je ne me suis jamais bien rendu compte de la
méthode selon laquelle l'éditeur avait combiné, pour ce second volume, les éditions
et les manuscrits. Nous avons donc jusqu'à présent des Werke les tomes I, II
et IVj chaque volume étant composé selon un plan particulier.
Aux Werke der Troubadours se rattache, avec une tomaison à part, l'édition
de G'irart de Roussillon dont M. C. Hofmann a publié les trois premières livraisons
en 1855 et 1857. Le titre est toujours Die Werke d. Troub.; le sous titre est
ainsi conçu : Epischc Abtheilung, Girartz de Rossilho. Le premier volume de cette
« division épique » n'est pas complet, puisque l'introduction, les notes et le
glossaire annoncés par M. Hofmann, n'ont pas encore paru. Paraîtront-ils jamais?
Il faut dire que la publication tardive de ces compléments de l'édition n'aurait plus
maintenant qu'un faible intérêt. L'édition de M. Hofmann est la reproduction
du ms. de Paris; or il est, je crois, maintenant établi que ce ms. contient une
leçon remaniée, la leçon la plus pure étant celle du ms. d'Oxford. D'autre part,
même comme reproduction pure et simple du ms. de Paris, cette édition, bien
que très-supérieure à celle de M. Fr. Michel, n'est cependant pas toujours exacte.
Les fautes de lecture n'y sont pas rares^ et les corrections faites à la leçon
du ms. ne sont pas toutes heureuses^
I. Ce qui est singulier c'est qu'en certains endroits (par ex. p. s s à diverses reprises)
l'éditeur a fait évidemment usage du manuscrit de Londres. Sans doute M. Hofmann se
serait expliqué à cet égard dans ses notes, s'il les avait publiées, mais il aurait eu bien de
la peine à justifier l'emploi tout à fait arbitraire et accidentel qu'il a fait de ce ms.
MAHN, Gedichte der Troubadours 305
Pénétrons dans les Gedichte der Troubadours.
Si nous voulions chicaner, nous pourrions discuter la propriété de ces deux
titres appliqués à la même matière : d'une part « Œuvres des Troubadours » et
d'autre part « Poésies des Troubadours «. Les œuvres des troubadours, ce
sont leurs poésies, et réciproquement. Mais nous ne nous arrêtons pas à ces
minuties. Dans le recueil qu'il a intitulé Gedichte der Troubadours, l'intention de
l'éditeur a été de fournir des matériaux à une future édition des troubadours,
en reproduisant exactement, sans correction d'aucun genre, les diverses leçons
que les manuscrits nous ont conservées de ces poésies. C'est un travail prépara-
toire dont l'utilité ne saurait être contestée. Déterminer, entre tant de variantes,
la leçon authentique des poésies des troubadours est une des œuvres les plus
difficiles que la critique se soit jamais proposées; et il est de toute évidence que
le travail épineux du classement de ces variantes sera devenu matériellement
plus aisé le jour oià le philologue aura sous sa main, dans son cabinet, d'exactes
reproductions des principaux chansonniers. C'est de même qu'une édition critique
du Nouveau Testament n'est devenue possible qu'après que les plus anciens mss.
eurent été reproduits, soit en fac-similé, soit en des éditions qui sont des copies
littérales. C'est ainsi encore qu'une société s'est formée en Angleterre pour faire
imprimer les principaux mss. des œuvres de Chaucer, afin de fournir des
bases solides à la critique du texte de ce poète. Pour toute personne ayant tant
soit peu l'expérience des travaux de ce genre, ou éclairée par les lumières du
simple bon sens, la publication des mss. des troubadours ne pouvait être faite
que selon l'un de ces deux plans: ou bien éditer ces mss. l'un après l'autre,
ou bien éditer chaque pièce selon chacune des leçons qu'on en possède. Le pre-
mier de ces deux systèmes était le plus simple, et à l'aide de tables bien conçues
oneiît pu rapprocher aisément les diverses leçons d'une même pièce. M. M. a trouvé
le moyen d'adopter successivement des plans différents, et finalement de n'en plus
suivre aucun. Et comme les tables jointes à chaque volume n'indiquent que les
noms des auteurs, et d'ailleurs ne sont point rédigées selon un système uniforme,
il en résulte que les Gedichte der Troubadours présentent l'image du désordre le
plus complet qui se puisse imaginer. On en jugera par ce rapide exposé de la
composition du premier volume. Les 108 premières pièces sont rangées par ordre
alphabétique du premier mot : la pièce 1 commence par Abanz, et la pièce 108
par Vas. Cet ordre est du reste établi d'une façon peu intelligente, car on voit
figurer sous les numéros 44 et 88-90 des pièces commençant par le même mot,
Cant\ la seule différence étant qu'au n" 44 ce mot est écrit par c, tandis qu'il
est écrit par ^ aux numéros 88-90. Les pièces 109 a 112, 113 à 130, 151 à
152, forment autant de petites séries alphabétiques, sans qu'on puisse démêler
d'ailleurs aucune intention dans le choix des pièces. Sous les numéros 1 57 à
179 l'éditeur paraît avoir cherché à former une petite collection de poésies de
Guillem de Berga et du comte de Poitiers. Puis vient sous les numéros 180 à
241 une nouvelle série alphabétique d'A à D, composée de pièces tirées du ms.
8 56 de la Bibl. nationale. On est assez surpris d'y voir (n° 200) figurer le début des
Auzels cassadors de Daude de Pradas; ce morceau n'est pas tiré du ms. 8^6
comme ses voisins, et c'est, non le premier vers, mais la rubrique {Aissi comcnsa...)
qui lui a valu son rang dans la série alphabétique. Les numéros 243 à 27^ pré-
Romania,Ill ^0
306 COMPTES-RENDUS
sentent une série d'extraits du chansonnier Douce (Oxford); les pièces 276 à
297 sont tirées du chansonnier Mac-Carthy (Cheltenham). Vient ensuite 'n- 298)
une tenson tirée du ms. B. N. 854; et le volume est terminé par deux extraits
du Brcviari d'amors (n» 299) et du Girart de Roussillon d'Oxford (n" 300).
Les volumes suivants présentent un arrangement non moins varié. Dans tout
ce désordre l'éditeur lui-même se perd, et il lui arrive d'imprimer deux fois la
môme chose. Ainsi une pifce de P. Cardinal est publiée d'après le m^me manus-
crit (le chansonnier La Vallière) une première fois au numéro 1237 et une
seconde au numéro 1255.
Ce n'est pas seulement dans la disposition des textes publiés que se manifeste
l'absence de tout esprit de suite, c'est aussi dans la façon même dont sont édités
les textes. L'uniformité consiste uniquement, dans tout ce recueil, en ceci que
les vers sont imprimés à longues lignes, disposition typographique qui a été
adoptée en raison de l'économie qu'elle procure, et qui est d'ailleurs conforme à
l'usage des chansonniers manuscrits. Ce n'est pas là ce qu'il faut blâmer. Ce
qu'il faut regretter c'est qu'à part cette uniformité tout extérieure il n'y ait dans
la collection de M. Mahn aucune unité. Tantôt les folios ou pages des manus-
crits sont indiqués, tantôt ils ne le sont pas; et cela dans un même volume.
Parfois l'éditeur oublie absolument de nous faire connaître le ms. qu'il a suivi
(n° 1 )<)). D'autres fois au contraire, il indique deux ou trois manuscrits, de telle
sorte qu'on ne sait pas lequel il a suivi (numéros 1 53 ',956, etc.). Souvent nous
voyons la même pièce publiée plusieurs fois de suite d'après différents manus-
crits, mais il arrive aussi que les variantes sont intercalées dans le texte même
entre parenthèses (170, 171, 175-8, etc.). Lorsque les variantes de deux mss.
sont ainsi placées entre parenthèses, il est impossible de distinguer les unes des
autres. Ainsi la pièce 698 est publiée d'après le manuscrit La Vallière, et entre
parenthèses sont données les variantes des manuscrits 854 et 856, sans qu'aucun
signe permette de reconnaître quelles d'entre elles appartiennent à 854 et
quelles autres à 856. Ce cas se leprésente mainte fois.
Le texte de chacune des livraisons annonce des notes critiques. Le premier
volume en effet se termine par 8 pages de notes de tout genre qui se rapportent
aux pièces i à 1 5. Il semble donc que nous ayons là le début d'un commentaire
destiné à se poursuivre dans les livraisons suivantes. Mais il n'en est rien : il
semble même que l'éditeur ait été résolu, dès le temps oij il imprimait ces
pages, à ne point en imprimer davantage, car çà et là, dans le même volume,
nous voyons apparaître des annotations qu'il eût été naturel de réserver pour la
suite du commentaire. Ces annotations sont placées tantôt à la fin des pièces, tantôt
dans le texte entre crochets, comme si l'éditeur avait résolu de ne pas manquer une
occasion de se montrer inconséquent avec lui-même. Du reste, la rareté de ces
notes n'est pas à regretter, car elles ont en général bien peu de valeur.
Il est inutile de démontrer plus longuement que ce recueil n'a été nullement
dirigé : ce serait perdre une place que nous pouvons mieux employer. Je me
résume en disant que M. Mahn n'a fait autre chose qu'envoyer à l'impression,
i .Le deuxième n" 153, car il y en a deux (t. I, p. 92-5) sous lesquels sontpubliées deux
pièces distinctes. Naturellement l'éditeur n'a pas eu l'idée de donner un bis au second de
ces deux numéros.
MAHN, Gedichîe der Troubadours 307
sans même les revoir, des copies exécutées sans aucun plan. Toute sa peine a
dû se borner à revoir (et à revoir très-mal) les épreuves de l'ouvrage^ et à
écrire des préfaces dont le lecteur a pu apprécier le ton par les échantillons que
j'en ai rapportés.
Mais si le recueil lui-même n'a aucune valeur comme ensemble, peut-on dire au
moins que les morceaux en soient bons? Quelquefois oui, le plus souvent non.
Tout d'abord il faut considérer comme nulles et non avenues quantité de
pièces qui grossissent sans profit les Cedichte, puisqu'au moment où M. Mahn
les faisait paraître on en avait des éditions ou semblables ou même meilleures.
Ainsi dans un fascicule daté de 1864 sont reproduites (numéros 1006, 1033)
diverses pièces publiées en 1856 par M. Bartsch dans ses Dmkmaler. C'est le
même manuscrit (il n'y en a qu'un pour les pièces en question) qui a servi à
M. Bartsch et à M. Mahn. La réimpression faite par ce dernier était donc
inutile'. De même une trentaine de pièces de P. Vidal, B. de Ventadour, F.
de Marseille et Peirol, imprimées en 1856 dans le tome I des Gedichîe (numéros
244 à 271) d'après le chansonnier Douce, avaient paru dès 1853 dans les
Ungedriickte provenzaliche Lieder de M. Delius. Il est même évident que c'est d'a-
près la copie de M. Delius que M. Mahn a exécuté sa réimpression^. C'est ainsi
encore qu'un très-grand nombre des pièces publiées d'après des mss. d'Italie
avaient déjà été éditées par M. Grùzmacher dans l'Archiv fur das Studium der
neueren Sprachen. Sur ces faits M. M. garde un silence complet, et a l'air par
conséquent de donner comme inédites des pièces qu'il savait fort bien ne l'être plus.
On voit combien la valeur des Cedichte est diminuée tant par ces doubles
emplois que par l'absolu défaut de plan que j'ai signalé. Ce qui réduit encore
l'utilité de ce recueil, c'est l'imperfection des copies dont il se compose. Le but
était pourtant facilement accessible : les manuscrits des troubadours sont sou-
vent très-incorrects, mais ils sont très-lisiblement écrits. Or il n'était pas ques-
tion d'entreprendre sur ces textes un travail de restitution, il s'agissait simple-
ment de les reproduire fidèlement. C'est ce que promet le titre. Des connais-
sances élémentaires en paléographie et en provençal suffisaient pour obtenir ce
résultat modeste. Malheureusement l'éditeur a employé des copistes de mérite
très-variable. Certains ont été à la hauteur de leur tâche, et on rencontre des
séries de pièces fort correctement transcrites; mais d'autres ne savaient évidem-
ment rien en paléographie ni en provençal, et ont commis des fautes de lecture
presqu'à chaque vers. Cette inégalité a un fâcheux inconvénient. Comme M. M.
ne fait pas connaître ses collaborateurs, le lecteur ne sait jamais s'il a affaire
aux bons copistes ou aux mauvais, et bien souvent, dans sa perplexité, il est porté
à mettre sur le compte de l'édition des fautes qui appartiennent au manuscrit.
Je ne puis transcrire ici les nombreuses corrections que j'ai obtenues en colla-
1. Notons en passant que M. Mahn a mis une note à la pièce 1035, qui est Vensenha-
men de Guiraut de Cabreira. Cette note unique consiste à proposer chival ou caval au lieu
de tiual dans ces vers : De Rainoal — Ab lo tiual. M. M. aurait pu savoir en 1864 que
cette conjecture, dont il n'est pas l'auteur, n'a aucune valeur ; on avait dès lors proposé
la vraie restitution, à savoir tinal (anc. fr. tinel), cf. Jahrb. f. rom. lit., IV, 337.
2. Il y a pourtant entre le texte de M. Delius et celui de M. Mahn de légères différences
qui proviennent de ce que le premier de ces éditeurs a un peu modifié (et il a bien fait)
l'orthographe trop italienne du ms. Douce; ce que n'a pas fait M. Mahn. Ces différences
sont trop insignifiantes pour motiver une réimpression.
pH COMPTES-RENDUS
tionnant sur les manuscrits certaines parties des Gedichu ; ce serait donner à ce
compte-rendu une étendue hors de proportion avec la valeur de l'ouvrage. Je ne
puis cependant me dispenser de parler avec quelque détail de la dernière livrai-
son parue. Elle contient les pièces numérotées 1367 à 1440. Celles-ci sont
tirées, jusqu'au numéro 1429 inclusivement, du ms. B. N. 1592. Puis, sous les
numéros 14^0 à 1431 est placé un long morceau du Girart de Roussillon d'Ox-
ford, et la fin de la livraison est enfin complétée par neuf pièces tirées des manus-
crits B. N. 12474, 854, La Vall. 856, et Rie. 2814. Les poésies des trouba-
dours comprises dans cette livraison sont assez exactement copiées. Il faut dire
que le manuscrit 1 592, d'où elles sont presque toutes tirées, est fort bien écrit.
Je citerai toutefois un petit fait qui montrera combien toute cette publication est
peu surveillée. Il y a dans la pièce 1428 quatre mots en italique (dompna, Mon-
pcslicr, don Giiillcm). Pourquoi ces mots plutôt que d'autres, alors surtout que
les italiques sont réservées aux noms d'auteurs placés en tête de chaque pièce.?
M. Mahn serait sans doute fort en peine de le dire. La raison de ce fait insolite
est tout simplement que l'un des anciens possesseurs de ce ms. (Peiresc, je
crois) a eu l'idée de souligner ces quatre mots. Le copiste de M. Mahn les a
soulignés à son tour dans sa copie, l'imprimeur les a naturellement mis en ita-
lique, et l'éditeur a laissé passer cette bizarrerie comme tant d'autres.
Ce qu'il y a de plus important dans cette livraison c'est le morceau de Girart
de Roussillon. Il porte deu.x numéros parce qu'il a été copié par deux personnes,
M. Bœhmer pour une partie, M. Stengel pour l'autre. C'est .M. Mahn qui nous
l'apprend dans la préface qui est jointe à cette livraison des Gedichte. Le mor-
ceau ici publié s'étend du fol. 54 verso au fol. 164 v. 3 ; le ms. a 175 feuillets.
En outre M. M. communique dans sa préface un assez grand nombre de correc-
tions à la partie du G. de Roussillon antérieurement publiée dans les Gedichte
(numéros 300 et 401). Ces corrections sont dues à M. Stengel. Étonné de leur
grand nombre (et cependant M. Stengel n'a pas tout relevé) M. M. émet dans
sa préface cette conjecture que ce ms. d'Oxford doit être d'une lecture extrême-
ment difficile. Rien n'est plus erroné; ce ms. est l'un des plus lisiblement et des
plus régulièrement écrits que j'aie jamais vus. Seulement, des deux personnes qui
ont copié pour M. Mahn le début du poème', l'une ne savait évidemment pas
un mot de provençal, et l'autre, qui pèche surtout par omission, copiait trop
vite. La partie du poème qui nous est présentement offerte n'est pas non plus
éditée d'une façon irréprochable. Assurément les érudits complaisants qui ont
fourni cette copie à M. Mahn peuvent légitimement décliner une grande part de
la responsabilité, puisque les épreuves, c'est l'un d'eux qui nous l'apprend*, ne
leur ont pas été communiquées, mais il reste cependant à leur charge nombre
de fautes qui ne peuvent guère être imputées à l'imprimeur, surtout dans la partie
copiée par M. Bœhmer. Ce savant paraît s'être attaché à reproduire la division
des mots telle que la présente le ms. C'était un scrupule exagéré. Il est facile de
se convaincre que le copiste du ms. d'Oxford comprenait peu ce qu'il écrivait (il
était italien, son écriture le montre), mais qu'il a néanmoins reproduit avec
beaucoup d'exactitude matérielle le ms. qu'il avait sous les yeux. Dans ces con-
1. Voir la préface de M. Mahn.
2. M. Stengel; voy. le dernier cahier des Romanische Studien, p. 381, note i.
ROCHER, les Rapports du Puy avec Girone 509
ditions, il y a très-peu d'intérêt à conserver les erreurs évidentes qu'il commet
dans la séparation des mots. C'est ce qu'a bien compris M. Stengel. J'ajoute
que fort souvent M. Bœhmer a prêté au copiste, déjà assez riche à cet égard,
bien des séparations fautives dont il n'est pas coupable. Ainsi, p. 203' l'im-
pression porte porpr eizc, cm tanz, ai mes, mon or, no al, et le manuscrit a très-
correctement porpreize, cent anz, aimes (nom propre), monor (m'onor), noal. Par
contre M. B., réunissant à tort ce qui doit être séparé, écrit par exemple aun-
tena quand le manuscrit porte auntc na {== a unie n'a) ; gaaige pour gaaig e, etc.
Les fautes de lecture que j'ai remarquées dans cette même page sont : neherz pour
Tiihtrz (nom propre), mre pour ]iirc, dones pour donez, nolient pour uolient, cesas
pour cesaz. Il y a notablement moins de fautes dans la copie de M. Stengel. Le
plus grand reproche à lui faire est d'avoir 1 p. 226) bouleversé l'ordre des tirades.
I! fallait suivre exactement le ms. Cette copie inachevée du ms. d'Oxford ne
peut du reste être acceptée qu'à titre de travail tout à fait provisoire, et j'es-
père être prochainement en état de mettre sous presse une édition de Gir. de
Roussillon qui dispensera de recourir aux Gedichte.
L'impression de ce recueil, ayant été confiée successivement à trois imprimeurs,
oflFre les disparates les plus sensibles. L'imprimeur employé en dernier lieu, et
aux soins (!) de qui sont dus le titre, la préface et la feuille 18 du t. IV, est de
beaucoup le plus mauvais des trois. Je n'ai jamais reçu de la plus infime impri-
merie aucune épreuve aussi abominablement tirée que les bonnes feuilles sorties
des presses de l'imprimeur berlinois qui se nomme au bas de la page 280 du t. IV.
J'ai fini : il n'y a, comme on voit, aucun bien à dire de cet amas de papier
noirci. Sans doute il y aurait injustice à refuser à l'éditeur cette sympathie
toujours due à des efforts malheureux autant que désintéressés. Désintéressés
assurément, et à ce point qu'on se sent d'autant plus porté à admirer l'amour
de M. Mahn pour la poésie provençale qu'elle lui garde plus de secrets. Mais il
n'en est pas moins certain que la reproduction fidèle de nos principaux chanson-
niers provençaux est une œuvre nécessaire, et que cette œuvre reste à accom-
plir. Elle avait été préparée au siècle dernier par Sainte-Palaye, m.ais ce
laborieux et modeste érudit n'a pas trouvé chez nous de successeurs, et d'autres
sont venus qui ont fait mal ce qu'il avait si bien commencé. C'est notre faute.
P. M.
Les Rapports de l'Église du Puy avec la ville de Girone en Espagne et
la comté de Bigorre , par Charles Rocher. Le Puy, Bérard, 1873, in-8",
284 pages.
La première partie de ce volume est le mémoire sur les rapports de l'Église
du Puy avec Girone, que nous avons déjà signalé à nos lecteurs dans les Tablettes
historiques du Vclay (voy. Romania II 275). M. Rocher a bien voulu, dans un
appendice, reproduire notre article; il accepte en général nos critiques, mais il
I. Je sais bien qu'il est dérisoire de renvoyer à une page de près de 50 lignes pour y
trouver un mot; mais comment faire? les vers ne sont pas numérotés; et si M. Stengel
indique les pages du ms. fce qui donne le moyen de préciser un peu plus les citations)
M. Bœhmer ne l'a point fait On voit encore ici, pour le dire en passant, une preuve de
ce manque d'esprit de suite qui dans cette collection se manifeste jusque dans les moindres
détails.
^10 COMPTES-RENDUS
cherche ;\ démontrer, « d'abord par des traditions fort respectables, et ensuite
par plusieurs titres dont l'autorité ne peut se discuter », que Charlemagne a
pris (plus loin M. R. dit avec plus de réserve « a assiégé ») en personne la ville
de Girone, soit en 778, soit en 785. C'est là un point historique dont la discus-
sion nous ferait sortir du cadre de ce recueil; elle serait d'ailleurs peu utile, car
il est absolument hors de doute, comme nous l'avons déjà dit, que Charlemagne
n'alla point en Espagne en 785; quant à l'expédition de 778, les documents
cités peuvent porter à croire qu'il reçut des otages de l'émir qui commandait à
Girone, mais ne disent nullement qu'il ait fait le siège de cette ville, encore moins
qu'il l'ait prise. Les « traditions » n'ont bien entendu aucune valeur historique.
—Dans ce même appendice, M. R., grâce à d'obligeantes communications, publie
l'acte d'institution de l'office de Charlemagne à Girone par Arnaud de Monredon
(1345) : dans ce document, l'évêque résume la légende du Voyage à Jérusalem
et le faux Turpin, et ne paraît pas se douter que le pape qui a canonisé l'em-
pereur était un anti-pape ; il résulte d'un passage (déjà cité par les Bollandistes)
qu'il a emprunté le culte de Charlemagne à l'Allemagne. — Un bréviaire manus-
crit conservé à Girone, et daté de 1329, contient les neuf leçons de l'office de
S. Charlemagne; Arnaud de Monredon n'a donc fait que confirmer un usage
antérieur. Un acte de 1332 parle déjà d'une fontaine appelée Font de Caries
Magnes. G. P.
Questôes da lingua portugueza, por F. Adolpho Coelho. Primeira
parte. Preliminares. — 0 le.xico. — 0 consonantismo. — Livraria internacio-
nal de E. Chardon. Porto et Braga. 1874, in-4° xxiii-438 pages.
L'importante étude sur l'histoire de la langue portugaise dont M. Coelho
nous donne aujourd'hui la première partie était destinée par son auteur à servir
d'introduction au dictionnaire de la langue portugaise de Fr. Domingos
Vieira; cette publication ayant subi une interruption et une modification dans
son plan, le présent travail a été imprimé à part dans un format plus maniable et
il en sera de même des autres parties. Il importe donc de tenir compte, comme
M. C. le demande du reste, du but spécial pour lequel ces études ont été rédi-
gées et de ne pas trop insister sur le plan général que leur destination primitive
imposait pour ainsi dire à l'auteur. Les préliminaires sont divisés en sept para-
graphes dont voici les titres : 1. Origcm das linguas romanicas. 2. A sciencia da
Imgmgcm. 3. 0 archaismo. 4. 0 neologlsmo. 5. Altcraçôes phonicas. 6. Altera-
çôes morphicas. 7. Atteraçoes syntacticas.
Dans cette introduction, écrite du reste dans un excellent esprit et qui prouve
chez son auteur une connaissance approfondie non-seulement de la philologie
romane, mais aussi de la grammaire comparée en général, nous avons toutefois
constaté avec regret deux lacunes. Il semble qu'une étude de ce genre (en la con-
sidérant même comme l'introduction d'un dictionnaire) aurait dû contenir l'ex-
position détaillée des éléments constitutifs de la langue portugaise, de son
domaine géographique (très-vaste, comme on sait, en dehors du continent) et
de ses dialectes , puis une histoire des doctrines grammaticales en Portugal
du xvr siècle jusqu'à nos jours. Au lieu de cela l'auteur s'est borné à discuter
en quelques pages les théories de trois érudits de son pays sur l'origine du por-
COELHO, Questôes da lingua porîugueza 5 1 1
tugais, dont il démontre facilement les lacunes et les erreurs. Il est vrai que
M. Coelho dans ce travail, comme dans ses autres publications_, poursuit un
double but ; à côté de la discussion purement scientifique des faits il est préoc-
cupé aussi de les vulgariser parmi ses compatriotes, de les opposer aux théo-
ries ineptes qui ont cours dans son pays sur tout ce qui touche aux questions
grammaticales. C'est là une intention des plus louables dont nous ne saurions
trop le féliciter; nous comprenons fort bien qu'il ait préféré dans le cas présent
une polémique directe avec des personnages vivants qui font profession de
science à une exposition calme et objective des travaux de Fernào d'Oliveira ou
de Santa-Rosa, mais nous lui demandons toutefois de ne pas terminer son tra-
vail sans réserver une place à nos desiderata. — 11 est le mieux préparé à traiter
ces questions avec le soin et la compétence qu'elles exigent.
Le chapitre I" du livre II, intitulé Rebçàes entre 0 latim e 0 portugiiez, est des
plus intéressants. Le nombre considérable de matières qui y sont traitées ne
nous permet pas d'en donner une analyse détaillée; nous nous bornerons à atti-
rer l'attention des romanistes sur le § 6 (Palavras alteradas pela etymologia po-
piilar) et les exemples qui sont donnés de ce procédé en portugais, ainsi que sur
celui qui porte le titre de Mudança de significaçâo où l'auteur a non-seulement
mis à profit les observations des anciens grammairiens nationaux, mais s'est
encore servi d'un nombre considérable de textes inédits. Avec le chapitre II
commence la phonétique, et d'abord les consonnes. Au lieu de consacrer à
chaque consonne latine et aux transformations qu'elle subit en roman, selon la
place qu'elle occupait dans le mot latin, un chapitre à part, M. C. a suivi un
ordre plus scientifique et qui évite des répétitions. Il examine d'abord les con-
sonnes initiales, médiales et finales en contact immédiat avec des voyelles, puis
les groupes de consonnes, et termine par les consonnes finales isolées ou en
groupe. Par là M. C. a été amené à étendre encore sa division systématique;
c'est ainsi par exemple qu'il étudie successivement la persistance, l'adoucisse-
ment, la dégénérescence, l'échange et enfin la syncope des voyelles médiales. Cet
arrangement a aussi ses inconvénients, celui par ex. de présenter parfois l'excep-
tion avant la règle, ce qui donne à celle-là plus d'importance qu'elle n'en a
réellement; c'est le cas ici pour les consonnes g (devant c, ;'), d, /, n dont la
persistance est exceptionnelle, tandis que la chute est de règle en portugais.
M. C. n'a-t-il pas involontairement grossi ses listes de mots où persiste la lettre
latine d'un certain nombre de mots savants?
Les règles de phonétique données dans ce livre sont appuyées de longues
listes d'exemples que ceux même qui sont familiers avec la grammaire de Diez
ne consulteront pas sans fruit, car M. C. a non-seulement dépouillé toute l'an-
cienne littérature portugaise imprimée, mais il a souvent aussi utilisé des docu-
ments inédits, surtout des pièces d'archives. Il n'a pas négligé non plus de
montrer par des exemples empruntés en général aux ouvrages de Corssen et de
Schuchardt que certaines modifications phoniques qu'ont éprouvées les mots
latins sur le sol roman se retrouvent dans la langue des inscriptions et dans les
citations des grammairiens romains empruntées à la langue populaire. Si M. C.
compte donner à l'étude de la flexion, de la formation des mots et de la syn-
taxe une place proportionnée à celle qu'il vient de donner à la phonétique (et ce
^12 COMPTES-RENDUS
premier volume ne l'cpuise pas, il reste à terminer les consonnes et à traiter
les voyelles), le portugais aura l'honneur de posséder avant aucune de ses
langues sœurs une grammaire historique extrêmement complète.
Voici enfin quelques observations de détail. P. 160 le mot latin acies n'aurait
été conservé en portugais, d'après M. C, qu'avec un autre sens. C'est aller trop
loin. Les dictionnaires donnent az troupe, cm a: en présence des troupes; comp.
le V. esp. (haz,az), où le sens d'armée rangée en bataille se trouve exprimé aussi
clairement que possible dans la formule épique paravanst las hazes ecompiençan de
liiiiar. — P. 278 M. C. cite, comme exemples de la conservation en portugais
du g guttural devant c, erguer (erigere) et regalar pour rcgudar* (regelare), mais
ne les explique pas. Diez Gr. I, 270 a pensé pour le premier, ou ce qui revient
au même pour le correspondant espagnol crguir, à une influence du présent
erigo, ciigam; peut-être vaut-il mieux y voir une formation par analogie sur un
autre infinitif tel que arguir. Qu^nt à regalar \\ n'y a pas dans ce cas conservation
de la gutturale devant c, mais changement de e en a, et c'est cela qu'il faut expliquer,
ou renoncer à Vclymologit regelare. — P. 290 « aima p3iT atima* de anima ». On
s'est accordé, cerne semble, jusqu'ici pour admettre la chute de la voyelle brève
avant le changement de la liquide. La forme intermédiaire est donc an'ma, qui
du reste existe en provençal. — P. 291 « D lat. = port. / ». Il faut ajouter
aux exemples cités de cette transformation prol de prode (prode est, voy. Schu-
chardt Vok. II, 504). On trouve dans le Libro de Alex, une forme proe, avec syn-
cope du d et conservation de Ve. L'ancien léonais offre encore vilva (vidva), sel-
mana {sedmana seCmana septimana) et le suffixe algo (ad'cum). — P. 292. Je ne
puis admettre l'identification de deixar et leixar proposée par M. Schuchardt et
adoptée par M. Coelho. La comparaison du v. espagnol détruit l'argumentation de
ce dernier. D'après M. C. on ne comprendrait pas comment deixar Csi ce verbe
doit être ramené, comme le veut Diez, à desitaré) aurait pu exister pendant des
siècles sans se présenter à côté de l'ancien leixar; or, deixar ne se trouverait pas en
portugais avant le xvi* siècle. Mais l'esp. du xiii° siècle a parallèlement les deux
formes, voy. par ex. Berceo et V Alexandre. L'étymologie desitaré est conforme
aux lois phoniques de l'espagnol et du portugais et aussi aux lois de dérivation
de ces deux langues, qui tirent volontiers des verbes de participes passés (comp.
quexar, queixar de qacstarc, questus; olvidar de oblitare,oblitus). — P. 580. Je ne
vois pas pour quelle raison M. C. établit entre jidgar et judicare les formes
intermédiaires judigare' , jiiligare', en se refusant à admettre jud'care'', alors qu'il
admet (p. 581) vind'care* entre vindicare et vingar. Au reste la forme intermé-
diaire est assurée par le v. esp. judgar, qui a donné aussi julgar dans les dia-
lectes du N. 0. et juzgar en castillan.
Telles sont les quelques observations sans importance qu'un rapide examen du
livre de M. Coelho nous a conduit à présenter; nous désirons vivement que l'achè-
vement de ce beau travail ne se fasse pas trop attendre et qu'aucune difficulté
matérielle n'en entrave l'exécution. M. C. peut être sûr que ses Questàes da lin-
gua portugueza seront bien accueillies de tous les romanistes étrangers ; nous
espérons qu'elles seront lues dans son pays et que les saines méthodes gramma-
ticales dont il a si bien su se faire l'interprète ne tarderont pas à se répandre en
Portugal. Alfred Morel-Fatio,
PÉRIODIQUES
I. Revue des langues romanes, V, i. — P. 5, Boucherie, compte-rendu
de la Vie de saint Alexis, pub. par G. Paris. L'opinion de M. B. est en somme,
que sauf un certain nombre de corrections qui lui paraissent nécessaires, il eût
fallu « conserver intacte la leçon du ms. L « (le plus ancien ms. de VAUxis).
C'est ce que j'ai fait pour le morceau d'Alexis qui fait partie de mon Recueil
d'anciens textes (2" liv.), et par conséquent je suis porté à croire que cette opi-
nion peut être défendue, mais il ne me semble pas que tous les arguments par
lesquels M. B. l'appuie soient inattaquables. La discussion la plus sommaire des
points très-nombreux que traite M. B. réclamerait plusieurs pages, et je m'en
abstiens d'autant plus volontiers que G. Paris a l'intention d'examiner en un
mémoire exprès toutes les objections qui ont été faites à son Alexis. — P, 38,
A. M. et A. R. F. Épigraphie romane; deux inscriptions, l'une du XIV° siècle,
l'autre du XV". — P. 40. Le Mémorial des nobles (suite). — P. 80, Alart, Docu-
ments sur la langue catalane (suite). Ordonnances et règlements de métiers de la
fin du XIII'^ siècle, intéressants à divers points de vue. P. 97, le mot moyson
qui a embarrassé M. A. est bien connu; c'est une mesure de longueur, au
sujet de laquelle je ne puis que renvoyer M. A. à Du Gange (au mot moiso)
et à feu Bourquelot, qui dans ses Etudes sur les foires de Champagne (première
partie, Vil, ? i)' a consacré plusieurs pages aux maisons des foires de
Champagne. P. 97 note 4 M. A. considère ausars (e no sien ausars vendre. . .) comme
un adj. verbal, équivalent de ausador. Je ne pense pas que ces deux mots puis-
sent s'employer l'un pour l'autre; le second seul est un adjectif verbal ; ausars
est le prov. auzart: dont les exemples sont nombreux {Lex. Rom., Il,i 51); c'est
un ad), formé avec le suffixe art (Diez, Gram. II. 586). P. 98 « ni ausen exaugar
los ditz peixes a diners », en note u exaugar, épuiser, achever, c'est-à-dire ache-
ter tout le poisson » ; interprétation on ne peut plus hasardée; n'y aurait-il pas
dans le ms. escangar, « échanger », qui conviendrait bien au sens.? — P. 105,
Boucherie, Formules de conjuration, tirées du ms. lat. 13246 dont j'ai extrait
(ci-dessus t. I) les Joca monachorum^. M. B. a traduit et commenté au point de
1. Mémoires présentés à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 2» série, t. V,
r" partie, 2Ç 1 ss.
2. M. A cite en note ces mots : drap doble adobat 0 adobar, ou il pense que adobar
est pour adobador. C'est possible, mais la leçon est fautive ; il faut restituer ou adobador
ou [a] adobar.
3. M. B. s'étonne que je n'aie pas donné ces formules de conjuration dans mon Recueil
d'anciens textes. Mais les trois morceaux que j'ai extraits du même manuscrit convenaient
mieux à mon objet, et la place me manquait pour un quatrième.
514 PÉRIODIQUES
vue linguistique ce texte curieux et souvent obscur. P. 1 14 M. B. signale dans
un ms. (lu VU* ou VIII'' siècle, contenant la chronique attribuée à F'rédegaire, le
fameux (/<JMi qu'on cite ordinairement d'après Aimoin (Bouquet, III, 47 c; Rayn.
Choix, 1, viij). M. B. en conclut u que la langue romane existait dès le VIII' s.
sinon comme langue écrite au moins comme langue parlée.» Qui en doute? mais il
ne s'ensuit pas comme le prétend M. B. que vcs puisse être depuis le VIII' s. la
forme vulgaire de velus. Le / n'avait pas disparu à cette époque, même en fran-
çais. — P. 115, Pin y Soler, les Jmx d'enfant en Catalogne. — P. i2j, Jeux et
Sournetas du Bas-Languedoc (su'He). — P. 171, Chabaneau, Grammaire limou-
sine (suite). — P. 197, Roque-Ferrier, Un recueil de poésies rumonsches. — P. 225,
Pcriodi(jucs. P. M.
II. JAimnucH Fùn Romanische und Englisciie sphache und utehatur, N.
F., I, 5. — P. 2J9, Lettres inédites de Leopardi à Bunsen, pub. p. M. Tobler.
— P, 281, du Vallet (jui d'aise a malaise se met, p. p. W. Fœrster. Cette
pièce curieuse, qui rappelle à deux siècles de distance les Quinze joies de
mariage, a été extraite par M. Fœrster d'un précieux ms. négligé jusqu'à lui',
et où il a eu le bonheur de découvrir (chose rare!), avec de nouvelles ver-
sions de plusieurs textes connus, deux fableaux"^ inédits et inconnus (plus deux
fragments), celui du Prestrc qui abevcte (M. F. lit a beuelcY, et celui du Prestre
et du chevalier, par Milon d'Amiens. Quant au Vallet qui d'aise à malaise se met, ce
n'est pas un fableau proprement dit, bien que le poète l'appelle ainsi (v. 376),
c'est plutôt un dit destiné à détourner du mariage les jeunes gens sans fortune.
On y reconnaît une œuvre populaire, dont l'auteur était peu familier avec la
versification et même avec la grammaire : aussi ce court morceau offre-t-il de
réelles difficultés, que M. ¥ . a indiquées et qu'il a souvent réussi à vaincre. Les
détails de mœurs y abondent, et avec eux les mots nouveaux ou intéressants. —
P. 308, C. Michaelis, Ëtymologies. Mlle M. étudie avec une grande érudition
les différents mots qui servent dans les langues romanes à désigner un carquois,
et termine par de remarquables observations phonétiques. — P. 328, R. Kœhler,
sur le Dolopathos de Jean de Haute-Seille, publié par Oesterlcy. Ce sont surtout des
corrections de textes, qui souvent sont d'accord avec celles que j'ai données ici,
mais sont beaucoup plus nombreuses. — P. 337-343, Comptes-rendus : trois
articles de M.Suchier sur Stimming, Jaufre Rudcl ; Philippson, der Mœnch von
Montaudon; Bischoff, Biographie des Troiib. Bcrnhard von Ventadorn. — P. 344-6
Périodiques: Romania, n°* 7-8, Rivista, n" 2, Romanische studien, n° 3. — Mé-
lange: sur le V ou w anglo-saxon (H. Krebs). — Errata à l'article de M. Grœ-
ber sur Fierabras paru dans les Mémoires du 24e congres des philologues. — G. P.
III. Archiv fur das Studium der neueren SrRACHEN, LI, I.— P. 1-32,
1 . Non pas négligé absolument puisqu'il contient la leçon même de Fierabras qui a été
imprimée, mais il paraît que personne n'y avait remarqué les fableaux.
2 . La forme fabliaux, en français moderne , n'a aucune raison d'être ; il faut dire
fableaux comme tableaux, etc. Quant à fabliau au singulier, c'est un barbarisme en
ancien comme en moderne français.
5. C'est une grossière variante du Poirier enchanté, comme le remarque M. F.; seule-
ment il dit par erreur qu'un conte semblable se trouve dans le roman des Sept sages.
PÉRIODIQUES 515
Stengel, le manuscrit provençal Vatic. 5232. — P. 101-110, Horstmann, Vie de
S. Alexis, en ancien anglais, publiée d'après le ms. Laud 108.
LI, 2. — P. 129-1^2, Stengel, le ms. du Vatic. 5232 (suite).
LI, 3-4. — P. 241-280, Stengel, k ms. du Vatic. 5232 (fin'). — A ce
numéro est joint un index de 166 pages, comprenant les cinquante premiers
volumes du recueil et d'une grande utilité.
LU, i. — P. 1-32, Bœddeker^ Histoire d'Arthur en anc. anglais, publiée
d'après le ms. Harl. 24; c'est une libre traduction de Wace. — P. 33-38,
Horstmann, les Dits de Saint-Bernard et la Vision de S. Paul, en anc. anglais,
publ. d'après le ms. Laud 108. — Les pp. 81-97 ^^"^ occupées par le compte-
rendu des séances de la Société berlinoise pour l'étude des langues modernes. Nous
y remarquons des communications de MM. Jaenicke, sur les noms géographiques
dans les poètes allemands du moyen-âge (notamment sur Romania en tant que
désignant une province de l'empire byzantin, puis un pays fabuleux); Schuize,
sur testa et Kopf; Sachse, sur le nom de Roland (== célèbre dans le pays);
Scholle, sur la syntaxe de l'ancien français dans la proposition simple; Imelmann,
sur un texte de l'an ^20 contenant des formes romanes; Goldbeck^ sur la
renaissance portugaise (il s'agit de l'école critique que fondent MM. Coelho, Braga
et Vasconcellos).
LU, 2. — P. 177-194, Scholle, sur /'s sonore et muette d'après les chartes de
Joinville ; travail fait avec soin et jugement. — Parmi les programmes men-
tionnés, nous remarquons les suivants : Herbing, le Commencement de Guy de
Warwick; Glauning, Etudes sjntactiques sur Marot; Petry, le roman de Jaufre.
IV. Germania, XVIII, 4. — P. 456-457, Liebrecht, Tprut purt; M. L. montre
que cette interjection a été employée au moyen âge en Allemagne, en Angleterre
et en France (j'en pourrais donner de nombreux exemples, outre celui qui a été
cité ici); quant à l'explication qu'il en donne après M. Schrœder (« es ist der
graphische Ausdruck eines crepitus ventris «), elle peut être fondée originairement;
mais le mot avait pris le simple sens du mépris.
V. Zeitschrift fur DEUTSCHE PHILOLOGIE, V, 2. — P. 165-186, Pciper,
Contribution à l' histoire littéraire des distiques dcCaton; édition, avec d'intéressantes
remarques préliminaires, d'une imitation de Caton en vers rhythmiques {Ethica
Ludulphi), incomplète, et d'un curieux petit poème où la vie des clercs est
opposée et préférée à celle de tous les autres hommes :
Vide, fili, clericos purpura splendentes;
Ipsi sunt divitias recte possidentes.
Ad laborem aliquem non apponunt mentes :
Sunt qui fiunt clerici vere sapientes etc.
L'auteur énumère les diverses situations qu'un jeune homme peut espérer
atteindre dans le monde des clercs : il peut être prélat, prêtre, maître, moine,
templier, frère prêcheur ou mineur; il peut gagner sa vie en copiant des livres
I. C'est-à-dire « fin de la copie de M. Stengel », car le ms. est loin d'être publié en
entier ; sur 216 feuillets, M. St. n'en a copié que 72.
Jl6 PÉRIODIQUES
OU en chantant au chœur, en pratiquant les lois; s'il n'arrive pas à une grande
instruction, il pourra relier des manuscrits (ligarc psalUria); il pourra toujours
au moins apprendre par cœur les heures et le psautier et tenir des écoles de filles,
ou enfin se faire custos (sacristain? Multc sunt [custodie]... Ubi custos diccrc ml scit
prêter amen).
VI. BlIîLlOTHKHUE DE l'ÉcOLK DES CHARTES, XXXIV, ^-6. — P. 597-602,
comptes-rendus (L. D.) de la nouvelle édition de Joinville par M. de Wailly et
du livre de M. Bordier sur Philippe de Rémi. — P. 655-56. Un feuillet d'un
nouveau ms. de la cbroni^juc d'Ernoul et de Bernard le trésorier; fragments mutilés.
— P. 657-58. Les Rois mages, fragment d'un drame liturgique du XI' siècle. Un
feuillet, de petit format, dont une page seule, comprenant 1 5 lignes, a été
écrite au XI" siècle, sert de feuille de garde au psautier de Charles le Chauve
(ms. B. N lat. 1152). M. L. Delisle signale avec toute raison à l'attention ce
fragment du mystère des Rois mages. Le passage conservé offre des variantes
intéressantes avec les textes des offices liturgiques de Rouen, Orléans, Fri-
singue, etc. '.
VII. Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Pau. 1872-
1875. 2' série, t. II. Pau. — P. 81-86. Lespy, D'où viennent quelques diminutifs
français. 11 s'agit des diminutifs en et, que M. Lafaye, doyen de la faculté des lettres
d'Aix, dérive, dans son dictionnaire des synonymes, de l'italien etlo. M. Lespy
n'a, comme bien l'on pense, aucune peine à démontrer que le suffixe et n'est
point chez nous d'importation étrangère; mais valait-il la peine de fournir cette
démonstration? Il se trompe toutefois lorsqu'il rattache ce suffixe au latin clum;
le type latin s'il existait, serait en tout cas ettum, mais si M. Lespy avait con-
sulté la Grammaire de Diez (3' édition, II, 371), il y aurait appris que le suffixe
et est de formation romane, qu'on ne lui trouve pas de type en latin. C'est à tort
que M. Lespy identifie ce suffixe et avec le suffixe latin ellus, qui donne en pro-
vençal ê/, eu, et en franc, cl, eau. Il est vrai que le même suffixe ellus produit et
en béarnais et en gascon (anhet d'aquellum, pradct de pratcllum, etc.'). Mais c'est
là un fait spécial au dia'ecte du S.-O. de la France. Pour le dire en passant ce
fait donne l'étymologie du fr. cadet que M. Lespy fait venir « du bas-latin capi-
tclum (lisez capitcttum) petite tête », répétant ainsi une étymologie que se trans-
mettent, depuis Ménage jusques et y compris M.Scheler, tous les étymologistes.
Le ûci\{ capitfttum est une hypothèse tout à fait superflue: cadet, mot entré dans
le français au XVI° siècle, est le béarnais ou gascon capdet, le prov. capdel (chef).
L'étymologie est donc capitellum, et cadet se trouve être le frère du mot cadeau
dont M. Brachet a fait rhistoire\ P. M.
VIII. NuovA Antologia (Firenze), 1873, t. III. — P. 5-57, d'Ancona,
1. A la p. 314 de ce même volume, on trouvera aussi une version :;'d'après unms. du
14' s.) de V Apparition à Emmaûs, que nous avons omis de mentionner en son lieu.
2. Non pas seulement dans la langue actuelle, mais aussi dans les plus anciens textes
vulgaires du S.-O. de la France. On trouve td ou et, aqued ou aqaet (prov. cl, aquel)
dans des chartes béarnaises du xiu'' siècle.
3. Dans le supplément (1871) à son Dictionnaire des Doublets, p. 17.
PÉRIODIQUES 517
Cecco Angiolien da Siena, poeta umorista del secolo decimoterzo. Bien qu'on eût
déjà publié 27 sonnets de Cecco Angiolieri, l'étude de M. d'Ancona, qui en a
découvert une centaine dans deux bibliothèques de Rome, est une véritable révé-
lation. Les nombreux spécimens donnés dans cet article font-vivement désirer la
publication intégrale des œuvres conservées de Cecco. Par leur verve, leur
réalisme, leur style populaire, leur inspiration toute personnelle, ces poésies
tranchent de la façon la plus vive et la plus heureuse avec la monotonie de la
lyrique italienne contemporaine. M. d'Ancona a écrit sur l'étrange personnage
auquel on les doit une notice biographique et littéraire qui est de tous points
excellente. A côté de curieuses recherches, on y trouve une appréciation de
l'homme et du poète que diverses circonstances rendaient fort difficile, et qui est
faite avec infiniment de tact, de mesure et de goût. Le savant et spirituel pro-
fesseur de Pise compare son Cecco à notre Rutebeuf ; il est certain qu'il lui res-
semble par certains traits, mais combien il est plus gai, plus élégant, plus bril-
lant, et surtout plus moderne ! On ne peut s'empêcher, en lisant certaines
pièces, d'un tour si léger et original, d'une langue si claire et si simple, de son-
ger à Henri Heine. Il est vrai que ses œuvres, — consistant uniquement en son-
nets, — n'ont pas la variété et la portée historique de celle du trouveur français.
Mais un pareil talent poétique, manifesté avant les premières compositions de
Dante, est assurément digne de toute attention. M. d'Ancona refait pour son
lecteur ce monde siennois, si gai, si satirique, si fou d'après le proverbe [Senesi
tutti matti), si frivole d'après Dante, qui trouve les Français eux-mêmes plus
sérieux (or fu giammai Gente si vana corne la sencse? Certo non la francesca si
d'assai), dans lequel Cecco a vécu, et qui l'explique en partie. Ce tableau ajoute
encore de l'intérêt à l'article déjà si curieux et si attachant de notre éminent
collaborateur. G. P.
IX. TlDSKUIFT FOR PHILOLOGIE OG P.T.DAGOGIK. N. S., I. — P. 24-43. G.
Storm, Sur Us poèmes d'Eufcmia. Ceite étude soigneuse' résout d'une manière
définitive la question embrouillée qu'elle traite. Trois poèmes suédois, Ivain,
Flore et Blancheflor, le Duc Frédéric, se donnent comme traduits du français ou
de l'allemand sur l'ordre de la reine Eufemia (reine de Norvège 1299-15! 2).
Comment une Allemande reine de Norvège aurait-elle eu l'idée de faire faire des
poèmes suédois, quand la Suéde ne possédait encore aucune littérature ? On
avait déjà émis l'idée (voy. Rev. dit. 1873, t. I, p. 7) qu'Eufemia avait fait
réellement écrire ces poèmes en norois, et que le traducteur suédois postérieur
avait substitué à la mention du norois qu'il trouvait dans son original celle de
sa propre langue. M. G. Storm démontre qu'il en est ainsi, et par des raison-
nements historiques et littéraires tout à fait concluants. Deux de ces poèmes,
Ivain et Flore, existaient déjà en prose noroise : Eufemia les a fait mettre en
vers; quant au troisième elle l'a fait traduire directement d'un poème allemand
qui est perdu ainsi que son original français (voy. Rev. Crit. 1869, I, p. 343).
I. Elle est enrichie de la publication d'un morceau do l'ancienne version islandaise de
Flore et Blancheflore d'après un fragment malheureusement trop court, qui appartenait à
un bon et ancien ms.
Îl8 PÉRIODIQUES
Il lui reste le mérite d'avoir introduit dans la littérature Scandinave la poésie
rimée (sans doute A l'imitation des poèmes allemands;. G. P.
X. Revue cniTfQUE d'histoire et de littêhature. Janvier-Mars 1874. —
4. De Puymaigre, la Cour littéraire de D. Juan II (Alfred Morel-Fatio). — 28.
Comparetti, Virgilio ntl medio cvo (G. P.) — 34. Murray, le Dialecte de l'Ecosse
mhidionale (H. Gaidoz). — 40. Traditions et légendes de la Suisse romande (Jules
Cornu). — 44. Bonnardot, Chartes françaises de Lorraine et de Metz (G. M.).
XI. LiTERAUiscHES CENTRALBLATT. Janvicr-mars 1874. — I . Caetani, la Materia
délia divina commedia. — 2. Grœber, die altfranzœsischen Romanzen und Pastou-
rellen; Flùgi, die Volkslieder der Engadin; Bernoni, Fiabe popolari veneziane. —
8. De Wailly, Œuvres de Joinville. — 12. Stengel, li romans de Durmart le ga-
lois.
XII. WissENSCHAFTLicHE MONATSHEFTE, hgg. von Hopf' und Schadc, I, 9.
— Ce numéro contient un article de huit grandes pages sur le premier volume
de la Remania. M. Schade y parle avec la plus grande sympathie de notre
œuvre, et, ce qui nous plaît encore davantage, rend pleine justice à ce qu'a fait
la France dans le domaine des sciences historiques; le savant professeur de
Kœnigsberg fait à ce propos des réflexions fort justes sur l'histoire de la science.
Nous remercions vivement M. Schade de son extrême bienveillance,et nous reprodui-
sons volontiers les paroles par lesquelles il termine son compte-rendu : « Puisse
une heureuse continuation ne pas faire défaut à cette belle entreprise! Puissent
les directeurs et un nombre toujours croissant de collaborateurs jouir longtemps,
en pleine force et santé, de leur activité féconde! Puissent leurs travaux rendre
de plus en plus intime entre eux et nous le commerce scientifique, et aider, d'un
côté comme de l'autre, à faire disparaître ces préjugés qui se couvrent trop faci-
lement du manteau d'un faux patriotisme, mais qui ne sont en réalité que le pro-
duit d'une ignorance impudente, et qui sont si préjudiciables au développement
de la civilisation! C'est dans ce sentiment que des rivages lointains de la Bal-
tiques (von der ferncn Bernsteinkiiste) nous envoyons du fond du cœur nos félicita-
tions et nos souhaits aux amis, aux compagnons qui travaillent à la même oeuvre
que nous sur les bords de la Seine, de la Loire et de la Garonne! »
XIII. GoETTiNGTSCHE GELEHRTE Anzeigen, n» 9 (4 mars). Der Mccnch von Mon-
taudon, em provenzalischer Troubadour... von E. Philippson ; Halle, 1873.
Article très-étendu et très-étudié de M. Bartsch, d'où il résulte que cette édition
est sans valeur.
I. Ce même numéro annonce la mort prématurée de M. Hopf.
CHRONIQUE
Les cours parisiens sur les langues et littératures romanes sont les mêmes que
pour le semestre d'été.
— Nous relevons, dans le programme de l'Académie de Neuchâtel pour les
deux semestres (avril-juillet, octobre-avril) de 1874-7$, ^^^ cours suivants :
Ayer : Histoire de la langue française ; les dialectes (été, 1 heure par semaine) ;
Grammaire historique du français avec lecture de textes (hiver, i h.).
Preda : Histoire de la littérature italienne au XV" et au XVI" siècle avec lec-
ture de Dante et d'Arioste (2 h. dans chaque semestre). A ce cours se
rattachent des cours libres d'italien et d'espagnol.
— Le Centralblatt indique les cours suivants pour le semestre d'été en Alle-
magne :
Leipzig. Ebert : Histoire de la littérature italienne ; Explications d'ancien fran-
çais (d'après la Chrestomathie de Bartsch).
Giessen. Lemcke : Grammaire comparée des langues romanes (phonétique et
flexion) ; Exercices pratiques.
Heidelberg. Bartsch : Exercices d'ancien français.
Berlin. Tobler : Grammaire italienne; espagnol ; exercices d'ancien français.
Munich. Hofjiann : Explications littéraires et philologiques d'ancien français et
de provençal.
Marbourg. Stengel : Chapitres choisis de grammaire française ; Exercices pra-
tiques ; Histoire de la littérature française (L Epopée).
Kœnigsberg. Schipper : Explication de morceaux provençaux (d'après la Chres-
tomathie de Bartsch).
Breslau. Grueber : Introduction à la philologie moderne ;^ Grammaire historique
du français.
Munster. Mall : Explication de textes d'ancien français.
Halle. ScHucHARDT : Eléments de métrique romane ; Grammaire espagnole ;
Exercices pratiques.
Bonn. DiEZ : Versification romane; Langue et poésie provençale; Explication
de la Divina Commedia ; Grammaire espagnole.
— Delius : Grammaire historique de la langue anglaise.
Plusieurs universités (entre autres Strasbourg et Vienne) n'ont pas envoyé
leur programme au Centralblatt en temps utile.
— Dans le programme des cours de \' Académie de philologie moderne à Berlin
pour le semestre d'été, nous signalerons les suivants :
Mahn, Grammaire provençale, grammaire italienne ; Scholle, Explication du
Roland; Lùcking, Explications d'aprh la Chrestomathie française i/c Bartsch;
Marelle, les Chants populaires de la France ; Schmidt, Histoire de la littérature
anglaise (i" partie) ; Buchholz^ Histoire de la littérature italienne (\" partie); expli-
cation de Dante ; Fœrster, Grammaire espagnole.
320 CHRONIQUE
— M. Marchessou, imprimeur et libraire-éditeur au Puy, a entrepris la publi-
cation d'une collection des troubadours du Velay. Elle s'ouvrira par l'édition
des œuvres de Peire Cardinal. C'est P. Meyer qui s'en est chargé, et qui l'ac-
compagnera d'une traduction.
— Le livre de M. Joret, sur le C dans les lanfiues romanes, dont nous ren-
drons compte dans notre prochain numéro, est le premier ouvrage qui ait valu
à son auteur le titre d'élevé diplômé de l'Ecole pratique des Hautes-Etudes.
— Le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale vient d'acquérir
un exemplaire du roman italien de Fioravanle, que M. Rajna a récemment publié
d'après deux manuscrits florentins (voy. Romania II, 352). Nous donnerons une
notice de ce ms. comparé à ceux dont s'est servi notre savant collaborateur.
— M. W. Fœrster a reçu le 10 mars, à l'université de Vienne, la venia
legendi en qualité de « Privât docent pour la philologie romane. »
ERRATA.
Dans l'article de M. Schuchardt publié dans notre dernier numéro,
outre quelques inexactitudes de traduction, il s'est glissé un grand
nombre d'erreurs typographiques. Nous ne relevons ici que les plus
importantes.
P. 6, /. <^ de la note : mais 1'/ et Vn sont surtout fréquentes, lisez :
Mais 1'/ et \'n sourdes sont surtout fréquentes; — /. 6 : L'/ se produit,
lisez : L'X se produit; — /. 20 : C'est pour préserver 1'/ de l'absorption
dans le son dental du /, lisez : C'est pour préserver VI de l'infection à
laquelle l'e.xpose le voisinage du / dental.
P. 10, 1. 41, supprimez les six premiers mots et reportez les deux derniers
à la 3« colonne de la L 35.
P. n, 1. 30, andrà, 1. andro.
P. 18, 1. 5, pé, 1. pe'.
P. 19, 1. 6, ognidun, 1. ognidun ; — 1. 7, préposition, 1. conjonction. —
25, le mot fr. accent doit rendre l'ail, stimmton.
P. 20, 1. 6, 7, oltra cchè, oltra ccio, 1. oltracchè, oltraccio; — 1. 13,
Domemeddio, 1. Domeneddio.
P. 21, 1. 38, gateriniano, 1. cateriniano.
P. 22,1. 30, ital. g — y, /. ital g = lat. ;.
P. 23,1. 24, po eni, 1. po enï.
P. 24, 1. I, bbusila, 1. bbuscïa; — 1. 5, Già, 1. Ggià.
P. 2^,\. \ de la note : a Wha, 1. a //'a.
P. 27, l. 6, ppà, l. ppe'; cce' 1. ccà — 1. 12, la 'ità, 1. la 'ita; — 1.
13, vuo, 1. vuoi; — 1. 15, vueri, 1. vuei; — 1. 29, uèo, 1. uei; suppr.
dà jersi; — 1. 32, bausaà, 1. bausau; — 1. 39, n 'nno, 1. n' anno.
P. 28, 1. 40, ensi, 1. cusï; sperghieura, 1. sperghiura.
P. 30, 1. 9-10, à côté de 0 boquier on trouve 0 ochien, L à côté de
0 ochien on trouve 0 boquier.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
01 ET UI EN FRANÇAIS
Les questions qui se rattachent aux diphthongues oi ui ont été tou-
chées dans les derniers tennps par M. Gaston Paris, S. Alexis p. 74sqq.;
par M. Chabaneau, Revue des langues romanes III p. 541 sqq. (sur
cetarticle voir quelques lignes de M. G. Paris, Romania, Il 139); par
M. Mail dans son édition du Compuî de Philippe de Thaun, p. 60 ss. ;
par M. Schuchardt, Romania III, 279 ss. J'avais écrit cet article sans
connaître les travaux de MM. Mail et Schuchardt; je m'en suis servi
pour le corriger.
Je me sers dans ce travail des signes conventionnels suivants :
Phonèmes 2 de Phonèmes dénature
nature labiale. labiale-linguale.
fà ouverture maxima. a ? . pâte
très-ouverte a5 . anglais pav/.
.,j ouverte 0. . port 0 peur
/fermée.. w'. pot w^ peu
\ extrême 4 u. . pou ii pu
sonore w. . doit w buis
I sourde cp. . toi ç puis
Aujourd'hui (voir Mém. de la soc. de ling. II, 218 ss.) les diph-
thongues françaises graphiques 01 ui ne sont pas des diphthongues pho-
nétiques. Le premier phonème est une consonne, et ces groupes sont
des syllabes parfaitement comparables à ra, li, yo. Isolé, ou après une
sonore, 01 sonne wa^ après une sourde 9a (devant un s devenu muet
1 . N.B. Dans tout ce qui suit j'écris en romain (ordinairement en petites
capitales) les formes graphiques, en italiques et en lettres grecques les termes
phonétiques.
2. Phonème, terme que j'emprunte à M. Dufriche-Desgenettes, de la société
de linguistique de Paris, désigne un son articulé quelconque, voyelle ou con-
sonne.
3. a, a, w, ùi ne sont pas nécessairement longs : j'entends marquer le timbre
et non la durée de la voyelle.
4. Voyelle extrême^ parce que si l'on ferme la bouche davantage le phonème
devient consonantique.
Romania, UI 2 I
consonnes!
^22 !.. HAVET
souvent wx, 97, ex. croix = CR^a; ; de même oin sonne wê, çê ff = e
ouvert nasal . Isolé, ou après une sonore, li sonne u/, après une sourde
c/ ; et uiN sonne u'^, u'. Ainsi les diphihongues graphiques 01 ui four-
nissent dix diphonèmes distincts wa wy. wc ivi wê r^a 97. oê ii çê. Cette
complication tient à des phénomènes divers et relativement récents :
aussi est-il clair que ce n'est pas de la prononciation actuelle que nous
pourrons partir pour étudier l'histoire primitive de 01 et ui. — D'autre
part il nous est interdit de nous en tenir à la considération des formes
écrites. En général, une théorie linguistique, fût-elle ingénieuse et solide,
n'est pas complète si elle ne rend compte que des lettres. Les lettres
sont en dehors du langage : deux mots prononcés différemment peuvent
être écrits de même, deux mots prononcés de même être écrits différem-
ment. Il faut donc absolument substituer à l'étude des éléments graphi-
ques celle des éléments phonétiques; non celle des phonèmes d'aujour-
d'hui, mais bien des phonèmes et groupes de phonèmes de la vieille
langue.
Un premier point qui n'est douteux pour personne, c'est que 01 ui
étaient originairement des diphthongues véritables, c'est-à-dire des
groupes binaires de phonèmes vocaliques. En second lieu, comme i dans
le plus vieux français (quand il est voyelle, bien entendu), désigne tou-
jours un seul et même son, celui de l'i moderne de dit ; comme o
désigne tantôt 0 (mort), tantôt w (amor) ; comme enfin u désigne tantôt
û (commun), tantôt w (amur), il n'est pas douteux que les groupes
binaires de phonèmes vocaliques ordinairement exprimés par les deux
groupes binaires de lettres O! ui ne fussent compris dans les trois
suivants : oi mi, iii (dans oi 10/ la première voyelle est purement labiale,
dans in elle est à la fois labiale et linguale '). Et en troisième lieu il n'est
pas douteux que le premier phonème ne fût jadis plus intense que le se-
I. Nous serons amenés à admettre en outre des sons de transition ôi wi a'. —
Parmi les groupes binaires qui pourraient être notés par 01 ui, nous ne pouvons
songer à compter i. En effet, à l'époque des premiers monuments de la langue,
il n'existe pas d'assonance en u : Sainte Eulalie a l'assonance en 0 (tost), Saint
Alexis les deux assonances en 0 (TOLGET)et en w (amor). Saint Léger les trois
assonances en 0 (mors), w (honors) et uo (duol), Roland les trois assonances
en 0, u, UE : ce n'est que beaucoup plus tard qu'on peut admettre des asso-
nances ou des rimes en u (.\mour). S'il n'y avait point d'assonance en u, il faut
que dans la langue d'alors il n'y eût pas de mot dont Vu fût la voyelle la plus
intense et correspondît à la voyelle accentuée du latin ; et si l'u ne correspondait
jamais à une voyelle accentuée du latin, il y a grand chance que jamais i! ne cor-
respondît non plus à une voyelle atone : u n'existait vraisemblablement alors que
comme l'un des éléments des diphthongues uo, eu, ou (deu, fou), phénomène
bizarre, mais qui rappelle un phénomène grec assez semblable. A l'époque où ils
entrèrent en relations littéraires suivies avec les Romains, les Grecs avaient
altéré en û leur ancien u sauf dans les diphthongues av su : ils avaient, il est
vrai, un nouvel u long issu de ou, mais point d'u bref isolé; ei il y avait certai-
nement eu solution de continuité même dans la possession de Vu long.
Oi ET lli EN FRANÇAIS ^2:?
cond : étymologiquement le premier provient de la voyelle latine accen-
tuée, toujours intense en roman, tandis que le second nait d'une voyelle
atone ou d'une consonne ; graphiquement l'intensité prépondérante du
premier est exprimée par un accent spécial dans quelques textes comme
le psautier d'Oxford (Brachet, Revue critique 1870, II, p. 255-6); enfin,
dans les anciens poèmes, la première voyelle assone seule. Il y a donc
une différence énorme entre les sons anciens et les nouveaux : aujour-
d'hui c'est le second phonème qui a l'intensité la plus grande, et le pre-
mier s'est atténué au point de se transformer en consonne. De forte la
diphthongue est devenue faiole, ou, pour employer des termes plus précis,
de décroissante elle est devenue croissante ' .
Les mots qui contiennent 01. ui se divisent d'eux-mêmes en deux classes.
La première se compose de formes qui dans les plus vieux monuments
français ont déjà 01, ui fissu du rapprochement d'un 0 ou d'un u avec
un 1 que développe l'influence d'une lettre voisine : podium pui, crucem
CROIX, GAUDiA joie). La seconde se compose de formes où les diph-
thongues 01 ui sont d'origine plus récente i'glorie puis gloire, feiz
puis FOIS, FUiR puis FUIR;.
I. 01, UI anciens.
01 UI anciens proviennent toujours des voyelles latines 0 u au. Comme
il faut distinguer les voyelles brèves des longues, nous devons admettre
cinq éléments étymologiques distincts en latin : o ô à Ti av. Mais si au
lieu de partir du latin classique nous partons du latin populaire, nous
pourrons réduire ces cinq éléments à quatre : les langues romanes en
effet confondent 0 long et u bref comme elles confondent e long et 1
bref. On voudra bien tenir pour accordés quatre points qu'il serait trop
long de démontrer ici, à savoir que le latin populaire donnait à 0 bref le
son 0, à 0 long et u bref le son 10, à u long le son u, à au le son au. u
latin populaire (u long classique) passe en français et en provençal à la
fois, c'est-à-dire à une époque très-ancienne, au son ii. commun des
serments de Strasbourg = communem doit ê're prononcé commun : « u
latin populaire » et « ii français » sont termes historiquement équi-
valents. En français au ne s'est réduit à 0 qu'après le changement de
CA en CHA - : donc au était encore un son français (à plus forte raison
un son latin populaire,'.
Ainsi, les trois éléments phonétiques o/wt iii, représentés par les deux
1. Ne pas confondre ce qui a trait à l'intensité et ce qui a trait à l'acuité
musicale. Dans le grec ZsO; la diphthongue est montante et non croissante, dans
Zeù elle est descendante et non décroissante.
2. Autrement caulkm aurait fait cou et non chou.
J24 L, HAVET
éléments graphiques oi ui, ont leur source dans les quatre éléments éty-
mologiques 0 (0 u au du laiin populaire — o oj u au du français primitif'.
Ce sont les rapports mutuels de ces diverses unités linguistiques qu'il
s'agit de débrouiller.
Remarques. En premier lieu, o latin = o latin populaire, lorsqu'il
est suivi d'une nasale, devient en vfr. m et non o. Ainsi w français pri-
mitif équivaut à la fois à ô, û devant une lettre quelconque et àô devant
une nasale.
En second lieu, u a dans les anciens textes français deux valeurs
distinctes co et iï (amur commun = amwr commun) ; o y a deux valeurs
distinctes w et o (amor tost = amo)R tost). Lors donc qu'un même
mot est écrit tantôt par o et tantôt par u il est certain : ou que ce mot
a varié, et a pris au moins deux prononciations différentes ; ou bien, si
le mot n'a jamais varié et n'a eu qu'une seule prononciation, que cette
prononciation unique était lo et non o ou ii.
En troisième lieu, la rigueur scientifique veut qu'on ne s'en tienne pas,
quand on distingue en latin o bref et o long, u bref et u long, en latin
populaire o et o), m et u, en français primitif o et o), w et ii, à la consi-
dération des syllabes « natura longae ». Même quand la syllabe est
(c positione longa » ou terminée par une consonne, et en général quand
la voyelle principale de cette syllabe est suivie dans cette syllabe
même d'un phonème quelconque (une consonne comme dans cul-tus
ou une voyelle comme dans cui), la voyelle principale a en latin clas-
sique sa quantité propre, en latin populaire et en français son timbre
propre (tout aussi bien que si, comme dans cu-ra, ru-brum, elle fermait
la syllabe). — Pour faciliter l'exposition je dis que l'u est couvert dans
cul-tus cui, non couvert dans cu-ra ru-brum -.
Il serait impossible de dire pour chaque forme o\x se trouve une
voyelle couverte la quantité de cette voyelle. Mais divers indices et quel-
quefois des témoignages formels nous donnent quelque lumière. Ainsi o
est bref dans noctem ou octo (cf. vûxTa, cy-Tw, pç. ueit), long
dans GNOSCO (cf. vri-vdxTy.w et nôvi nôtus ; l'espagnol dit conozco ? et
1 . Par français primitif j'entends le roman du nord de la Gaule avant la for-
mation des diphthongues ci ui.
2. L'u est couvert dans cuius = kuy-yus; i'o dans boia = boy-ya et trôia
(pç. trueia), qu'on peut couper soit à la latine troy-ya, soit à la grecque troi-a
(Tpoî-a). — Une consonne finale ne doit pas être considérée comme couvrant la
voyelle qui précède : en effet, devant un mot qui commence par une voyelle,
elle se rattache à la voyelle suivante et non à la précédente (lentus in umbra
= len-tu-si-num-bra). — Sur les voyelles couvertes longues v. Weil et Ben-
loew, Accentuation latine p. 27 ss.
5. Il dit aussi noche ocho p. noite oito : une diphthongue uei eût été
malaisément prononçable. Cette explication de l'absence de diphthongaison
n'e.xiste pas pour conozco. Sur l'w de cognosco voir d'Arbois de Jubainville,
Romania 1, 322.
Oi ET ui EN FRANÇAIS ^ 2 5
non coNUEZco; cf. encore I'e long qui est assuré dans notesco cresco '
CALESCO STUPESco NiTESCO, Wcil-Benloew p. 41-42). Le premier u de
ULLUS était long, comme le prouve l'étymologie UNULUset \esapices des
inscriptions : nous voyons par le fr. ;2ti/que u long couvert devient iï en
français aussi bien que u non couvert. L'esp. bosque (non buesque)
atteste eoiSCUM ; u était bref dans angustia, du thème angùs = à/o;,
dans BUXUM (t^'j^oç, glosses d'Erfurt poxides, non puxides), danssTRUo
et ungo, long dans structus et unctus Gellius 9, 6 et 12, 5^, dans
JUNCTUS (Weil-Benloew p. 59), duxi (p. 41 j. 0 était probablement
long dans ostium, dérivé de ôs ôris ^mais dans ce mot le latin popu-
laire l'avait changé en U, Diez, WôrUrhuch 5 s. v. uscio, Grammatik 5 I,
163; trad. I, 152) ; il était bref dans les diverses formes de possum
pour PÔTissuM (cf. coMPÔs iMPÔs MiLës), dans ostrea comparé à
ciTTpaxov, dans longus et longe (vieil espagnol luengo), dans proxi-
MUS (cf. PRÔCUL, RECIPRÔCUS), danS COXA (pr. CUEISSA, cf. 7.0-/(.')Vr]) ,
dans POST (esp. pues). Il y a beaucoup de chances que dans cognitus
pour congnitus il fût allongé par compensation.
Voici maintenant le catalogue des formes latines ayant une voyelle
labiale qui donne naissance en fç. à 01, ui. Je remplace la voyelle latine
par le son fr. primitif correspondant, sauf dans les cas où aucun in-
dice particulier ne permet de déterminer celui-ci.
Je me sers des abréviations suivantes : G glosses de Cassel, S serments
de Strasbourg, E cantilène de S'^ Eulalie, V fragment de Valenciennes,
P la Passion, L S. Léger, A Alexis (manuscrit L), R Roland (l'étude
approfondie des diphthongues 01 ui dans Roland exigerait un travail
considérable pour lequel je serais personnellement très-mal préparé ;
je me contente de relever les assonances dans le texte de M. Léon
Gautier, ^'^ éd. ; ce sont ses chiffres que je cite, et je reproduis son
orthographe) , 0 Psautier d'Oxford (Bartsch Chrestomathic, Brachet
Rev. critique 1870 II, 255), D fragment d'un poème dévot (d'après
Bartsch). L'usage de u pour le son w, en dehors de la diphthongue
UI, se trouve dans CSVPLARO : il est inconnu dans E et à peu près
dans D. — Le signe :: indique assonance ou rime. Les formes pla-
I. D'où CREisTRE et non cristre (cf. dépit). Un dictionnaire méthodique
de la quantité des voyelles latines couvertes permettrait de renouveler certains
côtés de la phonétique romane. Il faudrait y faire entrer non-seulement les
formes latines pour lesquelles nous avons des témoignages de grammairiens ou
des indices fournis par les apices etc. dans les inscriptions, et celles qui sont
éclairées par le grec et autres langues congénères du latin, mais aussi les formes
sur lesquelles l'analyse morphologique de leurs éléments fournit quelque lumière.
L'auteur aurait enfin à compléter les renseignements puisés aux sources antiques
par un travail d'ensemble sur l'histoire des voyelles latines couvertes en roman.
;26 L. HAVET
cées entre crochets sont tirées de textes divers cités par MM. Diez
et Littré. Je mets entre parenthèses des formes qui doivent ou peuvent
s'expliquer par l'analogie d'autres formes citées. La plupart peuvent
d'ailleurs s'expliquer par la phonétique seule; toutefois, lorsque deux
formes régulières parentes l'une de l'autre présentent la même diph-
thongue l'une à la tonique et l'autre à l'atone, je mets la forme à diph-
thongue atone entre parenthèses.
Toniques. — Atones.
I. 0 tr.
primitif = o latin populaire ^ ô
latin
1
non couvert cochieare
cuiller
coq u ère
coist E :; tost
cuire
(cuisait!
coquina
cuisine
corium
cuir
(cuirasse)
doceo 2
doist L (doxit) doit
L (doctum)
duit
(duisait)
1. Sur la forme thuise ^ THEonosr.\ citée par M. Chabaneau, M. Meyer
me communique les observations suivantes : " La finale -osius, -osia donne -oisc
(cf. Ambroisc), non pas -uisc ; je crois donc que Thuise n'a rien à faire ici. Dans
ce mot iii a dû former (et forme peut-être encore maintenant) deux syllabes :
c'est uï, et non la diphthongue ûi. Il faut prendre pour type non pas Théo-
dosia, mais la forme vulgaire Tlieudisius, Thcudisia, dont les exemples ne man-
quent pas : Tcudisia dans le Cart. de S. Victor II, 6^6, (E 12) ; M[agister]
Thcodisius, personnage fréquemment nommé dans Pierre des Vaux de Cernay,
qui est appelé Thcdisius^ Tcdisius, dans les chartes (Teulet, Layettes n°' 930,
942, 968), et Tezis dans le poème de la Croisade albigeoise, etc. »
2. DorsT DOIT (S. Léger 4e, ^aisont pour duxit ductum selon M. Diez (Zivei
allromanische Gedichte berichtigt und erklârt, — Altrorrtcmischc Sprachdenkmale , sur
le vers 1 ^ 5 du Boèce, — Etymologisches Wdrte(buch II s. v. duire^ — Gramme
II, 246); conformément à cette doctrine M. Paris dans sa restitution écrit
DuiST, DUIT {Romanial, 304). M. Diez, dans la seconde et la troisième édition
de son dictionnaire, hésite sur l'opinion qu'il avait si souvent émise : il recon-
naît qu'il faut admettre « wenigstens eine mischung der verba docere und du-
CERE. » Cette confusion même ne me paraît nullement établie pour les premiers
temps de la langue, et voici pourquoi. — Dans les deux vers du S. Léger où
les tormes en litige signifient nettement « enseigner », elles ont un o : ggillo
doist bien de ciel saueir, Et cum il but doit de ciel art ; dans deux autres vers où
des formes analogues signifient nettement « conduire r> elles ont un u : al rei la
duistrcnt soi parent 2 b, et se l. duis a son dam 33 f. Le Donat proensal p. 55 a
DOHTZ ; DOCTus SOUS OHTZ Lug, or o larg ne peut venir que de 0 latin et
non de u (P. Meyer, Mcm. de la soc. de ling. I, i<i2 ss.i, et par conséquent
DOCTUS est non-seulement la traduction, mais l'étymologie de dohtz. L'existence
du verbe latin docere en provençal est d'ailleurs assurée par dozén au vers
1 5 5 du Boèce et par la phrase el vos dozera tétas chômas dans l'évangile de S.
Jean (Bartsch, Chrcstom. prov. 1 i, 391. M. Diez avait jadis admis dans ce verbe
DOZER; sans hésitation le lat. docere ; et il reconnaissait le part, doctus dans
lefém. pi. DOTAS rimant {Geistl. Lieder-^\, 16) avecroTAS (\'o\r Jahrbuchl^ 366).
Et l'existence en provençal d'un parfait qui serait en latin * dôxit (sur l'exten-
sion du parfait sigmatique en pr. et en fr. voir Diez, Gramw. II, 212, 242) est
assurée par un vers que cite M. Diez lui-même (Raynouard, C/ïo/'x des poésies des
troubadours V, 34) : gen ienseignet cortesia e la duois ; duois rime avec divers
Oi ET Ui EN FRANÇAIS
?2
hodie
oi VPA hoi 0 hui 0
hui
modium
moi C, norm. guer-
nesiais moue mo-
yeu = it. MOZZO
muid
*moria'
muire
* nocëre
nuisir Ph. de Thaun
Comp. 289, nuire
:: conduire (Cres-
tien, Bartscii 1 59,
27)
nuire
(nuisait)
odium
[anois :: François!
angl. ANNOY
ennui
(ennuyer)
olea
[oile] angl. oïl
huile
(huilier)
'poteo
poisSDposcLpuisA
puis
potui
poi A
* posseam 2
.puisset A poissent A
puisse 0 poscio-
mes P poissum
puisum A
puisse
(puissions)
* plovia '
pluie
podium
normand guernesiais
APPOiAÏR appuyer
pui
(appuyer,)
rogo
ruis
^trovo
truis::puis(Crestien,
Bartsch 162^ 18)
couveJ't ' âlbxina
■[aloisne]
aluine
BoiA (boy y a)
[boye buie]
mots qui ont uo issu de o bref, de sorte que la forme ne peut être douteuse.
Rien n'est évidemment plus légitime que d'identifier le doit du S. Léger avec le
pr. DOHT, le DOiST du S. Léger avec le pr. duois. Plus tard le fr. a dit duit
pour instruit : c'est que doit avait changé son oi en ùi comme noit, pois ou
OILE ; le mélange des deux mots docere et ducere s'est donc produit par
coïncidence phonétique plutôt que par confusion logique, ducere peut d'ailleurs
avoir pris un sens dérivé tel que guider, amener par l'instruction, élever, ins-
truire (ce qui est arrivé pour l'esp. ducir), mais jamais un homme de l'époque
du S. Léger n'aurait pu employer une locution comme // lo duist de «/ saveir ou
il l'aut duit DE cek art. — On lit dans le Choix de Raynouard, V, 32 : gen
m'adutz de las artz de l'escola ; où M. Diez corrige ipartiellenîent) m'a dut:.
M. Meyer m'informe que les textes publiés par M. Mahn (Gedichte etc. n"" 155
et 4 1 2) donnent maduich ( - m'àduich) d'après le ms. 1 ^92, et m.\duit ( = m'a
duit) d'après le ms. 1749. Ou le poète méridional a cédé ici à une influence
française, ou — ce qui est beaucoup plus probable — nous avons simplement
un exemple de plus de la confusion provençale de 01 et ui (Diez, Gramm. I, 395,
trad. I, 566); en tout cas duich représente ici doctum, non ductum. —
Ajoutons que l'existence d'un verbe français tiré de docere est rendue incontes-
table par le Fragment de Valenciennes, où doceiet, rapporté par M. Bartsch à
duire, ne peut répondre qu'à docebat.
1. Esp. S.\L-MTIERA. Ct. NURUS — it. NUORA eSp. NUKRA.
2. V. plus haut.
3. Cf. PLEUVE pr. PLUEVA == *PL0VAT.
328
L. HAVET
,
coxa '
cuisse
(cuissard)
noctem'
noit P nuit AO
nuit
(nuitée;
octo *
[oit] uitovre Ph. de
ThaunComp. 791
huit
(huitième)
ostrea *
[oistre] angl. oys-
TER
huître
(huîtnère)
post '
post EP poisses P
puis
proximus
troia '
posci L pois D
aproismâd aproisméd
P aprôisniet A
truie
non couvert modiolum
moyeu
II. w tr. prim
itit = to latin populaire
= ô ù ôin)
latin.
non couvert crwcem
croix L
croix
(croiser)
cwneum
coin
(co(i)gner)
dwno
duinstA;: seinor lin-
col etc. , duins R
622 :: barun
dormitwrium
dortoir
nwcaiem
[nualz (Rois), noiel]
noyau
nwcem
noix
(noisette)
wtiosum
oiseux
pwtionem
poison
swi, twi
soi P toi P tui A
testimwnium
témoin
(témoigner)
twsionem
toison
vwcem
voiz AO
voix
(voyelle)
couvert angwstia '
anguissose A anguis-
set R 2010 :: tur-
nent
angoisse
(angoisseux)
' bwscum '
bois :: estois (Cres-
tien, Bartsch 164,
18), :: vois(vADO,
Crestien, Mail p.
62)
bois
(boiser)
* bwxida <
boîte
boisseau
cwgnitum
cointes A :: Rome,
accoint
accointance
ductum
DuiT livre des Rois,
DouiT patois
doit, doite
a
*frustiat'
defruisent R 2588 :
curune
froisse
(froisser)
1 . V. plus haut.
2. Calibre d'un fil, = ducta ; duit duite, du participe refait sur duire.
3 . Mettre en morceaux, de frustum. Ne peut venir de frictus.
Ol ET Ui EN FRANÇAIS
329
grunnio
guttur
musteum ou
moiste
groin
goitre
moite
(gro(i)gner)
(goitreux)
(moiteur)
muccidum
nwsco '
reconuisse; A :: Ro-
me, R 3 $88 ::
duble, cunuist 0,
cunui 0 (cognovi)
connoisse
(conoissois)
pugnum
puing A , puingn R
767 :: bastun
poing
(poignée)
* stonnium ■
essuign R 1232 ;:
raisun, bosuign R
1366 :: bastun
soin, besoin
(soigner;
jungere pungere juindre R 923 ::
joindre.
(joignait)
wngere '
Rume, juintes R
poindre,
f peignait)
2015 :: dulce ,
juint R 2240 ::
barun (jungit)
oindre
(oignait)
uxorem
oissor
longe '
luinz A esluiner A
luign R 2$o ::
bastun
loin
(éloigner)
non couvert *aca)cula
"faenwculum
[pic. AGOUILLEJ
fenouil
* genwculum
*pedMCulum
ranwcula
genuilz R 2192 ::
baruns [genoil]
[renoille]
genou
pou
grenouille
(agenouiller)
(pouilleux)
(grenouillère)
vercùculum
verrou
(verrouiller)
couvert
ductilem
[doîlle]
douille
(andouiller)
*corruptiat
curuist 0
courrouce
(courroucer)
non couvert
: cwprium '
'dtoi
anglais copper
doi P dui AO [doi ::
foi Froissart] dui
:: lui (Crestien,
Bartsch 165, 22)
cuivre
(cuivrer)
strwere
angl. DESTROY
.. struire
swm
soi PAD sui AO
suid D
suis
couvert
bcoxum '
patois Bouis
buis
buisson '•
1. Voir plus haut.
2. Cf. Diez s. v. soGNA.
3. La quantité de y dans cyprium n'est connue que par l'étymologie consa
crée KÛTtpo;.
4. Diez s. V. lîosso.
Uo
L. HAVET
non couvert pcijteum
puits
(puiseau)
• pwteare *
(puise)
puiser
III. u français
primitif = u latin pop
ulaire = û
latin.
non couvert "acùtula*
aiguille
(aiguillée)
*ac/ïtiare'
(aiguise)
aiguiser
*bùca(?v.Littré)
buie
* cappùtiare '
(chapuise)
chapuiser
* cugitat *
cuident A precog-
ded percuidat P
(cuide)
cuider
ducere
duistrent L (duxe-
runt) déduit A et
cunduit R 3957
:: pendut (ducit)
déduit A (ductum)
dûitre 0 (ductori
duire
Cduisait)
fugitiparf.)
fuit
(fuissions)
* fùgit"
fuiet (fugiat) E R
2309:: tenue, fuit
R 1047 :: vencut
fuit
(fuyait)
*fuga*
fuieR3648::vencue
•fui"
fui AR 2371 :: me-
nuz
jù'lium
juillet
junium
juin
(juignet)
* lùcëre
luisentR 1 326 ::nue
luire
(luisait)
* minùtiare '
amenuiserai 0
(menuise)
menuiser
* pertùsium
pertuis
(pertuisane)
plus
pluisur A
* exs/ïcare "
essuie
essuyer
couvert fructum"
fruiz 0
fruit
(fruitier)
: ; ■'- -..via,-! —
1. Ce verbe présente une difficulté insoluble. Le normand dit pucher, forme
où il n'y a jamais eu de diphtiiongue : il faut donc partir^ de *pQteare. Le
* PÔTEUS auquel a recours M. Chabaneau, et qu'il justifie par une forme limou-
sine, ne peut expliquer pucher.
2. ACÛTULA, it. AGUGLIA AGUCCHIARE, CSp. AGUJA, fr. AIGUILLE ; it.
ACUCULA AGOCCHIA, pic. AGOuiLLE. Cf. Ronumia ÎI, 478, note 2.
3. Ti n'est représenté par is que devant la ■tonique : rationem raison mais
PLATEA PLACE. On devrait donc dire au présent aiguce, chapuce, menuce ;
mais l'analogie de l'infinitif a modifié ces formes. Inversement la forme propre
au présent a réagi en normand sur l'infinitif : agucher, capugher.
4. Esp. port. pr. cuidar.
5. û sous l'influence du parfait: it. fuggire, fuga.
6. It. FUI. Le latin populaire ou bien a conservé l'archaïque fûvi,ou bien l'a
refait d'après nOvi, sévi.
7. V. plus haut.
8. Entre û accentué et a, c to'mbe sans développer d'i : lactuca laitue.
Je mets donc essuie entre parenthèses : il ne vient pas de * exsûc.\t.
9. Cf. frQges.
oi ET m EN FRANÇAIS
iistium •
huis
strù'ctum ^
destruite A
..struit
tructa
truite
* ttitti 2
*tuit PLAO, toit L
:: mors, tuitMéon
Fabliaux III, 47
:: nuit
fôsionem
[foison fuison]
(huissier)
(.. struisait)
(truitelle)
niMcere
zinionem
toison
moisir
oignon
IV. au fç. primitif = au latin populaire = au latin.
couvert * auca
oie
(oison)
auà'io
oi 0 oie (audiam) ::
joie :: doie (lai
dou chievrefuel ,
Bartsch 214, 30)
bloieR 1 578:;portet
(oyez)
* kausium
coisir A
choix
(choisir)
* Mucat '
choie
(choyer)
g^udia
goie A :: tolget, joie
joie
(joyeux)
couvert
iiausea.
p<7ucum
Sapaudia
cl^ustrum
R 1 584 :: portât
:: desciose, joie 0
goiuse A, joie ::
la voie (Renart,
Bartsch 201 , 31)
noise A :: tolget,
noise:: voise(Cres-
tien, Mail p. 62)
pou A poi R 1050
:: corn
noise
Savoie
cloître
(Savoyard)
(cloîtrer)
A l'inspection des quatre tableaux on voit se dégager les lois suivantes .
I. 1" Dans les mots vraiment populaires, 0 fr. primitif donne
1 . V. plus haut.
2. It. TUTTI, pr. TuiT. M. Paris {Romania I, 282) propose de corriger en
TOST le TOIT du S. Léger , qui assone avec mors ; le motif en est que toit
devrait être prononcé avec m et mors avec 0, ce qui donnerait une assonance
inadmissible. Je crois qu'en efiet toit appelle nécessairement la correction to.st,
mais pour une autre raison : le mot se prononçait tùit et non toiit.
5. Pour "cAvrcAT tiré de cavkr'k comme * prndicat pknchk de pendkrk.
Norm. guernesiais couayf.r ménager, épargner, économiser; couayer 1? teu,
prendre irarde au danger du feu. — Je crois devoir repousser l'étymologie de
M. Sophus Bugge, Rom. III, 146; je ne pense pas que ciioykr ait aucun rap-
port avec le v. Ir. suer et l'it. soiare.
5 32 L. HAVET
aujourd'hui tu ((fuiRE cum hui muid nuire ennui huile muire pui
PLUIE ALUINE CUISSE NUIT HUIT HUÎTRE PUIS PUIS PUISSE TRUIE);
Dans les mêmes mots la vieille langue écrit souvent oi (coist
DOIST DOIT HOI MOI ANOIS OILE ALOISNE BOYE NOIT OIT OISTRE POIS POIS-
SENT POIS aproismet). L'o avait le son o comme le prouve l'asso-
nance COIST TOST ' ;
II. 2. Le son fr. primitif lo donne presque toujours oi coing
CROIX COIN DOI dortoir FROISSE MOITE CONNOISSE NOIX SOIN BESOIN
TÉMOIN VOIX ANGOISSE BOIS BOÎTE DOIT GROIN GOÎTRE POING JOINDRE
POINDRE OINDRE, — LOIN).
Dans les mêmes mots les textes oij u peut représenter le son w
présentent souvent ui; ce ui assone en o) (duinst détruisent reco-
nuisent bosuign anguisset puign juindre), non en li.
Les mots courrouce, douille, fenouil genou pou verrou,
grenouille ont eu jadis une diphthongue graphique oi dans certains
textes ui)2; elle assonait en o) comme celle des mots précédents
(genuilz).
?" Ont exceptionnellement iïi : cuivre détruire puits suis buis,
puise. La forme soi, l'angl. destroy et le eouis des patois (cf. douit)
montrent que le ui n'est pas plus primitif ici que quand il vient d'un
0 latin populaire.
III. 4° u fr. primitif^ devenu ii français , ne donne jamais que ui.
Ce ui a eu certainement le son iïi dès l'origine : il assone en iï dans
le Roland, et il ne faut pas douter qu'il n'eût pu déjà assoner en iï
dans le Saint Léger ou dans Sainte Eulalie.
JV. 5° au fr. primitif, qui ne diffère pas de au latin, ne donne
jamais en français que oi. Cette diphthongue avait le son oi à l'épo-
que du S. Alexis et du Roland, comme le prouvent les assonances.
Cela n'a rien d'étonnant, car l'o qui provient de au assone toujours en
0 (povre dans Alexis, desclose dans Roland).
En cherchant à combiner systématiquement ces résultats sans tenir
compte des déviations sporadiques, on voit que les quatre sources du fç.
primitif o w iï (u) au devaient être encore distinctes pour l'oreille à
i . La diphthongue oi, issue de o latin, prouverait, si cela n'était certain
d'ailleurs, que l'ô latin sonnait o et non w. Si donc dans l'Alexis lincol as-
sone en w, ce n'est pas que le dialecte du poème ait échappé à la diphthon-
gaison, c'est qu'il a contracté la diphthongye. De même Deu assone en e fer-
mé : donc c'est Deu qui vient de Dieu et non inversement (G. Paris, Alexis
p. 77). Même remarque pour ert ert [et (?) mes tes ses] (ib. p. 53).
2. L'i développé par le c latin a dû former aussi primitivement une diph-
thongue phonétique; il est possible d'ailleurs que cet i ait de très-bonne heure
cessé d'être entendu. Dans aiguille, cuiller nous le prononçons encore.
Ol ET Ui EN FRANÇAIS ^J3
l'époque de l'Alexis. D'une part en effet l'Alexis, et le Roland qui est
postérieur, font assoner en w les diphthongues issues de w, en iï les
diphthongues issues de iï, en o les diphthongues issues de au, ce qui
donne déjà trois diphthongues distinctes ; d'autre part les diphthongues
issues de o ne pouvaient se confondre ni avec les diphthongues issues de
(0 ou de au (puisque la langue moderne les en distingue) ni avec les
diphthongues issues de iï (puisque l'Alexis les rend encore souvent par la
notation oi ', et que ni dans l'Alexis ni dans le Roland elles ne se montrent
à l'assonance en iï). — Il y avait donc en français, à l'époque de l'Alexis,
quatre diphthongues ayant pour premier élément une voyelle issue d'une
voyelle latine labiale ou d'une diphthongue latine au, à savoir toi iïl oi
et une dernière diphthongue à déterminer.
Cette quatrième diphthongue, issue de o latin populaire, avait été
d'abord prononcée oi, et a depuis abouti à iïi. En autres termes, le
premier phonème était d'abord une voyelle ouverteappartenant à lasérie
labiale, et il est devenu une voyelle " extrême » appartenant à la série
linguale-labiale. Ou il est devenu voyelle extrême avant de changer de
série (et alors on aurait prononcé successivement oi Lui ui iïi] ou il a
changé de série avant de devenir voyelle extrême (et alors on a dû
prononcer successivement oi ôi w/ iïi^). La première hypothèse n'est pas
admissible, parce qu'au moment où le oi issu de o serait devenu w/, il se
serait confondu avec le w/ issu de w. Donc les intermédiaires ont été
oi, ii)i. Et comme à l'époque de l'Alexis cette diphthongue ne sonnait ni
oi ni iïi, on peut admettre que l'auteur du poème la prononçait oi (ou w/).
Le son o ou io n'existant pas ailleurs dans la langue de cette époque, on
conçoit que les mots qui contenaient cette diphthongue n'apparaissent
pas à l'assonance dans l'Alexis (ni dans le Roland) 3.
A l'époque de l'Eulalie la diphthongue issue de au ne sonnait pas
encore oi, car elle serait devenue iïi comme celle de coist. Ce n'était
pas non plus aui, car une vraie triphthongue est chose bien instable et
bien rare ; d'ailleurs au est déjà devenu monophihongue dans les serments
1. Laquelle doit venir de l'auteur et non du scribe anglo-normand; cf. G.
Paris, p. 66.
2. Une voyelle peut aboutir à une autre voyelle par plusieurs chemins, en
passant par des diphthongaisons diverses. Mais une diphthongue en se trans-
formant ne doit guère devenir triphthongue. Le cercle des hypothèses est donc
ici très-restreint. — Je ne puis me rendre à la théorie de M. Schuchardt qui
explique nuit par un intermédiaire nueit ; le changement de oi atone en ui
dans cuiLLKR demande une autre explication. M. Sch. n'indique d'ailleurs pas
par quelle série phonétique uei est devenu ii'i. Enfin Vo couvert, qui n'a laissé en
fç. aucune trace de diphthongaison, n'a pas dû former une diphthongue plus
stable en combinaison avec une troisième voyelle.
]. Si en V. fr. o devient o devant i est non ailleurs, c'est que ( est la voyelle
linguale par excellence. La langue commence à se soulever avant la formation de
Vi, et la voyelle labiale est changée en une voyelle labiale-linguale.
^^4 L. HAVET
(cosa). On peut conjecturer que, dans la période qui va des serments
à S'*^ Eulalie, le phonème monophthongue issu de au latin était x'. Par
conséquent, durant ceue période, noise par exemple devait se prononcer
Na/'sE. — A la môme époque la diphthongue issue de o sonnait encore
oi, car dans S''= Eulalie elle assone en o.
Le changement de oi en iii devait être accompli pour le scribe du
psautier d'Oxford, qui écrit déjà HUi, nuit, puisse*.
TABLEAU HISTORIQUE.
. latin classique
Sources , latin populaire
( français primitif
Langues des auteurs et des
scribes des Serments et de
l'Euldlie.
(j
0
0
01 écrit 01 ûi écrit ui
o, u
(•>
au
au
a*
(ùi écrit 01 a/ écrit oi
Langue de l'auteur de l'Alexis? décrit oi) "' ^^"-"^ "'^ "' ^^'•"^ °') °' (^'■"^ °')
Langue du scribe du psautier ûi écrit oi,
d'Oxford.
Langue actuelle
ui
ûi écrit ui
O)/ écrit 01,
ui
01 écrit 01
wi
(et ç/, wê, '^ê)
écrit ui
wa
(et tfû, M'a, ça, wê, çl)
écrit 01
En somme, le français actuel a un ûi primitif provenant de Q latin, et
un ai secondaire issu de ô (et sporadiquement de 5, n) latin. En outre
l'ancien français a eu un ui graphique prononcé w/.
Aidés de ce tableau nous pouvons revenir en arrière et étudier les
anomalies mentionnées plus haut, cuivre s;iis BÏiis détruire ont «/pro-
venant de 0)/ par l'intermédiaire de oi. Le changement sporadique de wi
en oi est ce qui fait difficulté. Mais dans la diphthongue w/ m est couvert:
or co couvert se change assez souvent en o, comme le prouvent flot
1. Le changement de au en a est postérieur à celui de c en ch. Ce dernier,
purement français, est postérieur au changement français-picard-provençal de u
en il. Donc le changement de nu en a est postérieur au changement de u en u;
ce qui justifie l'existence d'une période (français primitif du tableau suivant) oij a
et ù coexistent en français.
2. Le scribe du Psautier accentue p. ex. nu'it, donc ie changement de oi en
ai a eu lieu pendant que la diphthongue était encore décroissante. Dans Crestien
ùi issu de oi rime avec iii primitif (Mail p. 62) ; exemples Dur :: lui, nuire ::
CONDUIRE .
3. Notation approximative. — Peut-être des combinaisons qui m'ont échappé
ou des faits que j'ignore (surtout des faits relatifs au Roland) amèneront-ils quel-
que lecteur à modifier les dates que j'assigne aux trois périodes du vieux fran-
çais. Mais )e ne crois pas possible de réduire le nombre de ces périodes ou d'at-
tribuer à chacune d'elles une prononciation autre que celle que j'indique. —
Entre l'Eulalie et le S. Alexis 01 est devenu 01 et ai est devenu oi : des deux
phénomènes c'est le premier qui est le plus ancien, et il faut admettre qu'à un
certain moment les quatre diphthongues françaises sonnaient oi ùi wi ai.
Oi ET Ui EN FRANÇAIS ^ 3 5
MOT ' NOCES ORME (comparer les mots comme glorie étudiés plus
loin) 2, où 0 vient de u latin couvert. Ce rapprochement suffit pour
écarter l'embarras.?. — Au lieu de moyeu on attendrait muyeu (pour
un ancien moyeu) et pour moisir, foison, oignon on attendrait mu/sir,
Fti/soN, iï/GNON (avec un i/i très-ancien i. Mais 5 et Q protoniques sont
parfois représentés comme le seraient ô, ù, c'est-à-dire qu'ils deviennent
en vieux français w et en fr. actuel ou = u : môlinum moulin, nûtrire
nourrir. Il faut donc partir pour les mots en question des types mujdio-
LUM, mwcere, fojsionem, wnionem. Pour MOYEU on pourrait aussi pro-
poser une autre explication : après la chute du d de modiolum l'i aurait
gardé la valeur d'une consonne y et n'aurait point d'abord passé dans la
syllabe précédente (mo-^eu, cf. gladiolum gla-ieul); la diphthongue
serait donc d^origine récente comme dans foyer ou loyer (voir ci-des-
sous).
J'ai jusqu'ici négligé systématiquement les formes pronominales en ui,
dont l'origine est obscure. Les plus anciens textes, même Sainte Eulalie
{oii on ne rencontre jamais u pour to), les écrivent toujours par ui,
jamais par oi, et dans le Roland elles assonent en ii :
LUI EPLAjR 239 :: vencuz, OD
GUI PLAD
CELUI PA
cestui a
altrui R 196^ :: perdut
ICELUI 0
Il est donc certain que dans ces formes ïd n'est pas l'iii secondaire
issu de oi et qui suppose un 0 ou un u latin : c'est Vin primitif qui ne
peut provenir que de u latin. M. Chabaneau suppose ingénieusement que
la finale iii vient de la finale latine adverbiale ne, ou de la soudure de
l'adverbe huc avec un pronom.. Bien que M. Paris, dans la Romania,
repousse cette hypothèse, elle me paraît suffisamment appuyée par l'em-
ploi actuel de en, y, dont, anciens adverbes qui servent de formes
casuelles pour les pronoms il et qui. Les différences syntactiques qu'on
peut signaler entre l'emploi de y = ibi et lui = illum huc s'expliquent
1. Aujourd'hui, mais seulement par un phénomène récent, flw, Mw.
2. L'exemple gorge, comme me le fait observer M. Meyer, est douteux, car
l'étymologie généralement adoptée qui tire gorge de gurges n'est rien moins
que certaiile : gurges a donné régulièrement en prov. gorc, et en fr. (îort,
gourt, ou i'o est fermé : gorc figure dans la liste d'oRC csticit du Donat piocn-
sal, p. 55.
3. De plus ce même rapprochement fournit un indice chronologique à noter.
DansNUPTiAE etc. w a toujours été couvert; maisdans sum il ne l'a été qu'après
l'addition de l'i de la première personne, dans, les autres mots qui ont pris ùi
qu'après qu'un k ou un y eût développé un ; après \'u>. Voilà deux phénomènes
qui doivent être antérieurs au changement de w en 0 dans nuptiae eiç.
^;6 L. HAVET
naturellement par ce fait que lui contient un pronom ' et que y n'en
contient pas^
Les formes verbales que je ne cite pas se partagent en deux catégo-
ries : les unes rentrent dans les règles posées, les autres sont anomales
et s'expliquent par des phénomènes de conjugaison. Ainsi oint ne vient
pas de (/NCTUM : il est refait sur oindre = ungere.
II. OI, UI plus récens.
1 . 01.. pour 0..I.
non couvert Ambrosium
Ambroise
Evodium (Cha-
Yoise
baneau)
fôria
norm. foure
foire
(foireux)
memoria
memorie A :: tolget
mémoire
glOria
:: goie :: glorie
glorie A :: tolget ::
goie :: memorie,
glorie 0
gloire
histôria
estoire
* ebùreum
[ivurie Rois] ivoire
:: estoire (Cres-
tien , Bartsch
170, 18)
ivoire
(ivoirir)
bettonica
bétoine
canônicum
[canonies R] (assone
chanoine
(chanoinesse)
monachum
en w, Mail p. 61)
moine
(moinillon)
paeônia
sardônica
pivoine
sardoine
Aprônia(Chaba
Evroine
neau)
Pompônia (Cha
-
Pompoigne
baneau)
Dans tous ces mots l'assonance est en 0 devant a (cf. Mail p. 61),
bien que la voyelle étymologique soit tantôt ô tantôt ô ; ivurie dans les
Livres des Rois suppose néanmoins une prononciation ivojRie. Devant n
au contraire ô et ô donnent l'un et l'autre une assonance en w.
1 . Ou tout au moins est étroitement apparenté à un pronom fléchi (si lui =
iLLUc et non illum huc).
2. On trouve parfois (p. ex. dans Roland) loi, celoi ; le ms. L du Comput
de Philippe de Thaun a loist pour luist et deux fois join pour juin. Ce sont
là sans cloute des cas d' « umgekehrte schreibung ». Le scribe écrivait 01 tout
en prononçant ùi, parce qu'il était habitué à considérer comme équivalentes la
forme nouvelle Hur et la forme ancienne hoi (toutes deux sont dans le Psautier).
2. 01 POUR El.
beit
boit
seir
soir
creist
croît
Oi ET ui EN FRANÇAIS ]]J
bïbit
sërum
crescit
etc. etc. '
Crestien confond dans ses rimes les trois oi issus de oi, où et ei :
BOIS :: ESTOis, bois :: vois, noise :: voise. Il y aurait à rechercher par
l'étude des assonances et des rimes laquelle des trois sources o/, où, ei, a
été la dernière à se confondre avec les deux autres : si c'est ei, on ne
peut dire si Crestien prononçait oi ou oj/ la diphthongue issue de oi et de
(ùi, à laquelle il assimilait ei ; si c'est oi, coi et ei déjà réunis devaient
tous deux sonner oi.
^. 01, ui pour oï, uï.
' fôcarium fo-ier foyer
lôcarium lo-ier ' loyer
* nùcarium no-ier noyer
scQtarium escu-ier écuyer
bôtelluni [boel, bueaus Beneoit] boyau
* tudellum [tuel \ tuyau
[hoeaux] hoyau
baubari [aboans] aboyer
jûdaeum ju-if^ juif
'fiigire' fu-ir ^ fuir
Le 01 et le ui récents n'ont subi aucun changement graphique depuis
leur formation.
Résumé '*.
En français moderne :
1° 01 ancien (assonant en w, écrit dans les textes anglo-normands ui)
vient de m fr. primitif (= ô u latin, et ô tonique devant n ; sporadique-
ment substituée à ô et h protoniques).
i. Cf. LOCARE LO-RE.
2. Autrefois de deux syllabes.
3. It. FUGGIRE.
4. Je laisse de côté les mots obscurs étui, rruit, cuistre ("cDstor.?)
cocisTRO co-isTRE CUISTRE.?), les mots d'origine non latine moignon, suisse
SUIE SUINT, et d'autres qui ne se trouvent qu'en vieux français (broigne etc.);
enfin cinq mots où ui a pour source principale une voyelle linguale : rui(sseau)
SUIF suivre tuile vuide. Ce dernier est pour voide (v. Littré ; cf. vohts
avec OHTS larg, Donat proensal <,^).
Komania,lll 22
3^8 L. HAVET
2" 01 ancien (assonant en o, toujours écrit oi) vient de au.
3° ui ancien (assonant en ii, toujours écrit uij vient de iï fr. primi-
tif = ïï latin.
4° ui secondaire pour oi ancien 'assonant d'abord en o puis en lï, écrit
d'abord oi puis ui) vient de o fr. primitif ''^ o class.; — et sporadi-
quement 0) lat. populaire = u 5 class.;. Le oi était intact pour l'au-
teur de l'Eulalie, altéré pour l'auteur de l'Alexis, et avait achevé de deve-
nir lii pour le scribe du F^sautier'.
5° 01 et ui récents subsistent.
On pourrait résumer ces cinq règles en deux en leur donnant une
autre forme.
I. Les mêmes accidents qui atteignent les voyelles latines labiales (y
compris au) isolées les atteignent dans les diphthongues oi , ui (sauf
naturellement la diphthongaison de ô en uo;.
IL Le groupe phonétique oi, lorsqu'il existe dès l'époque de l'Eula-
lie, devient ui en français moderne (s'il ne se forme que plus tard il reste
0.).
Conséquence pratique. — Dans un texte comme le ms. Lde l'Alexis
l'éditeur doit substituer souvent oi à ui, jamais ui à oi : le copiste en
effet a substitué d'une part le ui anglo-normand à oi = loi, d'autre
part le iii récent à l'ancien oi. On écrira donc, comme l'a fait M. Paris,
coNoissENT DoiNST ESLOiNiER LOiNZ NoiT, bien que le ms. donne
toujours ui dans ces formes; pois poisse; de plus on rectifiera angois-
sosE DOi POING SOI TOI (et MoiLiER, prononccr miùl'ief).
L. Havet.
1 . Je ne donne cette dernière date qu'avec réserves. Peut-être le changement
était-il accompli plus tôt.
BERTA DE LI GRAN PIÉ
Quando io, or ha molti anni, ebbi per lungo tempo fra mani il cod.
Gall. XIII. délia Marciana di Venezia, copiai, oltre ail' episodio di Ma-
caire, anche i due di Berta madré di Carlo Magno e di Berta madré
d'Orlando. Il primo di questi due io offersi al mio diletto amico, Gaston
Paris; il quale nella nota i délia pagina 166 délia sua Histoire poétique
de Charlemagne ne fa ricordo, aggiugnendo che nella mia copia manca-
vano in principio un centinajodi versi_(i 38), ch'io aveva smarriti. Quando
s'imprese a publicare la Romania, Paris pensô alla Berta, e procuratisi
dal S'' Adolfo Bartoli i versi mancanti, ne annunciô la publicazione.
Aveva pieno diritto di occuparsene egli stesso, e solo la cortese sua
modestia voile che figurassi io quai editore. Noto questo, affmchè non
paja che io mi sia ripreso il donativo da lungo fatto. Ora i lettori délia
Romania, a cui in tanti fascicoli di questo periodico fu già annunciato
l'episodio, vedono fmalmente mantenuta la promessa. Era mia intenzione
in sul principio di mandar innanzi ai rozzi versi una introduzione, in cui
si annoverassero le versioni di questa storia e si venissero confrontando
fra di loro ; poi mi tolsi giù da questo pensiero, perché una grande
parte del lavoro era già stata fatta, e quello che resta a dire, con parti-
colare riguardo al nostro testO;, tocca dirlo a quel raro ingegno del mio
Pio Rajna, il quale da lungo fa suo studio spéciale di tutti i poemi con-
tenuti nella grande compilazione del codice Marciano. Il trattare in modo
manchevole un argomento, cui altri puô, e certo fra brève vorrà,
trattare pienamente, mi è sempre paruto, non che inutile, dannoso. Ac-
cettino dunque i lettori del nostro periodico il testo senza più ; chè anche
cosî, senza illustrazione letteraria, non è privo affatto d'intéressé.
Ad. Mussafia.
Vienna, 1 giugno 1874.
340 AD. MUSSAFIA
Li rois Pépin avec ses baron
Tcnoit gran cori a Paris sa mason,
E fu a Pentecoste dopos l'Asension ;
Çente li fu de mante légion,
5 Aquilon de Baiver li adota e semon
m avec lu Bcrnarde de Clerinon,
Rayner ii pros e li conte Grifon ;
Gran fu la cort, major non la vi hon;
Çivalçent e bagordent, donent robe a foson.
10 Dist l'un a l'altro : « Por qe le çelaron r
La cort de li rois no vale un boton,
Quando non oit une dame al galon,
Dont il aûst o fiol o guarçon,
Qe apreso de sa morte e de sa decesion
1 5 Qe fust notre rois cum esere dovon,
E mantenist en pase soe rion,
E par lu aùmes guarison. )>
Grant fu la cort entorno e inviron.
Quando li rois vol montar en arçon,
20 Avec lui en monta plus de mil baron,
Tuti filz de çivaler, de dux o de con,
Mais seguente li rois ne le fo nesun hon
Qe tanto fust avanti como fu Aquilon,
Qe dux è de Bavière, de celle région ;
2^ En tût Alemagne non oit conpagnon ;
Et avec lui si fu Bernard de Clermon,
E Morande de Rivere e le dux Salamon.
Or stetes en pais, si oldirés sta cançon,
De diverse colse qe nu vos contaron,
50 Tal tradimenti qe mais ne le oldi hon,
E por una dame el cresè tel tençon
Donde ne mori plus de x mil baron ;
E P'rança tota fu en tel tençon,
Nen fust Deo qe le fe reençon,
5 5 Le batesmo fust a destruçion ;
Trosqua a Rome fo la persecucion.
Grant fu la cort, meravilosa e plener,
Qe H rois Pépin oit fato asembler;
Asa' li sont baron e çivaler,
40 Mandé avoit par tôt la river ;
Asa' li son venu bufaor e çubler, (fol. 7 c)
E altra zent, peon e baçaler,
Por veoir celle cort e por le tornoier,
E por veoir baler e danser ;
45 Li son venu plus de .x. miler,
Qe tôt avoient da boir e da mançer.
Ne le fu nul qi fu ii plu lainer,
47 Cod. Ne le fe.
BERTA DE LI GRAN PIÉ ^4!
Qe le fose dito que se trese arer.
Li çivaler bagorda por li verçer,
^o E por amor de dame çostrent a tornoier :
Doncha verisi mante robe mostrer
De divers! color de palij e de çender,
Qe pois li ont doné a li çubler
Por far se anomer por l'estrançe river.
)^ Ma un çubler li fu qi fu li plu alter
E qe era adobé a lo de çivaler,
Et estoit plu anomés en cort de prinçer
Qe nul autres qe faça qel mester :
Ben savoit tornoier e bagorder
60 E ben parler e molto ben derasner.
El no è cort de la ne de ça da mer
Qe s'el ge volu aler et erer
Qe in tôt cort no sia ançoner ;
Si dona le robe a qi le vol doner,
6S Lengue el soit de plesore mainer.
En Ongarie avoit eu gran mester,
E celle rois qe l'oit a governer
A gran mervele l'amoit e tenoit çer ;
D'Ongarie soit e l'insir e l'intrer,
70 Si conose de li rois e li filz e li frer,
E ensement Relisant sa muler.
Et oit vécu sa file qe molto se fait loer,
Bella e cortois cum le çio del verçer.
Tant è sa belté qe nul liomo la poit blasmer ;
75 Ma una colsa oit qe la fa anomer
Berta da li pe grandi, si se fa apeler;
De fin q'era petita si la clama sa mer.
E qui vora ste roman ascolter,
E por rason le vora adoter,
80 Pora oldire de qi la fo mer :
De le nasi Karlo li enperer,
Qe po fu rois de tôt li batister ;
Mes avanti qe lo aùst eu a governer,
Petite fantin ssen convene scanper ;
85 El no fo tera qe l'olsase bailer :
A Saragoça cum Turchi et Escler,
Li convene stare e demorer ;
Son per si li fo morto e Berta soa mer,
Qe du son frer le fe atoseger ;
90 Mais el ge fo un valant çivaler (fol. 7 J)
Qe mais nol volse deliquir ni laser,
E quello fu Morando de River ;
E li rois Galafrio si le fe alever.
Avec Marsilio li fasoit mançer;
95 Ne vos pois tôt li plais aquiter.
Cornent el s'en foçi coiament al celer,
Î42
AD. MIJSSAFIA
Si le conduse Morando de River
Por la paure de qui' malvasi Escler
Qe li voloit oncir c detrencer ;
100 Por sorte i pooit e veoir e trover
Qe costu devoit regnar toto l'inperer
Et eser rois de tuto li batister ;
Trosque a Rome a l'altare de San Per
Li amenô Morando de River,
loj Eviec(?> li rois, qi [fuj perde sa mer,
Li vene en secorso cum .x. mil çivaler,
E Lanfre e Landros, qe erent anbidos frer,
De li reame li farent descaçer.
Dont furent morti cum vos oldirés conter.
1 10 E cum Damenedé li voir justisier,
Mandô ses angle c' um clama Gabrier
Qe coronô Karlo maino enprimer
De la corone de lo santo enperer :
Por ço devés vonter sta cançon ascolter.
1 1 3 Grant mervelle fu celle çubler valant ;
Saço e cortois e ben aparisant,
E soit ben parler en lengua de romant ;
De tôt le cort el soit le convant
E de l'afaire el soit li fondamant.
120 El ven davant li rois, si li dist en riant ;
«Ai! sire rois de França, molto estes manant,
La vestra corte è bella e avenant.
Non è major en le bateçamant ;
Si 0 çerché jusqua in Jerusalant,
125 Non trovo nula c'aça baron tant;
Ma non vos poés apriser la monte d'un besant
Quando dama non avés a li vestre cornant,
Donde vu avisi e fio e infant,
Qe pois la vestre morte mantenist li reant.
130 E quando a vos [plaist] et vos fust a talant,
Una vos contaria cortois et avenant.
Et è filla de rois cum vu si ensemant :
Plu bella dame non è in Oriant,
Ni an plu saçe, se la mer no me mant;
1 5 5 Una colsa oit qe tegno por niant :
Ela oit li pe asa' plus grant
Qe nulle autre dame qe soit de son convant; (fol. 8 a)
Berta da li pe grant, si l'apella la jant,
E soa mer oit nome Belisant,
140 Plu trancha rayne no è a li segle vivant.
Son per estoit rois d'Ongarie la grant.
Li rois Tintent, si s'en rise bellemant
Et al çubler el mostrô bel semblant ;
115c. bulçer.
BERTA DE LI GRAN PIÉ ^45
Por cella parola el non perde niant,
145 Doner li fe robe e guarnimant^
Et in apreso un palafroi anblant.
Quando li rois Pépin oit la parola oïe
Que cel çubler li oit arasn[i]e,
A gran mervelle le plase et agrie
1 50 E conose ben q'el non dise stultie,
De la parola oit son cor abrasie.
Tanto[s]to cum il oit la parola finie,
Le rois Pépin ne la oblia mie,
El se comanda a Deo le filz Marie,
155 A le çubler fi far gran cortesie
De riche robes, de palio e de samie,
Un palafroi li done a la sella dorie.
Li rois li oit la soa fo plovie
Qe s'el avent qe cel sia conplie,
i6o Qe cella dame el aça por amie
E por muler elo l'aça sposie,
Tant li donera avoir e manentie
Asa' n'avéra tôt li tempo de sa vie,
Mais no li fara mester fare çugolarie,
165 E le çubler molto ben le mercie.
Li rois Pipin non se nne tardô mie
Ne n'oit metu la colsa en oblie,
El fa apeler la soa baronie
Et avec lor la soa çivalerie,
170 Aquilon de Baivere, o'cotanto se fie,
E Bernardo de Clermont a la çera ardie
Morando de Rivere e li cont de San Çie,
Plus de cento baron el n'oie:
« Segnur » fait il « ne lairô nen vos die,
175 Conseil vos demando d'avoir compagnie
De una dame qe estoit d'Ongarie,
Fila est li rois e saça e dotie.
Se me doneç dama, vu fari cortesie;
Forsi le voroit le fil Santé Marie
180 Qe d'ele averoie 0 fiolo 0 fie,
Qe guardera ste regno, quando serô fenie. »
Li primer qe parlô fu li dux Aquilon, (fol. 8 b)
Qe ten la tere entor e inviron.
E quel fu père de le dux Naimon,
185 En estant fu, s'apoia a un baston,
Davant Pépin el dist una rason :
« Gentile rois, por qe vos çelaron?
Grant è vostra tere e grande région,
Anomé estes plu de nul rois dcl mon,
190 Asa' avés çivaler e baron ;
Se vu morise sença filz 0 guarçon,
Entro nos seroit e nosa e tençon ;
U4
AD. MUSSAFIA
Oui' de Magance e qui' de Besençon
È^qui' d'Austne cuti quille de Clernion,
195 Çascun de lor demandaroit la coron;
Ma s'erese avés a ves decesion,
Questo non po avenire por nesune cason.
Ora prendés le conseil qe vos don
E non créés a dilo de bricon :
200 Frendés una dame de qualche région,
Q_e fila estoit de rois 0 de con ;
E non è nulla jusqu'à li car Faraon,
Se la vorés, qe i no ve la don
Cun grant avoir e cun grande machon. »
2o<) E dist li rois : « Ben vos entendo, Aquilon,
Li ves conseil senpre 0 trovà bon,
Ma' no me diisi colsa de traison
Ne qe a nul fese altro qe ben non. »
Bernardo de Clermont si fu en pé levé,
210 Saçes homo fu, si fu ben adoté,
(Père si fu Milon, si como vu savé,
E quel Milon lu per Rolando l'avoé,
Si oit par muler Berta la insené ;
Quando de la corte elo fo sbanoé,
21 5 D'ele naque Rolando, si com vos oldiré.
Avant qe ces roman soia toto fine.)
E Bernardo parlô cum sajes e doté :
« Çentile rois, sacés por vérité,
E'no so pais qe vos en demandé;
220 Aquilon v'oil un tel conseil doné,
Qe ça par moi nen sera amendé.
Quel qe volés faire si le faites en bré,
De prender dama e saça e doté ;
Ora ne dites se n'aveç rasné
225 De nula qe soit en la Cresteneté. «
« Si 0 » dist li rois « s'el vos vent a gré,
Fia d'un rois e de gran parenté
De Ongarie e de quel régné ;
S'el ne la done, seron çoiant e lé,
250 Qe un çubler qe è qui arivé (}o\. 8 c)
Por veoir questa cort e la nobilité
Tuto li son afaire el m'a dito e conté,
Qe in la dama no è nul falsité,
Salvo q'ela oit un poco grande li pé;
235 Nian por ço non vo' je qe stage,
Q^i la po avoir, qe no la demandé. »
Li baron s'en rist, si s'en oit gabé.
Dist li rois : « Nel teneç a vilté ;
Se Deo me dona gracia no m'aça refué,
240 Por qe eo sui petit e desformé,
Altament eo serè marié. »
BERTA DE LI GRAN PIÉ 345
En son estant Morando se leva.
Quel de Rivere, qe gran segnoria a ;
Meltre de lui non è en Crestentà,
24^ Dist a li rois : « Mun sire, entendes ça,
Veeç Aquilon qe v'a li conseil donà,
En Crestentés non è milor ne unques non sera.
Qui' mesaçer prendés que se convegnerà,
Mandés en Ongaria, la dama querira
250 A quello rois qe la engendra
Qe l'oit norie e qe in cura la a.
S'el vos la done, i vos la menara,
Colsa como no, arer tornera. »
Dist li rois : « Qi envoler li pora,
255 E qi de ço li conseil me dondra ? »
Dist Aquilon : « Penseo e' l'o ça,
Si qe nesun no le stratornera.
Colu voio eser qe li pla movera,
Bernar[d] de Clermonte avec moi vera,
260 E Morando de Rivere qe nos convoiera,
E Grifon d'Altafoile que li rois tant anama. »
Doçe furent qe Aquilon oit nombrà,
Tôt li milor qe in la corte a,
No le fo nul li quai s'en escusa,
26^ Çascun li vait de bona voluntà ;
Mal aça quel qe proier se lasa!
De riçe robes çascun si s'adoba
E son pooir çascuno si mostra.
Aquilon de Baiver e li altri anbasaor,
270 Por complasir a li rois qi tenent a signor,
Se font far robes de diversi color,
A li palafroi le selle pinte a flor
Tute endorés de oro le milor ;
Çamais tel anbasea non se vite ancor;
275 De doçe baron colu qe i e menor
Avoit a guarder richo çastel e tor (fol. S d)
E richa cité por li ses ancesor,
Qe mas non querent lâbor
Da Deo e da Pépin qe tinent por segnor.
280 Li rois lor dist dolçement por amor :
« Entendes moi, li me anbasaor,
E' vos voio proier por Deo li criator,
E[n]si cun a vos en cal de mun amor,
Qe a li rois d'Ongarie non sia' mentior,
285 Le vor diés, non sia' boseor.
De ma fature e de mes cor ancor ;
S'el vos dona sa file^ me ne sia a onor;
Colsa como no, tosto faites retor,
Qe d'altra dama nu pensaron ancor. »
290 Dist Aquilon : « No ve metés en iror,
546 AD. MUSSAFIA
Tosto conpiiron ceste nostre labor. »
Li mesaçcr nen son pais demoré,
A son oster se son reparié
Et a li rois conçé oit demandé,
295 Et el li oit doné e otrié,
De riçe robes fo ben çaschun coroé
E palafroi richament açesmé;
Plus de trenta somer ont d'arnise carce;
E quant de tôt i furent aparilé,
3oo Avant qe de Parise i fosen desevré,
Li fo la mesa dita e l'oficio çanté,
E tuti doçe furent cominié
Del cor Jesu benei e sagré.
E quando i venent a prender li concé
3o5 Li rois meesme fu a çival monté
Cun plus de mil de li son parenté,
Avec lor i sont çivalcé
Plu de dos lègue fora de la cité ,
Pois s'en tornent, a Deo li ont comandé,
3io E qui' s'en vont baldi, çoiant e lé.
N'en son pais mie por Alemagna aie
Cun i farent quant furent retorné ;
Por la Provence i sont oltrapasé
E Lon[bar]die, cun est lunga e lé,
3 1 j E a Venecie i furent in nef entré
Qe in Sclavanie i font arivé.
Qui' n'ese in tere e sunt açaminé,
Tant alirent nen furent seçorné ;
Li rois trovent a una soa cité,
320 O il avoit lungo tenpo esté.
Li anbasaor si se sunt ostalé
A li milor aibergo qe soit en la cité;
E quant i oit e bevu e mançé, (foU 9 ti)
Li son oster oit a li rois mandé
325 Qe anbasaor sont de França li régné;
A lu !i oit li rois Pipin mandé,
Si le porta novela de gran nobilité,
Dont el sera molto çoiant e lé.
E li oster fu saço e doté,
330 Ne non oit mia la ovra oblié;
Vent a li rois, si ge l'oit conté.
« Mon sir » dist l'oster « e' no vel voio noier,
Descendu sont anco' a mon oster,
Dise qe son de França vegnu qui vos a parler
335 Da parte li son rois qi est de gran berner,
E novelle v' aporta dont le devreç agraer;
Quant el vos plait, vos vira a parler. »
Quando li rois oit oldu li oster
E la novele q'el dis di mesaçer,
BERTA DE LI GRAN PIÉ ?47
540 El promis a Deo H voir justisier
Qe no li envoiara nesuno mesaçer,
Ma il meesme li alira amener.
Nen volse pais longament entarder ;
De ses baron, e quanti ne pote trover,
545 Tuti li foit a uno amaser,
Cun le çentil homes li milor de son terer
Vont arer li cortois hoster.
Quant a sa mason venent aprosmer,
Li oster fu sajes, si savoit desevrer.
jjo Avant vait corando anonçer
A li anbasatori dire e conter
Qe li venent veoir e convoier.
E ei non volent mie tant aspeter
Qe li rois doùst in l'aibergo entrer;
3 5 5 Defor ensent por li rois honorer ;
A l'incontrer l'un l'autro s'en vont acliner
E dolçement l'un l'autro saluer;
Por man se prendent, se metent a erer
Tros li pales sor la sale plener.
j6o Li rois d'Ongarie si fu saço e manant,
Cortois e pros e ben aparisant
A qui' anbasaiir en mostrô bel senblant;
Si le demande e ben e dolçemant :
« Qe est de mun segnor le riche rois de Franc? »
365 E cil li dient : « El è sano e çoiant,
E si vo ame de cor lialmant. »
Dist li rois : « Soia a li Deo cornant. » (fol. 9 b)
Molto se merveie li rois e soa çant,
Nen cuitoit pais tant fust la colsa avant.
370 Li rois si fu cortois e valant,
Le primer jorno ne le dise niant,
Me l'altro iorno elo-1 fi saçemant ;
El fe convoier di meltri de sa jant
Tant q'il n'avoit plus de cento sesant.
575 Un disner el fi fare molto richo e grant,
E qui' mesajes si li fu al presant ;
Honoré fu de molto riche provant,
Si qe molto le loent li anbasaor de Franc ;
Ma una colsa li fu qe despressiô vilmant,
}8o Qe no se mançava sor disches ni sor banc ;
Le tables furent mises desor li pavimant ;
Quando ci le vecnt si s'en voit gabant.
Aquilon estoit près li rois en séant,
Si le parle bêlement en riant :
385 « Ai sire rois, vos estes si manant ;
Avec tel carestie de dische e de banc?
En nostra tere si manue li truant
E la jent poure e la menue jant.
548 AD. MUSSAFIA
Qe non oit da spendere or coito m arçani ,
J90 Mais s'el vos [piaist, s'] el no vos vait noiant,
Deman faron pariler altremant. »
Dist li rois : « Soia a ii ves cornant, n
Dont farent pariler disches e banc ;
Quant le rois le vi, si le diste belemant :
59^ « P'aites cosl en le tere de Franc? »
— Oil uoir, sire, le petit e li grant,
Li çivaler e tôt li mercant. »
E l'altro jorno qe fu ilec seguant
Li rois con ii mesajes si fu ai parlamant ,
400 Afor li rois ne le fo homo vivant,
En una çanbre furent coicmant,
E Aquilon si parlô primemant,
Si le dist l'anbasea, dont li rois fu çoiant.
« Bon rois d'Ongrie, e' voio qe vu saçé:
405 Celu qe a vos nos ont envoie
Est rois de France d'un molto bon régné.
De crestentés est li plus doté
E en le cuitrés est plus honoré ;
El n'oit a vos tramis et envoie
410 Por grant amor e por nobilité ;
Avec vos voria parenté,
Se eser poûst en voluntà de De
De una vestre file qe molto Ii e loé; Cfoi. gc)
El non a feme de ch' el aça rite:
415 Se le volés dare vestra file a sposé
El la prendera volunter e de gré,
Et avec vos si fara parenté.
Ma d'una colse no vos sera celé ;
A ço qe unques non fomes blasmé,
420 De soa fature vos dirô vérité :
Petit homo est, mais groso est e quaré
E de ses membres est ben aformé.
Questa anbasea el vos oit mandé,
E da sa parte vos l'avon noncié. »
42b Dist li rois « Vu siés ben trové !
Dites vos questo por droita vérité.?
È mon segnor tant ver de moi décliné
Qe avec moi vol fare parenté
E qe ma file soia soa sposé? «
43o — Oil » font il « por ço n'oit envoie. »
Dist li rois : « E' voio que vu saçé ;
La fatura de li rois vos m'avés conté.
Et eo de ma file vos dirô vérité :
Asa' estoit bêla e adorné,
435 Ma una colsa oit qe no v'ert celé ;
Maior d'altre dame oit grande li pé.
Mais una colsa voio qe vu saçé :
BERTA DE LI GRAN PIÉ 349
Tanto e' o mia fila amé
E ma muler qe l'avoit alevé
440 Qe se a li plase, est otrié e graé ;
Colsa conio no, nient avec ovré ;
No le daria a homo, s'el no g'è ben a gré. »
Dist Aquilon : « Dito avon l'anbasé ;
A la demant, quant Calba est levé,
445 Si vos pregon qe vos ne respondé. »
Dist ii rois : « Voluntera e de gré. »
Li rois d'Ongarie si fu legro e çoiant,
De l'anbasé el foit saçemant ;
Li mesaçer honorô riçemant,
45o A lor délivre ço qe quer e demant,
E si le foit hostaler riçemant
De tote quele colse qe a çenti hon apant.
Le çentii rois non s'areste niant,
Entra en sa çanbre, si trov6 Belisant,
455 Soa gentil muler, cun Berta a parlamant.
Quando li rois le vi, si li dist en oiant :
« Dame » fait il « honor vos crese grant ;
Se vu li otriés, nu avon bon parant ;
Qe li rois a chi França apant
460 M'oit envoie anbasaor de sa çant (fol. 9 d)
Por quérir ma file, Berte da li pe grant ;
Por muler le demande, s'ela li consant.
Mes avant qe l'ovre vait plus avant
De sa fature e' vos dire alquant :
465 El est petit e non guare mie grant,
Desformé est da tote l'autre jant.
Si est groser in menbres et in flanc ;
Ma noportant ben sest en auferant,
Si è prodon en bataile de canp,
470 Rois è de France corona d'or portant.
Non è nul rois en le segle vivant
Q_e [de] nobilité soit a lu parisant. »
Quant la parole oit oldu Belisant,
Sa filla guarde, si li dist en riant :
473 « Filla » fait il « a vos ven ste convant ;
Vostro per vos a dito tôt li convenant
De sa fature e de le so scnblant ;
S'elo vos plait, dites seguremant ;
Colsa como no, no s'en fara niant;
480 Asa' avon de l'or e de l'arçant,
Ben vos poon ancora guarder longo tanp,
E pois vos donaron a un altro amirant,
Qe forsi a vos sera plus en talant
Qe cil no è, qe par petit enfant. «
440 Qe a se. — 469 pordon.
^O AD. MUSSAFIA
4**^ Berta oldi si parler Belisant,
Soa gentil mer, qe la perama tant,
E de son per oldi li convenant ;
Ça oldiré parler Berta' da li pe grant,
E cornent a li per parte saçfcmjant ;
490 Ne la poroit reprender hon qe soia vivant.
K la raine c'oit nome Belisant
Ancor a sa file parlé en oiant :
« Fiila » fait ila « entendi saçamant :
Ancor non savés qe soia hon niant;
495 Ne prendez celui qe no ve sia a talant,
E qe de lui ben no si contant.
Colu qe prenderés, o petit 0 grant,
Viver devés con lui a touto ves vivant ;
Non fi doné la dame par un di e un ant ;
5oo Ma se dapois no li plas, da q'è fato li convant,
E qu'ela faça colsa qe non sia avenant
A son segnor, porta tel penetant :
Brusea fi, cité la polvere al vant,
Senpre n'oit vergogne tôt li ses parant,
5o5 Dolent ne sont a tute son vivant.
Questo te diç eo ben si portanp,
Qe io non voria pois avoir blasmo da la jant ;
S'el ben te plas, dilo seguremant ,
E no te dotar de hon qe soia vivant, (fol. 10a)
3io Cha por çel Deo qi naque in Oriant,
Qe dapois qe serés aléa a son cornant,
E vilanie li fais de niant,
E' non staroge par tôt l'or qe fu anc
Qe de vu non venisse a far li çuçemant. »
5i5 « Filla » dist la raine « e' vos voie enproier
Qe primament vos diça' porpenser
S'elo vos plas cel petit çivaler,
Qe est rois de France e de Baiver;
Veeç qui avec vos vos per,
520 Qe contra vos voloir ne vos le voledoner;
Cortesement a quilli mesaçer
De l'anbasea li respondera arer,
Si qe nu no seren pais mie da blasmer. »
Quant la polçele olde sa mer parler
525 Et avec le la vede son per,
Un poco porpense, si le respont arer :
« Père » fait ella « e vos qe si ma mer,
Si me devés droitament conseler ;
El est venu de França mesaçer
53o Qe molto sonto da loer e priser;
495 no le sia. — 496 no se contant. — 505 Dolente. — 507 poria pois. —
)i9 auec uos uos père.
BERTA DE LI GRAN PIÉ 55 I
Li rois de France si me vol por muler
E cun raine far moi encoroner ;
E' no so pais ne dire por rasner
Cornent me porisi plu altament marier;
535 Se dites qe celle rois cun altro çivaler
Non è pais si grande ni plener,
Nian por ço no li voio refuser,
Qe de petito albore bon fruto se po mançer,
E quel del grant si non val un diner.
540 Questa ventura, qe Deo vos vol doner,
Si la prendés de grec e volunter;
Et eo si vos 1' otrio e le voio volunter.
Et a vos, raïne, qe estes mia mer
De moi non aça' uncha mes reo penser,
543 Qe de moi oldés ne dire ni conter
Nulla colse qe vos diça noier ;
Mon segnor amarô de grec, e volunter. »
Li rois Tintent, si la vait acoller
E por la face droitament a baser;
55o Quant el olde sa file li pla acreenter,
S'el oit çoie non è da demander.
Por man el pris soa çentil muler,
Sor le paies venent a li mesaçer,
E lasa sa file entro la cambra polser.
355 Li rois d'Ongarie, c'oit nome Alfaris,' (fol. 10 b)
A gran mervile estoit de gran pris,
E sa muler oit si le cor ardis.
Non è çivaler en toto quel païs.
Conte ni dux^ principe ni marchis,
56o Qe la olsast guarder por me le vis.
Quant vide li mesaçi del rois da San Donis,
E vide qe tôt sont çivaler de gran pris,
Ela voit a celu qe li par plu altis,
Ce furent Aquilon de Baivera marchis;
565 Por la man li prent, si le fait bel vis,
E dolçement ela li parla e dis :
« De vestra venue, segnur, gran marcis.
Da parte li vestre rois, qe oit nome Pepis,
Si nos avés tel colsa requis
370 Qe vos si n'aurés toto li vos servis,
Qe mia file si n'è ben talentis ;
Dont çoiant tornarés en le vestre pais.
Si menarés ma file qe oit cler le vis. )«
Aquilon de Baiver si lu en pé levés,
375 A gran mervile fu saçes e dotés ;
Si fo vestu d'un palio rosés,
Grant oit Tinforchaiire e por le spale lés.
S S S none.
^2 AD. MUSSAFIA
Quella raine el oit merciés.
u Dama » fait il « il nen vos sera celés,
58o Nu semo doçe, tal dux ta! amirés,
De nostre rois nu semo tuti casés ,
E li menor oit çaste[lsj c cités ;
E si vos poso ben curer por lialtés
Qe in toto li mondo de la crestentés
385 El non è rois, princes ni amirés,
Qe de li rois de PVance sel tenis por vilté
De avec lui avoire parentés.
Quando nu averon vcstra file amenés
E qe raina sera encoronés,
390 E la sera de P'rançe raina clamés,
A gran mervile nen pori eser lés.
Se li rois è petito, Deo si l'oit formés ;
Ma no por tanto saça' por vérités :
Prodomo ert a çostrer en tornés ;
595 El non è çivaler, quel qe est li plu membres,
Cun q'il non çostri a lança et a spés. »
La dama s'en rise bellament e soés
E dist ad Aquilon : « Dites moi vérités,
Estes vos sire, conte ni amirés,
600 [Ami au] roi ni drudo ni privés?
— Si son, ma dame, en mia lialtés ; (M. 10 c)
Se li rois non fust en nos tôt fiés,
El no n'averoit qui alois envoies. »
Dist la dame : « Ben senblant n'avés;
6o5 A ves voloir et a ves voluntés
Ve soit mia file del tôt délivrés ,
A celle rois qe vu si l'amenés,
Q'elo ne face la soa voluntés. »
Dist Aquilon : « Mille marçè n'aies!
610 Çentil raine, nen vos doit noier.
Se vestra file vu ne volés doner.
Nu la prenderon de grec e volunter,
E por li rois nu Faveron sposer,
E pois avec nos nu l'averon mener.
61 5 Mais d'una ren nen vos voio enganer :
Quando li rois de France ven a prender muler,
Avant qe cun la dame el se diça acolçer.
Se fait la dame tuta nua despoler,
E fi ben guardea e davante e darer ;
620 S'el' aùst altro q'ela non par mostrer.
Le mariaço se tornaria arer. »
Dist la raine : « Non aça' quel penser ,
Qe la ma file vos farô despoiler,
Si la pores tôt por menu çercher;
591 nen pori.
BERTA DE LI GRAN PIE 355
625 Se VU no la trovés tuta sana e sençer,
Afors li pe, d'altro no me porés blasmer. »
Dist Aquilon : « De qui' no ve requer ;
Ma se me volés sor vostra fois creenter
Q_'el è ço voir qe vos oldo conter,
63o Ben me averô en vos afiancer.»
Dist la raine : « Entendes, çivaler,
Nen voio qe unchamés vu m'en diça' blasmer.
Entro ma çanbre vénères al celer
E' vos farô ma file despoler ;
635 Tota nue la porés veer. »
Qe vos do je li plais plus alonçer?
Quella raïne prist di çivaler
Dux Aquilon e Morando de R[i]ver,
Cun ceste dos vait en la çanbra entrer
640 E soa file oit fata despoler,
A celé dos la mostra e davante e darer ;
Qui' s'en contente, si s'en retorna arer.
Qi donc veïst tôt li mesaçer
Avec li rois la gran çoia mener !
645 Li rois nen volse la ovra oblier ;
El fa sa jent e baron asenbler,
Tôt li milor qi fu de son terer,
Por venir a sa file q'elo vol nucier. (fol. 10^)
Gran corte fo e davant e darer ,
65o Donda verisi çivaler tornier
E celle dames baler e caroier ;
Por amor de Berte le veïses danser.
Quella corte durô quinçe jor tos enter ,
Quant Aquilon vait a li rois parler
655 Por demander conçé, si s'en volent aler,
E a la raine dolçement proier
Qe soa file li diça délivrer.
Dist la raine : « De grec e volunter;
Or me laseç ma fille adorner. »
660 Cella raine si fu saça e valent,
A gran mervele oit li cor molt cent,
A soa file parloe dolçement :
« Filla » fait ella « li penser vos soment;
E' vos ai mariea molto onorablement,
665 Donde portarés corona d'or lusent;
E si vos ai delivrea a una strania gent.
Mener vos dovera a son comandament,
Asa' vos donarô e or coito e argent;
Siés cortese e ben aparisent,
670 Q'i no vos tenise raina da nient ;
A lor donés robe e vestiment.
Sor tute ren de li mondo vivent
Vestre segnor amenés loialment ,
Romania,III 23
?H
AD. MUSSAFIA
Si le farés toto li son talent ,
675 Serés cortois a tote l'autre jent,
A çascun serves loial e droitament,
Faites qe de vos no se blasmi escuer ni sarçent. »
Dist la dama : « E' l'o ben en talent,
Loial e' tegno vestro castigament ;
680 Et eo lo tirô a tuto mon vivent
E de questo states segurament. «
Dux Aquilon fu bon conseleor,
Unques al segle n'en estoit un milor
Ne qe a li rois faïst maior honor;
685 Per fu de Naimes qe sor tct fu la flor ;
Dist a li rois dolçement por amor :
(( Ai sire rois ! par Deo le criator,
Pois qe nu avon acompli nos labor,
Car ne faites bailer de Pipin sa usor,
690 Qe torner volen en le tere maior
E vestra file mener a grant honor.»
Dist li rois : « Volunter, sens busor. »
Li rois d'Ongarie nen volse demorer; (fol. 1 1 a)
El apelô Belisant sa muler :
695 « Dama » fait il « veeç li mesaçer,
Li quai ne vole vestra fila amener.
Car ge la bailés, se l'avés fata adorner
De tôt quelle colse qe li oit mester,
Qe no li manchi ren che se posa penser. »
700 Dist la raine : « Laseç quel pla ester;
Si grandement nu l'averon mander
Ne li faliria solo a li soler ;
Tôt ses arnise 0 fato renoveler. »
Adoncha fait venir li mesaçer,
705 Da l'autra parte Berta li fait erer :
« Segnur » fait ella « ne vos doia noier ,
Prendés la dama a ves justisier
E sana e salva vu la diça' mener
A son segnor qe l'oit adesier. »
710 Qui' li dient : « De grec e volunter.»
Un palafroi fait la raina coroer :
Qi_ sol la sela volese bragagner
Par mille livre ne la poroit esloier.
Cran fu la çoia quant vene al délivrer,
715 Grande fu quando vene al desevrer,
Qi_donc veïst la raïne soa fia baser;
Da l'autra part li rois qi è son per!
E la raïne fait carçer .xv. somer
D'or e d'avoir, d'or coito e de diner
720 E altretanti de robe da doner,
Qe tuti erent de palii e de çender.
Quando s'en prendent aler li mesaçer.
BERTA DE LI GRAN PIÉ ^JJ
Q_e soa file se deveroit desevrer,
Li rois e la raine comence a larmoier ;
725 E pois prendent a cival [a] monter
A plus de mille nobli çivaler,
Sa filla convoie plus de dos lègue enter ;
Al départir i la vont acoler.
Li rois e la raine començe a larmoier;
73o I s'en torne e lasa qui' aler,
I non soit mie li grande engonbrer.
Par Ongarie çivalçent trois jorni tôt enter
Qe del so non spendent valisant un diner.
Nen volse pais por Lonbardia torner;
735 Por Alamagne se prendent a erer.
Quant i çonçent a castel 0 docler
Et elo sia ora de l'alberçer,
I no vol pais in hoster alberçer;
A cha de cont 0 de gran çivaler
740 Quella dame i font desmonter (fol. 1 1 b)
E richament la font hostaler ;
No le fo dux, conte ni princer,
Qe por amor li rois que França oit a bailer
Ne la reçoit e vegala volunter.
743 E la raina tant fu cortois e ber,
S'ela trovava donçela da marier^
Fila de qui' qe l'avoit hostaler,
Por cortesia li vait a demander,
Si le promete altament marier.
75o Se i le done, mena sego vonter.
Tant çivalçent por via e por senter
Qe una soir a l'ora del vesprer
En Magançe venent a alberçer
A cha d'un conte qe oit nome Belençer,
755 Qe de qui' de Magançe a cil temps fu li plu alter.
Li mesaçer sont en Magança entré,
A cha de Belençer i sont alberçé,
E quel si le receve volunter e de gré,
Por amor li rois li oit molto honoré ;
760 Quel oit una file, plus bêla nen veré,
Qe a la raine fu si asomilé
Que l'una e l'autre quant fusen asenblé,
L'una da l'autre nen seroit desomilé.
A la raine venoit si a gré
765 Al hoir e al mançer ela li seoit a pé,
E in un lato ambesdoe colçé.
Terço çorno furent ilec seçorné;
Avanti q'ela fost partia ni sevré,
A son per l'oit queria e demandé,
728 acorler. — 738 uol uais. — 762 E l'una.
?56
AD. MUSSAFIA
770 Q^ela in França si vaga avec le
E li sea altament marié.
Tanto l'avoit Aquilone proie
E la raïne, q'el li oit délivré;
E altament el li oit mandé
77.S Un di milor de la soa contré,
Li quai si fu de le so parenté;
Por so bailo li avoit envoie
E qe li doni ço qe le fust a gré.
Li mesaçer sont a cival monté.
780 Quando a Paris i furent aprosmé,
Mesaçer ont a li rois envoie ,
Qe la raïne vent cum sa nobilité,
Si altament con raina encoroné.
De quela colsa li rois si fu çoiant e lé ;
785 El oit mandé par toto son régné
E fa venir li conte e li casé,
Por aler encontre fu a çival monté (fol. 1 1 c)
Plus de mile de çivaler prisé.
Quanto furent près Paris a meno de dos lé,
790 E Berta fu lases e tuta travalé,
Por q'ela oit cotanto çivalcé,
A la donçella oit dito e parlé :
« Çentil compagna, coven qe me serve
D'una colsa, donde v'averô gran gré. »
795 Dist la donçela : « Dites e com.andé;
Ço qe vos plait sera ben otrié. »
« Çentil polçele «dist Berte en oiant
« Toto me dole le costes e li flanc,
Por lo çivalçer sonto de maltalant;
800 Plus me confio en vos qa in persona vivant,
Por ço vos di mon cor e mon talant :
Se me devés unqamais servire de noiant,
En ceste noit farés li me cornant.
Si cum raïne vos fareç en avant
8o5 E intrarés in le çanbre ardiamant,
Et eo ser5 darere, starome planamant.
Cun li rois alirés in le leto solamant;
S'el vos volese toçer ni a vos dirniant.
Si le proies e ben e dolçemant
810 Nen vos diça toçer trosq'a un jor pasant,
Qe por le çivalçer tota si fata lant ;
A l'altro jorno farl li son comant. »
Dist la donçele : « De ço non dotés niant ;
E' farô ben ço che a l'ovra apant. »
81 5 A tant ven li rois con tota soa jant,
Cun gran bagordi e desduti en avant.
Le dame menarent molto honorebelmant ;
A l'entrer de la çanbra la donçela ne se fa lant,
BERTA DE LI GRAN PIÉ
En le letoentrô quant li rois li cornant,
820 E Berta sta darere, qe non fi esiant,
Mais en sa vite nen fo cusi dolant.
Quella donçelle nen fu pais lainer,
Entre le leto ela se voit colçer ;
Nen fu home ni feme qi li alast contraster,
825 Si grande era la corte, nul hon a quel penser.
E Aquilon e li altri mesaçer
Erent torné, aie a son hoster ;
E dama Berta si stoit pur darer;
Tal oit la vergogna, no olsa moto soner.
83o E li rois se vait in son leto colçer (fol. 1 1 d)
E quella dame strençer e toçer.
Quando ven a ço che la volse solaçer,
La donçella fu cortois, no se trase arer ;
En cella noit, cum ella fu enter,
835 Ne fi li rois tuto li son voler;
Ben la çercô tuta quanta por enter,
Li pé trovo petit, dont s'en pris merveler
Por la parola qe li dise le çubler,
E pois se prist entro soi penser :
840 « Li çublers si li dist por far moi irer. »
Tanto n'a son voloir, nen cura de noier.
El prist li avoir, l'or coito e li diner
E le arnise de palii e de çender,
E si le done a qui' cortisi çubler.
845 Li rois no se pensava de sa dama mal penser,
Cuitoit ben q'ela fust sa muler droiturer,
Cum Aquilon le segnor de Baiver
En Ongarie l'avoit sposea primer.
Pasoit quel çorno e tuto l'altro enter
85o Tant qe Berta le dist qe tropo poria demorer,
Qe entro sa çanbra volea pur entrer.
Dist la donçela: « Ben lo voie otrier;
A cesta noit vos diça' pariler;
A le matin quant el avéra soner,
855 E eo me levarô si como a ori[n]er;
Enlora pores en le leito entrer. »
E dist Berta : « Ben est da otrier. »
Ela no sa mie qe le doit encontrer;
Qe quela malvés, qe Deo doni engonbrer !,
860 Fi li son bailo quérir e demander
Qe son per li donô qe la doùst guarder;
A colu ela prist tuto l'afar conter.
Quant cel Tintent, molt s'en pris merveler.
« Bailo » dist la malvés « entendes ma rason :
865 Quando eo me sevré da la moia mason,
Mon pcr me ve donô por frer e compagnon,
Qe far deùstes mon voloir e mon bon.
5 57
m8
ad. mussafia
Quella Berte qe ça nos conduson
Tôt primamcnt me don5-la li don
870 De colçer moi avec li rois en son,
Mais toçer no me lasase por nesuna cason ;
Quella promese non valse un boton,
Qe li rois si m'avoit, 0 e' volese 0 non.
Se tu fa' ço qe nu vos contaron,
875 Eo serô raine de France e da Lion, (fol. 12 a)
E de toi farô si gran baron
Major de toi non sera en tota Le[ma]gnon. i»
Dist li bailo : « Dites, no li faron.
Deo me confonde qe sofri pasion,
880 Se mais por moi le savera nul on. »
Quella malvés, qe le diable oit tante,
A cil son baille oit li afar mostré.
« Bailo )> dist ela « savés qe vos faré?
En cesla soire, quant sera ascuré,
885 Vu la prenderés oltra sa volunté,
E si le avérés la bocha si esbaré,
S'ela criast, qe non soia ascolté.
Pois la menés en un boscho ramé,
E illec soia morta e délivré.
890 En un[e] fose vu si la seteré,
Qe d'ele mais no se saça novella ni anbasé. »
E quel le dist : « James plus n'en parlé;
Meio farô je qe non l'avés devisé. »
— Aie » dist ella « e tosto tornaré. »
895 E quel s'en est da la dama sevré,
Avec lui avoi[t] dos autres demandé,
Li quai furent de la soe contré.
Quant vene la noit que li jor fu pasé,
A l'ora que la malvés li avoit ordené,
900 Qe la raine cuitoit complir sa volunté
Et avec li rois in leito eser entré,
E cil malvés la ont e presa e lige,
E por la boçe la ont esbaré.
Via la portent oltra sa volunté
905 E si isent de Paris la cité.
Nen demoren tros li boschi ramé ;
E pois la ont desbaré e deslié;
Oncir la volent, quela quer piaté,
Da[va]nti lor se lu ençenoilé.
910 (( A! segnur » fait ella « mercé, por l'amor Dé!
No me onciés, qe farisi gran peçé.
Se vu la vite por Deo me lasé
En tal logo andarô, mais novella non oldiré. »
Quant qui' la intende, si le parse piaté;
886 esbaere.
BERTA DE LI GRAN PIÉ ^'59
915 L'un si oit li altro regardé,
E si dient : « Questo è gran peçé,
Çamai major non fu par homo pensé. »
Li cor li est da Deo omilié,
I dist : « Dama, de vos ne ven peçé.
920 Ora ne çurarés qe mais non reverteré
En questa tere e in questa contré. »
Et ella li foit volunter e de gré, (fol. 12 b)
E sor li santi si avoit curé
Q_e mais no la verà in soa viveté.
925 Qui' se partent, arer si son torné,
Et ella remist en la selva ramé.
E quela malvés qe li oit aspeté,
Quant i furent arer repaire,
Ela li demande come[n]t i ont ovré.
930 K Pur ben, ma dame; d'ele estes délibéré :
Morta l'aùmes, si l'aon seteré
En le gran boscho,. entro dà un fosé. »
Or laseron de la malvés qe estoit en gran sejor.
De nula ren plus non oit paor ;
935 E li rois la ten loial cun sa usor,
Nen savoit mie coment fust li eror.
Ne l'aùst mie tenue a tal valor,
Anci averoit eu onta e desenor,
S'el aiist ben saplu trestoto ad estor
940 Quel qe ont fato li malvés liceor;
Qe por quelle dame cresè si gran eror.
Dont ne mori plus de mile peçeor,
Qe mais non vede ne files ne seror.
Cun li rois stoit si cun por soa usor,
945 Por fila li rois d'Ongarie ela avoit clamor.
De li rois avot tros filz, si cum dis l'autor :
Lanfroi e Land[r]ix, Berta fu la menor,
Q_e mère fu Rolando li nobel pugneor
E de Milon, si cum oldirés ancor.
95o Ora tu Berte en le boscho remés ;
S'ela oit paùre, or nen vos mervelés :
Si come feme qi fu abandonés
Si plura e plançe, molto se lamentés,
Non poit veoir se no arbori rames
955 E li boschaje qe est longo e lés;
Por la paiire de le bestie enverés
Ver Demenedé se clama ben confés.
« A! verçen polçele, raïne encoronés,
De cesta peçable vos vegna piatés !
960 Anco' de ceste jor qe vu me cundués
En celle lois 0' je fose albergés.
949 ancon.
^6o AD. MUSSAFIA
Nen morise qui in cotanta villes.
A ! malvas feme, cun lu m'ais enganés !
Nen cuitoie mie de cesle fa[llsilé;
965 For granl amor eo t'avi amenés,
Plu t'onorava qe tu fusi mego ençendrés.
A ! raïna d'Ongarie, questo vu non savés, (fol. i 2 c>
D'esta granl poine 0' je sontoenlrés;
Jamais de moi non saveri meso ni anbasés;
970 Ma ventura m'esl conlraria aies. »
Quant asa' ela s'oit lamentés
El asa' oit e planto e plurés,
Le viso se segne, a Deo fu comandés.
En legran boscho ela s'est afiçés,
975 De ramo en ramo tanto est aies
Cum Danienedeo si l'avoit amenés.
N'esi del bois e voit en un bel prés,
Davant da soi ella oit reguardés :
Un çivaler voit venir lot lasçs,
980 E quant celu la vi, moll se mervelés.
En cella part ello est aies ;
Quant li aprosme, si la oit arasnés :
« Dama » fait il « qi vos oit ça menés
Por la gran selve e li boscho rames ?
985 Vu me pari Iota espaventés.
— Mon sire » dist Berle « or nen vos mervelés,
Qe un mon segnor m'è morto da malfés,
Si aùsl falo de moi, si m'aûst bailés.
Ai! çenlil homo, por santa carités
990 Vos voio proier qe vu si m'amènes
In qualqe logo 0' eo fose albergés, »
« Par foi ! » dist il « ben seri ostalés :
A mon çastel vu seri amenés;
Ilec seçornari a vestra voluntés. »
995 Quel çaslelan si fo pro e valan.
Et oit nome Sinibaldo, se la islolia no mant ;
A son çastel mené Berle lote plurant ;
Et oit dos filles belle et avenant.
Quant virent son père cun la dame erant,
looo Encontra voit, a demander li prant:
« Qe femene è queste qe ven cosi dolant? »
Et ello li dise loto li convenant,
Cun son mari fo morto qe era un mercaant,
E d'ele aùst fato altretant,
ioo5 Quant ela s'en foçi coiamant,
Scanpé s'en est par celle selve grant ;
Damenedé l'a mené à salvamant,
« El è venua a li vostro cornant ;
Unde e' vos prego, se vos m'amés niant,
10 10 No le mostrés se no bel viso e riant. »
BERTA DE LI GRAN PIÉ ^Ôl
E celle le dient : « Volunter por talant. »
E celle damesele furent molto saçant,
Contra li vent e por la man la prant,
E si la vont dolçement confortant, (fol. 12 d)
ioi5 En sa çanbre la mené coiemant,
Si la onore cum fust soa parant.
Diste le polçele : « Dama, vestre venue
A gram mervile ne delete et argue,
A bon oster estes rechaùe ;
1020 Por nostra mer vos tiron, ben serés proveùe.
Da che nostra mer nos est deschaùe.
Avec nos serés e calçé e vestue;
Nen mançaron valsant une latue,
Si cun nos no vos sia partue.»
I02 5 Quant dama Berta le oit entendue,
Molto le mercie e a lor s'è rendue,
Si como femena la quai era perdue.
E Damenedé si le fo en aiue,
Por çest çastelan ela fo rrevertue,
io3o De Pépin prima fo soa drue,
E po si fo raïne quant sa mer fo venue;
E la malvés, qe l'oit si deçeùe,
A mala mort ela fo confondue.
Oeç, segnor, s'el vos plas ascolter :
io35 Nul hom se doit da Deo desperer,
Qe sa venture ne li poit faler ;
Nul hom poit unquamais porpenser
Ço qe li poit venir ne incontrer.
Berte la raine qe devoit enperer,
1040 Or li convent li altru pan mançer,
Ne no sa pais 0' ela diça aler,
Mais celle polçele la ténia si çer,
Non parea mie femena strainer ;
Avec lor stasoit a boir e a mançer,
1045 Mais non por tant tant avea ii cor lainer
Qe die e note no stava del plurer.
Con celle çastelan dont m'oldeç çanter
E cun ses file qetant avoit çer
Demorô Berte plus d'un an enter.
io5o Berta fu si mastre de tôt li mester,
Nulla milor no se poroit trover.
Ben savoit e cosir e tailer,
E si fo mastra sor tôt li friser ;
A celle dameselle prist si dotriner
io55 Qe plus l'amava qe s'ela fose sa mer.
A celle tenp, donde me oldés conter,
Pépin voloit aler por caçer ;
A Sygnibaldo envoie qe le diça apariler
De vitualia e de ço qe li è mester ; (fol. 1 5 a^
Romania, III 2 J '
362 AD, MUSSAFIA
loGo A li çastel vol venir alberçer
Et illec terço çorno seçorner,
E Synibaldo li foit de grés e volunter.
Or vait li rois a soa chaçason,
Et oit avec lui ses conte e ses baron ;
io65 Altri portent sparver et altri porten falcon,
Brachi e livrer mènent a foson.
Al çastel Synibaldo venent al dojon
Et ilec alberçent çivaler e peon,
Pois vont a chaçer quant vent la sason ;
1070 E Pepi mist Sinibaldo por rason
De ses bestie e d'altre reençon.
Quant i ont asa' rasné, vont por li dojon
Veçando li çastel entorno et inviron.
Li rois regarde, qe non fi se ben non,
1075 E vide le polçele stare a li balcon.
Quando le vi, molt s'amervelon,
Qe mais non vi Berte entro quella mason.
Pépin li rois oit Synibaldo apelé.
« Ora me dites, si dites vérité :
io8o Una dame ai veùe molto ben açesmé,
Molto me par aver de gran belté. »
Dist Synibaldo : « Ben vos sera conté :
E' la trové en la selva ramé,
Ben est li termen d'un a[n] pasé,
ïo85 Si l'o tenua e molto ben guardé,
Cun me enfant q'el a si maistré,
Çascuna est bona mastra proé. »
Dist li rois : « Ora si vos aie,
E fais qe in çesta noit n'aça ma volunté;
logo Colsa como no, vu avi mal ovré.»
Dist Sinibaldo : « De niente en parlé ;
Zamais por moi cil non sera otrié ;
Avant me lasaria esere sbanoié
E pasaroie oltra la mer salé
1095 Qe in ma mason fose de ren violé,
S'elo no fose ben por soa volunté.»
Dist li rois : « Vu avi ben parlé;
Aleç a le e si la demandé
Se consentir me vol cun soa volunté. »
1 100 Dist Sinibaldo : « Ora si m'aspecté
Tanto qe eo soia à vos retorné. »
Li rois remist e cil s'en est aie ;
Ven a la çanbra 0' avoit Berta trové.
Elo l'apella, si l'oit demandé : (fol. 15 b)
iio5 « Dama » fait il « nu avon mal ovré;
Aler me convent in estrançe contré.
Li rois si oit e plevi e curé :
Se il no v'oit a soa volunté.
BERTA DE LI GRAN PIÉ 363
Ne me lasera tera un sol pé mesuré ;
II 10 Et eo voio esere inançi déserté
Qe colsa aça qe no vos sia a gré. »
Berta, quan l'olde, oit un riso cité
E dist a Synibaldo : « De ço no ve doté :
Tanto m'avés servi e honoré
iii5 E si m'avés pasua e nurie,
Cun vestre file e vestua e calçé,
Unqua par moi non serés destorbé ;
Presta sui de faire la soa volunté. »
Quant Synibaldo l'olde, si l'oit mercié ;
1120 S'elo n'a çoie ora non domandé ;
Tel no l'avoit en soa vi[ve]té.
Ven a li rois, si ge l'oit conté ;
Li rois ne fut luto çoiant e lé.
Li rois estoit sor la sala pavée,
II25 E Synibaldo fo a lu retornée,
E la novella li oit dito e contée,
Qe la dama si est aparilée
De voloir fare tuta sa voluntée.
Li rois ne fu molt çoiant e lée.
n3o E dist a Synibaldo : « Vu avés ben ovrée.
Por li calor » — qe fu da meça stée —
« En celle corte sor un caro roée
Faites qe un gran leito si li sia ben conçée,
De richi palii soia ben açesmée,
1 135 Suso me vorô colçer con eso ma sposée
E far d'ele la moia voluntée. d
Elo-l dise por gabes, me '1 fu ben avérée.
Li jor s'en voit, la noit fu aprosmée,
E cil car si fu ben parilée ;
1 140 Li rois li fu cun Berta su montée.
Avant qe d'ele faese sa voluntée
Çerchô la dame por flanc e por costée,
Nul manchamento oit en le trovée
Afors qe li pé trovô grant e desmesuré.
1145 Nian por ço non ait li rois lasée,
D'ele ne prist amor e amistée
Tota la noit como la fu longa e lée.
E Damenedé li dé tal destinée,
En cella noit oit si ben ovrée,
ii5o Encinta fu d'una molt bella ritée; (fol. ij c)
E cil fu Karlo li maine incoronée
E fu da Deo beneï e sagrée;
Major rois de lui nen fu en Crestentée ,
Ne plu dotés da la jent desfaée.
II 53 Quando Pépin oit fato son talant
1 129 nen fu.
;64 AD. MUSSAFIA
De dama Berte a la cera riant,
Da le se départi e iegro e çoiant ;
Non oit eu nul mal entindimant.
A Sinibaldo la da e la comant,
I nJo Qe d'ele face meio qe non fasoit davant;
E se nuila ren ella quer e demant,
Compli le sia alo' demantenant ;
E Synibaido otria son comant.
A Paris retorne li rois e soa çant;
u65 Cun quela malvés raine stasoit a bon convant :
Obéir la fasoit a petit e a grant ;
Coronea era del reamede Frant.
E Berta tu encinte nove mesi pasant,
En cha de Synibaido avoit un bel enfant;
1 170 De ço fo Synibaido e Iegro e çoiant,
El meesmo mont6 al palafroi anblant,
La novela a li rois porto amantenant.
E li rois le dist : « Farés li mon talant ;
Batiçer farés primerano l'infant ;
1175 Karlo li metés nome, qe eo li comant. »
Et i le font, ne nesu[n] li contant,
E Synibaido fu e saço e valant;
A çella dame fait toto li so comant.
Qui laseron d'ele da ste jur en avant :
ii«o De la raine d'Ongarie li roman se comant.
{La fin au prochain numéro .
CHANTS DU VELAY ET DU FOREZ.
LA FILLE DU ROL — DEUX CHANTS DE RAPT.
En 1845, dans son livre : La Normandie romanesque et merveilleuse,
M"e Bosquet inséra sous le titre : La fille du roi, une chanson du pays
de Caux qui fut depuis plusieurs fois reproduite. Elle est vraiment belle
et méritait le succès qu'elle obtint. La fille d'un roi français forcée d'épou-
ser un roi anglais proteste contre cette mésalliance, et après avoir donné
à son époux de nombreuses marques de dédain, meurt la nuit même de
ses noces de ne pouvoir supporter une union si cruelle à son patriotisme.
La leçon qu'a publiée M"e Bosquet est jusqu'ici la seule connue de ce
chant populaire. On ne pouvait croire cependant qu'un chant d'un carac-
tère si national ne fût pas répandu ailleurs qu'en Normandie. Il était en
effet chanté sur bien d'autres points. Aujourd'hui encore on en rencontre
des versions en Basse-Auvergne, en Velay, en Forez, et jusqu'au delà
des Alpes, dans le Montferrat. Mais si la leçon monferrine et les leçons
du centre de la France ne présentent entre elles que les légères diffé-
rences qui distinguent d'ordinaire les variantes, leur commun dénoue-
ment, humain jusqu'à la vulgarité, les sépare tout à fait du chant nor-
mand dont la fin est légendairement héroïque. Cette diversité frappera
le lecteur sous les yeux de qui nous allons mettre les chants de notre
pays, le chant du Montferrat et le chant du pays de Caux.
LA FILLE DU ROI.
(Velay K)
1 Le roi avait une fille à marier,
A un Anglois l'avait donné, mal à son gré.
« J'aimerais mieux soldat françois que roi anglois. »
2 Quand on l'a voulu emmener, dessous Paris on l'a vu passer ;
Toutes les dames de Paris se sont mis' à pleurer
De voir emmener la fille du roi par un Anglois.
I. Chanté à Vorey, en 1868, par Marie Chabrier-Chastel.
j66 . V. SMITH
} Quand ils furent au bord de mer, l'Anglois vient lui bander les yeux.
« Bande les tiens, laisse les miens, maudit Anglois,
Puisque la mer me faut passer, je la veux voir. »
4 I n'eurent pas passé la mer, tambours, violons de tous cotés.
« Retirez-vous, ô tambourniers et violonniers,
Ce ne sont pas les vrais tambours du roi françois. »
j Et quand il vient l'heure du souper, l'Anglois lui coupe pour manger.
« Coupe pour toi, mange pour toi, maudit Anglois,
Je ne puis ni boire ni manger quand je te vois.
6 Et quand il vient l'heure du coucher, l'Anglois la voulant déchausser.
« Déchausse-toi, dépouille-toi, maudit Anglois,
J'ai bien des genss de mon pays pour me servir. »
7 Et quand il vient l'heure de minuit, la belle n'est pas endormi'.
« Eveille-toi, mon bon Anglois, et parle-moi,
Puisque Dieu nous a assemblés, faut nous aimer. »
8 Et quand il vient la mâtiné', la belle s'est mise à pleurer.
« Embrassons-nous, mes chers amis, et quittons-nous,
Puisque l'Anglois on m'a donné, il faut l'aimer. «
VARIANTE.
(Basse-Auvergne ^.)
1 Le roi a une fille à marier, à un Anglois il veut la donner.
« 0 mon frère ! empêchez-moi de m'en aller,
J'aimerais mieux un soldat françois qu'un roi d'Anglois. »
2 Mais si l'ont pris', si l'ont mené, dedans Paris si l'ont passé;
Toutes les dames de Paris se sont mis' à pleurer
De voir la fille du roi à un Anglois. »
3 N'en furent pas au bord de mer, l'Anglois vient lui bander les yeux.
« Bande les tiens, laisse les miens, maudit Anglois,
Puisque j'ai la mer à passer je veux la voir.
4 N'en furent pas aux plaines de mer, tambour, musique et violons.
« Oh ! casse-toi et brise-toi, maudit tambour,
Car tu n'es pas le vrai tambour du roi françois. »
5 N'en furent pas l'heure de souper, le roi voulant couper le manger:
« Coupe pour toi et laisse-moi, maudit Anglois,
J'ai bien des gens de mon pays pour me servir. »
6 N'en furent pas l'heure de coucher, le roi la voulant déchausser :
« Déchausse-toi et couche-toi, maudit Anglois,
J'ai bien des gens de mon pays pour me servir. »
7 N'en furent pas l'heure de minuit, le roi la voulant faire mourir :
« Oh ! tourne-toi, embrasse-moi, mon ami Anglois,
Puisque Dieu nous a rassemblés, faut nous aimer. »
I . Chanté par Marie Farigoule, d'Allègre, bourg qui faisait partie de cette
zone de la Basse-Auvergne qu'a englobée le département de la Haute-Loire.
CHANTS DU VELAY ET DU FOREZ 367
Le chant qui suit et les notes qui l'accompagnent appartiennent aux
Canti Monferrini, recueillis par M. Ferraro, et publiés, en 1870, dans la
collection Comparetti et d'Ancona (voy. Romania I.)
LA FRANCESE IN INGHILTERRA.
Ta bêla madamin
I ra voru maridèe :
Au re de Ningaitera
Spusa ra voru dèe.
Da ra soi carroccia
Chirra r'ha dismuntè :
R'è muntaja an si in'atra
In'atra titta andurè '.
« Tucca, bel carrociè",
Tucca an p5 pi fort,
Sun partija da ir me pais
Cun ir me curin mort. »
Quandi sun stai pr'ir mar
I occ i voru ambindèe :
« O lassa, an m'ambinda mia^
O lassa, vilan d'Angle.
« Zà che ir mar aj5 da passée
Le vôi an pô mirée. «
Ta bêla mandamin-nha
Nun s'é lassaja ambindèe.
R'entra ant l'Inglèe*,
Le cuntrà titte tapisèe :
« Harda qui Madona di curt,
Csa ch'i fan pir vui.
— Mi n'ho csa fé d'tapisarie,
E manc ancur di vui. » —
Quand! che poi r'é dismuntèe,
Titte le doni ra van salitèe ',
Chirra si betta ra testa an fauda "
E a s'betta a piurée :
« Cma farôni ' a parlée l'inglè,
Mi ca sun fransué ? »
Quandi che poi sun là
Ven l'ura d'andèe disnèe :
Lo re de Ningaitera
U ra vô dispensée *.
« Lassa, lassa, vilan d'Inglé,
Nun dispensa to mujè :
Mi sun mina dî sirvitur
Che mi dispensran iur. >*
Ven l'ura d'andée drumi,
U re u ra vô dispoje^.
« Lassa, lassa, vilan d'Angle,
Non dispoja to mujé. »
Su ni ven ra matinela,
Lu re u ra vô visti :
« Lassa l'Angle, done dir me pais
Ajô ben a me servi.
« Vini an sa " 0 re d'Angle,
Vini dappress a me :
Da zà che Dio mi l'ha mandé,
Mi lo vôi amée. »
Su na ven a sett'ure d'mattin
Titte le dame i dan ir bundi,
E ra povira dona franseisa
Si betta a pianse " e suspirèe :
« Cma farôni a parlée inglè
Mi ca sun dona fransué? «
1 . Indorata.
2. Vetturino.
3. Bendar mica.
4. Inghilterra.
5. Salutare.
6. in seno.
7. Farô mai.
8. Servire.
9. Spogliare.
10. Quà venite.
1 1 . Piangere.
^68 V. SMITH
CHANT DU PAYS DE CAUX'.
1 Le Roi a une fille à marier,
A un Anglois la veut donner : elle ne veut mais :
« Jamais mari n'épouserai s'il n'est P'rançois. i>
2 La belle ne voulant céder, la sœur s'en vint la conjurer :
« Acceptez, ma sœur, acceptez à cette fois,
C'est pour paix à France donner avec l'Anglois. »
? Et quand ce vint pour s'embarquer, les yeux on lui voulut bander.
« Eh! ôte-toi. retire-toi, franc traître Anglois,
Ce n'est pas là le drapeau blanc du roi Irançois. »
4 Et quand ce vint pour le souper, pas ne voulut boire ou manger.
« F.loigne-toi, retire-toi, franc traître Anglois,
Ce n'est pas là le pain, le vin du roi françois. »
5 Et quand ce vint pour le coucher, l'Anglois la voulut déchausser.
« Eloigne-toi, retire-toi, franc traître Anglois,
Jamais homme n'y touchera s'il n'est François. »
6 Et quand ce vint sur la minuit, elle fit entendre grand bruit.
En s'écriant avec douleur : « 0 Roi des rois !
Ne me laissez pas" entre les bras de cet Anglois. »
7 (Quatre heures sonnant à la tour, la belle finissoit ses jours,
La belle finissoit ses jours d'un cœur joyeux,
Et les Anglois y pleuroient tous d'un cœur piteux.
M. E. de Beaurepaire reproduit ce chant % et comme preuve de son
authenticité, il rappelle deux chansons populaires, l'une normande?,
l'autre bretonne 4, où, comme dans la la Fille du roi, du pays de Caux,
intervient, pour sauver deux femmes des mains d'un ravisseur, une mort
d'un miraculeux à-propos. Par une rencontre qui, vu l'étroite parenté
des légendes de chaque région, n'a rien de surprenant, ces deux petits
drames se trouvent unis et pour ainsi dire fondus en un même chant vel-
lavien : La demoiselle de la Reine.
1 Qui veut entendre une chanson nouvelle, nous vous la dirons.
C'est de la fille de la reine, que sa beauté lui fait grand'peine.
1. Recueilli à Saint-Valery, par M. Thinon, et publié dans la Normandie pitto-
resque et merveilleuse, p. 503.
2. Etude sur la poésie populaire en Normandie, p. 80.
3. La chanson du Pont de Nantes. Voir VEtude précitée, p. 59.
4. La Cane de Montfort. Le docteur Roulin en a recueilli en Bretagne une
leçon, insérée dans les Instructions relatives aux poésies populaires, rédigées par
J.-J. Ampère, et publiées par le Comité de la langue en 1853 (*). M. J. Bujeaud
en donne une variante du Poitou. Chants pop. de l'Ouest; II, 166.
(*) [Cette chanson a donné lieu à une méprise assez comique. Ampère, en l'impri-
mant, prit pour un nom propre le pronom féminin oie (=r elle), qui y figure plusieurs
fois (p. ex. str. s il imprime A chaque marche qu'Oll' montait, A chaque mauhc OU'
soupirait). Depuis lors cette chanson a été connue sous le nom de la belle Olle. — G. P.
CHANTS DU VELAY ET DU FOREZ 369
2 Un jour sa mère la peignant, sont trois soldats la regardant.
Elle ne l'eut pas sitôt peignéie, ces trois soldats l'ont enlevéie.
3 Sa mère vient tout en pleurant : « Soldats rendez moi mon enfant,
Oh ! soldats rendez moi ma fille, je vous donnerai trois cents livres.
4 — C'est pas ton or ni ton argent qui nous fait prendre ton enfant,
Ce n'est pas pour nous que nous l'emmène, c'est pour monsieur notre capi-
5 Quand ces messieurs la voient venir, de rire n'en peuvent tenir: [taine.»
<! Oh ! montez la dedans ma chambre et nous irons dîner ensemble. »
6 Tout en montant par les degrés, la belle s'est mise à pleurer.
« Voilà la malheureuse chambre, puisque mon Dieu faut que j'otîense !
7 Monsieur, je vous prie d'un don, laissez-moi faire mon oraison. »
En priant Dieu de bonne grâce^ voilà la belle qui trépasse.
8 « Apportez moi-z-un drap bien blanc, pour plier la reine* dedans.
Allez chercher quatre demoiselles, pour porter la belle en terre. «
9 Quand la belle fut enterré', quatre-vingts cierges d'allumés.
Si l'ont fait dire beaucoup de messes : voilà la belle bienheureuse.
Cette leçon un peu lente est d'une femme -; en voici une variante plus
rapide qu'un homme 5 m'a dite :
1 Un jour sa mère la coiffait, trois bons soldats la regardaient.
Elle en fut pas à demi coifféie, les trois soldats l'ont enlevéie.
2 « Arrête, arrête, bon soldat, pour ma fille tu n'I'auras pas.
— Ce n'est pas pour moi que je l'emmène, c'est pour monsieur notre capi-
5 Le capitaine la voyant venir, de rire ne se put tenir : [taine. »
« Oh ! voici la fille plaisante que l'on amène dans ma chambre. »
4 La fille ne fut pas rentré', à deux genou.x elle s'est posé'.
N'a prié Dieu de si bonne grâce qu'elle en est morte sur la place.
^ « Ma mie est morte, nous ferons l'enterrer, toutes les cloches nous ferons
Et moi avecque ma trompette je sonnerai tout auprès d'elle. [sonner,
6 Je ferai battre mes tambours, ça sonnera tout à l'entour,
Et moi avecque ma trompette je sonnerai tout auprès d'elle. «
On pourrait ajouter à cette famille de chansons de rapt que la mort
dénoue la chanson de la Marquise'^, dont voici une variante forézienne:
1 Le roi d'Autriche François-Joseph", le jour de carnavale, [dames
Il était en costume de masque (0 spirilum sanctum dominum!), il est arrivé des
1. Pour la fille de la reine; on dit ici en langage familier une Thérèse, pour
une sœur de sainte Thérèse.
2. Mariannette Chambefort, de Retournaguet.
3. Pierre Salichon, père, de Saint-Didier-la-Séauve.
4. Les lecteurs de la Romania ont lu une variante de cette chanson dans
l'article de M. de Puymaigre sur les Chants de la vallée d'Ossau. M. de Puy-
maigre mentionne deux autres versions, l'une de Sologne, publiée par M. Le
Roux de Lincy, l'autre de Saintonge, publiée par M. J. Bujeaud.
<,. Benoît Samajous, de Saint-Priest-la-Roche, à qui je dois ce chant, a
Romania, III 24
570 V. SMITH
2 Le roi descendit dans sa cour pour saluer ses dames,
La première qu'il salua (0 sp.) fut la belle marquise.
} Le roi l'a prise par la main, la monta dans sa chambre,
Tous Its degrés qu'il la montait (0 sp.), la belle fondait-z-en larmes.
4 « La belle si chagrinez pas tant, je vous ferai princesse,
De tout l'or et l'argent que j'ai (0 sp.) vous en serez la maîtresse.
5 — Je me souci' de votre argent ainsi que de vot' richesse,
J'aime mieux mon petit marquis (0 sp.) que toutes vos richesses. »
6 La belle lui fit faire un bouquet ', un bouquet de fleurs blanches.
Tout en lui donnant ce bouquet {0 sp.), la belle en tomba morte.
7 Le roi la fiz et enterrer par devant son église. [marquise. )•
— Sur sa tombe l'on y mettra (0 spiritum sanctum dominum !) : « Adieu belle
L'imagination populaire, qui a appelé la mort au secours de la mar-
quise et de la demoiselle de la reine, a bien pu l'évoquer aussi pour déli-
vrer une Française des mains d'un époux étranger ou ennemi. Mais si le
dénouement de la chanson : la Fille du roi, publiée par M"« Bosquet,
n'est point en désaccord avec les fictions populaires, sa vraisemblance
ne suffit pas à nous le faire accepter comme authentique, aujourd'hui
que les chansons du centre de la France et du Montferrat nous montrent
dans leur conclusion toute contraire une Française qui, après les éclats
d'une colère patriotique, se résigne à vivre avec l'époux que Dieu lui
donne. Y aurait-il, selon les pays, deux traditions différentes, l'une d'une
fin légendaire et l'autre d'une chute tout humaine ? Le chant normand
est-il d'un bout à l'autre sincère ? Sans même qu'il ait été altéré, n'au-
rait-il point été recueilli, non pas chez des ouvriers ou des paysans^ mais
dans une de ces familles de demi-bourgeoisie qui ont l'habitude de tout
ennoblir sans craindre de tout défigurer ? Des variantes normandes,
cherchées à bonne source, nous édifieraient sur le plus ou moins d'inté-
grité de la leçon du pays de Caux et dissiperaient le doute qui s'élève sur
son authenticité. Qu'il me soit permis de souhaiter que l'auteur de l'inté-
ressante Étude sur la poésie populaire en Normandie, M. E. de Beaure-
paire, recueille lui-même ces variantes, et nous éclaire sur le degré de
confiance que nous devons avoir dans le chant édité par M"e Bosquet.
Victor Smith.
compromis l'empereur actuel d'Autriche, François-Joseph I", dans une aventure
que l'histoire se gardera de lui reprocher. Les soldats, revenus de Solférino,
avaient causé de François-Joseph avec le jeune Samajous ; cela a suffi pour qu'il
fît de notre ennemi de 1859 le héros d'une chanson de rapt. La plupart des
noms-qui figurent dans les chansons populaires y ont été introduits avec une
égale indiscrétion.
I. Les leçons de la Vallée d'Ossau, de Saintonge et de Sologne disent que le
bouquet fut fait par la reine et par elle offert à la marquise.
MÉLANGES.
SUR LES SERMENTS DE 842.
Les remarques de M. Storm sur le vocalisme des Serments or\l surtout
ce que nos voisins d'outre-Manche appelleraient un caractère éminem-
ment suggestif. Elles ont pour objet moins de présenter des résultats
assurés, que d'émettre des hypothèses plus ou moins probables à l'occa-
sion de questions non encore résolues. C'est le meilleur moyen de pro-
voquer l'échange des opinions au sujet de ces questions. Je me propose
dans ces quelques lignes de donner mon sentiment sur deux des points
touchés par M. Storm : les infinitifs savir et podir, et le mot dist, le tout
compris dans le premier serment. Quant au reste, j'en laisse à d'autres
la vérification '.
L — Savir, podir. Selon M. St. « comme ces deux verbes n'offrent
nulle part en français la forme ir, il sera permis de prononcer savér,
podér, selon l'usage du moyen-âge, fréquent surtout dans les chartes
franques, de noter par i le son é; voy. Schuchardt I, 226 ss. « Sans doute
les documents de l'époqne mérovingienne mettent parfois / à la place de
\'ë du latin classique : fidilis pour fidëlis : c'est peut-être une simple
I. Je ne puis cependant m'empêcher de témoigner de mon dissentiment en ce
qui concerne la prononciation de l'a anglais. Contrairement à l'opinion de
M. St. Cp. 287 note), il me semble que M. A.-J. Ellis a mis hors de doute ce
fait qu'en anglais Va n'est arrivé au son é [notation de M. Ellis (^,1 et (a<e)]
qu'au XVII" siècle. Quant à l'hypothèse qu'en ancien anglais « \\i pur ne serait
qu'un développement partiel amené probablement par l'intluence française sur la
prononciation des hautes classes », elle est trop aventurée pour qu'il y ait lieu
de la discuter. — A propos de la prononciation de 1'^ dans ks Serments, M. St.
dit que la forme stanit lui est obscure. Sans doute : elle l'est pour tout le monde,
et l'explication de Diez, qui voit dans s le pronom réfléchi, est fort douteuse. A
mon cours de l'École des chartes j'ai proposé de corriger stanit en freinit, ce qui
est graphiquement très-possible et donne un mot (= brise) qui correspond fort
bien au terme allemand correspondant foibrihchit, mais ce qui ôte à cette correc-
tion beaucoup de vraisemblance, c'est qu'elle oblige de supprimer le non qui pré-
cède stanit.
572 MÉLANGES
erreur de notation, c'est peut-être aussi que les rédacteurs presque illet-
trés de ces documents étaient troublés par le son vulgaire de Vï' latin,
qui déjà se rapprochait de l'ei des plus anciens textes français 'Jedeil^, et
hésitant entre c et /, écrivaient tantôt l'un, tantôt l'autre. Ils n'avaient
pas encore l'idée d'employer la diphthongue ei, et ne pouvaient avoir
cette idée tant qu'ils prétendaient écrire en latin. Mais le scribe qui a
écrit les Serments connaissait ei, puisqu'il l'emploie dans dreit. Supposer
qu'il a noté le son ei (ou é selon M. St.) par / se pourrait à la dernière
rigueur, mais dans le cas seulement où il n'y aurait aucune hypothèse
plus plausible. Or une hypothèse plus plausible existe, et même a été, si
je ne me trompe, jusqu'à présent admise sans contestation. C'est celle
qui voit dans nos deux infinitifs en~/r un effet de l'empiétement, constaté
par tant d'exemples, de la 4" conjugaison latine sur la 2<=. On sait que
beaucoup de verbes en -ëre et en -ère (pour ces derniers le cas est na-
turellement plus rare à cause de la différence d'accentuation) sont en -/>
dans les langues romanes. Te! est le désordre qui régnait à cet égard
pendant la période préhistorique fje veux dire antérieure aux documents
écrits) du roman, que beaucoup de verbes ont eu en même temps des
terminaisons en -Tre, -ëre et -ire. Peu à peu l'élimination s'est produite,
mais néanmoins des doubles ou même des triples formes existent au
moyen-âge pour un assez grand nombre de verbes. Il a pu en être de
même de potere et de sapere. L'objection tirée de ce fait que podir et
savir n'ont été trouvés jusqu'à présent que dans les Serments, fût-elle
fondée en fait, n'aurait que peu de valeur. Il faut considérer que les
formes divergentes que nous possédons de certains infinitifs sont loin
d'être également usitées. Tenere a donné en français tenoir et tenir, mais
le premier, bien que le plus régulier, est très-rare. Le provençal offri-
rait maint exemple analogue. Il n'y a donc rien d'invraisemblable à
admettre que savir et podir sont tombés de bonne heure en désuétude,
remplacés par leurs frères jumeaux saveir et podeir. Mais il y a plus :
savir, au moins, est attesté par un exemple irrécusable, que M. S. ne
doit pas ignorer puisque M. Diez{Altrom. Sprachdenkmale, p. 8) l'a cité :
un capitulaire de 854 porte : « Ego ille... ab ista die in ante fidelis ero
secundum meum savirum ... ' »
Il est évident qu'ici la forme vulgaire a été conservée autant que pos-
sible 2. Comme le document est écrit avec correction, par un scribe qui
ne confondait point ë avec /, il est infiniment vraisemblable que 1'/ de
savirum est bien sa valeur ordinaire, et de là se tire une induction favo-
rable à la prononciation savir, podir dans les Serments.
1. Pertz, Mon., III, 428; De Rozière, Recueil des formules, n° IV.
2. Ces serments étaient très-probablement prononcés en langue vulgaire. Voy.
ce que je dis à ce sujet, Rev. des Soc. sav., 4"-' série, X, 479.
LA PHONÉTIQUE DES SERMENTS DE 842 ^7:?
II. — Dist. M. St. voit dans dist le latin decet. J'y vois la représenta-
tion très-probablement fautive de débet. M. S. objecte à podir et savir
qu'on ne rencontre point ces formes hors des Serments ; je ne lui objec-
terai pas que dist serait aussi un à-xH }.sYO[j.évov : je lui concède que le
mot pourrait en effet (comme les formes podir et savir) exister au
ix" siècle. Mais je lui objecterai que si on peut supposer l'existence de
ce mot, on doit lui attribuer aussi la valeur qu'il avait en latin^ à peu près
la valeur qu'a en français ^surtout anciennement) l'impersonnel convient.
Ceci posé, dans cette proposition : si cum oin per dreit son jradra salvar
DIST, il y a un mot qui n'est plus correct : c'est om, qui est au cas sujet,
et devrait être au cas régime. Dira-t-on que dist, tout en répondant
étymologiquement à deçet, a perdu son sens latin .? Mais quand pour sou-
tenir une hypothèse on est obligé d'en imaginer une autre, on multiplie
les chances d'erreur dans une énorme proportion. J'ajoute maintenant
que pour le sens il faut débet. M. Diez l'a déjà dit, se fondant sur le pas-
sage correspondant du serment germanique ; la même conclusion est
indiquée par la formule latine des serments du même temps. Ainsi, à la
fin d'un capitulaire de 802 : « ... promitto ego quod ab ista die in antea
fidelis sum sicut per drictvm débet esse homo domino suo '. » La forme
reste difficile à expliquer, mais la difficulté est bien circonscrite. Il s'agit
uniquement de trouver quelle pouvait être la forme française de débet au
ix« siècle.
P. M.
II.
UN FRAGMENT DE RENART.
Nous devons la communication de ce fragment à l'obligeance de
M. Petit, bibliothécaire à la Bibliothèque royale de Bruxelles. M. Petit
l'a enlevé de la couverture d'un livre : il appartient maintenant à la
Bibliothèque royale de Bruxelles, déjà riche en débris de ce genre. Il
forme !a moitié supérieure, recto et verso, d'un feuilleta deux colonnes;
la marge gauche du recto a été entamée par les ciseaux. L'écriture est
du xiii'' siècle.
M. Auguste Scheler a bien voulu transcrire ce fragment pour la Rotna-
nia; il l'a rapproché du passage de Méon (t. III, v. 25215 ss.) auquel
il correspond. Il a suppléé dans les dix-huit premiers vers les lettres man-
quantes ; j'ai imprimé ces lettres suppléées en italique. Je ne vois pas
plus que lui ce qu'on peut faire du v. 230. M. Scheler m'a envoyé de
ce vers un calque d'après lequel je n'ai pu lire que ce qu'on trouvera
imprimé ci-dessous.
I. Pertz, Mon., III, 98; De Rozière, Recueil des formules, n'^ III.
jyij MÉLANGES
La perte du manuscrit auquel appartenait ce fragment paraît très-
regrettable. Si en effet on le compare aux passages correspondants des
trois mss. A B. N. fr. 2004^^, B (^71) et C (i 579), que M. Martin '
regarde comme les chefs des trois familles principales des mss. de Renart,
on voit qu'il n'appartient à aucune d'elles 'bien qu'il se rapproche plus
de B en certains endroits), et qu'il présente pour certains vers une leçon
supérieure à toutes trois. Au v. 2219-220 la leçon de h (sigle de notre
fragment qui vient prendre sa place à la suite de la liste de M. Martin)
peut au moins se défendre contre celles d'ABC. Le v. 230, tout altéré
qu'il est, parait avoir conservé la leçon originale, gâtée dans tous nos
mss. Auv. 246 /î aen commun avec A la bonne \tcon prinsignicr. V. 289,
les leçons de A, BC, et /; paraissent provenir d'un original commun fautif,
qui, au lieu de : Las de moi! mi enfant! avait écrit Las demi enfant (moi
supprimé par le voisinage de mi), ce qui est conservé dans A, corrigé
diversement dans /z et BC. La leçon des vv. 25 ^05-9 est inintelligible
dans A, et le v. 25308 de C semble bien n'être qu'une correction ; la
leçon de li aussi est peut-être une correction : elle donne un sens
admissible, mais assez plat. Les v. 25315-19 se rapprochent plus de B
que des autres mss., mais sont dans // encore inférieurs à B, qui ne
vaut déjà pas AC.
Le passage le plus intéressant, au point de vue de la critique du texte,
est celui qui va du V. 25250 au V. 25258. Je ne puis m'empêcher, mal-
gré la classification de M. Martin, qui n'accorde à C, pour cette branche
comme pour les autres, qu'une valeur très-secondaire, de regarder C
comme ayant seul conservé à peu près la leçon originale. Je lirais donc :
25250 « Ne vous estoet douter de rien,
Que ne charront mais de cest mal. »
Droins regarde contreval,
N'a ses filz veuz ne oïz ;
Bien s'aperçoit qu'il est traiz:
25255 « Renart, » fait il, « ou sont mi fil.?
Je cuit fait en avez escil.
— Non ai, ci les baptize aval.
— Hai, traître desloial, » etc.
Il me paraît clair que la leçon de A, qui supprime 252-57, ne peut se
défendre et est due à un bourdon, causé par la répétition de la rime en
al. La leçon de B provient de la faute d'un copiste qui a lu fcomme fait
B) de cest mois 25251 pour de cest mal (leçon un peu retouchée dans A).
Il a fallu alors une rime à mois, et le v. 252 est devenu ce qu'il est dans
B/z, où sa platitude suffirait à dénoter une interpolation. Mais le v. 252
I, Examen critique des manuscrits du Roman de Renart. Baie, 1872.
UN FRAGMENT DE RenUTt ^75
primitif était indispensable au sens ; de là l'embarras de ce qui suit dans
B/z ; la phrase n'a pas de sujet dans B, et h, en introduisant cil, n'a ap-
porté qu'un remède très-insuffisant.
Il faudrait admettre d'après cela que B (qui aurait dans h une
forme généralement supérieure) et C , au moins pour la branche
XXX, sont indépendants de A, et que les trois familles dérivent d'un
original commun (sans vouloir contester que C ait connu, outre cet
original, la famille B). Cette conclusion n'est pas très-éloignée de celle
que M. Martin, en s'appuyant sur des recherches bien plus complètes, a
présentée ; il y a toutefois une différence dans l'appréciation de la valeur
respective de chaque famille. M. Martin pense que A représente à peu
près constamment le texte primitif, et qu'il ne faut recourir à B ou C que
pour corriger des fautes évidentes. Je crains que ce système ne soit un
peu exclusif. Pour les branches XX-XXII, M. Martin a montré lui-même
que B et même C sont souvent d'accord contre A avec a, certainement
le plus voisin de l'original. Il me semble qu'il faudrait tirer plus de parti
de cette remarque et de l'observation analogue que peut suggérer notre
fragment. Le texte de nos mss. de Renart, pour la plupart des branches,
est un texte de compilation ; la famille A a généralement la meilleure
leçon, mais B et C sont parfois supérieurs, et la leçon de A n'est préfé-
rable ipso facto que quand il n'y a absolument aucune raison intrinsèque
qui décide le choix. C'est une simple nuance, comme on voit, qui me
sépare de l'opinion de M. Martin, et le résultat de sa légère exagération
de la valeur de A sera bien rarement sensible dans l'édition de Renart
que nous attendons de lui.
22^ — Droin, » lait il, « par saint
Mon saigner l'empereor Noble; Tu les feras crestienner [Orner,
S'ai esté en Constantinoble, Si tost con baptizié seront,
25215 S/ ai esté en mainte terre : Jamais deteil malne chierront.»
J'ai passé la mar d'Angleterre Et dist Droins ; « Ce puet bien
Por le roi deus foiz, voires trois; festre :
Je fui en la terre as Irois ; 250 ..iz ..enrôle et . i . prestre.? »
Tant ai cerchiee la contrée (Lacune de 12 vers.)
220 Que j'ai la mecine trovee
Dont li rois est gariz et sains, Si li a gité sans tençon,
Et je dou pais chastelains. Et R. tendi son giron,
— Kenart, » fait il, « or me 245 Si le reçut tôt sanz dangier,
[contez En son cors le fist presignier ;
Commant mes enfanz garirez. Un et un les li a gitez :
2J2I4 Por lui fui ABC — 216 Je passai A — 218 Si f. AB— 219 Tant alai cerchant
ABC - 220 Que joi ABC — 221 fu C — 222 Je sui d. A De son pais sui c. C — 223
mensegniez AC — 224 garisiez A — 227 que AB — 228 cest m. A cel m. B — 229 Et
manque A — 230 Mes ou trouueroie ge |AB ge le] prestre ABC — 244 gernon A —
245 Si les r. et s. A Si la receu s. B. — 246 Les a fet en s. c. AC prisonier BC — 247
les i a A
Î76
MÉLANGES
Renars les a crestiannez.[bien !
Dist Uroins : « Bapliziés les
2i.2<^o — Ne vos estoet douter de rien, 285
Que il n'an charront mais des
[mois
Li oisel, car il sont cortois. »
Quant cil nés a veuz n'oiz,
Bien pense qu'il est escharniz ;
255 « Renars, » fait il, « ou sont mi
Je cuit fait en avez escil. [fill?
— Non ai : chi les baptize aval.
— H ai, traites desloial, »
FaitDroins, « tu lésas mengiez. 305
260 — Non ai, » fait Renars, "ce sa.
(Lacune de 12 vers.) [chiez.
— Non feré. — Por coi ? —
[Ge ne puis. 3 10
— Tu ne puez? — Voir, ne je
[ne ruis.
275 Mais or me di , traites faus,
Que as tu fait de mes oisiaus?
— Que j'an ai fait? dirai le toi :
Je les ai mangiez, par ma foi,
— Mangiez, las ! — Voires, 3 1 <,
[par mon chief :
280 Tu n'an vanras jamais a chief;
Et par trestoz les sainz dou
[mont
Jamais de cest mai ne chierront;
Et que qu'an deust avenir
Je te vodroie ensi tenir. »
A icest mot s'an est tornez
Renars, n'i est plus demorez.
EtDroinssomplaint recomcnce;
Toz seus a lui meismes tence
Et dist : a Las moi ! mi bel
lenfant! »
(Lacune de 1 3 vers.)
Que il ne l'ait tote esrachie:
Mont en a soufert grant hachie.
Quant il se fu tant debatuz
A soi meismes, et baluz
Et laidengiez et maumenez.
Tant en a fait toz est plumez,
Si laisse le doel que demainne,
Que mont en a sofert grant
[painne :
Tantost a porpenser se prist
De Renart quisili meffist,igier,
Gommant il s'an porroit van-
Que la vangance avroit mont
[chier.
Lors se porpense que fera,
Et commant se porchacera
S'il pooit avoir nule part
Nule vengance de Renart.
Tantost se rest mis a la voie.
G. P.
250 Ja ne vous en doutez C — 251 Quil B de cest mois B Qui ne charront mais [C
Que James chientj de cest mal AC — 252-7 manquent A — 252 Droin regarde contreual
C — 253 Na ses filz veaz ne choisiz BC —254 Si sapercoit [B sapercut; quil est [C
ert] traiz BC — 256 men a. BC — 257 N. a. aincois sont [C en] ca a. BC — 259 dit A
— 275-4 manquent B — 273 N. f. voir car g. C — 274 t. n. p. tez toi je n. C —
275 dites A — 276 Quas tu or f. B Que tu as f. C — 277 f. voire di moi A — 278
Jes ai mangiez en moie f. ABC. — 282 de cel C dicel A de tel B — 283 Et que quil
en dust A — 284 ausi AC — 286 R. que plus nest seiornez C — 287 plait B dol AC
encomence C — 288 Tôt soûl AC a soi m. AB — 289 Et d. 1. de mi e. A. Et d. 1. do-
lant mi e. BC — 304 M. a soferte A — 30) conbataz AC — 306 m. debatuz BC Et a
soi mal fere esbatuz A — 307 A laidengier ABC et a malmetre AC et a mal traire B —
30S En quel sen il poist jC Pense coment porra] fin mètre AC Tant en a fait nen puet
plus faire B — 309 quil d. B A laissier le d. AC — 310 Car A m. i a B — 312 tant
1. C vers li mesprist A — 313 porra AC — 314 Car ABC. — 315 quil f. BC quil ira A
— 316 Et tôt ;C Trestot' le pais cerchera AC — 317 Si le puet trouer de n. BC Si!
trouueroit de n. A — 318 Quil poist C le puist B se puist! vengier ABC.
ÉTYMOLOGiES : admolesture, maie habitas 577
III.
ÉTYMOLOGIES.
I. Admolestare.
Diez E. W. I. s. v. amonestar fait assez clairement sentir qu'il est peu
satisfait et persuadé de l'étymologie proposée. Monaxtâ employé à Mont-
bovon (Haute-Gruyère) dans le sens de dire à quelqu'un qu'il a mauvaise
conduite, l'ennuyer par des reproches, m'a fait penser à molestare et m'engage
à regarder amonestar comme son composé , malgré son sens bien plus
large que celui du verbe latin qui est : ennuyer, fatiguer par quoi que ce
soit. On sait du reste que le simple monestar existe également en provençal.
N=^l n'offre pas de difficultés, comme on peut voir par les exemples de
ce changement, faciles à augmenter, cités dans la Grammatik d. rom. Spr.,
t. I, p. 204. Qu'il y ait eu dans l'emploi du mot et dans le développe-
ment du sens une influence à'admonere, c'est très-possible. Le rappro-
chement s'offrait naturellement à chacun, une fois / changée en n. Car ce
changement a dû avoir lieu de bonne heure, pour être commun à la
France et à l'Espagne. Le fait que l'itaHen,qui a molesto, n'a pas amones-
tar n'est pas sans importance pour confirmer l'origine ci-dessus présen-
tée, que je soumets au jugement de plus habiles.
II. Maie habiîus.
Il n'est personne qui, persuadé de la rigueur des lois phonétiques, en
lisant l'article que Diez E. W. I consacre à malato et ses correspondants
dans les différentes langues romanes, n'ait été choqué de les voir vio-
lées dans le traitement du groupe PT. L'origine, de maie aptus, paraît, à
première vue, vraisemblable, grâce surtout au rapprochement si séduisant
de l'allemand nnpssslich. Mais, que l'on examine les nombreuses cita-
tions dans Forcellini s. v. aptus, on s'apercevra que la justesse de la
comparaison est plus apparente que réelle. Je ne crois pas qu'il y ait
un seul endroit où ce mot, qui a un sens si général, permît un rappro-
chement semblable. Or voici ce que je propose. Habitus était employé par
les comiques comme adjectif avec le sens de bien tenu, bien soigné, bien
portant. Je lis dans Plaute, Epid. I, i, 8 : '
A. Quid tu? agis, ut velis.? B. Exemplum adest. A. Intellego. Eugepae,
Corpulentior videre atque habitior.
et dans Térence, Eun. 3 1 5 et sqq., où le contraire montre clairement le
sens du mot :
Haud similis virgost virginum nostrarum, quas maires student
Demissis umeris esse, vincto corpore, ut gracilae sient.
Î78 MÉLANGES
Siquast habitior paulo, pugilem esse aiunt, deducunt cibuni
Tarn etsi bonast natura, redduni curatura iunceam.
Un peu plus loin de la même jeune fille :
Color verus, corpus solidum et suci plénum.
Enfin voici un passage décisif. C'est une petite anecdote rapportée
par Massurius Sabinus, un juriste du i'^ siècle, et conservée par Aulu-
Gellc IIll, 20, I I :
Censores Publias Scipio Nasica et Marcus Popilius cum equitum censum age-
rent, cquum nimis strigosum et maie habitum, sed equitem ejus uberrimnm et
habàissumim viderunt et cur, inquiunt, ita est ut tu sis quam equus curatior.^
Quoniam, inquit, ego me euro, equum Statius nihili serves.
Il n'y a que le simple / de l'italien malato qui fasse difficulté. On s'y
arrêtera moins, si l'on considère que le dérivé malaîtla en a deux. Peut-
être d'ailleurs que l'explication de Diez pour le simple / subsiste en dépit
de ma nouvelle étymologie. Mais malabde, Pass. du Ch. 1 16, vient admi-
rablement au-devant de l'origine que je propose '.
Bâle, le 17 avril 1874. Jules Cornu.
I. Le mot V. f'r. atc, qui signifie « dispos, bien portant », et qui paraît bien
être le simple de malade (voy. G. Paris, Mcm. de la Soc. de Ling., I, 91), sem-
blerait contredire l'étymoiogie que j'indique. Mais on peut très-bien admettre que
le français a tiré de habitus une double forme, ate et ade: cf. coûte ticoude. D'ail-
leurs ate est peut-être une forme dialectale.
COMPTES-RENDUS.
Du C dans les langues romanes, par Ch. Joret, ancien élève de
l'Ecole des Hautes Etudes, professeur agrégé au lycée Charlemagne (seizième
fascicule de la Bibliothèque de l'Ecole des Hautes Etudes), Paris, Franck,
1874, 1 vol. in-S" xx-344 pages.
La bibliothèque de l'Ecole des Hautes-Etudes vient de s'augmenter d'un im-
portant fascicule, dû à M. Ch. Joret, ancien élève de la Conférence des langues
romanes. C'est une étude consacrée tout entière à l'histoire d'une seule lettre
latine ; il est vrai qu'il s'agit du c, dont les transformations sont curieuses par
leur variété et même, dans certains cas, par leur étrangeté. Et si, à première
vue, on se demande comment une seule lettre a pu fournir à une monographie
aussi étendue, on arrive à se convaincre que la matière est assez riche pour
mériter même un gros volume. Le livre de M. Joret est le premier oij l'on ait
essayé d'embrasser dans leur ensemble les questions que soulève l'histoire
de la gutturale romane. C'est une œuvre considérable qui mérite l'atten-
tion de la critique. L'auteur ne sera donc pas surpris de nous voir consacrer à
son livre l'étude approfondie que méritent ses consciencieuses recherches.
Nous abordons sans plus de préambule l'examen de l'ouvrage, que nous sui-
vrons livre par livre et chapitre par chapitre.
Il s'ouvre par une introduction qui donne d'abord, d'après les derniers tra-
vaux de Brùcke, Helmhoitz, R. v. Raumer, etc., la théorie physiologique des
consonnes indo-européennes, théorie qui montre comment elles peuvent arriver à
se substituer les unes aux autres ; après quoi l'auteur retrace rapidement l'his-
toire des gutturales latines h, q, k (c), g, ch. Ces résumés sont exacts en géné-
ral ; j'aurais pourtant quelques observations de détail à faire. M. J. établit avec
raison deux sortes de/, produites, l'une par le contact des lèvres inférieures avec
les incisives supérieures, l'autre par le rapprochement des deux lèvres (ce der-
nier inconnu au français, quoi qu'il en dise); à ces deux sourdes / correspondent
deux sonores v et «>; le i)>, dit M. J., est le son de Vu dans l'ail. Quelle et le
fr. écuelle; ceci est inexact: Vu de ècuelle est différent de Vu de Quelle; voir
L. Havet dans les Mémoires de la Société de Linguisliquc, II, 218. — Pour
r/î, M. J. dit qu'elle représente le plus souvent l'aspirée gutturale primitive
et qu'elle a pour équivalent x ou / en grec. La règle ainsi exposée n'est pas
absolument exacte. L'aspirée latine, quand elle dérive d'une gutturale primi-
tive (et non d'une dentale ou d'une labiale aspirée), correspond toujours à un
5^ grec : les exceptions ne sont qu'apparentes; par ex., le mot cité xpiOri est
pour xP'9vi, l'aspiration du x étant tombée normalement sous l'action de l'aspi-
j8o COMPTES-RENDUS
rée suivante 0. — Pour le c affaibli en g, j'aurais voulu que l'auteur distin-
guât les cas où c est initial de ceux où il est médial ; cette distinction pour
les mots latins a son importance. — Pour la prononciation du c, on peut ajou-
ter comme exemples les transcriptions talmudiques du temps de l'empire, qui
représentent le c palatal par le koph ; ainsi cdlarium devient kelar. — Ce que dit
M. J. sur le groupe qu est peu net; il cite bien des textes de grammairiens qui
montrent l'incertitude où l'on était à Rome touchant la valeur de la notation (ju\
mais il semble d'après ses paroles que la question était purement orthographique
et n'intéressait pas la prononciation, qu'en un mot qu était l'équivalent de k,
que Vu était insensible et qu'on hésitait seulement sur la question de savoir dans
quels mots l'usage voulait l'écriture qu, dans quels l'écriture c. Or la question
est évidemment plus complexe, et les incertitudes devaient avoir leur cause dans
la prononciation. Le q pur et simple sonnait-il qu, et quand Velius Longus propo-
sait l'orthographe qae, qiû, entendait-il qu'on prononçât quae, quia? Ou bien, q
valant c, et ne s'employant que devant u suivi d'une voyelle parce que dans la
plupart des mots présentant ce groupe il remontait à un primitif Av, l'hésitation
portait-elle sur la valeur de l'u? Cet u se prononçait-il.^ et dans quels mots.'' Que
signifient ces corrections de l'Appendix Probi : cqus non ecus, coqus non cocus,
coquais non coccns, vacua non vaqua, vacui non \aqui? Voilà des questions obscures
assurément, mais qui méritaient du moins d'être posées, et puisque M. J. abor-
dait ces points un peu étrangers à son sujet, il aurait pu, je crois, les serrer de
plus près.— Je borne là ces observations, et j'arrive à l'ouvrage proprement dit.
Le plan en est simple : quatre grandes divisions correspondant aux divisions
naturelles du sujet, i" Du c vélaire ou c devant a, o, u; 2° du c palatal ou c
devant e, i ; ?° du c vélaire traité dans certains idiomes et dans certains cas
comme c palatal ; ce troisième livre, comme on le voit, est une annexe des deux
premiers ; 4° enfin du c dans les groupes de consonnes. Mais si ce plan est orga-
nique, on peut regretter que l'auteur^ dans les subdivisions du sujet, n'y soit pas
resté fidèle.
Il prend en effet une à une les diverses transformations auxquelles abou-
tissent le c vélaire et le c palatal, et en fait le point de départ de ses recherches.
Or qui ne voit que ces transformations sont amenées par des causes spéciales,
auxquelles il faut remonter tout d'abord pour les suivre dans leurs actions
diverses? Autrement on place l'effet avant la cause, ce qui est peu rigoureux.
Ce reproche , exprimé sous une forme générale , a l'air d'une chicane ;
cependant si nous prenons des exemples, nous verrons qu'il répond à quelque
chose de réel. Les divisions du premier livre sont les suivantes : 1" Chap. Per-
sistance du c vélaire — son changement en g, en /.. — 2' Chap. Son change-
ment en y. — 3*' Chap. Sa chute. Dans ces chapitres, l'auteur examine cha-
cun de ces changements au commencement, au milieu, à la fin des mots. C'est
la marche inverse qu'il fallait suivre. La chute du c médial ne peut pas être
séparée de son affaiblissement en }', ni celui-ci de l'affaiblissement en g, puisque
ce sont des phénomènes dus à une même cause, et qui s'expliquent mutuelle-
ment. L'on voit rapprochés des changements en g de c initial et de c médial ;
mais malgré la similitude des résultats, les causes de ces changements sont diffé-
rentes, et il faut les séparer l'un de l'autre.
JORET, du c dans les langues romanes 381
Une seule division était conforme à la vérité, celle qui étudie d'abord et exclu-
sivement la gutturale initiale dans les différentes langues romanes, puis la gutturale
médiale entre deux voyelles ou devant une liquide, puis la gutturale finale,
et enfin la gutturale dans les groupes, quels qu'ils soient. A chacune de ces
positions correspondent des lois différentes, qu'il fallait suivre dans leurs actions
diverses sur les diverses parties du domaine roman.
Tel est le défaut de composition que je reproche à M. J. La cause de ce
défaut, il faut la demander à la nature même du livre, ce nous semble. C'est
une monographie. Or, rien n'est périlleux comme une monographie. En s'absor-
bant dans l'étude d'un point déterminé, on s'expose à perdre de vue les
rapports qui unissent le détail à l'ensemble dont il est détaché et la place qu'il
doit occuper dans le système général auquel il appartient. C'est là un écueil
qu'il est bien difficile d'éviter, et je crains que M. J. n'y ait pas complète-
ment réussi. Il ne semble pas avoir distingué avec assez de précision ce qui
revient en propre au c et ce qui dépend de la phonétique générale du roman,
et il s'est laissé guider par les conséquences plutôt que par les causes mêmes
des conséquences. Assurément il fait bien ces distinctions dans les détails ,
mais il les fait en second lieu, en sous-ordre, et cette manière de procéder donne
une vue moins exacte des choses. Toutefois ne pressons pas trop sur ce point
qui par sa généralité prête peu à une discussion précise, et acceptant le plan de
M. J. tel qu'il a été conçu, entrons dans l'étude de la consonne.
Le c vélaire — ainsi dit parce que pour le prononcer la langue s'appuie contre
le palais en arrière beaucoup plus près du voile du palais que pour le c palatal
— se maintient au commencement des mots à l'exception d'un petit nombre de mots
qui l'aiTaiblissent en g'. M. J. aurait pu ajouter aux exemples cités l'ital. gaglio
à côté de quaglïo^ garacollare {caraco l lare), golpato{colpato) et peut-être garçon et
ses dérivés (de cardaus?). Au milieu des mots, en vertu de la loi de l'affaiblis-
sement des médiales, le c se modifie dans les diverses langues romanes, suivant
leur tendance plus ou moins marquée pour l'affaiblissement : il reste en
valaque et en italien dans la moitié des cas, dans l'autre moitié devient g, traite-
ment normal pour l'espagnol et le portugais; le provençal a g, ou poussant plus
loin l'affaiblissement j. Pour le fr., M. J. cite un certain nombre d'exemples oij
le g médial est conservé: aigre, aiguille, aigu, alegre, cigogne, ciguë, dragon, figue
(-guier), maigre, seigle, segond, segur, vergogne. Pour quelques-uns de ces mots,
il donne une seconde forme {ceoine, ceue, fie, fier, seur), prouvant que les
formes avec g sont des emprunts. Dans vergogne, on a un autre fait. Le latin
verecundia s'affaiblit d'abord régulièrement en veregundia, puis par la chute de
l'atone devient vergundia ; dans le groupe rg le g se trouvant après une liquide
est traité comme initial et reste, en vertu d'une loi que je n'ai pas encore vue
exposée et qu'on peut formuler ainsi : dans un groupe de deux consonnes dont
la première est une liquide /. /. m. n, la seconde, muette ou spirante, subit
le même traitement qu'au commencement du mot. Restent aigre, alegre, maigre,
seigle où la consonne qui suit a maintenu la muette sonore (quoique celle-ci eût
pu tomber, comme dans sairement, lairme); segond et dragon sont demi-savants.
1 . Cet affaiblissement est évidemment antérieur pour le français à la transformation du
c en ch dans le groupe ca.
j82 COMPTRS-RENDUS
Les seules exceptions sont aiguille et aigu. F-'our aigu on trouve eu dans certains
dialectes, ainsi Monthcii = montcm aculum; et le wallon aweie, comme nous le
verrons plus loin, a également perdu la gutturale médiale. M. J. remarque bien
que le maintien de la gutturale dans le groupe cr, cl est dû à la présence de la
liquide ; toutefois il aurait pu préciser plus ses conclusions et admettre qu'en
dehors d'une ou deux exceptions, pour lesquelles on pourrait peut-être trouver
des explications, le c médial tombe en français.
Le c final, c.-à-d. devenu final par la chute des atones (car les exemples du c
final latin sont trop peu nombreux pour qu'on puisse généraliser les faits) ne se
rencontre que dans les langues faisant tomber les dernières atones, à savoir le
prov., le fr., les dialectes ladins ou de l'Italie du Nord, et le roumain. Il per-
siste en roum. et en prov. ; dans les dialectes italiens se change en g quand la
terminaison persiste ; en fr. devient y. ou tombe, excepté quand il est appuyé
(lisons: quand il est précédé d'une liquide, auquel cas il est traité comme initial);
le ladin nous montre le traitement du roum., des dial. ital.,du prov. et du français.
M. J. termine ce chapitre par l'examen du toscan qui change la vélaire en y_,
et du sarde qui change également en y les groupes sc{a), rcfa). Il ne fait que
constater ces changements dont on voudrait avoir l'explication.
Au ch. II, nous voyons la gutturale s'affaiblir en y. Des exemples sont appor-
tés des langues germaniques, qui font un y du g initial, médial ou final ; les
exemples du g initial sont inutiles parce que le passage de c à _y en roman n'est
que la suite de son affaiblissement en g. Quant aux exemples romans, ils sont
fournis par le ladin, les dialectes du Nord de l'Italie, le port, et le fr. Ici la
question devient complexe, et d'une analyse délicate, et M. J. a eu le tort de
séparer, pour en taire un chapitre à part, les exemples oij la gutturale disparaît.
Les deux choses sont connexes, et, ce qui augmente la complication, c'est l'ap-
parition d'un i parasite développé dans certains mots sous l'influence de la guttu-
rale (par ex. aigre = acrem). Ici se montre bien le défaut des divisions de M. J.,
puisqu'elles le forcent à séparer des faits qui ne sont pas séparables. Foyer,
noyer, payer, pkier (dans Eulalie), preier (id.) appartiennent à la série c = y;
verrue, charrue, Saône, Yonne, à la série suivante où c disparaît ; aigre, maigre, à
une troisième série c = ic. Mais qui nous dit que foyer, noyer, etc. n'ont pas
d'j parasite, et pourquoi dans verrue, charrue, etc. n'en voit-on pas paraître.?
Pourquoi un yod dans pacare, payer et non dans *raucare, enrouer ? dans loca-
rium, loyer et non dans locare, louer? Ces questions devaient être nettement
posées, et l'on pouvait au moins rassembler les éléments d'une solution. Il faut
tenir compte évidemment des voyelles qui précèdent et suivent la gutturale, comme
d'ailleurs l'a vu M. J., quand dans son errata il dit que le c tombe en fr. presque
uniquement devant o et u. La règle est la suivante : Des deux voyelles qui entourent
la gutturale, si la seconde est vélaire (o, u), la gutturale tombe, quelle que soit la
première {Saône, sûr, tic); si c'est un a, comme cette voyelle est semi-vélaire, semi-
palatale, il faut pour que la gutturale tombe sans laisser de traces que la voyelle
précédente soit une vélaire pure (o, u; jouer, charrue, etc.); mais si c'est <2 et à
plus forte raison e, i, on a le yod {payer, doyen, ployer, etc.) \ Les seules
I. Dans amie, vessie, (que je) die, etc., rien n'empêche d'admettre un i palatal dégagé
JORET, du c dans les langues romanes ^85
exceptions que je connaisse à ces règles sont essuyer, noyau, voyelle, foyer, loyer,
noyer (nucarius), mais essuyer en v. fr. dans sa forme la plus ancienne est
essuer, essuyer est refait sur sui = sûcus ; noyau est une forme rajeunie du pri-
mitif nual (Livre des Rois); voyelle est un mot savant qui date du xv*' siècle ' ;
quant à foyer, loyer, noyer, c'est l'( de arius qui se combinant avec Va place la
gutturale devant une palatale; et ces formes sont intéressantes en ce qu'elles
montrent que le changement de arius en ier est postérieur au changement de c en
g (sans quoi le c se serait assibilé; le g palatal ne s'assibile pas) et antérieur
au changement de g (issu de c) en y. Maintenant, comment a lieu le change-
ment? Le g s'est-il affaibli simplement en y : pacare pagar payar payer? Ou
n'y a-t-il pas développement d'un ; parasite comme dans aigre, etc., puis chute
de la muette médiale pagar paygar payar payer ? Le mda de Boèce ne prouve
rien, car il peut venir aussi bien de mica miga miiga miia que de mica miga
miya. Bien plus la présence de l'i parasite dans a/gre, maigre, etc., sembleprouver
qu'il y a eu chiite pure et simple de la médiale g après dégagement de \'i dans
preier, pleier, payer et les formes analogues. En effet comparons birme à aigre;
l'analogie force de conclure à une série lagr'me, laigr'me, lairme. Le Bestiaire de
Gervaise donne la forme aille = a^uila {Romania, I, p. 437). Si l'on n'avait pas
aigle, on admettrait la série aq'la agla ayle al'e (/' = / mouillée), sans songer
à 1';' parasite ; cet i qui s'est développé dans aigre, aigle, et suivant toute vrai-
semblance dans lairme, etc., a dû naître aussi dans payer, etc., la muette mé-
diale disparaissant comme toutes les autres muettes et ne se transformant pas
en y. Cependant ce n'est qu'une hypothèse que je donne là, hypothèse que
j'aurais voulu voir en tout cas discutée par M. J., ainsi que cette autre question
de la naissance de Vi parasite. Comment sort-il de la gutturale ^ ? et est-ce de la
sourde ou de la sonore qu'il se dégage ? Ces questions encore auraient pu être
sinon résolues, du moins posées'.
Poursuivons l'analyse. M. J. étudie la terminaison acum, iacum; il ne fait
guère là que reproduire la théorie de M. J. Quicherat {Noms propres de lieux,
(p. 54 et 59), et il admet avec lui que les formes en }■ viennent par déplace-
ment d'accent et par chute de la syllabe ac de i(ûc)um; cette théorie est inadmis-
sible pour diverses raisons; le changement de iacum en y est analogue à celui qui
dans certains dialectes transforme le participe ic et l'infinitif ier en /, ir.
Le livre I" se termine par un chapitre consacré à la substitution du t et de Vs
de la gutturale et fondu avec 1'/ étymologique. Le ladin amie', amig', amih rapproché de
laie [lac] vient à l'appui de ce que nous disons. Cf. la p. suiv., note 2.
1. Le type latin vocella, d'où on pourrait vouloir tirer voyelle, aurait donné voiselle.
2. A la page 188, M. J. signale des formes ladines ; amie', amig' et amih ; die', dig'
{dico) ; lac, laie'. Cette dernière forme est curieuse, et l'on y prend sur le fait la forma-
tion de l'( parasite. Il est évident que le c vélaire s'est palatalisé et est devenu kj {laki) et
que ce son mouillé qui suit la gutturale, l'infectant au commencement même de l'émis-
sion du son, donne lajkj {laie'). M. J. dit que les autres idiomes romans n'offrent rien de
comparable; de fait il a raison; mais au fond le français /(7( {fac) par ex., a dû passer
par cette première étape que nous conserve le ladin, et peut-être doit-on conclure du
ladin pour les formes comme pacare, payer où dès lors il y aurait chute pure et simple
de la gutturale après le dégagement de 1'/ parasite.
3. M. J. constate 1'/ parasite en prov., en fr., en esp., en pg. et même en ital. Pour
l'esp. il montre bien comment e de lèche, de hecho etc., vient de a 4- / -. comment e.xpli-
que-t-il le ei du pg. leixar {laxare), seixo {saxum), etc. ?
^84 COMPTES-RENDUS
au c vélaire. Déjà le latin populaire disait nduî, sida, capiclum, staclaris, sclo-
pus, etc., pour silla (situla), etc. Le changement inverse est normal dans le
Tyrol, comme le prouvent les curieu.x exemples donnés par M. J. : tbme (da-
man), titnes {crines), etc. Puisque l'auteur cite ici des exemples de la confusion
de cl et cr avec // et r, il aurait pu rappeler les formes catalanes et provençales
payrc, mayre {'pacrem, "macrcm = palrem, matrem), et la forme curieuse gragca,
dragée (portug. et esp.) qui confirme, en même temps qu'elle en est confirmée,
le fr. craindre = Iraindre, tremcre.
Ces changements de c en t trouvent place au commencement et à la fin des
mots. A la fin des mots, M. J. signale la substitution de t à c final dans quelques
noms provençaux et français et la substitution inverse du c au / final dans la con-
jugaison provençale. Les derniers exemples ne sont pas concluants : Cazec, coircc,
inoc, parlée, etc., viennent assurément de 'cadivit, 'currivit, movit, parabolavit, etc.;
mais le c y représente le v ou \'u, comme le prouvent les formes aie (habui), îinc
(tenui), tengues (tenuissem), etc.
Pour résumer le premier livre, on y trouve peu de recherches originales : l'on
y remarque des exemples nouveaux, des faits peu connus empruntés aux patois;
mais la théorie du c vélaire n'a pas reçu toute l'étude approfondie qu'elle méri-
tait et c'est plutôt un exposé quelque peu artificiel des faits qu'une théorie que
nous donne l'auteur.
Le livre II est supérieur au premier, et si la critique a encore ses réserves à
faire sur divers points et des lacunes à signaler, elle doit reconnaître les faits
nouveaux dont M. J. a enrichi la philologie romane. Il démontre d'une manière
explicite que vers la fin du vu* siècle ei et ti suivis d'une voyelle sont devenus
soit ts soit tsi, et de même ce, ci. Comment avaient eu lieu ces changements ?
Ti + voyelle et ci + voyelle tendaient déjà à se confondre à l'époque classique
par suite de la similitude de prononciation qui existe entre ces deux groupes et
par une confusion analogue à celle que présentent amiquiè amitié, quicn tien, cin-
tième cinijuieme : de là le son ty qui aboutit à tch. De même le c palatal pur et
simple (c devant e et i) que je noterai avec l'auteur par c, devient ky par suite
d'une modification légère apportée dans la prononciation, la langue s'appuyant
un peu plus en avant vers la bouche; en avançant encore l'obstacle formé par la
langue, on franchit le domaine du k pour entrer dans celui du / et kj passant
par ty* aboutit à tch{c), c'est-à-dire à tsi s = ch). Toute cette discussion, appuyée
d'un côté sur les exemples tirés des monuments du bas-latin, et sur des transfor-
mations analogues dans les langues germaniques, de l'autre sur des considéra-
tions physiologiques, me paraît juste. La réfutation de la théorie de Schuchardt
(Vokal. I, 150 ss.) est convaincante. M. J. a raison en outre de faire de fs
un succédané de tch et non de celui-ci un épaississement de ts, de sorte que la
série régulière des transformations de c est c (tch), s {ch) ou c, ts, s.
Après avoir établi les conditions générales des transformations du c palatal
I. Je précise ici un peu plus que ne le fait l'auteur le changement de k en tch. M. J.
admet immédiatement après la forme k la forme c • = tch); le passage de l'une à l'autre
n'a pas été aussi brusque et entre elles deux doit se placer la forme ty. Dans les faubourgs
de Mens chien se dit suivant les villages ki, tyi, tchi. La forme tyi est très -caractérisée
et a une existence bien marquée. Cet exemple, quoique portant sur le groupe cû. est
valable ici, parce que le c y est considéré comme palatal.
JORET, du c dans les langues romanes 385
l'auteur arrive aux exemples. Les premiers qu'il cite sont ceux qui montrent
la persistance de la palatale.
La palatale latine, dit l'auteur, n'a persisté qu'assez rarement dans les lan-
gues romanes ; généralement à la place de ^u : querda, quarerc, qui, quem, quod,
quietem, etc., tous mots écrits en roman avec qu, ch (ital.), k. Cette remarque
est étrange ; car dans tous ces mots la gutturale est vélaire : qu. L'auteur
entend-il par palatale la palatale romane? Pourquoi alors l'appelle-t-il palatale latine
et pourquoi, en note sur ce passage, dit-il que le qu de quod est vélaire en latin
(à cause de l'o)? Il semble que pour M. J. Vu de qu ne se prononçât pas et que
qu fijt une notation adéquate à k, et cette présomption, qui paraît ressortir de
son langage trop obscur, est confirmée par ce que nous avons signalé plus haut
dans l'introduction du livre. Tout ce paragraphe est peu net. Les formes prove-
nant de qu ne peuvent être alléguées comme exemples du maintien de la palatale.
— D'autres exceptions plus réelles, qu'on rencontre surtout en roumain,
sont expliquées avec soin ; enfm M. J. arrive à la fameuse exception du
sarde logoudorien qui conserve souvent la palatale comme sourde ou comme
sonore.
Ce trait du sarde logoudorien semble une des plus solides preuves de la pro-
nonciation forte de la palatale latine, prononciation établie du reste d'une
manière incontestable par d'autres arguments très-sûrs. Toutefois, à l'époque
oii M. Joret imprimait cette page sur le sarde logoudorien, M. Ascoli émettait
quelques doutes sur le caractère archaïque de cette prononciation. Dans son
Archivio (II, 143, note sur ce, ge), après avoir rappelé qu'en sarde logoudorien
le g initial se change en é et le g médial disparaît, phénomène, dit-il, qui à lui
seul suffirait à rendre bien douteuse l'antiquité de la prononciation logoudorienne
chc, ghe, il ajoute : « E altri argomenti, non meno poderosi, concorrono a
togliere ogni prestigio di anzianità a codeste pronuncie, e a provare che d'altro
non si tratti se non di una alterazione, relativamente moderna, di c e g di fase
anteriore, alterazione specifica del logudorese, che rifugge constantemente dalle
esplosive palatine^ come dalle fricative palato-linguali. Mi limiterô a qui aggiun-
gere due soli di questi argomenti. Dato un g antico (sardoo italiano)da / latino,
questo g, che non a dunque alcun fondamento etimologico di suono gutturale,
passa ugualmente in gutturale equindi in labiale logudorese, come se si traitasse
di g latino ; p. e. : bemnarzu (merid. gennargu) jenuario-, jnenuarius, bettare
e-jectare (cf. merid. ghettar) gettare. E dato ancora uno sc = STS, ricadiamo a
sk logudorese : posca "poscid (postea), cosi come fûsca fascia... Lo z: = CI
anche pu5^ come ogni altro zz di fase anteriore, degenerare in tt : aUa= merid.
azza) acies (filo, taglio), erittu ericius ; lazzu (/^rm nel distr. di Marghine) laccio.
Ma pur qui l'estesissimo facca (l'ant. logud., dallo schietto facie-, e perciô non
sentendo lo C/, ha faghc ; cf. calchc calcio).)) Si de ces exemples le premier {j = b)
n'est pas convaincant, des formes comme posca = poslca pourraient peut-être
inspirer le soupçon sur l'antiquité de la palatale logoud., et les exemples tels que
alla semblent montrer que la gutturale peut s'assibiler. On pourrait vouloir tirer
un argument du patois poitevin, qui présente des formes telles que quiclU
ceux-là, quidk celle, quiclqui ceux-ci, quicu quio ce, ceci, cela, cet (Kabre,
gloss. du Poitou, p. Iviij; Lalanne, Gtoss. du pat. poilcv. p. xxvii)-xxx,
Romania, III 2 J
?86 COMPTES-RENDUS
donne des formes un peu différentes, mais de même caractère, entre autres
pour «, cet: tchiou tiou (juiou ; pour celle: tchielle tielle ejuielle quaU; pour
celui-ci : quauquiqui quieuquiqui etc.). M. J. voit avec raison dans quelques-unes
de ces formes {Errata, p. 339) des exemples de la substitution du r au k palatal :
nous avons bien ici une palatale non assibilée. Mais cette palatale n'est pas
primitive : elle dérive d'une vélaire latine; car ces formes remontent à un type
eccum ille etc., et non ecce ille*. Il n'y a donc pas de comparaison à faire entre
le poitevin et le sarde. Quant à la question si intéressante des gutturales dans
le sarde logoudorien, elle est trop difficile et trop comple.\e pour être abordée
en détail ici, et nous poursuivons l'examen du livre.
La gutturale palatale c (kj) passe à c (tch) en italien, dans le roumain du
Nord, dans le roumanche (qui au milieu des mots réduit souvent c à s), et quel-
quefois dans l'espagnol et le portugais (spécialement suffixes en ceus). Quand la
gutturale change de nature avec la voyelle de flexion dans la déclinaison et la
conjugaison, elle subit en roum. et en ital. des traitements divers (soit k, soit c) que
l'auteur analyse avec soin. Dans quelques dialectes italiens, elle devient parfois
g\ la plupart des exemples cités (7 sur 12) ont le g médial, ce qui dès lors nous
explique un peu ce changement. Dans le roumanche de l'Inn et la Suisse ro-
mande, elle devient 5, et de même en roumain dans les suffixes aceus, iceus, uceus.
On ne trouve pas de trace réelle du changement du c palatal en 5 dans le fran-
çais ; les exemples tels que chercher, chevêche, chicorée sont des exceptions récentes;
pouliche, ranche sont normands ou picards ; brcteche gallesche revéche etc. ont en
réalité une vélaire, ca ; bamboche bravache etc. sont italiens ; chiche seul présente
une difficulté réelle. Toute cette discussion est très-bonne. Enfin c médial devient z
(j français) dans le ladin de l'Engaddine et du Tyrol, dans quelques dialectes
du nord de l'Italie, soit, dit l'auteur, que c devienne g puisf, soit qu'il devienne
c, s, z ; soit, ajouterons-nous, qu'il donne js (comme dans plaisir), puis jsj
(plaisjir), et finalement plejir (plcji aux environs de Metz; cf. majon z= maison
qui prouve que le développement du j dans plcji est postérieur).
Après les changements de c en c, s, g, z, viennent ceux en ts, dz. On les
retrouve dans le roumain du sud, quelquefois dans celui du nord, et aussi dans
le ladin du Tyrol et du Frioul, dans le sarde logoud. (à côté des exemples de la
conservation apparente de la gutturale latine), et çà et là dans quelques dialectes
italiens. Le suffixe c(U5 a été décidément traité par l'ital. comme ^U5 ; il est
devenu zzo. En efîet l'ital. change régulièrement ti + voyelle en zz ou zzi^ (M. J.
1. Page 177, M. J. rapporte à tort au lat. ccce illa, etc., les formes poitevines <?u/>//«,
quiou, dont il fait dériver d'autres formes du même dialecte : tchelle, tchou. Ces der-
nières viennent de ecce illa, ecce hoc, et non de eccum illa, etc. Il y a une confusion
dans ce passage.
2. Ti devient aussi gi dans palagio, ragione, etc. Voir p. 9 (,.96. Ces formes sont-elles
des affaiblissements de c, de telle sorte que ti en italien serait devenu zz''i) ou c? Les mots
magione, cagione semblent prouver le contraire ; on a dans palagio un affaiblissement nor-
mal de ti médial en zi, puis le i se palatalise, zj d'où gi ; de même dans masionem,
occasionem, si = sj — j qui devient g comme dans jaccre = giacere. En tout cas,
quelque explication que l'on donne de l'origine de ce g — ti, on est forcé d'admettre
que le développement de ti a dû être ici différent de celui de ci ; c'est bien aussi l'avis
de M. J. ; mais on serait curieux de savoir en quoi consistaient ces différences et quelles
en étaient les causes.
JORET, du c dans les langues romanes 387
n'examine pas la question de la présence ou de l'absence de Vi) '. L'assibilation
de la gutturale est générale dans les idiomes de l'ouest. Dès le X^ siècle le fr. a
changé c en ts ou ds. Initial, il devient s dans quelques rares exemples au XIII',
généralement au XIV>-% quoique l'orthographe garde la lettre c. Médial, il
devient s sourde (représentée par c, par 5 ou par ss) dans un certain nombre de
mots, tandis que dans d'autres il devient s sonore. Dans quels cas a-t-on la
sourde.? dans quels cas la sonore? et pourquoi l'une plutôt que l'autre? M. J.
ne pose pas la question, se contentant de donner des exemples des deux sortes
de changement. Cette question cependant vaut la peine d'être examinée; car
elle pénètre au cœur même de la théorie de la gutturale. Et d'abord comment
naissent des formes comme plaisir, etc.? Faut-il admettre la série plagere
plagjere plajgjere plnjdjere plajzir plaisir, de sorte que la silflante dès
l'origine serait sonore ? Alors il en serait de même de pacem = pais. Contre
cette hypothèse on peut objecter que \'s de pacem, voccm a dii être au XI'= siècle
une sourde, témoin l'anglais pitch partrich (arch.) peace voice et les rares nota-
tions de l'ancien français par c2; d'un autre côté plagere aurait donné plair tout
comme regina a donné reinc^ magistrum maistre. Faut-il admettre la série placere
placjere plajcjere plajcere plaitzir plaizir? pourquoi alors la sourde ne se serait-
elle pas maintenue comme elle se maintient dans ericionem hérisson, aciarium
acier? Voilà une première question à étudier. En second lieu, pourquoi rationem
et les analogues sont-ils traités comme placere, tandis que platea, spatium donnent
place, espace avec la sourde f? y a-t-il là une action de l'accent tonique? D'un
autre côté, rationem pour devenir raison passe-t-il par des séries de même
nature que placere (ratjonc rajtjon rajtzon raiçon raison ou rationem radionem
radjonrajdjonrajdzon raizon, ce qui est bien plus invraisemblable, dj devenant
régulièrement /j?Une troisième question se pose encore: pourquoi la consonne
médiale donne-t-elle dans les noms la sifflante sourde {hérisson, hameçon, acier, sous-
peçon, etc.), tandis que dans la conjugaison nous avons la sourde et la sonore,
^ae je fasse, que nous fassions; que je place {placeam), que nous plaisions, que je
taise ou que je lace, que nous taisions? quelle est dans cette conjugaison la forme
primitive, et jusqu'à quel point celle-ci a-t-elle été altérée par l'analogie ? Voilà
autant de questions qu'il fallait élucider, et qui traitées avec précision et méthode
auraient peut-être amené à la découverte d'une chronologie relative dans les
traitements divers de la gutturale. M. J. les a négligées, se contentant d'établir
cette diversité de traitement ; c'est là une regrettable lacune dont les consé-
quences naturelles se font sentir dans tout ce chapitre, puisque la théorie de la
1. si l'on considère des formes telles que giustizia et giustezza, vizio et vezzo, on se
persuadera que les mots qui ont i sont d'origine savante. Le caractère de formation
savante est visible dans astazia. pozionc, dazione, dominazionc, escalazione, abitazione.
nazione, riformaztone, pigrizia. Les mots en z ou zz sans / ont dans leur physionomie
quelque chose de plus populaire : atzare, debolezza, marzo, piazza, etc. C'est du reste
l'opinion de Diez, 11 364.
2. Voir les exemples dans l'ouvrage de M. J. qui a pris soin de les réunir, sans cher-
cher à en examiner la valeur exacte (p. 124). — Dans onze, douze, etc., la sonore est
peut-être due à l'action assimilatrice du d {undcci, und'çi, ond'ze) qui devait plutôt
attirer à lui le c que de se laisser changer en t à son contact, parce que la pensée popu-
laire reconnaissait toujours, sous ses altérations successives , dans deci le simple
decem.
}88 COMPTES-RENDUS
palatale médiale et finale, à part la présence de \'i parasite propre au français,
est à peu de chose près la môme dans les divers idiomes romans. — Pour le
provençal, le changement de la palatale initiale en s sourde est régulier; et à
l'encontre du français qui n'a remplacé le c par s que dans quelques rares
exemples, il emploie indifféremment les deux lettres au commencement des mots.
Le c médial devient i sourde ou sonore. M. J., après un examenattentif des textes
et aidé par la comparaison du français, dresse des listes des mots où le prov.
maintient la sourde (notée souvent après une consonne par ss : balanssa, \'s
simple risquant dêtre prise pour une sonore), de ceux où il maintient la sonore,
de ceux enfin où la sonore et la sourde paraissent employées indifféremment.
Même travail pour la médiale des dialectes italiens et ladins. Ce ne sont que des
matériaux, recueillis du reste avec soin et patience, pour une théorie générale de
la palatale médiale. Son double cfiangement en sourde et en sonore dans les
diverses langues romanes est désormais hors de doute. Mais quelle est la cause
qui détermine ici la présence de la sourde, là celle de la sonore? — Les chapitres
suivants, consacrés au changement du c palatal en 0 o, sont les plus intéressants
du livre; ils apportent à la philologie romane des faits nouveaux. L'espagnol ne
connaît pas en général de sifflante sonore. Etait-il à ce point de vue un héritier
direct du latin qui passe pour avoir prononcé Vs toujours sourde.? Un examen
minutieux des anciens documents de la littérature espagnole a permis à M.J. d'établir
d'une manière indubitable que la langue distinguait autrefois lessourdes des sonores.
Un examen semblable fait avec le même soin sur les textes portugais conduit à des
résultats analogues : mais tandis que le portugais jusqu'à ce jour est resté fidèle à
cette division de la palatale assibilée en sourde et en sonore, l'espagnol moderne,
comme M. J. le prouve par le témoignage des grammairiens, après avoir changé
vers le XVI" siècle f et z en 8 {th anglais sourd) et en S [th anglais sonore)*,
réduisit bientôt le son S au son 6, de telle sorte qu'en plein XVI"^ siècle déjà les
deux palatales assibilées f et z se confondirent dans un son unique th. Les résul-
tats auxquels est amené M. J. ne sont pas infirmés par un texte espagnol que j'ai
entre les mains et qui montre clairement que le ç est encore différent du z et
que le premier n'a ni le son ts, ni le son s. C'est l'ouvrage de Mose Almosnino :
Regimiento de la Vida, imprimé à Salonique en 1 564 en caractères hébreux. Les
différents signes employés pour représenter les sifflantes sont les suivants : le sin
(s sourde) remplace toujours \'s espagnole; le samech (autre sorte à's sourde,
légèrement aspirée) désigne toujours le f ; le zaïn enfin (sonore = dz ou z)
est toujours pour z. On n'y voit nulle part le çadi {ts). Donc pour l'auteur de
cet ouvrage ou pour celui qui l'a transcrit (car j'ignore si le livre a été écrit par
l'auteur en caractères hébreux), le f sonnait autrement quele z, que l'i et n'avait
pas le son ts. M. J. termine le chapitre en nous montrant une assibilation ana-
I. Comment a eu lieu le passage de f à 9 et de z à 5 '' M. J. ne dit pas clairement si
f sonnait comme s forte et si z sonnait comme s douce avant de devenir l'un 6, l'autre ô;
de telle sorte que la série des changements aurait été ts, s (forte), 6 ; ds. s (douce), 5.
A priori, une pareille série est inadmissible, car il n'y a pas de raison pour que Vs éty-
mologique ne fût pas devenue Ô, et que rosa n'eût pas donné roça. Le ts et le dz se
sont donc maintenus intacts — contrairement à ce qui s'est pas.sé dans les autres langues
romanes — jusqu'au xvi'' siècle, époque où ils sont devenus 9 et 5 et finalement 9. Le
témoignage des grammairiens espagnols confirme cette manière de voir.
JORET, du c dans les langues romanes ^89
logue à celle de l'espagnol dans des dialectes de la Suisse romande, du Tyrol,
de la Vénétie et de l'Italie. On se demande si poussant à l'extrême ces transfor-
mations, quelques-uns de ces dialectes n'aboutissent pas régulièrement à / ou à
V? Plus loin M. J. nous donne quelques exemples de ce changement pour le c
vélaire (v. 212) et un ou deux pour le c palatal. Rien que de naturel dans cette
dernière transformation de la gutturale. — Dans le chap. VIII, l'auteur donne
des exemples d'assibilation du c devant une atone £, / qui tombe ensuite. Dans
ce cas, chose curieuse et inexpliquée, la palatale devient partout, même en ita-
lien, s. L'on a de nombreux exemples ' de ce changement, qui prouve que la
voyelle atone s'est maintenue — même en provençal et en français — après
l'époque où la gutturale s'est transformée, ce qu'établissaient d'ailleurs les formes
telles que pais, croix = pacem, cruccm, etc. Après quelques exemples douteux de
la chute du c palatal, l'auteur dit un mot du développement d'un / parasite
dans le voisinage de la palatale. Quelques exemples, ce n'est vraiment pas assez
sur une question aussi obscure, et de telle importance. — Le dernier chapitre
du livre II est consacré au changement de la palatale en labiale. Tantôt l'on
voit un V qui suit la gutturale se transformer en consonne aux dépens de celle-ci
et la supplanter : aijua devient en val. eape ; antiquus antif en fr. etc.; cela n'offre
rien d'étrange. Tantôt on voit la gutturale simple se changer en labiale comme
dans le sarde logoudorien : cattum = battu ; colligere = boddire ; cultcllum =
bulteddu] cela est plus bizarre. Pour expliquer ce changement, M. J. adopte la
théorie de M. Ascoli, d'après laquelle la gutturale a le pouvoir de dégager un
i ou un u parasite. De la sorte cattum deviendrait kuattum, kvattu, gbattu, battu.
Cette théorie nous paraît loin d'être démontrée, et vraie en ce qui concerne Vi
palatal, elle est fausse pour Vu. Je ne veux ni ne pourrais discuter la théorie de
M. Ascoli dans son ensemble ; je ferai remarquer seulement que la preuve qu'il
doit considérer comme la plus solide, celle qu'il tire du sarde logoudorien, lui
échappe et se retourne contre son système. L'examen attentif des formes sardes
le force à admettre {Leç. de Phonol. § 27) non la série g, gv, gb, b, mais la
série g, gv, v, b, car des formes comme urteddu et ula, doublets de burtcddu,
bula, ne pourraient, dans le système de l'illustre professeur de Milan, s'expliquer que
par vurteddu, vula. Or il est clair que dans urteddu et ula il y a purement et
simplement chute de la vélaire. Si l'on rapproche d'un côté les exemples analogues
umpare = cumparc, umflare = cumflarc, de l'autre les formes telles que bandu =
ando^ bcssire = essire, etc. , on se convaincra qu'on se trouve ici en présence de
deux phénomènes distincts, et que le sarde, pas plus que les autres langues
latines, n'échappe à cette loi de la phonétique romane que la gutturale latine ne
dégage jamais aucun u parasite, et qu'au contraire elle tend à supprimer les u
étymologiques qui suivent le (j latin ou le g d'origine germanique. Nous croyons
donc que M. J. doit effacer tout ce qu'il a écrit touchant le changement de c ou
g tn b dans le sarde logoudorien 2.
1. J'ajouterai à la liste de M. J. rezar (esp. =: recitare), cidre {sisdre — sicera), rance,
coussin {culcitinus, *culstin, *cultsin), chevalst (subjonctif de chevalchier), commenst {sub].
de commencier), beneistre {benedicere), flasque (flaccidus^) , moite (mucidus^), onze,
douze, etc.
2. M. J. ne donne qu'un exemple des formes intermédiaires par lesquelles aurait passé
390 COMPTF.S-RENDUS
M. J. cite encore des formes wallonnes comme exemples du changement de la
gutturale en labiale, an'dc de acucula (acucla acuilU acua aU/veie awde),
awc de avka (avca, acva, ave, awe). Les transformations ainsi données sont pure-
ment hypothétiques. Pour auca en particulier, comment peut-on admettre qu'il
soit devenu acva ? Les mots comme aswagi — v. fr. asoager, bawi = bayer,
brôwctcr = = ébrouer, et même anous à côté de aous — *agustum Caoût), aweure =
heur Cagurium), où \'u latin s'est maintenu dans ou et eu, montrent que le w ne
s'est pas dégagé au détriment de la gutturale : awe est au-c-a au-g-e au-t
awc. Quant à awek, le m' peut bien représenter Vu de acuclam (et de même dans
awion, aculeonem), mais le c est tombé régulièrement comme toute muette médiale,
et ce n'est qu'après sa chute que Vu est devenu u'.
Quant à la substitution de \'u au c vélaire et palatal, M. J. aux exemples
catalans déjà réunis par Diez ajoute un certain nombre d'autres exemples
empruntés au portugais, à l'espagnol, au provençal, au français, et même aux
langues germaniques. A ce sujet M. J. expose diverses hypothèses, dont aucune
n'entraîne la conviction. L'auteur termine enfin son second livre par deux pages
consacrées à la substitution de ^ à la gutturale en catalan et en wallon (il éta-
blit avec raison que c'est de la gutturale assibilée qu'est sortie l'aspirée'), et de
n k c dans quelques exemples espagnols, portugais, provençaux, français. Ce
sont là des faits obscurs et sans doute complexes, où la nasale a pu se dégager
de la gutturale, mais aussi, comme le suppose d'ailleurs l'auteur, être une simple
nasalisation de la voyelle / accentuée, ou peut-être encore être due à l'influence
d'une nasale antérieure.
En résumé, le second livre contient une analyse approfondie du passage de la
palatale latine au roman ; un tableau minutieux des nombreuses modifications
qu'elle a subies ; l'histoire — entièrement nouvelle — de la palatale espagnole ;
des listes dressées avec soin des médiales sourdes et sonores ; mais les rapports
de ti à ci pourraient être étudiés plus à fond, et surtout la théorie de la pala-
tale médiale et finale, si obscure et si importante, et la théorie capitale de l'i
parasite n'ont pas été abordées.
Le livre troisième est consacré à la transformation de la vélaire en c, c.-à-d.
à son traitement comme palatale en français, en provençal eten ladin. En ladin le ca
persiste ou devient ca suivant les dialectes ; dans quelques mots la gutturale semble
se palataliser devant o et u, mais ces voyelles étaient déjà devenues ô, ie ou û, i et
c'est devant ces voyelles palatales que c est devenu c ouc. Mêmes phénomènes se
produisent dans quelques dialectes français. Pour le provençal , M. J. pré-
tend que le limousin change le plus ordinairement cj en cha, qu'au XII<= siècle,
dans les monuments littéraires — peut-être sous l'influence des troubadours
limousins — cha se substitue généralement à ca, et qu'à partir du XIII" siècle,
la gutturale : c'est le mot getiare dont le sarde présenterait les formes ghetîare, guettare,
gvettare et bettare. Cet exemple est-il bien sûr? d'où est-il tiré ? M. J. ne donne aucune
indication. Il serait cependant intéressant d'établir sans conteste l'existence d'une forme
telle que gvettare.
I . Pourquoi dit-il en note que Vh se substitue aussi aux dentales dans le catalan pehar
petiarc, rafio rationem '. Il se substitue toujours à la palatale assibilée, qu'elle soit sortie
du c palatal ou de ti. Quant au portugais cahir, Vh n'y a pas plus de valeur que dans le
fr. envahir.
JORET, du c dans les langues romanes 391
ca disparait. Pour établir ces assertions, M. J. se fonde surtout sur l'étude de
textes publiés par Bartsch dans sa chrestomathie provençale ; mais une ques-
tion se posait d'abord : l'orthographe donnée par Bartsch représente-t-elle l'or-
thographe des auteurs ou celle des copistes ? Il est fâcheux que cette question
capitale pour l'objet de la discussion n'ait pas été abordée». Pour le français,
l'auteur, partant du mot cose des Serments de Strasbourg, pense que le c au
IXe siècle pouvait avoir encore soit le son kj, soit peut-être même le son k, \'o
provenant de au ayant pu conserver longtemps une valeur particulière, différente
de \'o étymologique, de manière que le c ait pu se changer en c devant le pre-
mier, tandis qu'il a persisté dans le second. Cette argumentation ne nous con-
vainc pas. Au dès le VIII' siècle est déjà noté par 0. Les glosses de Reichenau don-
nent sor, mot qui en provençal est saur. Si donc au s'est réduit à un son 0,
quelle qu'en soit la nature, qu'il soit l'équivalent de ô, de 0 ou de 0 en position,
il est indubitable que dans son émission on ne faisait entendre aucun élément du
son a et que par suite, ne contenant rien de palatal, il ne pouvait plus amener
la gutturale à se transformer en c. Il faut donc admettre que non-seu-
lement au IX* siècle, mais qu'au VIII° déjà, à l'époque des glosses de
Cassel — si le son au s'est réduit à 0 à une même époque par tout le
domaine de la langue d'oïl — la gutturale a commencé à s'ébranler et est devenue
tout au moins/;/ 2. Ce raisonnement, remarquons-le, est indépendant de la
preuve qu'on peut tirer des Serments. La seule forme sor des glosses de Reichenau
rapprochée des mots tels que chose, choisir, Choisy, chose, etc., suffit à établir
d'une manière générale et quels que soient les témoignages ultérieurs que — si
à la fin du VIII° siècle au est devenu par toute la langue d'oïl 0 — ca à la même
époque était déjà devenu kja. Un autre argument permet d'établir les mêmes
conclusions générales pour le X« siècle. A cette époque en effet qu dans nombre
de mots s'était réduit à k, témoin les notations cal pour quai dans Boèce, chi
pour chi dans Eulalie, le fragment de Valenciennes, etc., alcans pour alquans
dans la Passion (123, 3). Or si la gutturale de vélaire (^ua, <7u/) est devenue
palatale {ka, ki), et si elle n'est pas devenue chuintante comme ca ou ke l'est
devenu par exemple dans chanter (cantare), chef (caput), il faut que le change-
ment de k en kj soit antérieur à la chute de \'u dans le groupe (]u, c'est-à-dire
antérieur au moins au X'= siècle'. M. J. hésite entre diverses hypothèses sur
1. ;Une telle question ne devait point être abordée parce qu'elle est d'avance résolue
pour toute personne au courant des études provençales. Il est évident que M. Bartsch ne
pouvait chercher à restituer <■ l'orthographe des auteurs », cette orthographe nous étant
dans la plupart des cas à peu près inconnue. Ensuite, à supposer que, le progrès des
études aidant, il devienne possible de restituer avec quelque certitude la langue d'un
troubadour, il y aurait une évidente pétition de principe à puiser des caractères de dia-
lectes dans un texte constitué par la critique. C'est uniquement aux chartes, aux cou-
tumes, aux registres cadastraux, enfin aux documents locaux, qu'il faut s'adresser quand
on cherche des notions sur un dialecte. Ces documents sont exirêmement nombreux pour
le midi de la France, et beaucoup ont été publiés ; M. Jcret, en les négligeant absolument,
s'est condamné d'avance à n'obtenir, dans les parties de son travail qui touchent au
provençal, aucun résultat solide. — P. M.1
2. Les formes avec ca des glosses de Reichenau et de Cassel, entre autres la forme
keminada, ne prouvent rien contre la non palatalisation du c, puisque le cose des Serments
et A'Eulalie prouve que le kj pouvait être noté par c.
3. Vraisemblablement Vu n'est pas tombé à une même époque dans tous les mots pré-
sentant le groupe qii. Dans quinque il est tombé avant le vi" siècle, époque où le c pala-
^92 COMPTES-RENDUS
l'état du groupe ca dans Eulalic, le Fragment de Val., la Passion et le
S. Léger. L'étude pure et simple des notations orthographiques de la gutturale
dans ces divers textes ne permet pas en effet d'arriver à des conclusions précises.
A l'aide de ces considérations générales, on peut aller, croyons-nous, plus loin,
et l'orthographe cosc d'Eulalte permet d'affirmer que causa était déjà devenu
kjose, sinon encore tchosc (car la gutturale ne devait pas être transformée en tch,
pour être représentée encore par la consonne latine pure et simple c). D'où il
suit que dans cfiuit, chicf la gutturale était déjà palatalisée. Le jholl du Frag-
ment de Valenciennes, notation ingénieuse et très-claire du son tcholt, prouve
que dans clicvc, sèche, cherté, acheter on a tout ou moins un k\ Le causa du
S. Léger (35, 4) montre que dans ce texte habillé à la provençale, il ne faut pas
tenir compte de la notation ca, et que certainement le c était palatal. M. G.
Paris, frappé de l'orthographe evcsquct, queu, admet que partout dans ce texte
la gutturale est restée intacte, et change ainsi le mot pechictz de la strophe
38 (v. 3) en pequiciz. M. J., peu porté à admettre l'opinion de M. Paris, hésite
toutefois et n'ose rien affirmer. Ces scrupules, d'après ce qu'on vient de voir,
ne sont pas motivés. D'ailleurs la forme evcsquet est exacte : c'est un dérivé de
cvtsquc, dérivé où la gutturale s'est changée postérieurement en ch par suite de
l'analogie de franc franche, duc duché etc. Une forme primitive eveschiet evesché de
episcopatus est contraire aux lois de la phonétique. Quant à queu, l'orthographe
de ce mot ne représente pas assurément l'orthographe de l'auteur, qui connaissait
la diphthongaison de 1'^ après la gutturale (témoin la 'orme pechictz et les assonances
queu picz 39, 1 ; queu talïcr 27, i)et qui prononçait tout au moins kieu. Le scribe a
donc de parti pris altéré la forme de ce mot ; puisqu'il faut admettre une alté-
ration, il ne coûte pas plus de la supposer complète et de lire chieu. Je crois
donc qu'on peut admettre que dès le X« siècle ca était devenu partout kja et
peut-être même t'ja, Icha, sinon dans tous les mots, du moins dans quelques-uns.
Cette affection de la gutturale a embrassé tous les degrés de la langue offrant le
groupe ca ; parmi les exceptions que cite M. J., je ne vois que cave qui semble
avoir réellement échappé à cette transformation, et le verbe archaïque c/jdvfr cAever
{cavarc) prouve que cave, malgré l'antiquité des exemples où on le voit paraître,
est de formation savante. — Au ch. II, l'auteur examine les autres traitements
de la gutturale {g, z ; ts, dz; s, z; 6, 8; y). L'on 3i g,z dans quelques exemples
ladins, français et provençaux ; parmi ces exemples on aurait pu retrancher ceux
où le c n'est pas initial, car là le traitement est accidentel et est une conséquence
de l'affaiblissement antérieur deceng(v. le livre deM.J. p. 40). Le changement
en ts est plus général et caractérise certains dialectes prov.; il a lieu dans tous les
cas où le fr. a ch ; dans quelques mots la sourde ts a fait place à la sonore dz,
et quelques-uns de ces dialectes (Tarantaise, Suisse romande, etc.) ont réduit
ts et dz à s et z. Le savoyard, au lieu de ramener le ts à s, l'a changé en 6, et
dans les mots où parait la sonore, en 5 ; et même ce son sifflant s'est réduit,
tal a commencé à s'assibiler. Dans quisquunus, quercinus, il est tombé après le vu' siècle,
époque où l'assibilation du c palatal était faite et avant l'époque où le fr. palatalisait ca
ou ^t', kie et ce qu'il pouvait avoir de ki fseconde partie du viii' siècle ?) : de là
chescun chasciin, chesne. Enfin dans quai, Vu tombe après que la gutturale a achevé ses
transformations; voilà pourquoi elle reste sans changement: quel ( = /ce/).
JORET, du c dans les langues romanes ^95
chose curieuse, à / ou v dans le patois de la Maurienne. Enfin dans les cas où
le c et le g vélaires sont devenus f en portugais, ils ont pris en espagnol le son
X, de même que le x (= s). Cette transformation correspond à celle du ts et du
<fz en 9 ; dans les deux cas, la sonore s'est confondue avec la sourde. L'auteur
établit, d'après les témoignages d'anciens grammairiens espagnols, que la jota
ne date que de la fin du XVI« siècle, et peut-être du milieu du XVII«. Comment
ce son nouveau a-t-il pu se produire? On l'ignore. Evidemment j et g durent
avoir le son i ou dz et x le son ch ou tch, puis, la sonore disparaissant au profit
de la sourde, le son unique ch ou tch devint ■/. Mais, chose curieuse, le c origi-
naire de et {noche de noctcm, etc.) s'est maintenu intact, et cependant il devait être
voisin de \'x. Dira-t-on que Vx sonnait cfî et que le / et le g sonnaient f ? Ce n'est
pas vraisemblable; ces sons devaient être accompagnés d'une dentale. En effet
dans l'ouvrage espagnol dont j'ai déjà parlé plus haut, le groupe ch est repré-
senté par la même lettre que le g, le / et l'x. Partout dans le Regimiento la
même lettre hébraïque, gh tilde (lettre à laquelle on donne, en la tildant, une
valeur de convention), représente le /(par ex. dans jornada), le g {regimiento),
l'x (bajo ou baxo) et le ch {macho) \ D'un autre côté, M. J. cite le témoignage
d'Engelmann rapportant que les sons arabes dsch * (= dj) et sch étaient trans-
crits en 1517, par Pedro d'Alcala, indifféremment par / et x.
Le ch. III est le plus nouveau et le plus intéressant de l'ouvrage ; l'auteur y
étudie les transformations du c vélaire et du c palatal en picard et en normand.
Il commence d'abord par examiner les textes des poètes picards qui montrent
tantôt ca et cht chï, tantôt cha et ce ci, vraisemblablement suivant que les
copistes avaient maintenu ou francisé l'orthographe picarde '. Les chartes de
S. Pierre d'Aire et de S. Silvain d'Auchy en Artois qu'examine ensuite M. J. le
conduisent à des résultats analogues, mais plus précis. A peu près partout, à
l'exception de trois mots qui présentent encore dans les patois actuels des ano-
malies (entre autres chevalier}, la vélaire s'est maintenue et la palatale est deve-
nue ch quand en français elle se change en ç, mais elle s'est affaiblie en sonore
dans les mêmes mots qu'en français : damoisiclle, maisieUe, etc.
Les caractères du picard étaient parfaitement déterminés avant le travail de
M. J. ; il n'en est pas de même de ceux du normand. M. Paris dans sa restitu-
tion de y Alexis avait admis que le traitement de la gutturale était celui du fran-
çais. M. Ed. Mail, dans sa récente édition du Compiit de Ph. de Thaon, décla-
rait que la phonétique de la gutturale normande n'offrait rien de particulier, et
substituait au k des manuscrits le ch français. A M. J. revient le mérite d'avoir
le premier fixé le caractère de la gutturale normande et d'avoir montré que le
1. Nulle part on ne trouve le heth, qui a précisément la valeur de la jota actuelle,
preuve que ce son n'existait pas encore. Les Juifs de la Turquie d'Europe, descendants des
juifs d'Espagne, parlent un patois qui réprésente dans sa plus grande partie l'espagnol
du xvi' siècle : il ignore la jota.
2. Grossière transcription usitée encore quelquefois chez les Allemands pour représenter
le djim arabe ; c'est en français dj.
3. M. J. cite ici un glossaire hébreu-français publié par Bœhmer dans ses Romanische
Studien. Il le croit d'origine anglo-normande (voir p. 291, 292 et n. i) à tort : il est
champenois ou bourguignon : la persistance de la vélaire ne prouve rien ; le tilde qui
devait surmonter le koph a été oublié, chose qui n'est pas rare dans les textes de ce
genre.
594 COMPTES-RENDUS
traitement en est identique à celui de la gutturale picarde. Il poursuit sur les
divers textes normands la minutieuse analyse commencée sur les textes picards
et en tire des conclusions généralement justes, quoiqu'il lui arrive aussi de
faire entrer en ligne de compte des textes normands transcrits par des scribes
picards : ainsi le ms. fr. 375 de la Bibl. nat. contenant le Roman de Rou, qui
sert spécialement à l'auteur pour établir sa théorie, et sur la nature duquel la seule
notation de a par oi — signalée par M. J. lui-même (p. 243) — aurait pu suffire
à l'édifier. Les mots anglais importés par la conquête normande — mots dont il faut
distinguer les mots empruntés postérieurement au français — viennent également
à l'appui de sa thèse ; ils ont gardé la vélaire ca. Les noms propres des rôles
de l'Echiquier de Normandie ont la vélaire, qu'ils ont gardée jusqu'à nos jours.
Les Etudes sur la condition de ta classe agricole en Normandie de M. L. Delisle et
les Actes normands sous Philippe de Valois du même auteur permettent à M. J.
d'arriver à des conclusions analogues. Enfin nombre de noms de lieux encore
existants et les noms communs présentent des caractères identiques à ceux du
picard. M. J. a mis hors de doute que la vélaire normande est traitée comme la
vélaire picarde. — Quant à la palatale, les preuves de sa transformation en c
sont moins nombreuses que pour la vélaire. Mais si les textes primitifs du nor-
mand, l'Alexis, le Roland, etc., notent la palatale forte par c et la sonore par
s, z, il n'y a là rien de contraire à la théorie de l'auteur. Vs et le z représen-
tent la sonore, qui dans toute la langue d'oui a été traitée comme dans le dialecte
français. Quant à c il peut avoir la valeur c, comme il l'a assurément dans les
mots sacct {Alexis 50, 2), reproce {Roi. 2263), etc.; car le c ici ne peut représenter
qu'un ;;/, pch, ch. Ce n'est qu'à partir du XII" siècle que paraît, et d'une manière
souvent peu régulière, la notation ch ; mais ce n'est qu'une notation nouvelle.
Toutefois les chartes, les actes publics présentent le ch avec d'autant plus de fré-
quence qu'ils sont plus populaires. M. J. en donne de nombreux exemples pour
le XVI* et le XV" siècle; au XVII', des auteurs de pièces normandes en patois
emploient régulièrement le ch; enfin l'état actuel du normand montre que le trai-
tement de la palatale est identique à celui de la palatale picarde. Les noms propres
de lieux, quand ils désignaient des localités quelque peu considérables, ont été
généralement francisés. Mais ceux de villages se sont généralement maintenus
avec la palatale ck; de même pour les noms de personnes. Quant aux mots de la
langue commune, les divers patois normands ne connaissent que le ch. Toute
cette discussion est très-bien conduite, et c'est assurément la partie la plus neuve
du livre, M. J. termine cet important chapitre par quelques remarques sur la
palatale sonore en picard et en normand (voir plus haut, p. 393), sur la notation
ce = ke pour les mots où elle représente un ca étymologique (l'argument tiré
du glossaire hébreu-français n'est pas sûr puisque l'origine normande de ce texte
est contestée), enfin sur certaines rimes qu'on rencontre souvent dans des textes
picards ou normands du XIII" siècle où un c palatal rime avec un c vélaire (ex.
force roce; en picard et normand il faudrait /orck rokc, en fr. force roche) : l'au-
teur ne songe pas à se demander s'il n'y aurait pas là un dialecte mixte, traitant
la vélaire comme le français et la palatale comme le normand et le picard {forche
roche ') ou ce qui est moins vraisemblable affaiblissant la vélaire Ich en ts, s [force
I. Cf. les formes telles que chanchon {Roman de la Violette, 124), signalées par M. J.
JORET, du c dans les langues romanes 595
rocc). — Le livre se termine par des remarques générales sur le traitement de la
gutturale en normand et en picard. D'où vient cette particularité du consonan-
tisme normand et picard? Diez supposait une influence germanique dans le chan-
gement de ca en cha; M. J. est porté avec plus déraison, ce semble, à admettre
l'hypothèse inverse. En tout cas, quelle que soit la cause de la persistance de
ca dans ces deu.x dialectes, il faut admettre qu'ils représentent une étape anté-
rieure à celle du français : celui-ci change ca en cha et ce ci en se si; le picard
et le normand, qui gardent ca, s'arrêtent à che chi dans la transformation de ce
ci; delà sorte, le son ch se maintient dans les trois dialectes. — Enfin M. J., reve-
nant sur l'histoire du normand, donne d'intéressants détails sur les vicissitudes
qu'il a subies. L'avènement des Plantagenets au trône d'Angleterre en 1 1 54 amena
la prédominance du dialecte poitevin, dont le vocalisme est normand, mais dont le
consonantisme est français. En 1203, la réunion de la Normandie à la France y
introduisit le français. De là les efforts divers pour ramener la prononciation popu-
laire à la prononciation officielle qu'on constate dans les textes normands, chartes
aussi bien qu'écrits littéraires. Un exemple entre autres : dans le compte 4 des
Actes normands de 1329 on lit : Nuef Caste! et Arques; dans le compte 74 de
l'an 1337 : Noef Chaste! et Arches. La tentative a réussi pour le premier nom
devenu Neufchdte!, m.ais a échoué pour le second resté Arques. Quant au picard,
son importance littéraire au XIIP siècle l'avait soustrait en grande partie durant
le moyen-âge à l'influence prépondérante du français.
Après l'intéressante étude qui fait l'objet du troisième livre, l'auteur arrive à
l'examen des divers groupes latins ou romans. Il est nécessaire de s'arrêter sur
te de aticus, dont le développement offre matière à discussion. Suivant M. Ascoli,
le c d'^?;cui est tombé et c'est l'i qui s'est transformé en chuintante. A cette théo-
rie M. J. objecte que l'atone en français aurait dû disparaître ; ce n'est pas
absolument nécessaire: l'atone a pu vivre assez longtemps pour agir sur la con-
sonne précédente, comme elle a agi dans 'amicitatem, pacem, etc.* La chute du
c est-elle tout-à-fait exceptionnelle? non ; elle est au contraire de règle devant 0 et
u (voir plus haut, p. 383). Il ne tombe que final, et alors l'atone qui suit disparaît
en même temps : ami, es pi? mais l'atone a pu disparaître dans ami, es pi sans
agir sur la voyelle précédente, tandis que dans la forme spéciale tico, digo, la
présence d'un ; palatal combiné avec une dentale a pu agir sur l'atone. D'ail-
leurs peut-on rapprocher un paroxyton tel que ^n'cui d'un oxyton comme am/a/^?
Enfin, dit M. J., la gutturale aurait dij se changer en yod} Non, puisque le yod
n'apparaît que devant des voyelles palatales. Aucune des objections présentées
par M. J. ne me paraît fondée, et la théorie de M. Ascoli me semble aussi
solide et ingénieuse que nécessaire. En efl^et, M. J. ne paraît pas avoir vu la
dilficulté que présente son explication de ago aggio par le changement de alcus
en adgo aggio. Comment la vélaire est-elle devenue palatale ? Les formes en
ticare, dicare ne présentent pas de difficultés, puisque ca et ga deviennent régu-
I. L'auteur pose le dilemme suivant : protonique, 1'/ atone doit tomber nécessairement;
posttonique, il ne pouvait subsister qu'en venant diphthonguer la voyelle précédente
comme dans testimoniiim tcsmoin. — Nous n'avons pas un/ protonique dans rtf/Vuj,- et cet
( n'a pas besoin de diphthonguer la voyelle tonique : il peut devenir consonne comme
dans cavea cavja cage.
596 COMPTES-RENDUS
lièrement chi, gc en fr. , qu ils peuvent devenir cha, ja en prov. et que dans les autres
langues ils restent ca, ga. L'it. gniggiarc est emprunté au provençal. Escorchar
(esp. et portug.) est aussi un emprunt fait au français. Quant à l'esp. mege et au
pg. pejo de mcdicus et de * pedicus (ei non ' pedica, voir Diez, E. W. *, IF, b. s,
V.), ils rentrent dans la série de <i/icui, ainsi que le fr. ;7orc/i«, prov. et lad. prg« de
porticus, toutes formes inexplicables dans l'hypothèse du changement de c en g
ou en ch. Or admettons que aticus soit devenu adigo adio, cet adio devient aussi
facilement dj, g que diurnus jour. On ne peut objecter que ti doit donner nais-
sance à une sifflante; car, comme d'ailleurs le remarque fort justement M. J.,
les transformations de tic, die étant plus récentes que celles du suffixe tius, tia,
tium ont pu donner un autre produit. On a bien ragione de ralionem, palagio de
palatium. Toutes les formes s'expliquent dès lors sans difficulté : aggio, âge (fr.)
âge (esp. de ûjo, aje), agem, atge (prov., renforcement de adge; cf. jutge)
medicus ei ' pedicus deviennent de même piège, miége , ei porticus donne portio,
port je, porche; quant à porge, c'est sans doute un affaiblissement dialectal et
récent d'un primitif ;'orc/!e. Il n'est pas jusqu'aux formes savantes a:go, adego
qui ne deviennent parfaitement lucides dans leur formation. Elles datent d'une
époque où aticus était déjà devenu adjo, ajo, aje, mais où la langue était encore
assez voisine du latin pour qu'en reprenant aticus on lui donnât une forme
adego plus rapprochée des formes populaires. C'est cet adego qui, conservé
dans le portugais, subit en espagnol les transformations ultérieures de la phoné-
tique de la langue et devient adgo, azgo.—he groupe le est purement roman selon
M. J.: il se rencontre cependant dans le mot latin remulcum remorque et dans le nom
propre Olca (Oulche).— Le groupe rc existe aussi en latin: circareeic. Quant au
groupe roman, comme l'atone est tombée généralement après l'affaiblissement de
c en g {carncarc, carrigarc, car-gar), c'est le groupe rg qu'on a devant soi.
D'ailleurs dans ce groupe rg la gutturale, suivant une liquide, est traitée comme
initiale (cf. plus haut, p. 381). De là les traitements qu'elle subit et qui varient
avec la nature de la voyelle qui suit. Lefr. serge vient de serica et non de sericum.
Narguer qui est irrégulier est sans doute provençal ; ce mot est inconnu, ce me
semble, à la vieille langue. — N'c et nd'c sont encore romans selon M. J., qui
oublie toutefois vincere. Il est vrai que p. 62, n. 3, il indique la formation de ce
mot vincere, vintrc ; ce qu'il en dit paraît trop insuffisant pour une formation
aussi obscure. M. Paris avait déjà, dans son édition du S. Léger [Remania, I,
307) indiqué la succession vcnc're, vejn're, veintrc; mais pourquoi l'intercalation
d'un t et non celle d'un d, comme dans joindre (jung're, jojn're, joindre) et les
analogues .? La présence d'une dentale forte ou sonore est donc déterminée par
la nature de la gutturale, ce qui ne peut s'expliquer que par la présence simul-
tanée de la gutturale et de la dentale : vincere, vcnc're, vendre ; jungcre, jung're,
jungdrc ; ce qui ramène ces formes à celles de sanctus, punctum. Il nous paraît
évident que dans cette position la gutturale se palatalise, soit qu'elle devienne kj,
g avant la chute de Ye{venk'ere, venk'tre; jungcre jungdrc), sohqn'eWek devienne
devant la dentale {venctre, venk'tre; jungdre, jungdrc)* ; puis la gutturale kj, g,
dégageant devant elle un yod, comme elle en a dégagé un après elle, donne les
I . Comme dans sanctus, punctum, etc. Mais pourquoi la gutturale se palatalise-t-
elle dans cette position ?
JORET, du c dans les langues romanes 397
formes vejnkjtre, jojngjdrc d'où veintre, joindre. — Sur 5c initial et la prothèse d'un
i (plus tard e), l'auteur fait observer que quelques exemples anciens n'ont point
cet ;; il oublie d'ajouter que ces mots sont précédés d'une voyelle finale qui
rend la prosthèse inutile : iius'i ferma spcranza en prov., une spede en v. fr. C'est
ce qui explique la chute de l'i prothétique en ital., où tous les mots finissent
par une voyelle, hormis quelques particules qui veulent après elles \'i{con istesso,
à côté de lo stesso). Le c de sca (sco, scu) médiat est traité comme initial '; celui
desce, soi subit divers changements constatés par l'auteur, qui toutefois aurait pu
remarquer que le fr. et le prov. traitent régulièrement se comme es. Mêmes
observations pour se final. — Pour el initial dont les transformations sont diverses
suivant les idiomes, M. J. cite entre autres le pg. eh (quelquefois affaibli en /)
et qu'il suppose dérivé de kj ; je ne suis pas de son avis ; car on ne
peut séparer ehaw.ar de ehào ehama où eh représente pi et _/?. Le sicilien de
même dit seiuri.= florem; le napol. 5cior^. Les diverses modifications de el média!
(groupe d'origine romane, le plus souvent; sont étudiées avec détail ; elles don-
nent lieu à des remarques intéressantes. Dans le groupe cr, je signale l'explica-
tion très-juste des formes telles que faire, formes dont M. Ascoli donne une
théorie peu plausible. Les modifications de es ou x devenu ss, s, y (esp.), is ou se sont
étudiées avec un soin qui ne laisse rien à désirer. Dans le dernier chapitre,
l'auteur étudie le groupe et, dont les transformations sont complexes, surtout
quand il est suivi d'une seule voyelle ou d'une consonne. Alors il devient tantôt
tt (ital.), tantôt it (fr. ; comment le e arrive-t-il à se palatiser et à devenir c,
jet, jt'^), tantôt c (prov. ; M. J. admet les transformations jt, tj, teh : c'est
peu vraisemblable ; toutefois je ne saurais donner d'explication satisfaisante de
forme comme /i2c/î), tantôt /, affaiblissement de c (lombard, milanais), tantôt
ié (esp.; la filière serait jt, jtj, jteh), tantôt pt ou ft (roumain), tantôt ut (quel-
ques ex. dans le pg. et l'esp.; peut-être simple substitution de voyelles), enfin il
peut tomber, comme dans le groupe net (le fr. seul le conserve). Le groupe
et se retrouve en roman dans placitum que M. J. a raison d'expliquer par
plac'tum contre M. Ascoli qui y voit les transformations plagito, plag{i)to, playto.
— C'est la dernière des combinaisons de consonnes où entre la gutturale c, et
l'étude qu'en fait l'auteur termine et le quatrième livre et son travail sur la
gutturale. Pour ce quatrième livre, s'il présente quelques lacunes et quelques
théories inexactes, reconnaissons qu'il est rempli de faits nombreux scrupuleuse-
ment observés. S'il n'a pas l'intérêt de nouveauté du troisième livre, il contient
beaucoup de détails curieux et intéressants.
Résumons maintenant notre jugement sur l'œuvre de M. Joret. Les pages qui
précèdent montrent de quelle étendue est l'étude de la gutturale et quels pro-
blèmes divers elle soulève. C'était une vaste tâche, toute limitée qu'elle paraisse,
que de l'embrasser tout entière, et c'est un mérite pour l'auteur d'avoir mené
I. C'est à cette formule que peuvent se ramener les explications données par M. Joret.
Les groupes dont le premier élément est s sont traités comme ceux dont le premier élément
est /, r, m, n; la seconde consonne est considérée comme initiale. De la sorte, la loi que
j'ai exposée précédemment peut se formuler ainsi : dans tout groupe de deux consonnes,
dont la première est une liquide ou la spirante j, la seconde est traitée comme initiale.
Ajoutons que la liquide ou la spirante est traitée comme finale.
398 COMPIES-RENDUS
cette tilche à bonne fin. Dans une conclusion, il récapitule les faits nouveaux
qu'il a mis en lumière : « Les transformations générales du c vélaire en g et en
/of, dit-il, étaient assez bien connues ; mais on avait à peine abordé ses change-
ments successifs en la série f, c, l ; is, s, z^ (i, r, ou / et v, dont plusieurs même
étaient complètement ignorés. Que de lacunes aussi présentait l'histoire des
transformations du c palatal ! Le point de dépari en était controversé, sa double
modification en spirantes sourdes et sonores à peine entrevue, et la naissance du
son 0 et rj considérée comme ancienne, alors qu'elle est essentiellement moderne.
On n'avait pas non plus rattaché à une même cause les transformations du c
vélaire et du c palatal en chuintantes et en spirantes dentales, ce qui permet
d'en expliquer si facilement la filiation.... On trouvera peut-être aussi que j"ai jeté
quelque lumière sur la naissance tardive et si extraordinaire de la spirante guttu-
rale en espagnol. Quant aux deux dialectes, le picard et le normand, dans lesquels
j'ai cru devoir, comme complément naturel, sinon nécessaire, de ces recherches,
étudier le traitement des gutturales, si les caractères du premier étaient connus,
ceux du second avaient été à peine soupçonnés. « Nous souscrivons entièrement
à ces paroles, sauf en un point (la théorie du changement du c vélaire en yod).
Voilà les faits nouveaux dont M. Joret a enrichi la philologie romane, et si on
peut reprocher à son livre dans la composition la division artificielle des chapitres,
dans l'expression une certaine obscurité de langage qui ne permet pas toujours
de voir nettement la pensée de l'auteur ; si on peut y signaler des lacunes impor-
tantes, notamment sur la théorie de 1'/ parasite, de la médiale sonore, et des
erreurs plus ou moins graves, nous nous empressons de le reconnaître,
l'ouvrage est neuf en divers points. L'auteur n'a pas résolu tout le problème de
la gutturale ; il l'a du moins beaucoup avancé. Son livre fait honneur à l'Ecole
des Hautes Etudes.
Arsène Darmesteteu*.
Ueber das Metrum der Chanson de Roland. Inaugural-Dissertation... von
Franz Hill. Strasbourg, 1874, '"-8% 36 p.
M. Hill est un élève de M. Bœhmer, et c'est sur son conseil et sous sa direc-
tion qu'il a fait le travail dont on vient de lire le titre. Ce travail est soigné
et intelligent. Après avoir résumé les règles de la constitution du vers dans le
Roland, M. H. examine en particulier deux points: l'élision et les 3* pers. en
-et. Pour l'élision, je vois que M. Bœhmer admet maintenant mes observations
sur les erreurs oili il était tombé en ce point (voy. Romania, II, 106). Pour ce
qui concerne ço dans des vers comme 296 Ço est Baldetrin ço dit ki est prozdoem,
à côté de 1310 Ço est Chernubles e li quens Margaris, M. H. n'admet ni mon
explication {ço'st), ni celle de M. Lœschhorn (çoest), ni celle de M. Gautier
(c'est en élidant Voj^. Il divise ces cas en deux séries, celle où ço est accentué et
celle où il ne l'est pas : dans la seconde (v. 296), « la langue employait déjà la
1. [Nous ne partageons pas sur tous les points l'opinion de M. Darmesteter; mais le
sujet est si intéressant et si complexe que nous n'avons pas hésité à accueillir un article
qui témoigne suffisamment par lui-même de la compétence et de l'attention de l'auteur.
— Réd.]
1. Voy. Romania 11, 260.
HiLL, Ueber das Meirum der Chanson de Roland. 399
forme affaiblie a est = ccst. tandis que ço formait hiatus quand il était accen-
tué. )) Sauf l'immixtion de la circonstance de l'accent, cette opinion ne diffère
pas beaucoup de celle de M. Gautier, car il me paraît difficile de dire si une
voyelle qui ne se prononçait pas était e ou 0. Mais cette distinction même semble
peu fondée : je ne vois pas entre le ço des vv. 296, 490, 786, 866, et le ço des
vers 283, 354, 612, nio, une différence bien sensible. 11 vaudrait mieux
admettre pour ço ce que M. H. établit pour/o, à savoir que \'o pouvait à volonté
s'élider ou recevoir un accent plus fort et devenir capable d'hiatus. Mais je ne
suis pas convaincu par ses raisonnements que quand ço est compte pour une syl-
labe il ne faille pas lire ço'st. La faiblesse de Ve initial de est est attestée par les
formules u'st, ja'st, ki'st, que cite M. H. lui-même, et je crois que dans la colli-
sion de est avec ço Vo de ço était plus solide'. Je ne regarde pas non plus
comme impossible ço'rt pour ço ert au v. 277. Cette question et celle qui se pose
pour les vv. 77 et 2568 ne seront complètement résolues que par des rappro-
chements avec d'autres poèmes, où la divergence des notations éclairera sur la
vraie nature du phénomène. — Sur l'élision par enclise^ M. H. me donne raison
quand je refuse à M. Gautier le droit de l'appliquer après une consonne (Rollanz
m' forfist 3758), mais il ne se prononce pas sur la liberté que prend M. Bœhmer,
et que je n'approuve pas davantage (Rom., II, 108) de l'opérer après un e fémi-
nin (a Charlemagne l'rei 81 et ailleurs).
Pour ce qui concerne les 3" personnes du sing. en -et (fr. mod. -e) je disais
l'an dernier (Rom., II, 105) : « M. Bœhmer veut que le t des 3" personnes
sing. en -et [chantet, etc.), n'ait jamais étéélidé; d'autres l'élident toujours. J'ai
dit ailleurs (Alexis, p. 34) et je persiste à croire que le Roland emploie les
deux prononciations. C'est un pointa étudier de près. » M. Hill a voulu faire cette
étude. Il arrive aux résultats suivants : le cas oijunej^ps. enet'^ se trouve devant
une voyelle se présente dans le Roland 59 fois, sur lesquelles l'élision deT^alieu
20 fois et n'a pas lieu 39 fois' ; il regarde les formes de la seconde série comme
appartenant au poète ; celles de la première sont le fait d'un copiste rajeunisseur.
Il n'en donne aucune autre raison que la supériorité numérique des formes où le
t est nécessaire à la mesure et l'invraisemblance qu'il y aurait, suivant lui, à ce
que « dès le XI' siècle une hésitation se fût produite dans l'emploi de ces
formes. « Mais ce n'est pas le seul cas où le Roland montre une hésitation
semblable (ainsi ai assonant en a et en è, ireiz et irez, respondiel et rcs pondit) *.
M. H. allègue, il est vrai, qu'on peut facilement corriger les vingt vers où le t
s'élide, et que M. Bœhmer les a corrigés. Mais M. Hofmann a corrigé en sens
inverse les quarante vers où le t ne s'élide pas, et les autres ne se laissent pas
ramener aussi facilement que le croit M. H. à la forme qu'il juge seule bonne :
la plupart du temps la leçon du ms. est préférable i la restitution , et au
1. lien est de même de IV de ester (ço'ster 2741) : on sait que cet e prothétique
tombe souvent après une voyelle accentuée dans nos anciens textes.
2. L'orthographe e pour et apparaît aussi, mais rarement, dans le poème ; M. Hill en
donne dix exemples.
3. En réalité il y en a 40 : M. H. a oublié les vv. 660 et 2856; mais il a compté
deux fois le v. 287s (?9p, 1. ?9?o).
4. Sur la destruction progressive du t de -et dans les deux poèmes de Philippe de
Thaon, voy. les intéressantes observations de M. Mail, Compot, p. 21, 8s .
400 COMPTES-RENDUS
V. 3 197, De bachclers que Charles claimet enfants, M. Bœhmer ne se débarrasse de
l'élision qu'en adjugeant au français, de sa propre autorité, le mol fant qu'il n'a
jamais possédé. Je crois donc qu'on peut s'en tenir à ma manière de voir, et
admettre dans le Roland, pour ce qui concerne ces mots, un mélange de formes
archaïques et néologiques. Je conviens d'ailleurs que c'est un peu une affaire de
sentiment, et j'ajouterai que je serais plus porté en tout cas à suivre le système
de M. Bœhmer que celui de M. Hofmann *.
M. Hill propose un certain nombre de corrections. V. 608 La trcisun jurât e
si s'en est forfait; H. Traïsun juret; je lirais plutôt La la jurât; un premier copiste
aura passé un des deux la ; puis un autre aura intercalé traïsun. —
V. 3456 Mors est li glu: ki en dcstreit vus teneit, 3102 De la baleine ki en sun
cors l'aveit enz ; M. H. lit avec beaucoup de vraisemblance ki'n; mais je ne puis
approuver qu'au vers 382 Ne mes Reliant ki uncore en avrat hunte il lise ki'n
uncore : la syntaxe s'y oppose; il faut au moins : ki'n avrat uncor hunte. — V.
276 Qua Marsiliun me portast mun message; B. Qui a Marsitie, H. Marsiliun;
mais Qui est nécessaire, et la leçon de B. est la bonne. — V. 550 Dist li sar-
razins : merveille en ai grant; H. Dist Sarrazins : merveille en ai par grant, cor-
rection très-malheureuse, car //' est indispensable, et par ne se place pas ainsi ;
I. avec G. et Hofmann : Dist li paicns ; et au second hémistiche soit avec G.
merveille en ai jo grant, soit avec Hofmann merveilles en ai granz. — V. 1879 En
bataille deit tels estre forze fiers; H. Cil en b. deit estre f. e f., j'aimerais mieux
Tels en b. — V. 241 M. H. lit U par ostage vos voelt faire en soiir ; cette cons-
truction de en, quoique rare, est admissible. — V. 416 £ dist al rei : salvez
seiez de Mahum ; H. salveteits (sic) de Mahum ; G. salvez sciez d'M.;
Hofmann et Bœhmer salz seiez, qui paraît meilleur, bien que je ne connaisse
pas d'exemple de cette locution. — V. 489 : H. des dolurs e de l'ire; cf.
Rom. II, 99. — V. 517 Einz demain noit en iert bêle l'amendise; B. suppr. en;
H. suppr. /' ; mais la bonne leçon est déjà dans la 2' édition de G. : bêle en iert
l'amendise. — V. 1701 Miclz voeill mûrir que hunte nus seit retraite ; B. que h. s.
r. ; G. que hunte m' s. r; H. traite; mais ce mot ne convient guère au sens ; je
lirais plutôt avec Hofmann que h. en seit r. — V. 2135, cf. Rom. II, iio; on
peut adopter la leçon que j'ai proposée ou lire avec M. H. de maie art pour de
maie part. — V. 2450 Que le soleil facet pur lui arester ; B. rester; M. H. pro-
pose Que pur lui f. le s. a., qui va bien ; mais la leçon de G*., Que le s. p. l.
f. a., est bonne aussi, si on admet l'élision de la dernière syllabe àt facet. L'ob-
jection que M. H. fait au point de vue de la césure ne me paraît pas solide. —
V. 2793 Li douze per que Charles aveit tant chiers; B. suppr. tant; M. Hofmann
lit oui; M. Hill lit qu' aveit Charles ; G. ne change rien : il n'y a en réalité que
1*5 de Charles à effacer, ce mot se déclinant dans notre texte aussi bien Charle
Charlon que Charles Charle. — V. 3409 Ben le conois que gueredun vos en dei;
B. suppr. en; G^. lit avec Hofmann guerdun; M. H. propose qu'en gueredun ;
c'est une syntaxe inadmissible. — V. 448 Que suis mocrge; B. et G. Que m.
suis; Hofm. Que suis i m.; en lisant .Qz^f jo s. m., M. H. a mis le doigt sur
I. M. H. réfute une idée que j'avais émise, mais comme une simple hypothèse,
dans l'Alexis au sujet de la distribution dans le Roland des formes élidées et non élidées.
Je suis aujourd'hui d'avis qu'il a raison.
RUTEBEUF, ŒuvreS, p. p. JUBINAL 4O 1
la bonne leçon. — V. 478 Menet serez dreit (B. pur dr., G. tut dr.) a Ais le
siet] M. H. lit endreit (comme Hofmann); je préfère la leçon de Gautier. —
V. 1690 Einz que il moergent [il B., si G.] se vendrunt [/ H.j mult chier ;
j'aime mieux la leçon de M. Hoffmann : se vendrunt il.
G. P.
Œuvres complètes de Rutebeuf, trouvère du XIII' siècle, recueillies et
mises au jour pour la première fois par Ach. Jubinal. Nouvelle édition revue
et corrigée. T. I, Paris, Daffis (Bibliothèque elzévirienne), lxiij-250 p.
Bien que cette nouvelle édition de Rutebeuf s'annonce comme « revue et cor-
rigée » on ne peut la considérer que comme une réimpression pure et simple de
la première édition publiée en 1839 '. Aucune amélioration n'a été apportée aux
textes, les numéros mêmes des mss. de la Bibliothèque nationale sont tels qu'en
1839, bien qu'ils aient été changés en 1860; l'ordre selon lequel les pièces
étaient classées dans la première édition a été conservé. Le commentaire et la
préface ont seuls éprouvé quelques modifications, non toujours heureuses. Les
principales consistent en ce que l'éditeur a donné place dans sa préface et dans
ses notes à quelques passages empruntés à l'article que M.P.Paris a écrit sur
Rutebeuf dans \' Histoire littéraire. D'autres résultent de ce que les éclaircisse-
ments que la première édition donnait à la suite du texte ont été imprimés,
mais sous une forme abrégée, au bas des pages. D'autres enfin, et ce sont là des
modifications à blâmer, consistent dans la suppression d'un très-grand nombre
de variantes. Sans doute le choix de ces variantes n'avait point été fait avec
beaucoup d'exactitude ni de discernement, mais il était néanmoins une aide, et
lorsque le texte était corrompu on avait quelque chance de trouver la bonne
leçon en note. Cette chance est notablement diminuée dans cette nouvelle édi-
tion. Les notes (en bien petit nombre !) qui ont été ajoutées sont insignifiantes
ou erronées, comme celle de la p. 24 oij on nous apprend que mescheance « veut
dire à la fois méchanceté, accident, malheur » ; ou celle de la p. 222 où M. Jubi-
nal affirme que le refrain est un élément nécessaire de la chanson.
En somme cette nouvelle édition est vieille de trente-cinq ans. Il est possible
que M. Jubinal ne se doute pas des progrès qui ont été accomplis pendant ce
laps de temps dans un domaine auquel il est devenu étranger, mais nos lecteurs
comprendront que, la date véritable de l'œuvre étant constatée, toute critique
devient ici superflue. P. M.
Jean, sire de Joinville. Histoire de Saint Louis, Credo, et Lettre à
Louis X, texte original, accompagné d'une traduction par M. Natalis de
Wailly, membre de l'Institut. Paris, F. Didot, 1874, gr. in-8'', xxx-690 p.
Ce splendide volume fait partie de la collection des Chefs-d'oeuvre historiques et
littéraires du moycn-dgc entreprise par la maison Didot, et qui comptera certai-
nement parmi ses nombreux titres d'honneur. Elle s'est dignement ouverte par
le Villehardouin de M. de Wailly et se continue par son Joinville.
1 . Ce premier volume correspond aux 207 premières pages du tome I de l'édition de
1839.
Remania, III ^^
402 COMPTES-RENDUS
C'est la troisième fois que M. de Waiily publie Joinville'. Après avoir res-
tauré, par la comparaison méthodique des manuscrits, les leçons de VHislotrc dt
Saint Louis dans son édition de 1867, il en a restauré la langue d'après l'étude
des chartes de Joinville, dans son édition de 1868. Cette troisième édition n'est
naturellement qu'une révision des deux autres. Elle se distingue surtout de la
dernière foutre l'addition de la traduction; par le précieux accroissement qu'ont
reçu les Appendices. Les Eclaircissements, du nombre de onze, ont passé à celui
de vingt-deux ; quatre d'entre eux, Sur les armes défensives, Sur les armes offen-
sives, Sur le vêtement. Sur les sceaux, sont des monographies archéologiques du
plus haut prix, pour lesquelles M. de W. s'est aidé des lumières toutes spé-
ciales de MM. J. Quicherat et Demay ; le Résumé chronologique des récits de
Joinville est d'une très-grande utilité et est fait avec une parfaite exactitude ; on
peut en dire autant à un autre point de vue de la petite dissertation sur la
Langue de Joinville ; enfin j'ai vu avec satisfaction M. de W. ajouter à son édi-
tion, dans les deux copies anciennes et dans un texte habilement restitué, l'épi-
taphe de Geoffroi de Joinville, composée en 1311 par son arrière-petit-fils : à
mon sens, dans une prochaine édition, elle doit même sortir des appendices et
prendre place parmi les œuvres, à la suite du Credo et de la Lettre à Louis X.
Outre ces augmentations, le volume de la collection Didot contient des embel-
lissements d'une grande valeur. Sans parler des ornements empruntés à des
manuscrits contemporains, qui sont aussi bien choisis que remarquablement
reproduits, je citerai surtout les deux belles chromolithographies qui repré-
sentent Joinville offrant son livre à Louis X et S. Louis donnant ses enseigne-
ments à son fils, trois excellents fac-similé, des reproductions de sceaux et de
monnaies, des dessins d'armes et de vêtements. On n'a pas encore vu un livre
consacré à la littérature du moyen-âge exécuté avec un luxe aussi intelligent et
d'aussi bon goût. Et je dois ajouter que la modicité du prix met ce chef-d'œuvre
à la portée de toutes les bibliothèques.
J'ai gardé pour la fin la plus précieuse des illustrations de ce beau livre, je
veux parler des cartes dues à M. Auguste Longnon. Elles sont au nombre de
trois. Les deux premières, qui se rapportent aux Croisades de saint Louis,
n'ont pas grande originalité; j'aurais voulu que la carte de la partie de l'Egypte
où se passait la première partie de l'expédition racontée par Joinville fût dressée
sur une échelle beaucoup plus grande: telle qu'elle est, elle ne peut avoir qu'une
médiocre utilité pour suivre le récit assez obscur du chroniqueur. Au contraire
ia troisième carte de M. Longnon, la France féodale en 1259, est une œuvre
aussi importante que nouvelle. Ce n'est pas ici le lieu d'étudier ni d'apprécier
un document de cette nature : je dirai seulement que cette carte est désormais
indispensable à tous ceux qui s'occupent de l'histoire de notre pays au moyen-
âge, et qu'elle emprunte un plus grand prix encore aux quarante pages de
notes explicatives dont le savant géographe l'a accompagnée.
L'éloge du Joinville de M. de "Waiily n'est plus à faire. La critique s'est
unanimement prononcée sur la valeur de son travail, qui fera époque dans la
science. Ce travail se divise en deux parties : la restitution des leçons et la res-
I . C'est aussi la troisième fois qu'il publie la traduction de l'Histoire.
joiNviLLE, Œuvres, p. p. de wailly 405
titution des formes. Je dirai peu de chose de cette dernière, que M. de W. a
justifiée dans son Mémoire sur la langue de Joinville (Paris, 1867). On peut diffé-
rer d'avis avec le savant éditeur sur tel ou tel point de détail, mais sa méthode
est en somme parfaitement scientifique, sûre et prudente. Je lui reprocherais
peut-être de n'aller pas encore assez loin. S'il a appliqué avec une certaine
rigueur aux formes grammaticales de son texte les résultats fournis par l'étude
des chartes, il a trop respecté, suivant moi, l'orthographe du ms. A pour l'inté-
rieur des mots. La critique à laquelle M. de W. a soumis ce ms. pour son rap-
port tant au ms. original qu'aux chartes originales lui enlève tout droit à être
respecté dans son orthographe. On est dès lors choqué de voir un mot écrit de
plusieurs façons différentes ou condamné à une orthographe que rien ne justifie.
Ainsi le lat. fcmina est rendu par feme, femme et famé, coronare par coroner et
couronner, archiepiscopus par arccvesque, ercevesquc et archcvesque, absolvat par
assaille, absoille et absoyle; on trouve destrier dessirier deschirier (pourquoi alors
exclure desirrier ?), diable et dyable, chcsuble à côté de chasuble (mais M. de
W. supprime la forme cbasible, qui est cependant la meilleure), dolereux et dou-
loureux (pourquoi alors suhsllluer dolour à douleur?), etc. L'orthographe est
unique, mais mauvaise dans courcier, cyne, puneisie, pylet, quarolle, et plusieurs
autres. Ce respect exagéré pour le manuscrit est surtout fâcheux pour les noms
propres, écrits souvent de plusieurs façons ou d'une façon incorrecte. C'est en
employant la méthode qu'il a déjà si sagement appliquée que M. de Wailly
pourrait remédier, dans une édition subséquente, à cet inconvénient réel : il
faut choisir, d'après les chartes, les bons mss. de la fin du Xllh siècle, l'étymo-
logie, une forme pour chaque mot, et s'y tenir.
J'arrive à l'autre partie de l'œuvre critique de l'éminent éditeur, la restitution
des leçons. C'est par cette restitution qu'il a le mieux mérité de la science et de
Joinville : il est en effet le premier qui ait appliqué aux manuscrits d'une œuvre
du moyen-âge la méthode, seule vraiment scientifique, de la classification des
manuscrits. Il a rompu avec ce préjugé, regardé il n'y a pas bien longtemps
encore comme le dernier mot de la critique, qui consiste à suivre « le manuscrit
le meilleur et le plus ancien », et à ne le corriger avec les autres qu'en cas de
« fautes ou lacunes évidentes ». Il a reconnu qu'un ms. du XV!"^ siècle peut avoir
tout autant d'autorité qu'un ms. du XIV° et lui être souvent préférable, du
moment qu'il dérive comme lui d'un original perdu. M. de W. a eu de la peine
à se décider à abandonner ainsi les procédés qui lui avaient longtemps été fami-
liers et qui lui étaient recommandés par les autorités les plus graves; il est
heureux qu'il ait été amené à s'occuper précisément de Joinville, dont les manu-
scrits, étudiés avec soin, ne pouvaient manquer de révéler à sa perspicacité une
méthode qui s'appuie sur les faits, mais qui est loin de s'imposer dans tous les
cas avec la même évidence.
Etant donnés les trois manuscrits A du XIV s., L et B du XVI*"', M. deW.
a reconnu d'abord que B et L sont de la même famille, ensuite que ces deux
manuscrits remontent à un original aussi ancien que celui de A. Il a tiré de ce
I. Je lais.se de côté la question des éditions Ménard et de Rieux, qui mériterait d'être
étudiée minutieusement à part.
404 COMPTES-RENDUS
premier résultat les conséquences les plus importantes pour la restitution non-
seulement des leçons, mais des formes. Il en a tiré en même temps un argument
irréfutable contre ceux qui, comme Corrard et plus récemment le P. Gros, ont
voulu voir dans notre texte de Joinville un texte gravement interpolé et remanié.
Mais ici l'illustre savant me paraît être allé un peu trop loin, et je ne puis
croire avec lui que LB dérivent du ms. de Joinville conservé dans son château
et dans sa famille, tandis que A serait issu du ms. offert par lui au roi. Les
arguments de M. de W. en faveur de son hypothèse ne me semblent pas très-
solides, et les raisons qu'on peut alléguer pour la combattre me paraissent
décisives.
Les arguments de M. de Wailly sont en réalité peu de chose. Il est
évident que l'hypothèse en question s'est présentée à l'esprit du savant édi-
teur, qu'elle lui a plu parce qu'elle donnait à son texte une autorité absolue
et réfutait souverainement des attaques inconsidérées, et qu'il l'a adoptée
sans la soumettre à un examen trop rigoureux. Elle ne s'appuie cependant que
sur un fait, et ce fait est loin d'être probant. M. de W. montre fort bien que
le ms. L (dont B est inséparable) a été exécuté pour Antoinette de Bourbon,
femme de Claude de Lorraine, duc de Guise, qui était dame de Joinville et fut
enterrée en 1583 dans la collégiale de S. Laurent de Joinville. Mais ce n'est
vraiment pas suffisant pour donner le droit d'écrire (p. xij) : « Le ms. L repré-
sente-t-il l'exemplaire de l'auteur.? Oui, parce qu'il offre un écu aux armes
d'Antoinette de Bourbon, etc. » Que la possession du château de Joinville ait
pu éveiller l'intérêt de la duchesse de Guise pour le livre du sénéchal dont elle
voyait le tombeau dans son église, c'est ce qui est parfaitement admissible; mais
il n'en résulte nullement qu'il existât encore à Joinville un exemplaire de ce livré
et que celui qui fut exécuté pour elle en dérive. Elle a parfaitement pu emprunter
et faire copier l'exemplaire conservé dans la bibliothèque du roi ou une copie de cet
exemplaire. Si on examine le ms. L, on ne doute pas qu'il ne dérive de l'exem-
plaire offert à Louis X et qu'il n'en soit une imitation plus ou moins directe. La
première page tout entière est remplie par une miniature de présentation, fort
altérée dans l'imitation du XVI« siècle, mais qui donne cependant une idée de la
magnifique peinture qui devait orner l'original. Pourquoi Joinville aurait-il fait
exécuter cette miniature dans son exemplaire.? Au verso du même feuillet se
trouvent quatre grandes miniatures, représentant les quatre occasions où S. Louis
mit son corps « en aventure de mort », qui paraissent aussi très-bien faites
pour orner le ms. offert à l'arrière-patit-fils du roi. Il en est de même des cinq
grandes miniatures qui ont été imitées dans le corps de l'ouvrage par le copiste
d'Antoinette de Guise. Si nous comparons à ce splendide rifacimcnto le joli ms.
A, exécuté dans la seconde moitié du XIV" siècle, nous voyons qu'il a été fait '
d'après le même ms., mais dans des conditions beaucoup plus modestes. On
s'est contenté d'un plus petit format ; on n'a reproduit , en les réduisant à la
moitié d'une petite page, que la miniature de présentation et une autre. En un
mot, par l'exécution matérielle, les mss. L et A sont à l'original perdu dans
le même rapport où la langue de chacun d'eux est à celle de Joinville : A ar-
range , remanie avec intelligence , L copie avec plus de fidélité, mais , par
suite de l'éloignement des temps, altère cependant davantage. — M. de W.
joiNViLLE, Œuvres, p. p. de wailly 405
veut que le ms. A reproduise un exemplaire de luxe, autre que l'origmaldcL, parce
qu'il n'a que deux des miniatures de L; mais cette à\ïïérence en moins ne prouve
qu'une chose^ attestée par la simple inspection des deux mss., c'est que L est
une copie où on s'est piqué de reproduire approximativement le somptueux ms.
original, tandis que A n'a point eu cette prétention. Quant à la circonstance
que la date de 1309 manque dans LB, je ne vois pas quelle conséquence on
peut en tirer, si ce n'est qu'elle a été omise par le copiste du XVI' siècle.
Ainsi la condition matérielle du ms. L, surtout la miniature de présentation
vraiment royale qu'il a empruntée à son original, indique que ce m-s. dérive
comme A de l'exemplaire offert à Louis X. L'examen du texte des mss. A et
LB confirme cette conclusion, en nous montrant des fautes communes trop
nombreuses pour qu'on puisse les attribuer à une rencontre fortuite de deux
copistes indépendants. Si A provenait du ms. royal, LB du ms. de l'auteur,
tout ce qui est commun aux trois mss. serait authentique. Or il n'en est pas
ainsi. M. de Wailly a dû faire au texte commun des trois mss. quelques correc-
tions indispensables; il faut en pratiquer davantage, comme je vais essayer de le
démontrer : or plus le nombre de ces fautes communes sera considérable, plus
il deviendra nécessaire d'admettre qu'elles se trouvaient déjà dans un manuscrit
plus ancien, duquel dérivent LB aussi bien que A '.
Par. 23 (14 E) -. S. Louis reproche à Joinville de boire son vin pur, et lui
dit que quand il sera vieux, s'il le mélange d'eau, son estomac habitué au vin
pur en souffrira : « et se je bevoie le vin tout pur en ma vieillesse, je m'enyvre-
roie tous les soirs, et ce estoit trop laide chose de vaillant homedesoy enyvrer.»
Cette leçon peut à la rigueur se défendre, mais il est bien préférable de lire
t( trop laide chose a vieil home. »
25 (16 Bi, 62 (42 D), 670 (450 D) : hui et le jor; cette locution me paraît
être dénuée de sens et devoir être remplacée par hui cel jor, formule très-fréquente
au XIII' siècle.
25 (16 Cj -.ne les roy ne les autrui; je pense qu'il faut les le roi.
54 (38 B) : « Et quant il avoit dormi et reposé, si disoit en sa chambre
priveement des mors entre li et un de ses chapelains. » M. de W. dans sa tra-
duction supplée l'office avant des mors : ce mot ou un équivalent est indispen-
sable dans le texte.
58 (40 B). Les paroles mises dans la bouche du roi en s'adressant aux plai-
deurs n'offrent pas un sens satisfaisant, et toute la fin de cet alinéa est visible-
ment altérée.
76 (52 B) : « Aussi, )' 1. « Ainsi. »
100 (68 F), les trois ms. portent Tarente, que M. de W. a dû corriger en
Carente, de même que plus loin (125, 82 F) il a été obligé de lire an Ausonc (il
faut plutôt a Ausone) au lieu de a Nausone.
125 (84 D) : « Et puis reclost l'on la porte et l'emboucha l'on bien, aussi
1. Plusieurs des observations qu'on va lire ont déjà été indiquées par M. Thurot, dans
un excellent article sur la précédente édition {Rcv. Archéol. 1869, I, 389).
2. Je reproduis entre parenthèses les chiffres des pages de la i" éd. de Wailly, con-
servés dans la 2'. Cette fois, M. de W. a divisé son texte en §§ numérotés, un peu trop
multipliés à mon goût.
4o6 COMPTES-RENDUS
comme l'on naye un tonne! » ; M. de W. dans sa traduction a fort bien mis
« comme qihuul on noie un tonneau » ; mais ce (juand n'est pas moins indispen-
sable dans le texte.
129 (86 C), on peut se demander s'il n'y a pas une lacune avant car, et si à
l'époque de Joinville car peut avoir simplement le sens de que.
149 (100 B) : « Pour ce que uns forz venz nés preist et les menast en
autres terres, aussi comme li autre avoient le jour de la Pentliecoste. » La tra-
duction donne avec raison : « Ainsi que les autres l'avaient clc » ; lisez donc :
i< comme li autre avoient esté ment. »
1 56 (104 A), la phrase est obscure et M. de W. n'a pu la restaurer qu'im-
parfaitement ; les (« les ventres ») manque dans tous les manuscrits.
157 (104 B). Joinville est descendu à terre avec trois compagnons (% 154^ fet
se défend contre les Sarrazins ; Baudoin de Reims (?) vient le rejoindre : " Avec
li nous vindrent ;?n7/£ chevalier ». Ce chiffre invraisemblable, dans ce débarque-
ment qui s'effectuait par petites troupes, devient tout-à-fait absurde si on le
rapproche de ce qui est dit au § 147 : « Uns vens... leva en telle mar.iere que
de deus mille et huit cens chevaliers que li roys mepa en Egypte ne l'en demoura
que sd cens que 11 venz ne les eust dessevrez de la compaignie le roy. « Il faut
évidemment lire : « Avec li me vindrent mi chevalier », comme le confirme
d'ailleurs la suite de la phrase : « Et soies certain que quant je arivai je n'oi ne
escuier ne chevalier ne varlet que je eusse amenés avec moi de mon pays. »
1 58 (104 D), j'ai quelques doutes sur « une galie toute peinte, dedens mer et
dehors, a escussions d'or à une croiz de gueules pâtée. »
184 (122 B), M. de W. a corrige, avec autant d'évidence que de bonheur,
la leçon de A, aidier, de L, haydier, en hardier ; mais le texte me semble offrir
ici une assez grave lacune. On ne nous dit pas ce qu'il advint de ces cinq cents
cavaliers envoyés pour harceler l'armée royale, et ce récit paraît pourtant indis-
pensable : on le trouve tout au long dans la lettre de Pierre Sarrazin {Joinville,
éd. Didot, p. 265).
185 (122 D), je reproduis la note de M. de W. sur la mention de Renaut de
Vichiers : « Les manuscrits portent ici Bichiers, et plus loin Vichiers, qui est le
véritable nom. »
191 (126 E) : « Quant li fleuve vient en Egypte, il giete ses branches aussi
comme je ai ja dit devant. » Ce qu'il a « ja dit devant x, c'est que le fleuve
jetait sept branches, et c'est aussi sel, au lieu de ses, qu'il faut ici.
192 (128 B) : massons pour maisons, faute commune aux trois mss.
207 (136 E), dans le passage si heureusement restitué par M. de W. (s'en
estait au lieu de AB se vestoit, L se mectoit), il est probable que l'auteur commun
coupait mal les mots et portait se nestoit.
217 (144 A). C'est ici un passage un peu difficile, mais aussi un de ceux qui
prouvent le mieux que nos mss. dérivent d'un même original, parfois fautif. Les
Chrétiens passent à gué le bras du Nil qui les sépare des Sarrazins ; Joinville
arrive avec les autres. Remarquez que, par la position des deux armées, les
chrétiens avaient à leur droite Vamont de cette branche du Nil, à leur gauche
l'aval K Ceci posé, voyons le texte. « Lors diz je a ma gent : Signour, ne
I. La carte de M. Longnon n'est ici d'aucune utilité, il faudrait un vrai plan, sur une
JOiNviLLE, Œuvres, p. p. de wailly 407
regardez iju'a main senestre, pour ce que chascuns i tire; les rives sont moillies,
et li cheval lour chieent sur les cors et les noient... Nous accordâmes en tel
manière que nous tournâmes cncontremont l'yaue, et trouvâmes la voie essuyée; et
passâmes en tel manière, la merci Dieu, que onques nuls de nous n'i chei*. »
M. de W. traduit : « Alors je dis à nos gens : Seigneurs, ne regardez qu'à
main gauche, pour que chacun tire par là ; les rives sont mouillées, et les
chevaux tombent sur le corps des gens et les noient. Nous nous arran-
geâmes de telle manière que nous tournâmes (?) en remontant l'eau, » etc.
Ainsi Joinville dit à ses gens de ne regarder et ne tirer qu'à gauche, sur quoi ils
passent à droite (enconlremont l'yaue)\ Il est clair que tout le monde tirait à
gauche, du côté d'aval, où le courant poussait naturellement; les bords de ce
côté étaient devenus mouillés et glissants ; Joinville ayant remarqué cela fait tirer
ses hommes à droite, du côté d'amont, et trouve les rives sèches. Il y a donc de
toute nécessité une lacune, probablement un bourdon entre main et senestre ; on
pourrait lire : « Segnour, ne regardez qu'à main [destre, et ne vueilliés mie
passer a main] senestre, pour ce que chacuns i tire. »
245 (162 C) : « Et quant li Sarrazin nous virent mettre pie en l'estrier des
arbalestes »; comme ce ne sont pas les chevaliers mais les arbalétriers dont
il s'agit, je préférerais beaucoup Us à nous.
262 (174 G) : « Dont se il vous plaist nous les assaurons samedi vendredi
Et tout s'acorderent que il nous venroient assaillir vendredi. » Telle est la leçon
de A ; B et L ont simplement vendredi, et M. de W. a adopté leur leçon ; mais
comment croire que A ait introduit ici le mot samedi, qui trouble le sens? Il est
bien plus probable que c'est l'auteur de LB qui l'a retranché ; l'auteur commun
avait la leçon fidèlement reproduite dans A, mais cette leçon était une faute
pour « samedi u vendredi » (« omis à cause du voisinage de Vu initial de
uendredi) -.
264 (176 D), la leçon des mss. « entour nostre ost et U (ou lui) « ne me
paraît pas intelligible.
268 (178 F), tous les mss. portent Guibclin, que M. de W. a àù corriger en
Guisd'Ibclin : comment expliquer cette faute commune, pour un nom qui revient
souvent dans le livre et qui est toujours bien écrit (Gui d'Ibelin était cousin de
Joinville'), si ce n'est parce qu'elle se trouvait dans l'original commun.?
276 (184 E), le seigneur de Brancion fut si grièvement blessé « que onques
puis sus ses piez n'aresta, et fu mors de celle bleceure » ; lisez évidemment
n'esta.
280 (188 A), vendaient pour vendoit (corrigé par l'éditeur) dans ALB.
échelle beaucoup plus large, pour ces environs de la Massoure, où les opérations de l'ar-
mée de S. Louis furent si longiemps resserrées, et aboutirent au désastre qu'on sait.
1. M. de W. écrit cliéi; il est en général, en fait d'accents, d'une parcimonie louable ;
mais je ne puis ne pas protester contre l'emploi de l'accent aigu dans ce cas et autres
semblables : cet e était un e féminin.
2. Corrard pense qu'on n'a pu dire : « Nous les a.ssaurons samedi vendredi » ; mais
l'intercalation de u rend au contraire cette conjecture très-vraisemblable.
3. Aussi est-il naturel que Joinville ait lu la Chronique d'Ernoul, qu'il appelle /«L(vrf</f
la Terre-Sainte (§ 77), et à laquelle il emprunte une anecdote (et. Ernoul, éd. Mas-
Latrie, p. 282). Cette chronique est en effet tout entière écrite sous l'inspiration de la
famille d'Ibelin.
408 COMPTES-RENDUS
283 (188 E), n'y a-t-il pas une lacune entre la Haukqua et car}
294 (196 B), je n'arrive pas à comprendre ce que peut vouloir dire ;?jr devers
Babiloinne.
308 (204 C), M. de W. a dû supprimer un et qui se trouve dans les trois
manuscrits.
^ 2 I (2 1 2 C) : « Il vous convient saillir de vostre vessel sur le bec qui est tisons
de celle galie. » M. de W. traduit : « sur la pointe de la quille de cette galère »;
il faut donc aussi dans le texte le bec dou tison, ou peut-être le bec qui est en
son.
528 (216 E), il est assez difficile de comprendre ce que veut dire le membre
de phrase qui termine ce paragraphe.
J54 (234 D), les mots au col, nécessaires au sens, manquent dans tous les
mss. ; M. de W. les a empruntés à l'éditeur de Ménard. N'est-il pas évident
qu'ils avaient été omis dans roriginal commun de A et de LB.'
^72 (246 B) : ici encore M. de W. a dû emprunter à Ménard la bonne
leçon Morentaigne, A et B (L manque ici) ayant en commun la faute absurde
Mortaing.
393 (260 E), la faute Jaque pour Gui ne doit-elle pas être attribuée à l'auteur
de nos mss. plutôt qu'à Joinville?
404 (268 B), les mss. omettent en la mer, nécessaire au sens et donné
par Ménard.
430 (284 E), Corrard a déjà proposé de lire parlast au lieu de gardast, et le
nombre des fautes communes évidentes doit faire moins hésiter à en admettre
une ici.
446 (296 D), tel, I. tclment (?) : la syllabe ment aura disparu à cause de
menei qui suit.
479 (318 E) : « Et se nous le desconfisons, je commant que la chose dure
trois jours et trois nuis, et que nulz ne soit si hardis que il mette main a nul
gaaing, mais que a gens ocire*. » Que signifie ici la chose, que M. de W. a
admis dans sa traduction ? Il faut ou la chace (c'est-à-dire la poursuite), ou
Focise (c'est-à-dire la tuerie).
495 (330 A) : « Et disoit li roys que il cNargoes de Toci) estoit ses cousins,
car il estoit descendus d'une des serors le roi Phelippe , que li empereres
meismes ot a famé.» Que signifie ici ce mot meismcs? S. Louis expliquerait bien
obscurément sa parenté avec le seigneur de Toci. Je n'hésite pas à corriger
Ai empereres Androines : voy. dans la chronique d'Ernoul les longs détails sur le
mariage d'Agnès de France avec Andronic.
504 (336 C) : Corrard a déjà relevé l'incohérence de ce passage, et je m'étonne
que M. de W. l'ait conservé et traduit tel quel. " Li rois m'avoit bailiié en ma
bataille cinquante chevaliers... Toutes les fois que l'on crioit aux armes, je y
envoioie cinquante-quatre chevaliers que on apeloit diseniers, pour ce que il
estoient lour disiesme. » Si on compare ce passage à celui où Joinville nous dit
qu'il était lui disiesme de chevaliers, on verra que ceux dont il s'agit ici avaient.
I . Je préfère cette orthographe à occirre, qui induit à une fausse prononciation du
mot.
joiNViLLE, Œuvres, p. p. de wailly 409
comme lui-même, chacun neuf chevaliers avec soi. Joinville avait donc 539 che-
valiers sous ses ordres! Mais il vient de dire qu'il en avait cin<]uante (plus les
siens). En ce cas, dès qu'on criait aux armes, il détachait de ses cinquante- neuf
chevaliers cinquante-quatre. Ce chiffre serait déjà bien bizarre sans la mention
des diseniers. Il y a évidemment ici une grande confusion, qui existait déjà dans
l'original de nos mss. (puisqu'aucun d'eux n'a de variante), et telle qu'il s'en
présente souvent dans les mss., quand les chiffres romains se mêlent au texte.
Un passage postérieur peut nous aider à sortir d'embarras. Joinville nous apprend
(§ 571, 380 G) qu'à une certaine occasion il se trouvait « en la bataille le roi,
pour ce que li rois avoit retenu les quarante chevaliers qui estaient en ma bataille
avec li. » Je crois que ce chiffre est le bon, et qu'au § ^04 il faut lire : « Li
rois m'avoit baiiiié en ma bataille quarante chevaliers (./. pour .xl. n'a rien
d'étonnant) Toutes les fois que l'on crioit aux armes^ je y envoioie les
quatre chevaliers que on apeloit diseniers, etc. » Au lieu de les .iv., l'auteur com-
mun de nos mss. a lu ./. et .iv.
526 (3 50 C) : trois, 1. trop?
544 (362 F), M. de W. a ih corriger le texte des mss,
5^2 (370 A), malgré l'ingénieuse disposition typographique que M. de W.,
dans cette nouvelle édition, a adoptée pour masquer la lacune de ce passage,
elle me paraît évidente.
571 (374 E), les trois mss. ont Des pour Les, et l'éditeur les a corrigés. Or
c'est là une faute fréquente, imputable au rubricateur qui venait après coup
exécuter les initiales laissées en blanc par le premier écrivain, et dont la présence
simultanée dans plusieurs manuscrits indique à peu près à coup siir qu'ils ont
été copiés sur un même original.
562 (376 AB) : Joinville estime à 800 livres des travaux qui se trouvent en
avoir coûté 30000 ; l'écart est trop grand ; il doit y avoir là quelque erreur de
chiffres.
569 (380 B), les mss. lisent Arsur pour Sur (la faute n'est pas de Joinville,
cf- § 59O) 396 A), et de même Assur § 616 (412 B) : dans les deux cas M. de
W. donne la bonne leçon dans sa traduction et laisse la mauvaise dans le
texte.
Aux §§ 587 (392 V), 591 (396 C), 598 (400 F), se trouvent trois passages
évidemment altérés dans tous les mss. et impossibles à restituer convenablement;
mais ici la leçon des deux familles est divergente.
606 (406 A) : « Li hostieus la ou il plaisoit mieus a demeurer, c'estoit à
Pontoise, entre le roi et la roine. » M. de W. traduit : « L'hôtel là où il plai-
sait le plus de demeurer, pour le roi et la reine, c'était à Pontoise. » Je crois que
cette traduction est juste, mais alors il manque quelque chose : plaisoit ne peut
s'employer ainsi absolument ; p.-ê. lour plaisoit?
607 (406 C), ne, supprimé avec toute raison par M. de W., se trouve pour-
tant dans tous les manuscrits.
618 (414 A) : « nostre neis eust estei toute esmiee, et nous tuit péril et
noie. » M. de W., dans son Glossaire, dit : « Péril, adj., mis en péril ; » mais
je crois qu'il serait difficile de citer d'autres exemples d'un tel mot. Il faut lire
soit péri, soit perillic. Au reste A a perilz ; les mss. L et B sont-ils d'accord ?
410 COMPTES-RENDUS
629 (420 E) : M. Thurot a déjà appelé l'attention sur cette phrase évidem-
ment boiteuse; il propose de lire litjucus estant au lieu de estait, il me paraît
plus conforme au style deJoinville d'ajouter et avant n'osa.
657 ^^o F"). Un cordelier prêche devant le roi. « Li commencemens dou
sermon fu sur les gens de religion : signour, fist-il, je vol plus de gent de reli-
gion en la court le roy, en sa compaignie. Sur ces paroles : Je touz pre-
miers, fist-il, et di ainsi que il ne sont pas en estât d'aus sauver, etc. » Il faut
avouer que cela n'a aucun sens. M. de W. s'en est, comme toujours, très-habi-
lement tiré : « Seigneurs, fit-il, je vois trop de religieux à la cour du roi, en sa
compagnie. Et sur ces paroles (7 ajouta : Moi tout le premier. » Mais plus
ne veut pas dire trop; les mss. ont Je touz premiers qui ne peut se reporter qu'à
un verbe antérieurement exprimé dont ces mots seraient le sujet, et tout le pas-
sage offre un aspect très-peu satisfaisant.
659 (442 B), je renvoie pour ce passage à la discussion de Corrard et je ne
doute pas qu'il ne faille lire encontre au lieu A'encoste.
662 (444 D), S. Louis, répétant une maxime de Philippe-Auguste pour le
bon gouvernement de l'hôtel d'un roi, dit : « Li rois Phelipes mes aious me
dist. » Ce me a bien l'air d'une intercalation de copiste ; car Philippe mourut
quand son petit-fils Louis avait huit ans, et il est peu probable qu'il lui ait
adressé des conseils de ce genre.
665 (446 D), M. de W. incline lui-même à admettre que pour est tombé
avant les paroles, et il l'introduit dans sa traduction.
Ces exemples, que je n'ai pas voulu augmenter par un grand nombre d'autres
passages plus douteux, me paraissent suffire à établir la commune provenance des
mss. A et LB du manuscrit du roi, ce qu'indique déjà la présence dans tous les
deux de la miniature de présentation. Reste une question subsidiaire, que M. de W.
n'a pas abordée: dans quel rapport précis les mss. L et B sont-ils entre eux.? Le
savant éditeur dit simplement, ce qui est parfaitement juste, que B est k comme
un second exemplaire » de L ; mais comme il admet que ces deux mss. ont été
copiés sur un original différent de celui de A, on pourrait croire qu'il les regarde
l'un et l'autre comme des copies indépendantes de cet original. Il n'en est rien:
L et B ont en commun des fautes qui ne pouvaient se trouver dans le ms. de
l'auteur; ils rajeunissent la langue de même. D'autre part, le plus récent, B, n'est
pas copié sur L, car il a souvent une meilleure leçon. Ces deux mss. sont donc
des copies exécutées au XVI' siècle d'après une copie un peu plus ancienne,
dont l'auteur avait déjà fait subir à la langue ^t Joinville les altérations déplo-
rables qu'ils présentent tous deux. Quant à cette copie (perdue), elle avait été
exécutée directement sur l'exemplaire offert à Louis X par Joinville, qui devait
par conséquent se trouver encore dans la bibliothèque du roi vers le milieu du
XV' siècle ', car la langue de LB indique cette époque. La généalogie de nos
trois mss. pourrait donc s'exprimer ainsi :
I. On sait que la dernière trace de ce ms. dans la librairie royale se trouve dans
l'inventaire de 1411; il était u très bien escript et historié a deux coulombes ;
commençant au deuxième folio et par ce que, et au derrenier en tek manière (P. Paris,
sur les manuscrits de Joinville, éd. Michel, p. clxxvu). » Il résulte de cette dernière
indication que le ms. royal était de très-grand format : les mots qui commençaient le
joiNViLLE, Œuvres, p. p, de wailly 41 1
R (ms. du roi)
A
R' (copie perdue)
B
On voit en somme que les résultats auxquels nous a conduits cette étude ne
diffèrent que par une nuance de ceux qu'avait admis M. de Wailly. Nos deux
familles de mss. remontent l'une et l'autre directement à l'exemplaire offert à
Louis X par Joinville; il ne peut donc être question, dans le texte qui résulte
de leur comparaison, de gloses comme en soupçonnait Corrard, encore moins
d'interpolations comme en imagine le P. Gros. Les fautes communes à nos deux
familles remontent à leur auteur commun, et ne sont et ne peuvent être que
de simples fautes de copiste, qui doivent être attribuées à l'écrivain employé par
Joinville pour exécuter l'exemplaire royal : on sait que les manuscrits les plus
somptueux ne sont pas toujours les plus corrects. Mais si la juste classification
des manuscrits maintient au-dessus de tout soupçon l'authenticité et l'intégrité
du texte de Joinville, elle autorise à le corriger avec un peu plus de hardiesse
qu'on ne l'a fait, et à redresser sans trop d'hésitation tout ce qui peut, par la
faute du copiste primitif, pécher contre la langue ou le sens.
Les dimensions déjà bien longues de cet article m'empêchent d'aborder diffé-
rents points qui pourraient encore appeler l'examen. Je ne dirai qu'un mot
de la traduction de M. de Wailly. Déjà excellente sous sa première forme,
elle peut passer, maintenant qu'elle a subi une double révision , pour un vrai
chef-d'œuvre en son genre. Tout le mouvement de la phrase de Joinville est
conservé, avec le charme de son irrégularité même, et cependant la traduction
n'est pas servile ; elle sait à propos s'éloigner du texte ou le paraphraser légère-
ment pour le faire mieux comprendre. Les vieux mots ont été çà et là conser-
vés avec beaucoup de goût et de discrétion, de manière à donner au style une
teinte ancierme, sans le surcharger d'archaïsmes prétentieux. La traduction de
M. de W. se lit avec un vrai plaisir, mais en même temps elle est pour le texte
qu'elle accompagne un commentaire si commode et si attrayant, elle s'en montre
si voisine qu'elle engagera sans doute plus d'un lecteur à passer de l'une à
l'autre, et à jouir directement de ce style charmant du vieux sénéchal, si bien
apprécié dans la préface par son éditeur. Je ne doute pas que ce résultat ne soit
celui que M. de Wailly souhaite le plus d'atteindre. — En parcourant cette
f. 2 n'apparaissent dans A qu'au f° 7 r" a (1. 19), dans L qu'au f" 5 r" (1. 6); après les
mots en tek manière f§ 742), qui commençaient le dernier feuillet, la présente édition
compte encore plus de cinq grandes pages. — On peut croire que le ms. offert à Louis
X par Joinville tenta les Anglais (Henri V et Bedfort ne descendaient-ils pas de S. Louis
comme Charles Vil.'), et qu'il fut enlevé par eux comme tant d'autres. Ce serait alors
en Angleterre qu'il aurait péri ou qu'on pourrait le retrouver.
412 COMPTES-RENDUS
traduction, je n'ai remarqué qu'un passage où elle ne me paraît pas avoir bien
rendu l'original. Au § 599, Joinville raconte que, comme il partait pour un pèle-
rinage en Syrie, le roi lui donna une commission : « et me dist a grant consoil
que je li achetasse cent camelins de diverses colours. » M. de W. traduit : « et
me d'il après s'itrc bien consulté, etc. »; mais a granl consoil signifie toujours au
moyen-âge « en grand secret », et le contexte prouve bien que c'est ici aussi le
sens de cette expression '.
Le volume se termine par un Vocabulaire complet dresséavec un soin extrême,
et parfaitement conçu pour l'utilité de ceux qui veulent étudier la langue de
Joinville : toutes les fois que M. de W. a changé la forme des mss., il l'a don-
née ici entre parenthèses, en sorte qu'on peut contrôler chacun de ses change-
ments, et avec d'autant plus de sûreté et de facilité que toutes les formes d'un
même mot se trouvent réunies. L'auteur a fait figurer tous les noms que contient
ce vocabulaire à la place et sous la forme du cas-sujet. Ce procédé est emprunté
aux dictionnairee des langues classiques, mais je crois que l'inverse eût été pré-
férable. Le régime est la vraie forme du mot, il en contient le thème pur, et
c'est lui qui presque toujours a survécu en français. D'ailleurs beaucoup de mots
ne se présentent que sous la forme du régime, et M. de W. s'est trouvé obligé,
pour suivre son système, de leur créer un nominatif parfois un peu hasardé-.
Les combinaisons de \'s du nominatif avec la consonne finale du thème altèrent
souvent celui-ci de telle façon qu'on risque d'avoir quelque peine à le trouver à
son rang. Enfin le nombre des noms invariables est si grand qu'il y a tout avan-
tage à ramener également les noms déclinables à la forme dépouillée des marques
de la flexion.
Je n'ai trouvé à faire sur ce vocabulaire que les quelques remarques suivantes.
Baat (d'où M. de W. tire le nominatif baas) est une simple faute de copiste pour
hast, forme bien connue. — M. de W. écrit contée, ducée, mais les textes en
vers où ces mots sont employés prouvent qu'il faut prononcer conteé, duceé. —
Il est peu probable que pour exprimer la même chose, Joinville, à une ligne de
distance (§ 1 52), emploie enfondrer et esfondrer : c'est le premier qui est le bon
dans les deux cas. — « Gamite, fourrure de daim » ; M. de W. a pris cette
traduction dans Roquefort, mais elle est peu exacte. Gamite signifie «chamois»,
et ce mot, évidemment identique au m. h. ail. gam: (ail. gemse), est intéressant
en ce qu'il paraît conserver un t qui ne s'est maintenu dans aucun dialecte ger-
manique. — « Ganchir gauchir » ; cette traduction a l'air de contenir un rappro-
chement étymologique qui serait tout à fait illégitime, et en outre elle n'est pas
fort bonne : ganchir signifie « se détourner » et spécialement « se détourner
pour esquiver quelque chose». — n Grève, cheveux en bandeaux»; c'est presque
tout à fait, mais non tout à fait exact. La traduction est faite d'après le con-
texte (§ 104) : « Li cuens de la Marche avoit jurei sur sains que il ne
seroit jamais roingniez en guise de chevalier, mais porteroit grève aussi comme
1. ConseiUier, qui signifie de même « parler bas », est donné par Roquefort en ce
sens avec une longue citation de Joinville, très-différente du texte (§ ?i), et qu'il prétend
tirée du ms. de la Bibl. Imp., f" 6. Elle provient sans doute de l'édition de Ménard,
que je n'ai pas sous la main.
2. Provere ou provaire n'est que l'ancien régime de prestre, et je ne sais si on trouve-
rait un exemple du sujet provaires, sous lequel M. de W. range ce mot.
MUSSAFiA, zur Katharinenlegende 413
les femmes fesoient. » La grève est proprement la « raie au milieu des cheveux »;
Grève avait droite et bien menée {FI. et Blanc. A, v. 2595) ; Le chief ot bel et bien
reont, La grève droite et blanc le front (Amadas, v. 132); La grève droite en la
cerviz {Athis et Prophilias, cité par E. du Méril dans le glossaire de FI. et
Blanc.) \ add. La Mule sans frein, v. 738, etc. — Je doute de la forme ligna-
loecy : c'est Hgnaloe qui est usité ; peut-être faudrait-il lire lignaloey. —
« Menoison dyssenterie » ; non , mais « diarrhée » , ce qui n'est pas la
même chose. — Je ne sais sur quoi M. de W. s'appuie pour traduire samit par
« satin » : pour moi, en l'absence de preuves contraires, je suis porté à croire
que ce mot a conservé son sens dans l'ail. Sammet, et par conséquent qu'il
signifie « velours ». En rendant loailk par « toile )>, M. de W. n'est assuré-
ment pas tombé dans la faute commune de rapprocher ces deux mots qui n'ont
rien à faire ensemble ; mais la traduction n'est pas tout à fait satisfaisante : le
mot qui répond le plus exactement aux divers sens de l'ancien toaille est le
moderne « serviette ».
Je n'ai parlé de l'édition de M. de Wailly qu'au point de vue philologique; il
y aurait à en faire un éloge non moins grand au point de vue historique si c'était
ici le lieu^. Grâce au succès si mérité qu'ont eu les éditions précédentes et que
celle-ci a déjà obtenu avec éclat '^, on peut espérer qu'elle ne sera pas la der-
nière, et que l'illustre savant tentera encore d'améliorer l'œuvre qui lui fait tant
d'honneur : seulement il devra s'en prendre à lui-même s'il lui est désormais
impossible de la perfectionner beaucoup.
G. P.
Zur Katharinenlegende. Von prof. D' A. Mussafia. I. Vienne, 1874,
in-8°, 80 p. (Extrait des Mcm. de l'Académie, t. LXXV, p. 227 ss.).
M. Mussafia publie ici un texte véronais de la légende de sainte Catherine. Il
en étudie la grammaire avec le soin et la critique qu'on lui connaît en ces
matières. Il montre que ce poème s'appuie en partie sur un poème français
dont, par une remarquable coïncidence, le seul manuscrit connu (Arsenal, B. L.
Fr. 505) a été écrit en 1251 à Vérone. Dans une prochaine publication, notre
savant collaborateur promet de s'étendre sur la légende de sainte Catherine.
C'est un sujet des plus intéressants et qui lui permettra de déployer dans
des sens divers son érudition si étendue et si sûre.
Cancionero de Stuniga, c6dice del siglo XV ahora por vez primera
publicado (par le marquis de la Fuensanta del Valle et D. José Sancho
Rayon). — (Coleccion de libros raros ô curiosos t. IV.) — Madrid, M. Riva-
deneyra. 1872. xlij, 483 pages in-8°.
Les collections de poésies lyriques auxquelles on a donné en Espagne le nom
de cancionero peuvent se diviser en trois classes. 1" Cancioneros de cour. Les
collections de ce genre forment réellement un tout dont les éléments sont intime-
1 . Je veux au moins signaler l'excellente et très-utile Table des matières qui suit le
Vocabulaire.
2. Un deuxième tirage est devenu nécessaire quelques mois après la publication.
414 COMPTES-RENDUS
ment liés les uns aux autres et s'éclairent mutuellement. Le compilateur de
ces cancioneros est guidé dans son choix par l'idée de conserver l'image d'une
société ou d'une cour poétique ; toutes les compositions qu'il réunit sont dues à
des membres de cette société, rien de ce qui lui est étranger ne saurait y trouver
place. On comprend facilement que l'intérêt que ces collections sont susceptibles
d'inspirer est surtout historique ; on est naturellement plus porté à y rechercher
la peinture de la vie intime des poètes eux-mêmes qu'à discuter la valeur litté-
raire de leurs œuvres. Ces cancioneros se distinguent encore par certains carac-
tères externes. Le compilateur a tenu à perpétuer le souvenir de son œuvre par
une dédicace au prince ami ou protecteur des poètes ; de plus l'original et sou-
vent même les copies de ces collections sont exécutés avec un certain luxe. Le
type le plus complet que nous possédions d'un cancionero courtois est celui de
la cour de Juan II qui a été compilé, comme on le sait, par Juan Alfonso de
Baena. — 2. Cancioneros mixtes. L'idée qui a présidé à la formation de cette deu-
xième classe est tout autre. Ici le compilateur se préoccupe avant tout de réu-
nir des œuvres d'une véritable valeur et de nature à être goûtées par les ama-
teurs; il n'a garde de limiter son choix à une seule époque ou à une seule
école, il cherche au contraire à donner de l'attrait à sa collection en groupant
des échantillons de genres très-différents. Ces cancioneros mixtes ou généraux
(comme on les nomma plus tard) sont beaucoup plus nombreux que les cancio-
neros de cour. Presque tous les cancioneros analysés dans ces derniers temps par
les critiques espagnols et ceux de la Bibl. nat. de Paris appartiennent à cette
deuxième classe. — 3° Cancioneros particuliers, c'est-à-dire qui ne renf^erment que
les œuvres d'un seul poète: nous en avons un exemple dans le recueil des poésies
de Juan Alvarez Gato (voy. A. de los Rios, Hist. crit. de la lit. csp. VI, 557SS.).
Le cancionero de Stuniga (ainsi nommé parce qu'il débute par une poésie de
Lope de Stuniga) dont nous annonçons ici la publication, a depuis longtemps
attiré l'attention de tous les savants occupés de l'ancienne littérature espagnole.
Il nous a été conservé par deux copies. La première qui se trouve à la bibl.
nat. de Madrid (coté M. 48) a déjà été l'objet de deux travaux. Les traduc-
teurs espagnols de Ticknor, MM. de Gayangos et de Vedia, publièrent dans leurs
additions à l'ouvrage du savant américain une table des poésies de ce ms. ;
plus tard les éditeurs de VEnsa^o de una bibl. esp. etc. en donnèrent de nombreux
extraits accompagnés de quelques notes bibliographiques. La seconde copie, moins
complète, que possède la bibl. de S. Marc à Venise (coté Suppl. Gall. XXV)
a été découverte par M. Mussafia. Ce savant philologue l'a analysée et étudiée
dans un mémoire spécial {Ein Beitrag zur Bibliographie der Cancioneros ans der
Marcusbibliothîk in Vcnedig, Wien 1867) avec la critique pénétrante qu'on est
accoutumé à rencontrer dans toutes ses publications. Mais ces travaux analy-
tiques, quelque recommandables qu'ils fussent, ne pouvaient tenir lieu d'une
édition complète de ce recueil. MM. de la Fuensanta del Valle et Sancho
Rayon se sont chargés de combler cette lacune : c'est dans leur Coleccion de
libros raros 6 curiosos, qui à l'origine ne semblait devoir être composée que de
réimpressions, qu'ils ont eu l'excellente idée d'accorder une place à ce représen-
tant de la poésie castillane du XV" siècle.
Avant d'examiner en détail la façon dont les éditeurs se sont acquittés de leur
Cancionero de Stuniga, p. p. del valle et rayon 41 5
tâche, il nous importe de savoir si les caractères internes et externes de notre
recueil répondent bien à ceux d'un cancionero courtois, ainsi qu'on s'est accordé à
l'admettre jusqu'ici. La majeure partie du cancionero de Stuniga est occupée par
des poésies de chevaliers castillans, aragonais ou catalans qui suivirent en
Italie le roi Alphonse V d'Aragon. Un certain nombre de ces poésies présentent
un caractère commun en ce qu'elles sont généralement inspirées par les événe-
ments qui se passaient à la cour aragonaise de Naples ou adressées soit à la
reine Maria, soit au roi lui-même, soit enfm à sa plus célèbre maîtresse, la belle
Lucrecia de Aniano. Cela est incontestable. Mais voici quelques faits qui nous
semblent de nature à modifier sensiblement l'opinion reçue.
Notre recueil contient plusieurs compositions de poètes absolument étrangers
à la cour de Naples, tels que Juan de Mena et le marquis de Santillana,de plus
quelques-unes de ces compositions ne sont pas du tout dans le ton des autres
poésies de la collection. 11 est clair par exemple que la longue composition allé-
gorique du dernier de ces poètes, El infierno de amor, n'est nullement à sa place
dans un cancionero courtois. Tout au plus comprendrait-on l'insertion dans ce
recueil de la Comedieta de Ponça du même auteur, qui se rapporte, comme on le
sait, à la défaite éprouvée par Alphonse dans les eaux de Gaëte en 143 5, en
raison de l'intérêt que le sujet lui-même devait inspirer aux familiers de la cour de
Naples. D'autre part nous savons par une poésie du cancionero de Stuniga où
Ferdinand, le fils naturel d'Alphonse V, est déjà qualifié du titre de roi, que ce
recueil n'a été compilé qu'après la mort de ce dernier. Enfin, pour ce qui con-
cerne les caractères externes, on peut observer que le compilateur, dont nous
ignorons du reste le nom, n'a point fait précéder son œuvre d'une dédicace.
Ces faits nous autorisent, pensons-nous, à ne pas mettre notre cancionero sur la
même ligne que celui de la cour de Juan II. Nous avons affaire ici à un recueil
sans caractère officiel, réuni sans doute par un amateur du temps de Ferdi-
nand I" que rien n'empêchait de mêler aux compositions des poètes courtois
des œuvres d'un autre milieu ou d'une autre école qui lui paraissaient mériter
une place dans sa collection. Du reste (et on ne l'a pas assez remarqué) la cour
littéraire du roi d'Aragon ne présente pas du tout le même caractère que celle
de son contemporain Juan II. Alphonse n'a point pris part lui-m.ême aux exer-
cices poétiques de ses courtisans, son esprit était beaucoup trop attiré du côté
des littératures classiques. Du moins ses biographes Antonio Becatelli et Barto-
lomé Fachs ne nous disent pas qu'il se soit jamais exercé dans le genre cour-
tois.
La publication de MM. de la Fuensanta del Valle et Sancho Rayon se com-
pose du contenu du nis. de Madrid qu'ils ont fidèlement reproduit et dont ils
ont conservé l'orthographe. Le texte est suivi de notes historiques relatives aux
auteurs des poésies du cancionero et aux personnages auxquels il y est fait allusion,
d'un glossaire et de deux tables. Dans leur préface les éditeurs nous expliquent
qu'ils n'ont voulu suivre dans leur édition ni le système allemand 1.?^ qui con-
siste dans la reproduction photographique des manuscrits, ni le système fran-
çais (?) qui tend avant tout à « dépouiller autant que possible les mss. de tout
ce qui peut en rendre la lecture difficile ou fastidieuse » ; le système intermé-
diaire qu'ils ont appliqué est celui qui, tout en respectant scrupuleusement l'or-
41 6 COMPTES-RENDUS
thograplie et les leçons du ms., facilite la lecture du texte en lui donnant une
ponctuation logique. La question de critique la plus importante qu'il y avait à
soulever à propos de ce cancionero n'a même pas été effleurée par les éditeurs.
En efFet nous savons déjà que ce texte nous a été conservé dans deux mss.,
celui de Madrid et celui de Venise; m, MM. de la F. et R. paraissent avoir
complètement ignoré l'existence de ce dernier ms. et partant le mémoire de
M. Mussafia. Cela est d'autant plus regrettable que le savant professeur de
Vienne en se livrant à ce travail assez ingrat avait surtout en vue de contribuer
à rendre plus correcte l'édition qu'on attendait depuis longtemps des savants
espagnols; aussi, loin de se borner à une simple description du ms. de Venise,
avait-il rassemblé un nombre important de variantes qui formaient comme les
prolégomènes d'une édition critique. Enfin beaucoup de poésies du cancionero de
Stuniga nous ont été conservées aussi par certains mss. de ces collections que
nous avons nommées mixtes ou générales, dont quelques-uns au moins étaient à
la portée des éditeurs. S'il n'entrait pas dans leurs vues de tenter l'établisse-
ment d'un texte critique de chacune des poésies de la collection par la compa-
raison de toutes les copies, au moins auraient-ils pu profiter des leçons fournies
par l'une ou l'autre d'entre elles pour corriger les fautes de leur ms. Nous
allons montrer par une série de variantes de quelques pièces de la collection
empruntées à trois mss. de la Bibl. nat. de Paris (Esp. 226 = anc. 7819,
230 = anc. 7825, 313 = anc. 8168) combien ce travail de comparaison aurait
servi à améliorer le texte de l'édition.
Nous n'avons pas à nous livrer ici à une étude approfondie de ces mss. ; nous
observerons seulement que le n" 3 1 3 a dû être écrit en Castille dans la seconde
moitié du XV' siècle, et que les n°" 226 et 2?o ont certainement été copiés
tout à la fin du même siècle ou au commencement du suivant en Catalogne '.
Leur rapport peut être représenté de la façon suivante :
X
226 230
Les n°' 226, 230, continuellement d'accord, même, ce qui est caractéristique,
dans les leçons fautives, ont été copiés sur un ms. du milieu du XV siècle (de
là X' sur la même ligne que 313;-. L'origine commune de 313, 226 et 230 est
prouvée par des fautes communes aux trois mss. Cette classification est du reste
provisoire ; il faudrait pour lui donner une valeur définitive connaître mieux les
1 . L'orthographe qui y est appliquée le prouve surabondamment. Voici quelques
exemples : Quantes (p. quantas), les astrellas, les flores, cientes, leor laor (p. loor),
empatxa fp. empacha), trauctado etc. Les cis de diphthongaison sont mal observés : on
trouve très-souvent nostro, vostro p. nuestro etc. L'écriture ny p. fi est constante.
2. En voici une preuve paleographique. Le mot çirios, où le c avec une longue cédille
réuni à 1'/ suivant a l'apparence d'un g dans les mss. de cette époque (dans le n° 313
par ex.), a été rendu dans 226 par grios, dans 250 par crias.
Cancionero de Stuniga, p. p. del valle et rayon 417
variantes des autres mss. Nous ne l'avons établie ici que pour justifier les correc-
tions que nous allons proposer. Le fait que ces trois mss. sont indépendants les
uns des autres donne naturellement une certaine importance aux leçons qu'ils
ont en commun. Nous avons eu recours aussi au ms. de Nicolas d'Herberay
(d'après les extraits donnés dans VEnsayo: nous le désignons comme M. Mussafia
par T) qui est indépendant tant de M. 48 que des mss. de Paris, lorsqu'il con-
firme les leçons de ces derniers.
N° 4 (éd. p. 14). Ya non sufre mi cuidado (Johan de Mena).
V. 17. La mi muy rabiosa muertc. — La muy mas etc. 226. 230. 313.
V. 36. Nin el quercr â mi se diera. — Nin el â mi se diera 226. 230. — La
bonne leçon pour le vers est : Nin el â mi no se diera.
V, 1 18. Poder de grand poderio. — Il faut préférer P. de g. senorio 226. 230.
313, le mot poderio se trouvant à la rime deux vers plus loin.
V. 170. Ë cuyo danno estorçer. — En etc. 226. 230. 313.
V. 172. Si en algund tiempo passado Fui aspero de passiones, Gloria habrè haber
dexado Las tantas îribulacioncs. Tout cela n'a aucun sens. La leçon fournie par
226. 230. 313 est excellente : Si en algun tiempo dexado Ser espero de passiones,
Gloria habré haber passado etc.
N° 5 (éd. p. 22) El triste que mas morir (El bachiller de la Torre).
V. 9. Pues que creo que vera. — P. q. cierto se vera 226. 230. 3 1 3. T.
V. 34, Parecer luego doblada. — Para ser l. d. ibid.
V. 40. Por luego tiempo doblar. — Por luego me la doblar T.
V. 37. La muerîe desesperada. — La m. despiedada 226. 230. 313. T.
N" 20. (éd. p. 86). Por la muy aspera via
V. 12. Para quien ama sintiendo. — P. q. a. sin tiento. 226. 230. T.
V. 3 5. La quai dtmuestras querer Muy mas cara que a ti. — L. q. d. tener etc.
226. 230. T.
V. 84. Et pues es en tu poder Ser tu de maies ajenos. Agenos est exigé par la rime
correspondante menos ; mais le sens demande ageno : la leçon de T nous tire
d'embarras : Foir de (los) maies agenos.
V. 103. La quai fama mas non cura. — L. q. J. m. n. dura 226. 230. T.
Après le V. 155 M. omet onze vers donnés par 226. 230. T. qui servent
d'explication à l'apostrophe : Luego dona baratera etc.
Après le v. 164 M omet le vers suivant absolument indispensable au sens :
Vernia te bien si moriesses, qui est donné par 226. 230. T.
Nous pourrions facilement continuer cette étude comparative et montrer que
nos mss. offriraient pour chaque pièce qui leur est commune avec M des leçons
préférables à celles de ce dernier ms., mais il nous suffit d'avoir prouvé par
quelques exemples combien il elît été utile d'entreprendre la révision complète de
la copie très-fautive que les éditeurs ont imprimée sans y rien changer. En ce
qui concerne l'orthographe nous ne saurions approuver le système suivi par les
éditeurs. Le ms. de Madrid a été copié par un Italien dont l'orthographe s'écarte
souvent de celle des bons mss. castillans du XV* siècle. C'est ainsi que nous
n'aurions pas écrit partout désir, faser, pLiser pour dcçir ou dczir, etc., de même
conoscer pour conoçer. Une question de philologie très-délicate est celle de savoir
comment il faut représenter dans l'écriture la finale de la 2' pers. pi. des verbes
Romania,ni ij
41 8 COMPTES-RENDUS
castillans. 11 est certain qu'au XV' siècle déjà le phénomène de la chute de la
dentale dans ces formes verbales était en train de se produire. C'est ce que
prouvent des rimes Rempruntées à notre cancioneroi telles que Frances : qucrts;
es (y p.) : vercys etc. D'autre part la forme non syncopée est assurée par d'autres
rimes, comme vedes : redes ; conlrariedades : miradcs ; leedes : Ganimedes etc. Le
ms. de Madrid trahit du reste une hésitation constante entre les deux procédés,
la même forme, à quelques vers d'intervalle, est écrite de deux manières. Il
serait temps d'éclaircir ces difficultés et de procéder à une étude aussi minutieuse
que celle qui a été entreprise pour les verbes portugais par M. Coelho dans sa
Theoria da conjugaçâo cm lalim c portuguez.
Les notes historiques placées à la fin du volume sont dignes de tout éloge ;
elles complètent sur bien des points les renseignements fournis par M. A. de les
Rios dans le tome VI de son Hist. crit. sur les poètes de la cour d'Alphonse. Les
éditeurs ont consulté surtout les nobiliaires et les textes historiques les plus im-
portants, ils ont aussi eu recours à des sources manuscrites, notamment pour
Diego de Valera, dont ils ont complètement refait la biographie. On trouverait
à coup sûr aux archives de Barcelone de nombreux documents propres à
éclaircir cette brillante époque de l'histoire d'Aragon. Il serait digne d'un érudit
catalan de poursuivre et de compléter les recherches qui ont été commencées
par les savants castillans. La valeur littéraire des poésies du cancionero de
Stuniga est considérable, leurs auteurs méritent donc à tous égards d'être
aussi bien connus que le sont les poètes du cancionero de Baena.
Alfred Morel-Fatio.
Fiabe popolari veneziane, raccolte da Dom. Giuseppe Bernoni. Venezia,
1873, in-12, 110 p.
M. Bernoni, dont nous avons annoncé les Chants populaires vénitiens, nous
donne maintenant un recueil de contes qui se recommandent par les mêmes qua-
lités, c'est-à-dire qui ont été transcrits aussi fidèlement sous la dictée des narra-
teurs populaires. Les contes de ce petit volume sont au nombre de vingt : nous
espérons que M. B. ne s'en tiendra pas à cet échantillon, et qu'il nous donnera
promptement la suite qu'il annonce. Ce que contient ce premier recueil est
excellent, et fait vivement désirer d'en avoir plus. Le fond des récits est natu-
rellement connu : j'ai déjà eu occasion de dire ici qn'on ne trouve plus de
contes absolument nouveaux ; mais les traits propres à chaque version nouvelle
ont toujours de l'intérêt pour la science. Le grand charme du recueil est dans
cette sincérité complète dont je parlais tout à l'heure ; on croit entendre parler
quelque bonne femme de Venise en lisant les contes de M. Bernoni : toute
la saveur du langage populaire a été conservée avec le soin le plus heureux \
G. P.
I. M. B. a encore publié un petit recueil (24 p.) de Leggenie fantastiche veneziane ■.
il les distingue avec raison des contes populaires proprement dits.
PÉRIODIQUES.
I. Revue des langues romanes V, 2. — P. 237, Le mémorial des Nobles
(suite). — [P. 275, Alart, Observations sur la langue du roman de Blandin de
Cornouailles. En publiant pour la première fois ce médiocre roman, j'ai signalé
diverses rimes imparfaites en provençal, par ex. dich et nuech aux vers 47-8,
comme possibles en catalan [dil-nii). J'en tirais la conclusion que le poëme a pu
être composé par un catalan qui se serait efforcé d'écrire de son mieux en proven-
çal. M. Alart s'est appliqué à combattre cette conclusion, à laquelle du reste
je n'attachais aucune importance. Selon lui, les rimes précitées des vers 47-8
seraient les seules absolument catalanes du poëme, et naturellement ce ne serait
point assez pour lui assigner une origine transpyrénéenne. Je n'y contredis nul-
lement. M. A. conjecture en terminant que le poëme en question aurait été écrit
dans Je Languedoc. C'est possible, mais je n'en vois aucune preuve. Le travail
de M. A. est du reste exécuté avec le soin le plus minutieux, et ce n'est point
sa faute s'il n'est pas arrivé à des résultats plus positifs. — P. 305, Alart,
Documents sur la langue catalane des anciens comtes de Roussillon et de Cerdagne
(suite). Ce sont, comme précédemment, des ordonnances et des tarifs de péages,
oij il y a beaucoup à prendre pour la lexicographie catalane. P. 3 1 1 M. A.
suppose que dans teyer (lat. tenere) l'omission de Vn « ne provient que de
l'omission du trait qui doit marquer les « et m », et il ajoute que ces « négli-
gences » existent dans la majeure partie des anciens mss. catalans : explication
bien peu vraisemblable lorsqu'on voit le cas auquel elle s'applique se reproduire
régulièrement en des circonstances et en des lieux déterminés. Il s'agit ici d'un
fait de prononciation qui consiste en ceci que dans la région des Pyrénées le
son n (ordinairement nh en prov., lat. ni en hiatus et gn) se réduit à la semi-
voyelle i ou y . Ainsi, dans -les textes même publiés par M. A., on lit seyor
p. 3 14 (prov. ien/io;), ro}'o/u7/ p. 324 (prov. ronhonal), seyal p. 325 (prov.
senhal), peyorat p: 326 (prov. pcnhorat). Cette particularité dialectale s'étend
assez loin vers l'ouest, puisqu'on lit dans le cartulaire de Saint Pierre de Lézat
(au sud du département de la Haute-Garonne) sehor pour senhor. P. M.J —
P. 331, C. Chabaneau, du z final en français et en langue d'oc, commencement
d'un travail fort intéressant, que nous apprécierons mieux quand il sera terminé.
— P. 34O; A. Boucherie, Ktymologics françaises et patoises (suite). M. B. n'admet
qu'un petit nombre des critiques que j'ai adressées à son précédent article (Rom. III
116); mais je ne puis que les maintenir contre ses objections, en faisant seulement
420 PÉRIODIQUES
remarquer que tramât donne traime au m. â., et que m^r^r ne vient pas de mactare ;
\e p n'est pas traité de nièmc aprt-sr et après x; corrccur est incontestablement un
atlaiblissc'iiicntdeforroci^r : reste à savoir si j'ai eu tort de ne pas admettre d'affai-
blissement semblable dans V Alexis. M. B. nous offre cette fois les étymologies
suivantes : mousse (des liquides) = "mulsa, oinccs (patois de l'ouest, Rabelais;
griffes d'après tous les commentateurs et M. le comte Jaubert, jointures d'après
M. B.) = junctas, orgueillir (hypothétique, d'où orgueil) = ' adrecolligerc,
ronjler = * rhombulare, rouiller = * rubiculare et * rodiculare, souiller = ' suculare
(de sucula), toucher = *tudicare, tusta (prov. mod., frapper; = tusitare, tréteau =
transtellum. Cette dernière étymologie a déjà été donnée par moi (notes sur
Diez, Anciens Glossaires romans, trad. A. Bauer). Parmi les autres, les trois
premières sont d'une invraisemblance qui saute aux yeux ; les cinq dernières,
sans être évidentes, sont ingénieuses et soutenables. M. B, a été bien malheu-
reux avec le mot preux, auquel il a péniblement cherché trois étymologies,
probus, providus et prox (!). Ce mot n'en a qu'une, qui est le prod contenu
dans prod-est, décomposé en est prod (de même sum prod, fuit prod, etc.), d'où
à la fois prou dans le sens nominal de « profit » et dans le sens adverbial de
« en abondance », et prod, puis proz, preux, dans le sens adjectival de utilis,
comme disent les textes bas-latins (c'est pour cela que prod preux n'a pas à vrai
dire de féminin). Les quelques scrupules que Diez conserve sur cette dérivation
peuvent être regardés comme excessifs ; Littré ne l'a pas examinée assez sérieu-
sement. En passant, M. B. reproduit une observation qu'il a déjà faite, et qui
me paraît juste et intéressante ; c'est que les anciens mss. n'écrivent jamais \'h
initiale, dans les mots où elle est muette, après /', d', etc. (lome et non IJiome,
doncur et non dhoncar). Cependant les noms propres comme Lhèritier Lhôte
Dhormois semblent remonter assez haut. — [P. 354. Ch. de Tourtoulon,
De quelques formes de l'ancienne langue d'oc. M. de T. revient encore sur
la question que j'ai rapidement discutée ci-dessus p. 1 1 5-6, et invoque
des raisons théoriques en faveur de l'emploi de /; au sens du cas régime
dans le provençal parle du moyen-âge. Je répète qu'en ce sens tous les textes du
XIV" et et du XV« siècle que je connais emploient los, que ces textes n'ont pour
la plupart aucun caractère littéraire, qu'ils représentent aussi bien que possible
la langue parlée, et que je n'admettrai l'emploi de li dans le sens et au temps
indiqués, que lorsqu'on m'en aura fait voir un exemple. M. de T. termine en
disant que « M. Meyer ne contesterait plus aujourd'hui l'identité du parfait
» toulousain egui avec les parfaits actuels en en, par suite de la transformation
» de la liquide en gutturale qui se remarque dans plusieurs dialectes ». Je con-
teste absolument cette transformation et par suite l'identification proposée. Les
deux formes ont le même sens, mais non la même origine. — P. M.] — P. 3 57-
376. Jeux et sournetas du Bas-Languedoc ; la conte de Mitât de Gai est une bonne
variante d'un conte curieux, dont on a déjà une version poitevine et une franc-
comtoise ; la Pel d'Ase n'a pas de valeur, procédant évidemment du conte de
Perrault. — P. 418, A. Gazier, Lettres à Grégoire sur les patois ; Grégoire, avant
d'écrire son célèbre Rapport sur les patois, avait envoyé une sorte de circulaire
et de questionnaire dans toute la France ; on a beaucoup des réponses qui lui
furent adressées, et M. G. en commence l'intéressante publication. — P. 454,
PÉRIODIQUES 42!
C. Chabaneau, Grammaire limousine (suite). — P. 482-485, A. Montel et L.
Lambert, Chants populaires du Languedoc : annonce d'un recueil de ces chants.
— Bibliographie : P. Meyer, Recueil d'anciens textes, I (A. B.) ; Monaci, Canti
antichi portoghesi (A. R.-F.). — Périodiques (M. Chabaneau donne l'original
latin du texte relatif à la Roumanie au XVI' s. que nous avons reproduit (III
125). — Chronique. G. P.
II. Jahrbuch fur romanische literatur. N. F. I. 4. — P. 351-367,
Steinschneider, Ysopet hebraïsch, ein Beitrag zur Geschichte der Fabel im Mit-
telalter- article d'une érudition rare, et notamment précieux par les indications
qu'il contient à la fin sur les rapports de la littérature des Juifs avec celle de la
France au moyen-âge. — P. 368-382. Soldan, zum Text des catalanischen
Thierepos (voy. Romania II); variantes tirées d'un ms. de Londres. — P. 383-
385, Suchier, zur Lautlehre derStrassburger Eide; l'auteur propose d'écrire saveir
podeir deist nui seit pour savir, etc., ce qui est évidemment trop hardi, mais ce
qui indique à mon avis la vraie explication de ces formes; pour non los tanit, il
écrit lo franit (voy. ci-dessus, p. 371). — P. 385-390, Suchier, zur Metrik der
Eulalia-Sequenz : l'auteur montre, par une étude minutieuse, avec quelle fidélité
le cantique français a suivi la séquence latine qui lui servait de modèle; il
propose quelques corrections au texte pour rendre cette fidélité plus complète
encore. — P. 391-394, compte-rendu, par M. Delius, de la traduction du
Colombo de Lope de Vega par Rapp. — Mélanges, p. 395-6. M. Stratman
relève trois fautes de lecture dans d'anciens textes anglais et pose aux lecteurs
trois questions d'étymologie anglaise. — La livraison se termine par la biblio-
graphie des années 1871-2, due pour la partie française à M. Ebert; pour la
partie italienne (remarquablement riche) à M. Tobler, pour le reste à
M. Lemcke. G. P.
III. Romanische Studien, I, 4. — Toute la livraison est occupée par le
commencement de Girbcrt de Metz, publié par M. Stengel d'après le ms. fr.
19 160 avec les variantes de plusieurs autres. Ce morceau comprend environ
2500 vers et est fort intéressant. M. St. s'est borné, sauf pour les premiers
vers, à donner les variantes sans établir un texte critique. On ne pourra le
faire d'ailleurs que quand on sera bien d'accord sur la classification des manus-
crits. M. St. annonce à ce sujet un travail d'un de ses élèves, M. V^ietor ; il
n'avait pu connaître encore l'importante étude de M. Bonnardot dans le dernier
n° de la Romania. — En parcourant le texte de M. St., je n'y ai remarqué, à
part un certain nombre de fautes d'impression (surtout dans la ponctuation), que
quelques légères méprises. Avois (p. 505 et ailleurs) n'est pas une exclama-
tion; il faut lire A vois escrie. Comment le même mot est-il imprimé (p. 557)
Vaulparfonde et vaul parfonde? Le v. 1 de la p. 522 a été mal compris : il faut
a delis et non Adelis. Les formes sou, mou (pour son, mon) reviennent trop sou-
vent pour que j'ose les attribuer à une mauvaise lecture ; mais elles m'étonnent.
— Les variantes sont disposées d'une manière commode et intelligente. — G. P.
IV. The Educational Review of thp french L.\nquaoe and Litera-
422 PÉRIODIQL'ES
TURE. N" III '. — P. 2-15, G. Masson, Fiench mtdiatval Romances; court
résumé des travaux sur le cycle carolingien. — P. 16-20, A. H. Keane, Philo-
logical note on Être : article très-faible où l'auteur combat l'opinion qui tire
esteic (fr. mod. étais) de estre et non de stare, sans bien se rendre compte des
arguments pour et contre. — P. 27-29, Notes and Queries. — P. 29-ji, article
signé A. L. M. sur la Vu de S. Alexis. — P. 31-36, reproduction d'un article
de la Revue critique sur certaines questions philologiques soulevées par le dernier
roman de Victor Hugo.
V. MrâioinESDE LA Société de lingufstique de Paris, 11,4. — P. 320, Note
supplémentaire sur fagne, fange, hohe venn ; M. Grandgagnage revendique la
priorité pour l'étymologie de ces mots (goth. fanja), proposée de nouveau par
M. d'Arbois de Jubainville dans les Mêm. de la Soc. (II 70).
VI. ZeITSCHUIFT FÛn VERGLEICHENDE SPRACHFORSCHUNG, N. F. I, VI.
— P. 481-^48, A. Hasfelin, Abhandlungen iiber die romanisehen Mundarten der
Siidwestschweiz . Ce deuxième article comprend la suite de la phonétique et
les flexions. Je continuerai d'abord à relever les mots qui appartiennent au
français, mais sans répéter ceux que j'ai indiqués dans mon précédent compte-
rendu :
appyodi 484, — dme, ^ma 487, — imita 491, — irrita 491, — mérita 491,
— ron, ronde 491, — caritâ 491, — frère 491, mère, 491, — père 491, —
avido 493, — humide 493, — solido 493, — tyedc 493, aire 496, — ciel 497,
respecta j[C)-], — abstcni 508;
corporance, p. 481, doit plutôt être du français neuchâtelois que du patois
(comp. premier article p. 306 et 307). Mais l'auteur n'en prouve pas
moins par cet exemple ce qu'il veut prouver. — Pourmon,p. 481, devrait égale-
ment avoir sa place dans les voyelles, p. 327, comme exemple de Vu se main-
tenant en position hors de la syllab3 accentuée. — Orma , p. 481, qui
aurait dû avoir une traduction française, est bien remarquable parce qu'il
a conservé son genre latin, en prenant la terminaison du féminin. On peut
rapprocher un phénomène analogue dans le Jorat où plusieurs diminutifs de noms
d'arbres sont féminins. — Dyêbe,dydbo, p. 481, sont des formes trop faciles à
expliquer pour que je puisse les regarder comme euphémistiques. Le m.ot ne me
semble guère dissimulé et ses modifications phoniques n'ont rien d'irrégulier.
C'est le premier y qui a occasionné la chute du second, qui pourrait aussi avoir
été amenée par une simple tendance à faciliter la prononciation. — Sur soffe et
soffyc, p. 481, v. plus loin. — Livre et llvro (art. iiber), p. 481, auraient dû être
cités pr. art. p. 320 et 521, attendu que c'est un des rares mots où û devient i.
— Le mot geneulyc, p. 481, aurait plus justement sa place au bas de la p. suivante
où il est question de u se mouillant. Cf. Ascoli, Saggi tadini, n' 112. — Parmi
les exemples que M. H. donne de / mouillée, il y en a plusieurs où l'on peut
supposer une cause : dans delyon = dia lunac \'y de la première syllabe s'est
attaché à la seconde, tout en modifiant 1'^ ; dans lyagot il est né par l'influence
I. C'est le seul numéro de ce recueil qui nous ait été adressé.
PÉRIODIQUES 423
de la gutturale suivante; dans lyenceu = linteolum c'est l'y produit après t qui
a exercé doublement son influence et sur le t et sur 1'/ de la première syllabe.
Quant aux verbes va/)'ê, /'o/}'î, /<2/)'a, p. 582, volyd, p. 547, / mouillée a été
amenée par la puissance de l'analogie : certaines personnes l'avaient nécessaire-
ment par leur origine; elles l'ont transmise où elle n'avait que faire. — L'u de
cuté, ducct, p. 482, me paraît avoir son origine dans le développement d'un i,
comme nous le voyons dans pouidra (poudre). Quant à cuei, cudâ, sutd, voici
comme je pense qu'ils sont arrivés à leur forme : al donne au qui à son tour
passe à ou, puis cette diphthongue devient û, son simple qui a été traité comme
Vu latin. — Moclyi, p. 483, de mollire est impossible pour deux raisons : parce
que les dialectes vaudois et fribourgeois ne lui donnent jamais la forme inchoative,
signe infaillible des verbes qui appartenaient en latin à la quatrième, et parce que
les langues romanes d'un commun accord nous montrent que la forme primitive
avait un a. Conf. Diez EW. I. s. v. molle. — Travalyi, p. 483, de "transvallare
est aussi nouveau qu'invraisemblable quant au sens et impossible quant à la
forme. L'article de Diez sur travaglio dans VEW. aurait dû détourner
l'auteur de cette étymologie. — A l'égard de CL et GL il pourrait y avoir plus
de précision. GL, quelle que soit sa place, devient toujours /}', tandis que CL
est traité différemment, selon qu'il est initial ou qu'il est entre deux voyelles.
Dans ce cas — nous avons affaire à des mots qui en latin avaient une voyelle
brève entre la muette et la liquide — la gutturale s'est adoucie de bonne heure
de façon que CL donne le même résultat que GL. CL donnant CY, puis TY,
contredit une fois de plus ce que Diez enseigne Gr. I p. 209, quoiqu'il paraisse
avoir eu une idée du véritable état des choses. Comme il est un peu hasardé de
séparer tyould de clouer et de l'it. chiodo, j'aime mieux penser qu'il y a eu chan-
■gement de d en /, bien que phonétiquement l'étymologie donnée par M. H.
« *clavulare n soit inattaquable. Ce changement existe dans les dialectes de la
Suisse rom.ande. J'aurai l'occasion d'en parler plus à propos un peu plus tard.
Au sujet de CL devenu successivement CY et TY, il est intéressant de constater
qu'il passe finalement à TX ou X {ch fr.), comme l'a fait c devante? en français.
A l'occasion du traitement de CL, j'en rapprocherai ce qui est dit de Q\n dans
cet article même p. 500. — P. 485. La faible et si singulière résonnance
nasale qui reste de Vn dans certains cas bien indiqués par l'auteur devrait être
marquée par un signe particulier. Je propose d ou e . Elle existe aussi dans
une partie du canton de Vaud. — Nomnd, p. 485, n'est pas une forme réelle-
ment populaire. Ce serait nonnd, qui se trouve dans quelques vieilles chansons
fribourgeoises. Comp. plus bas ferma, sonna. — Motrd étant commun à toute
la Suisse romande et n'étant pas plus extraordinaire que cotd et codrc (consuere),
j'ai des raisons de croire que montra a été pris du français, ce qui est arrivé aussi
dans le Jorat, sans que l'emprunt pourtant soit parvenu à mettre hors d'usage
la forme populaire. Conf. Diez G. I, p. 221. — Dans pipionem, p. 487, don-
nant pengon, c'est le son final qui a pris place aussi dans la première syllabe.
Son introduction est postérieure à l'adoucissement du p 'en /' qui autrement
n'aurait pu avoir lieu. — Les mots tels que cold, ma. friborgà, où nous savons
que la chute de \'n est fort ancienne (Cf. Diez Gr. p. 221 et Corssen Ausspraclic
etc. I, p. 2 ^ 1 ), ne devraient pas faire partie de ceux où IVi est tombée dans la période
424 PÉRIODIQUES
romane. — ContreUyl, p. 488 par dissimilation, de mèmt que colidor, parce que IV
finale est très sonnante. — Il n'y a rien que )c sache, là où il est question des
voyelles, sur u = / dans crubyd. — Pousse, p. 488, On connaît en latin le pas-
sage de s à r, mais il n'est pas si vraisemblable quer passe à s. Serait-ce le cas,
nous n'en aurions ici que faire : pudra ou pouidra est formé clairement de l'accu-
satif, tandis que pousse est la forme du nominatif (que nous avons dans le prov.
pois) à laquelle on a ajouté, tout comme à orma de ulnius, à granta de grandis,
la désinence féminine a. Pour ce qui est de poussière, si ce n'est pas un dérivé
du nom. puhis, j'y vois le même changement de r en 5 que dans chaise. Conf.
Diez Gr. I, p. 239 et 454 et EW. Ile s. v. poudre et chaise. Dans besicle Ile je
reconnais le changement de 5 en r et non l'inverse. Car je ne pense pas que les
étymologies proposées puissent se soutenir sérieusement. — Bri, berceau, p. 488.
Je doute que l'étymologie proposée par Diez puisse satisfaire les philologues. Si
formellement elle convient à berceau, il n'en est pas de même pour bn et les
autres mots correspondants cités s. v. bercer EW. Ile. — Diez Gr. I p. 223,
fait remarquer avec raison que r est le plus mobile des sons. Mais sa mobilité
est particulièrement fréquente après la voyelle é {e muet). Les exemples cités par
M. H. confirment bien ce que j'avance: fremazo , guernd [granare), guërni
et grénî (granarium), gueryon au lieu de grëlyon, pree (pirum Jorat péré, Gruy.
pré), — Dans dtmîcro, mabre, p. 488, il y a chute de l'r par dissimilation. —
Dans gdchon il n'y a pas eu élimination pure et simple de l'r, mais assimilation
à f ; de là c/î et le prolongement de 1'^ bref. — Coésa {course) p. 489 avec le
signe de Vo fermé est une inconséquence ou une erreur, si je le vois pourvu
d'une marque qui manque aux autres mots dont la phonétique doit être la même.
— Dans Icrgic, p. 490, c'est l'r finale qui s'est portée sur la première syllabe,
comme dans pcngon la nasale. — A propos de l'épenthèse de l'r, je ferai ici une'
observation qui montrera qu'elle n'a pas lieu au hasard. On peut pour les dia-
lectes de la Suisse romande formuler la loi suivante : étant donné muette + /,
la muette de la syllabe précédente se fait suivre de r. C'est ce qui ressort des
exemples donnés : broiye, dreubyc, drobyd, etrabye, trabye. — Voar, p. 490, pour-
rait bien être autre chose que le latin vas et r appartenir au radical. Ainsi donc
l'addition de l'r à la fin des mots et dans leur intérieur serait plus restreinte et
plus réglée qu'il ne paraît au premier abord. Dans branda {lov3.\brenta),^. 491,
il est peu probable qu'il y ait eu adoucissement de t en d. — Modâ de mutare
est phonétiquement impossible, premièrement parce que û se serait conservé et
ensuite parce que t serait tombé. Comp. moud un peu plus bas. Il vient de
molare ou de movitare : car dans les fréquentatifs il a plus souvent persisté, soit
tel quel, soit comme d. — Pyedeyî, p. 491, répond au fr. plaidoyer; il ne vient
donc pas de * placitare, mais de * plac{i)ticare. — Dans callrc de cathedra p. 491,
/ ne vient pas directement de th dont la valeur a été celle du t, mais il y a eu
adoucissement préalable en d. V. Diez, Gr. I, p. 235. Le changement de / en /
dans l'mon pour t'tnon, dont M. H. ne doute nullement, est encore plus invrai-
semblable, parce qu'il est initial. Conf. Diez EW. II b, s. v. leme. — Au lieu
de dire brièvement que t dans /rare a été syncopé, il vaudrait mieux indiquer
qu'il s'est adouci auparavant en d. — Bouuro (butylum) àebouiro, p. 491. M. H.
pense que Vi est venu remplacer la dentale tombée. Vi latin n'a-t-il pas pu
PÉRIODIQUES 425
persister après la chute de la dentale et ensuite former diphthongue avec u Ml y
a en latin trop peu de mots semblables pour confirmer ou faire rejeter ma suppo-
sition — Frère, mère, père, p. 491, sont pour trois des dialectes des formes
françaises ou à demi francisées qui ne prouvent pas ce qu'elles veulent prouver.
Dans les différentes formes venant de petra, p. 491, il n'y a pas d'i (y) intercalé
et je ne vois que le développement normal de Ve bref. Comp. 305. — Dans
poueri, dont il serait plus juste d'écrire comme équivalent latin putrere (que l'in-
choatit putresare donne bien le droit de créer), il n'y a pas non plus à'i inter-
calé devenu e. C'est la même diphthongaison dont il est question p. 327. —
P. 492. Il n'est pas exact de dire que ci se durcit parfois dans le corps des
mots en t. Cela arrive au d final comme en provençal et, comme ce sont des
adjectifs, le masculin a une influence sur le féminin. C'est ainsi que je m'explique
crute, nute, granta, verte (ce dernier peut-être du français). — Evite, p. 492,
à'invidia est au moins irrégulier. Outre le durcissement assez invraisemblable de
d en t, il présente Vatropiiie de la syllabe accentuée (cette atrophie se retrouve
d'ailleurs dans le pr. eveja). Peut-être l'y posttonique a-t-il déterminé le main-
tien de \'i dans la syllabe précédente. — Megagnî, p. 492, de minus dignari est,
malgré le rapprochement de dcgaigni dans Bridel, bien douteux. En effet dcgai-
gnî ou dcgéhi, comme on dit ailleurs, est composé de de + gaignt, qui signifie
regarder. Conf. de-spicere. Dignan est déni dans le Jorat avec e fermé, ce qui
est une raison de plus contre l'étymologie proposée. Le sens du mot que M, H.
a oublié de donner ne permettrait-il pas de le rapprocher de magagnare} Conf.
Diez EW. s. v. magagna. — Crouye, p. 493, ne saurait venir directement de
crudus. V. Diez EW. II a s. v. crojo. — Morgè p. 493 {mordebat) doit être
rayé de la liste des exemples qui servent à prouver que d peut devenir sifflant,
car c'est de mordia, avec un rejet de l'accent sur la finale fréquent d'ailleurs dans
la Suisse occidentale, que part la forme donnée. Nous y avons le développement
bien connu ded + y. Dans les autres exemples, sans vouloir absolument rejeter
l'explication fournie par M. H., nous avons peut-être des formes produites par
l'analogie, comme il arrive si souvent dans les verbes. — Bad (baptizare),
p. 494, me paraît susceptible d'être expliqué autrement et, à mon avis, d'une
manière plus probable. Si ? et z s'étaient réunis de très-bonne heure, 1'/ n'aurait
aucune raison d'être. On a eu d'abord batesi (comp. le fr. baptiser) puis batsi ou
batxi. La ressemblance du traitement de tz avec celui de et dans depaeî est donc
plus fortuite et apparente que réelle et véritable. — P. 494. Des exemples de s
se durcissant en s on peut facilement tirer une loi qui s'étend également dans le
canton de Vaud. Ce n'est pas au hasard que s remplace s, mais il y a ou assi-
milation ou combinaison de deux sons pour en former un seul. Ainsi s = rs et
rç dans coôla p. 495, gâehon p. 488, mais il est pour s -^ y t\. quelquefois s +
u dans le, qui n'est pas sie simplement, car ce serait se, mais sic est, c'est-à-dire
se e; dans soui, sôé, chouai, soei, si; lorta , qui a probablement eu autrefois une
diphthongaison, suorta , puis syorta et enfin sorta; !eso,desyo comme M. H.
aurait dû écrire, et lo lonno (le sien) ; soud soé, qui, de même que sd et seur se
prononcent vraisemblablement en une syllabe ; lojfe et soffye oh y s'est attaché à
Vs, soit en persistant soit en tombant après Vf; groseur, qui paraît avoir ren-
426 PéRlODiqUES
fermé un élément guttural; paseu oh la terminaison répond au latin — atonum.
Cretre, p. 495, pour prouver que la combinaison sr n'est pas supportée par les
dialectes neuchdtelois, n'est pas bien choisi, mieux aurait valu prendre Urc
{'essere), car entre de crescere a subi d'autres modifications que l'insertion
d'un / entre i et r. — Pourquoi pyi'-re, p. 496, n'est-il pas expliqué
comme fêre (faccre), c'est-à-dire qu'on a accentué pldccre et qu'il y a eu vocalisa-
tion de la gutturale? — Fare, p. 496, ne peut venir facilement 6e fjcere, à moins
que Va ne soit le successeur naturel de \'e ouvert dans le dialecte auquel le mot
appartient. Ou faudrait-i! admettre un infinitif reformé sur la première avec
pleine terminaison? — Dans djii (jocus) \'i qui s'est développé de la gutturale
n'a pas été rejeté purement et simplement, son influence s'est fait sentir au con-
traire, car u + i donne ù. — Dans ganibc, p. 497, il n'y a pas eu, comme
pense l'auteur, échange de ^ avec c, mais quand la gutturale s'est modifiée pour
devenir palatale, elle était déjà arrivée à g. Comp. it. esp. cat. prov. gamba et
V. Diez EW. s. v. — P. 498. A propos de lyi (Icdus) l'auteur dit que dans
ce mot deux i étant venus à se rencontrer, le premier est devenu )'. Sans doute
que c'est le français qui l'a amené à une interprétation semblable de la semi-
voyelle, sans qu'il ait examiné d'assez près le latin, car Itctus doit donner
d'abord régulièrement leyt, puis Vy, qui est un son si mobile que je le compare-
rais volontiers à l'huile, s'est joint à 1'/, et ce n'est que plus tard, par son
influence progressive et régressive, que lyeyt est devenu lyi. — P. 498. Sur les
formes telles que cacl [coactare), depacl (dispactare ou * de expactare) , empacï
{impactare), jraci {' fractare), fycci (flectere), v. Ascoli, Saggi ladini, note i du
n° 172. — Sur fege (ficatam), p. 498, j'ai la même remarque à faire que sur
gambe. Il n'y a pas eu passage de c à g, mais, quand la gutturale a commencé
à devenir palatale, elle était déjà adoucie en g. — P. 498. C'est sans doute une
inadvertance de donner comme étymologie de essare ' exsucare au lieu de exsugere.
— P. 498. Il n'est pas juste de dire que dans le groupe L'C c devient g, car
dans pugâ (pullicenus) c était devenu g quand il a subi la seconde modification.
Il en est de même dans megi, pàgi, vagi, cargi, for gi, forge (mais ces deux der-
niers viennent peut-être du fr.), mots qui ont perdu une syllabe après avoir
auparavant adouci le c en g. Epanêi, si l'origine proposée est assurée, serait
irrégulier. — Sur T'C comp. Ascoli, Saggi ladini, note 2 du n° 168, où le
savant professeur donne d'ingénieux éclaircissements. — Sous la rubrique se,
p. 499, on peut voir combien il est fâcheux de confondre les habitudes ortho-
graphiques avec les sons. Car dans pesson et ransinole la simple s et \'s redou-
blée ont la même valeur. L'ordre aurait demandé que moce et autres mots
semblables eussent précédé. — Dans cnôtre (cognoscere) p. 499 il y a plus de
phénomènes réunis que l'auteur ne paraît le supposer. — P. 499. Sous la
rubrique i^u je rencontre ego {acqualis) qui est probablement un mot d'introduc-
tion postérieure (comp. evoue à la suite), sans nier que le mot latin ait pu
prendre cette forme. Dans la Suisse romande le mot qui le remplace est parey.
— Les formes du mot aqua, p. 499, ne sont pas expliquées aussi nettement
que possible. Il faut admettre d'abord pour toutes l'adoucissement du ^ en g
qui est suivi d'un a semi-voyelle que j'aimerais mieux marquer, comme les
PÉRIODIQUES 427
Anglais, par w. Comp. sur \'u latin Corssen, Aussprachc etc. I, p. 75 ss.
De plus la gutturale en peut développer devant elle une autre qui se vocalise.
L'influence de ce nouveau son s'exerce progressivement et régressivement. Car
nous avons partout à la finale un e muet, et où l'a, si ce n'étaif l'}», pourrait
paraître, il ne se montre pas. Les formes evouc, dvc et cve ont suivi la marche
suivante : dans cvoue le son que Vu avait en latin s'est conservé, mais a fait
tomber la gutturale comme dans lenwa, mwâ ; dans âve et eve la semi-voyelle
s'est endurcie en v. Conf. wardd et l'allemand warten. Dans êgue, le g s'est
conservé, mais Vu est devenu muet. — Je vois une expression trop souvent
employée par laquelle l'auteur ne donne pas une idée très-claire de ce qu'il
pense : chute de qu et remplacement par i. De la gutturale s'est développé un y
qui est i dans les diphthongues. Est-il donc juste de dire que dans coure [coqucre
qui succède à couere il y a eu chute de la seconde voyelle de la diphthongue.?
Peut-être y a-î-il eu contraction (comp. lat. munus plus vieux moenus). — La
rigueur des lois phonétiques ne me permet pas d'assigner à coui la même origine
que M. H. qui le rattache, en faisant pour lui seul une exception, tout directe-
ment à gui interrogatif latin. Quoique cela ne paraisse plus dans l'emploi, j'y
vois un datif, justifié d'ailleurs par plus d'un cas dans les langues romanes. En
effet, si coui venait de qui latin, Vu serait certainement devenu muet, tandis que,
après c, il se conservait ou pouvait se conserver. Conf. coalyi, p. 485. — Cane,
p. 500, de quercinus est bien problématique, comme je l'ai déjà dit. Il en est de
mê.me de cacon. — Dans ncvoud, p. 500, il n'y a pas eu d'hiatus après la chute
du g, à la suite duquel par une fausse analogie s'est glissé un u. Vou (w) a fait
tomber le g. — Dans /ou de fau (fagus) p. 500 je suis peu porté à admettre
celle des explications de Diez à laquelle M. H. se range. Je pense bien plutôt
que le son de Vu qui a dû être ici le même que dans aqua a fait tomber la gut-
turale. — Sur Icnvoua p. 501, v. la remarque précédente. ^- P. 501. Dans la
combinaison gn il est bien plus simple, ce me semble, d'admettre la vocalisation
de g en }', sans qu'il y ait eu métathèse des sons originaux. Je crains que parmi
les exemples donnés la plupart ne viennent du français. — P. 502 A. P. Il
semble qu'il serait plus rationnel de commencer par la règle générale avant de
parler des exceptions. — Dans prcvon, p. 503, il conviendrait mieux de regarder
le V comme introduit postérieurement pour éloigner l'hiatus. Comp. triolet. —
V, dit l'auteur p. 504, aime souvent à se faire suivre de ou dans les mots d'ori-
gine latine, mais il faudrait un autre exemple que vouêpc, puisque celui-ci répond
exactement à guêpe. Conf. Schuchardt Vocalismus II, p. 501. — Les flexions
des substantifs, des adjectifs et des pronoms seraient bien simplifiées à l'œil par
de petits tableaux synoptiques, l'impression du journal ayant le grave défaut de
ne pas distinguer les exemples du texte proprement dit. Je regrette que fauteur,
si bref dans la phonétique, le soit encore plus ici, où il s'abstient de tout com-
mentaire et où nous sommes réduits à une simple énumération. Ainsi, dans les
conjugaisons, il manque tout ce qui pourrait nous faire connaître les particula-
rités de l'accentuation, s'il y en a, comme je suis tenté de le supposer. — Nous
avons souvent contredit l'auteur, mais son travail n'en est pas moins fort remar-
quable, si l'on tient compte des grandes difficultés avec lesquelles il a dû lutter
pour l'étude de dialectes qui n'ont que fort peu de documents écrits. On lui
428 PÉRIODIQUES
sera sûrement reconnaissant d'avoir analysé un langage qui est à sa dernière
heure'. J. ConNf.
II, 2. — P. 190. Long article, très-approfondi et très-intéressant, de M. Schu-
chardt, sur d'Arbois de Jubainville, la déclinaison latine en Gaule, dont il repousse
les conclusions comme tous les critiques; d'Ovidio, pour lequel il est moins
sévère que MM. Tobler et Mussafia; et Sievers, Quaesliones onomatologicae {Act.
Soc. phil. Lips. II, 55-106), ouvrage où quelques points intéressent la philologie
romane.
VII. Transactions of the philologica.l Society fou 1875-4. —
\Thiril annual Address of the Président to the Philological Society delivered al
the aiiiversary meeting, Friday i jth may 1874, by Al, J. Elus. Depuis trois
ans M. Ellis, agissant sur une suggestion de Goldstùcker, son prédécesseur
à la présidence de la Société philologique, présente chaque année un
rapport collectif sur le progrès des études linguistiques. Ce rapport
est composé d'une série de chapitres distincts correspondant aux diverses
branches de la science, et ayant chacun son auteur. Cette année les philologues
dont M. Ellis a groupé les contributions sont M. Aufrecht pour l'étrusque,
M. Sayce pour l'assyrien, M. Gaidoz pour le celtique, M. W. Wagner pour le
grec-moderne, M. R. Ellis pour le latin, M. P. Meyer pour les langues
romanes, M. Sweet pour les langues germaniques. A ces rapports particuliers le
Président a joint, indépendamment d'une introduction générale, trois courts
essais sur la prononciation du grec, sur celle du latin, et sur le Dictionnaire de
Pott. L'ensemble forme un document réellement intéressant et d'une lecture
facile, encore qu'aucun des auteurs n'ait reculé devant des explications tech-
niques lorsqu'elles étaient nécessaires. Le rapport sur les études romanes est le
plus long de tous: il a 32 pages, c'est-à-dire près du tiers de rjû'r«5f entière. — P,M.]
P. J 3 2-4 5 , H. Nicol, An account of M. Gaston Paris' s mcthod of editing in his Vie de
saint Alexis. Dans cet article, M. Nicol résume avec une très-grande clarté les
principes qu'a suivis l'éditeur de r/l/a75, tant pour la critique des leçons que pour
celle des formes. Il termine par des réflexions judicieuses sur les dangers que
pourrait avoir cette méthode si on l'appliquait à tous les textes. Même dans
l'édition qu'il apprécie avec tant d'indulgence, il regrette que l'opinion de l'édi-
teur, sous forme d'un texte constitué, se place entre l'esprit du lecteur et la
leçon des mss. ; il y a du vrai dans cette objection, mais M. N. en tire lui-
même la conclusion que des photographies sont le seul moyen de satisfaire à des
scrupules si méticuleux. Rien ne peut être plus agréable à un auteur que de se
voir si bien compris et interprété ; mais je serais particulièrement heureux si le
mémoire de M. Nicol pouvait contribuer à répandre en Angleterre les principes
de critique que je me suis efforcé d'appliquer en France. G. P.
VIII. NOBDTSK TfDSKRIFT FOR FiLOLOGI OG P.^D.A.GOGIK. N. R. I. —
J. Storm, Remarques à l'occasion des Saggi ladini d'Ascoli. Après avoir donné
i. Depuis que cet article est écrit, le travail de M. H. a paru à part (Berlin, Weid-
mann) ; il est regrettable que l'auteur n'y ait pas joint un index.
PÉRIODIQUES 429
une idée du sujet du livre de M. Ascoli et du plan qu'il a suivi, M. Storm
résume les lois que le savant italien a établies pour les voyelles dans le domaine
ladin. II ne se borne pas à un abrégé mécanique : il intercale constamment dans
son analyse des observations dont plusieurs sont tout-à-fait intéressantes. M. St.
termine ainsi : « J'espère que mes remarques sur l'ouvrage d'Ascoli pousseront
nos romanistes à lire le livre lui-même : ils y trouveront des matériaux étendus,
rassemblés avec un travail immense, et traités avec une science et une pénétra-
tion admirables. »
IX. Ateneo, vol. I, fasc. 9. — Ce fascicule contient un article court, mais
intéressant, de M. Caix sur le mémoire de M. Storm Sur les voyelles atones du
latin, des dialectes italiques et de l'italien (voy. Romania II, 375); M. C. fait à
M. Storm quelques critiques assez sévères et qui ne nous ont pas toujours
paru fondées (son explication de desiare p. ex. est extrêmement douteuse), mais
il n'en rend pas moins justice au mérite de son travail et il engage ses compa-
triotes à entrer dans la voie ouverte par le jeune professeur de Christiania.
M. Caix a publié il y a deux ans la première partie d'un travail étendu sur les
dialectes italiens où il y a beaucoup de mérite, et dont nous attendons la
terminaison pour en rendre compte avec le soin dont il est digne.
X. Bibliothèque de l'École des chartes, XXXV, 1-2. — P. 1-56,
P. Viollet, les Enseignements de saint Louis à son fils; dans ce travail excellent,
M. V. démontre que les phrases et membres de phrases qui se trouvent dans le
texte des Enseignements fourni par les Chroniques de S. Denis (et reproduit par
Joinvillej et qui manquent dans l'abrégé de Beaulieu et dans le texte complet, ne
peuvent provenir d'un texte original plus complet encore : en effet, à l'exception
de ces phrases, les Chroniques de S. Denis reproduisent l'abrégé de Beaulieu :
si elles avaient eu à leur disposition un texte complet, elles y auraient sûrement
puisé, outre les phrases litigieuses, quelqu'une de celles que Beaulieu a suppri-
mées et qui se trouvent dans le texte complet connu : or c'est ce qui n'a pas
lieu. M. V. conclut donc à la non-authenticité de ses phrases, qui lui paraît
d'ailleurs résulter aussi de preuves internes. A l'occasion de ces recherches,
M. V. a mis au jour un très-important ms. des Chroniques de S. Denis (B. N.
Fr. 2615), qui avait échappé jusqu'ici à la critique. Ce ms. contient une
rédaction antérieure à la canonisation de S. Louis (1297). M. V. montre que
c'est dans un texte très-voisin de ce ms. que Joinville a connu les Chroniques de
S. Denis, qui sont le romant dont il déclare s'être servi pour son ouvrage. Ce
texte contenait déjà les phrases interpolées dans les Enseignements. — P. 92-98,
L. Pannier, Notice d'un ms. d'Hayton récemment acquis par la B. N. : ce ms.,
coté nouv. acquis, fr. 886, exécuté en Espagne au XI V"^ s., vient s'ajouter aux
trois que nous possédions déjà; il est légèrement incomplet et contient de
curieuses miniatures; le copiste espagnol a souvent maltraité son texte, mais il
avait sous les yeux un bon original. — Bibliographie : P. Meyer, Recueil
d'anciens textes, I (Léopold Pannier). — Mélanges : Jehan Priorat de Besan-
çon, traducteur de Végèce, article intéressant de M. Ul. Robert sur ce poète,
placé par erreur au Xll" s. par V Histoire littéraire (t. XV), et que M. R. restitue
4^0 PÉRIODIQUES
à la fin du XIII' : il s'est borné à mettre en vers la traduction en prose de
Jean de Meun Ci 284) : son ouvrage mériterait d'être étudié de près au point
de vue philologique. G. P.
XI. ZEiTSCiiniFT FUR DIE ( Ï^STEnREiciir.sciiEN Gy.mnasien 1874, II et m.
p. 1J4-62, W. Fœrster, compte-rendu de l'édition du roman de Durmarl le
Calois publiée pour la société littéraire de Stuttgart par M. G. Stengel.
M. Fœrster, qui avait lui-même préparé une édition de ce poème tandis que
M. Stengel imprimait la sienne ', était dans le cas présent mieux que personne
en état de remplir le rôle de critique. Il l'a rempli de façon à satisfaire pleine-
ment le lecteur de Durmart et l'éditeur même de ce poème, qui ne pouvait sou-
haiter un réviseur plus compétent. L'article de M. F. contient en effet une com-
plète révision du texte de M. Stengel et le corrige en plusieurs centaines de
passages, soit en rétablissant la véritable leçon du ms., soit en proposant des
conjectures. L'appréciation générale qui résulte de cette critique est à peu près
celle que nous a suggérée l'examen d'un précédent ouvrage du même auteur 2,
à savoir que M. Stengel connaît fort bien la bibliographie des ouvrages du
moyen-âge, mais qu'il s'entend beaucoup moins à la critique des textes.
P. M.
XII. Revue de Gascogne. 1873, novembre. P. 518-27. L. Couture, L«
origines des tangues romanes et M. Cramer de Cassagnac ; article excellent où la
mesure de la forme n'enlève rien à la netteté des conclusions. — 1874, mai.
P. 220-7. L"- Couture, Quatre actes en gascon navarrais du XIV' siècle. Ces actes,
de 1350, 1578 et 1379, sont bien édités et commentés. Dans le second, trëtz,
qui a embarrassé M. C. (un trëtz de terre), est le mot qu'on rencontre fréquem-
ment dans les documents béarnais sous la forme îr^ui, avec lesens de « parcelle ».
La pièce de 1378 est curieuse par son objet : c'est le reçu d'un anneau d'or
enrichi d'une pierre précieuse ayant pour les yeux une grande vertu. L'emprun-
teur s'engage, à faute de restitution, à payer une somme de 50 florins d'or.
XIH. Zeitschrift FUR DEUTSCHES Alterthum', N. F. V. 8. — P. 141
146, Dùmmler, Gedichte vom hofe Karls dcr Grossen, cinq pièces intéressantes (l'une
de Charlemagne lui-même, ou en son nom), tirées d'un ms. du VIII« siècle; IV,
3, 1. cernue, 13 nos (?), 21 de cuspide. — P. 415-425, Article de M. Studemund
sur le Dolopathos de M. Oesterley, ajoutant de nombreuses corrections à celles
qui ont été faites par M. Kœhler et moi. G. P.
XIV. Germania, XIV, 2. — P. 184-189, Kœlbing, Bruchstiick einer Amicus ok
Amilius Saga; faite au XIII' siècle d'après le texte latin abrégé tel qu'il est dans
Vincent de Beauvais.
I. Voy. Romania II, 142.
2 Voy. Romania I, 249.
5. Depuis la mort de Haupt, ce recueil est dirigé par MM. Mùllenhoff et Steinmeyer.
PÉRIODIQUES 431
XV. Aleman-via % II. — p. 33-50, N. Delius, Bego's Tod, traduction
en décasyllabes non rimes du bel épisode de la mort de Bégon dans les Lohe-
rains ; cette version possède au plus haut degré les qualités qui ont depuis
longtemps assuré à l'allemand, pour la traduction, la supériorité sur toutes les
autres langues.
XVI. Séances et travaux de l'Académie des sciences morales et poli-
tiques. Juillet et novembre 1873, mars-avril 1874. Gode/roi de Bouillon et les
Assises de Jérusalem par M. Fr. Monnier. Le sujet traité par M. Monnier étant
étranger aux études de la Remania, nous nous abstiendrons de critiques aux-
quelles la matière ne manquerait pas, mais qui ne seraient pas à leur place. —
Toutefois, si le fonds du mémoire échappe à la compétence de notre recueil,
nous devons dire un mot d'un appendice qui porte ce titre : La chanson de
Godefroi, chanson de geste inédite. C'est la continuation de la chanson de Jérusa-
lem contenue dans le ms. 12569 de la Bibl. nat. Les observations que l'auteur
du mémoire présente sur ce texte manifestent une grande inexpérience de notre
ancienne poésie. M. M. suppose, sans appuyer son opinion d'aucune preuve,
que cette suite de la chanson de Jérusalem est de Renaut, l'auteur (ou si l'on
veut le réviseur) de cette chanson ; il attribue donc la continuation dont il s'agit
au temps de Philippe-Auguste. Puis, s'aventurant de conjecture en conjecture, il
imagine que même dans cette partie, Renaut, le prétendu auteur, n'a fait que
remanier l'ancienne chanson de Richard le Pèlerin ! Ce vers, à coup sûr de pure
formule : Car li fel patriarces ki ait courte durée, lui paraît une preuve indubitable
que « le patriarche Daïmbert vivait encore lorsque le vieux trouvère indigné
» lançait contre lui cette imprécation. » Les 70 vers, ou environ, que M, M.
a publiés de ce poème (mars-avril 1874, p. 482-3), sont reproduits avec une
extrême incorrection. Ainsi, au lieu de ce non-sens: C'en est une nouelle se la cir
ot noirchie, le ms. porte fort lisiblement : Ce n'est mie mervelle se la car etc. Plus
loin : Mais or est ele moult kreve et abaissie, lisez avec le ms. keue. — A Jéru-
salem vinrent eus di, lisez .1. josdi. Au vers suivant: a luge pristiJosi Dieu,
lisez : llutc, et // 05 Dcu ; etc. P. M.
XVII. Revue celtique, II, 2. — P. 278, article de M. d'Arbois de Jubain-
ville sur la traduction de la Grammaire des langues romanes. — P. 283, note du
même savant sur le n" 8 de la Romania (p. 505-6); M. d'A. persiste à tirer
bievre du gaulois bcber et à regarder cata comme gaulois. Nous n'avons jamais
contesté que bcber fût gaulois, nous avons seulement montré qu'un mot sem-
blable était aussi germain et slave, et dé ce que le castor en Gaule a survécu
pendant des siècles à la conquête romaine, il ne s'ensuit pas que les Romains
ne tirassent pas leurs peaux de castor du Pont. — Pour cata, l'emploi en
roman d'une particule gauloise serait déjA bien invraisemblable, quand les
exemples donnés ici ne feraient pas voir la préposition xaTâ s'introduisant
pour ainsi dire sous nos yeux du grec populaire dans le latin populaire.
I. Recueil dirigé par M. Birlinger, et consacré surtout à la littérature et à l'histoire
populaire de l'Alsace- Lorraine.
4?2 CHRONIQUE
XVIII. Revue des SocrÉTÈs savantes, 5* série, l. VI (sept.-oct. 187?).
P. 236, P. Meyer, Rapport sur d'anciennes poésies religieuses en dialecte liégeois.
Ces poésies, adressées au comité par M. Beaune, qui les a copiées d'après
un livre d'heures du château de Grosbois fCcjtc-d'Orj se composent de huit pièces
relatives à diverses scènes de l'Evangile. Elles torment un total de 204 vers. Cinq
d'entre elles sont identiques, sauf quelques variantes, aux poésies publiées en
1865 dans ÏArchiv fiir das stiidium dcr neueren Sprachen par M. Schirmer d'après
le ms. Bibl. nat, lat, 1077. Le rapporteur a joint le texte fourni par ce dernier
ms. à celui du château de Grosbois. II démontre que l'un et l'autre texte sont
liégeois ou wallon, et présente à ce propos diverses observations sur ce dialecte
qui a servi d'expression à une littérature beaucoup plus riche que ce qu'on
pense. Ces observations se recommandent tout particulièrement aux philologues
qui considèrent l'ancienne traduction des sermons de saint Bernard, en partie
publiée par Le Roux de Lincy, comme un texte bourguignon.
XIX.Revuk critique d'Histoire et de Littérature, avril-juillet. — 56, Les
Contes et Facéties d'Arlotto de Florence, trad. p. Ristelhuber (S). — 65, Mer-
let, Origines de la littérature française (P. M.). — 7}, Darctis Phrygii de exci-
dio Trojac hisloria, éd. Meister (G. P.). — 75, La Célestine, trad. p. Germond
de Lavigne (Th. de Puymaigre). — 91 , Méray, la Vie au temps des trouvères (■]/).
— 94. Loquin, les Poésies de Clotilde de Surville; Guillemin, Clotilde de Sur-
ville et ses nouveaux apologistes ; Mazon, Marguerite Chalis et la légende de
Clotilde de Surville (G. P.). — 97, Tivier, Histoire de la littérature dramati-
que en France jusqu'au Cid (G. P.). — 109. Lope de Vega, Œuvres, trad. par
Baret (Alfred Morel-Fatio).
XX. Literarisches Centralblatt, avril-juillet. — 20, Das Rolandslied
hgg. von Bartsch. — 23, Laur, Luize Labé.
CHRONIQUE,
Dans sa séance du 29 mai, l'Académie des inscriptions a décerné à M. Paul
Meyer le prix ordinaire, dont le sujet était une étude sur les dialectes de la
langue d'oc au moyen-âge.
— M. Hermann Suchier a été nommé professeur extraordinaire à Zurich, en
remplacement de M. Grœber.
— On annonce la prochaine formation d'une Société pour la publication des
anciens textes français. Nous parlerons plus au long de ce projet dans notre
prochain numéro.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
ÉTUDE
SUR UNE CHARTE LANDAISE
DE 1268 OU 1269.
La charte dont on trouvera le texte ci-après a été rédigée par un
notaire de Gabarret (Landes). Conservée aux archives du Lot-et-Garonne,
elle a été reproduite, il y a quelques années, en fac-similé pour l'usage
de l'Ecole des chartes. C'est d'après ce fac-similé ' que je l'ai copiée.
Elle est intéressante à plus d'un titre. D'abord comme spécimen ancien
d'un dialecte dont les monuments sont fort rares. A vrai dire, je ne
connais aucun document dont la langue présente les particularités que
nous offre notre charte landaise. La région environnante, — les Basses-
Pyrénées, le Gers, le Lot-et-Garonne, la Gironde, — nous offre un assez
grand nombre de documents dont le dialecte se rapproche plus ou moins
de celui de notre charte, mais la ressemblance ne va jamais jusqu'à
l'identité. Puis, même dans les pays où les actes en langue vulgaire sont
communs, dans le nord de la Guyenne, par exemple, on ne les trouve
pas en grand nombre pendant le xiii"' siècle. Ce n'est guères qu'à partir
des premières années du xiv- siècle qu'ils commencent à abonder.
Indépendamment de ses particularités dialectales, notre charte se
recommande encore par le nombre relativement considérable des mots
nouveaux qu'elle renferme. On en trouvera la liste, avec l'aveu de mon
impuissance à les expliquer, dans le petit vocabulaire qui termine ce
mémoire. J'avoue même qu'en publiant ce document j'ai été jusqu'à un
certain point poussé par l'espoir de susciter les explications que je ne
suis pas en état de donner. De ce que les mots en question ne se trou-
vent pas dans le Dictionnaire gascon-français de feu Cénac-Moncaut, il ne
suit pas nécessairement qu'ils aient tous entièrement disparu de l'usage;
et on conçoit que des termes de la vie agricole ne peuvent guère être
expliqués avec précision qu'autant qu'une tradition vivante permet de
rapprocher l'objet de son nom.
I . N" s 59 de nos fac-similés lithographiques.
Rûmania,lll 2&
4Î4 P- MEYER
Voyelles. — La principale remarque se rapporte à 1'/ du groupe ri
en hiatus. Les exemples que nous offre notre document appartiennent
au suffi-xe -ariiis, qui, d'après moi, devint -erius dès l'époque préhisto-
rique des langues romanes, antérieurement à tous les autres cas du
passage d'à en e. Ces exemples sont les uns masculins : Ferrer 51,
capcers 13, evangelister 8, pistoler 7, Porcjuer 17, etc., les autres fémi-
nins : caudera 10, dolederas 1 1 , fauquederas 1 1 ,pruniera 25, pleneramcn 45 .
Dans les mots masculins l'hiatus résulte du contact de 1'/ du suffixe
avec une voyelle (un u) qui ne subsiste pas en roman {pistoler = epis-
tolarium). En pareil cas voici en bref ce qui arrive dans les dialectes
du midi : En Auvergne et en Quercy Vi subsiste en se transportant à
la tonique, où il prend place après Ve avec lequel il forme diphthongue.
Ainsi dans un testament rédigé à Clermont-Ferrand en 1195 : sisteirÇsex-
tarii), dineir (denarii), mosteir, soleir, columbeir ; de même dareir, deneir
dans une lettre écrite à Montferrand avant 1271 '. Mais le fait le plus
ordinaire c'est la chute pure et simple de 1'/; même en Auvergne et en
Quercy on trouve les finales en -er à côté de celles en -eir qui vien-
nent d'être mentionnées. Vers la seconde moitié du xm'' siècle, dans la
plupart des dialectes méridionaux, cette finale -er traitée à la façon de
\'ë latin; éprouve une sorte de diphtbongaison et devient -ier. Nous
avons dans notre charte plusieurs fois la finale -er, et une fois -ier
[officier j). Jusqu'ici, rien que de très-ordinaire. Mais dans les mots
féminins nous trouvons quelque chose de plus caractéristique : ils sont
en -era, sauf maneira 41 ; ailleurs ils seraient tous en -eira, -ieira ou
-iera. C'est qu'en effet !'/ du groupe ri en hiatus se conserve très-géné-
ralement lorsque le hiatus est formé par une voyelle que le roman con-
serve, telle que Va. Comme tout à l'heure, 1'/ passe à la tonique et se
fixe après Ve : d'où la finale -eira qui parait surtout dans les plus anciens
documents. Puis Ve tonique se diphthongue et ainsi se produit la finale
-ieira qui paraît de bonne heure dans le Biterrois et s'y conserve *.
Ailleurs (par ex. en Provence) -ieira se réduit à -iera. Dans notre charte
nous avons -era : Vi a disparu tout de même qu'au masculin. Voilà un
trait caractéristique des dialectes du S. 0. On le retrouve notamment
en Béarn, ainsi plenere [Recueil 58, 24), prumeraments (jbid. 29), dreytu-
reraments (ibid. ^2), etc.
2. A ce suffixe en -er, -era, est assimilé dans les mêmes dialectes le
suffixe latin -îorius, -tôria, lequel donne partout ailleurs en langue d'oc
-dor, -doira; ici c'est -der, -dera; dolederas dolatorias, voy. Du Cange),
falquederas {"falcatorias). Encore maintenant en béarnais 5 les adjectifs
1. Voir mon Recueil cV anciens textes 33, 3,8.
2. Voy. G. Azais, Introduction au Breviari d'Amor, p. cvj.
3. Voy. Lespy, Cram. béarn., § 500.
CHARTE LANDAISE 455
verbaux en -dor, -doira du provençal sont en -der, dera '. Dans la cou-
tume de Sarraguzan (Gers) je lis sabedera causa... ^ où les dialectes
voisins du nord et de l'est auraient dit sabedoira... Je ferai remarquer en
passant que la même assimilation de -oriiis à -arius a lieu en espagnol,
comme le montrent des formes telles que ca^a^ero, duradero, hacedero, etc.
Selon M. Diez (Gram. 3'-' éd., II, 555;, -dero viendrait en ce cas de
-duero. Je ne sais ce que vaut cette explication pour l'espagnol, mais je
la crois difficilement admissible pour les dialectes du sud-ouest de la
langue d'oc, où la forme -er, -era apparaît très-anciennement, sans
qu'aucun intermédiaire la rattache à la forme -or, -olra. Quant au suffixe
espagnol -orio cité par M. Diez (/. cit.) il est évidemment savant et ne
doit pas entrer en ligne de compte.
3. Il est notable que Va final atone est partout conservé dans cette
charte, sauf dans dies 5 1. Le sud-ouest de la France est la région où il
s'est le plus tôt atïaibli. On le voit en certaines chartes céder la place à
Ve dès le milieu du xiii^ siècle. Mais s'il subsiste encore ici, il n'en est
pas de même de a avant la tonique, qui est remplacé par e dans carre-
jeder 10, dolederas 11, fauquederas 11, beseguda 12, enançera (prov.
enansara) 36, dera (prov. dara) 39, bien que conservé dans reclamaran
47. Le même fait s'observe dans d'autres textes, quoique peu fréquem-
ment; ainsi dans les Fors de Béarn on lit généralement segrament {Recueil
58, 27).
4. Consonnes. — Je remarque que les gutturales et dentales pla-
cées à la fin des mots ont une tendance à se conserver plutôt avec le
son doux (g, d) qu'avec le son ion\c, i) : log 29, abescad 2, livrad, autre-
jad 5, et en général tous les participes passés. De même au plur. : eissi-
vernads \ 5, etc. Cet usage se rencontre accidentellement un peu partout,
par ex. dans Bo'cce, qui est probablement du Limousin, ou de la Marche,
ou de l'Auvergne. C'est un fait d'orthographe plus peut-être que de pro-
nonciation.
5. Rien à remarquer au sujet du c sinon que le c spirant, bien distin-
gué du z, est régulièrement pourvu d'une cédille dans l'original même,
flaçadas 1 3, Loça <,, fermanças 43, fizança 49, valença 35, capçer 13, ço
3, 38, 49, aiço 51, linçols 14.
6. Le groupe latin nd perd son d : grana 9, domanar 49. C'est un fait
1. J'emploie ici provençal dans un sens très-large. Dans le nord de la Gas-
cogne ces adjectifs verbaux sont aussi en -dor -doira (ou -duira. Ainsi je trouve
assignaduiras et apalcncnduiras dans deux documents de 1275 (N. S.) et 1:79
écrits dans le Bordelais [Archives de la Gironde, VII, 22^ et 227). D'autres
documents du même pays nous offrent avcdor, culliidot , dehvredor, vjrtidor, leec-
bedor, etc. J'ai donné plusieurs exemples de ces adjectifs verbaux dans la Bd>l.
de l'Ec. des Cli., ^, V, 214; cf. Mussatia, Jiihrb. f. rom . Liter. X, ^■j<)-So.
2. Bladé, Coutumes municipales du département du Gers, p. >-j.
4^6 p. MEYER
constant en catalan, comme Diez l'a remarqué Gram., trad., I, 219I.
On peut dire qu'il s'étend à toute la contrée des Pyrénées et à une bonne
partie de la Gascogne : il y en a des exemples nombreux, mais non
constants, dans les P^ors de Béarn ; ainsi, dans mon Recueil, manamentSS,
42; mais domandijssen, ibid., 17. Dans une charte rédigée à Orthez en
1 246 et imprimée dans mon Recueil sous le n^* 54, on trouve comanador
I ; de même encore dans le cartulaire de Saint-Pierre-de-Lézat, doma-
navon, domanar, Recueil 5i', 6.
j. b et V s'emploient parfois l'un pour l'autre, ce qui semble indiquer
une prononciation confuse de ces deux sons, telle qu'on la remarque
encore dans le nord de l'Espagne : ainsi nous avons b à la. place de v
dans abcntura 56, comhents 44 ; au contraire v à la place de b dans avid
23, 27. Maintenant le b a pris généralement la place du v dans les pays
de langue d'oc à partir de Frontignan ou de Cette environ ije ne suis
pas en état de déterminer la limite du côté du nord , mais je ne pense pas
qu'au moyen-âge la prononciation par b fût aussi nette qu'elle l'est main-
tenant ; je crois plutôt qu'il y avait une prononciation confuse qui s'est
de plus en plus déterminée dans le sens du /^ '.
8. V tombe devant u, au lieu qu'ailleurs il deviendrait g : mentaiit 44
correspond au pr. mentagut.
9. Je réserve ici un alinéa pour la forme aolha 15, 22 (aolho 16),
mais je dois dire que je ne m'en rends pas bien compte. Ovicula a donné
en prov. ovelha, oelha, ce qui ne saurait conduire à aolha.
10. — // entre deux voyelles devient r ; caperan 5, 47, 54, Bera [Bella)
16 ; el à la fin des mots et après e devient d : edÇjïle) 26, 38, ^ç),arrested
{rastellum) 12, îared {"ierellum, pour terebellum ?) 11, toned (tonnel, ton-
neau) 92. Ces deux faits sont caractéristiques des dialectes du S.-O.; ils
sont constants en Béarn et en Gascogne. Les documents vulgaires étant
très-nombreux pour cette région, il est très-surprenant que Diez n'ait
pas fait mention de permutations aussi remarquables. Les plus anciens
exemples du passage de // médial à r se trouvent dans les vers béarnais
du célèbre descort de Raimbaut de Vaqueiras dont je me suis efforcé de
donner un texte correct et critique dans mon Recueil, sous le n" 17 : on
y lit bera 26, noera 30 'lat. novella), hiera 32 (lat. 'fibella, prov. fivella)'^.
Le passage, assurément singulier, de // final en / ou d, est cause qu'on
1. Cf. Lespy, Grammaire béarnaise, § 75, qui toutefois est trop porté à croire
que ce qui était écrit v était nettement, comme de nos jours, prononcé b.
2. Dans d'autres textes on trouve des exemples de ce passage de // final en t
ou d, après d'autres lettres que Vc, ainsi cavat [caballum) est assez fréquent dans
les documents gascons.
5. La forme coror, citée par Diez {Gram. trad. I, 102, note), d'après les
anciennes éditions, ne s'appuie que sur un ms., et ne peut être correcte, c'est //,
et non / simple, qui devient r entre deux voyelles.
CHARTE LANDAISE 4^7
s'est mépris sur l'origine de capdet ou cadet, mot béarnais correspon-
dant au prov. capdel, ainsi que je l'ai dit, le premier je crois, ci-dessus
p. 316.
1 1 . r initial attire au-devant de lui un a dans arrams 2 5, 42 (ramos),
arrested 12 [rastellum) , Arrihes 45, Arrolhan 54. Cet usage 'qu'on ne
saurait trop approuver, car en supprimant l'r initial il fait disparaître une
grande difficulté de prononciation! appartient au sud de la Gascogne, au
Béarn et au nord de la Navarre'. Les exemples à''arrauha, arraubar,
arrauberia, cités par Raynouard [Lex. rom. V, 47-8) sont tirés de textes
gascons.
12. r a conservé sa place latine dans sober 50. Telle est la forme
qu'offrent tous les textes du S.-O., voy. par ex. le cartulaire de Saint-
Jean de Sorde^, n° CLXXXIII, et mon Recueil, 5-/, 11, 14; 5(V, 81,
86, où on trouve aussi enter 5(y, 16. — Cette même consonne,
de toutes la plus mobile, selon la remarque de M. Diez, se déplace dans
craba 22 (lat. capra\\ déplacement fréquent au S.-O. dans les cas analo-
gues : Sanctus Caprasius d'Agen, devient dans la prononciation locale
san Crapasi.
14. Fraire se réduit k frai 52, 53, forme constatée dès 1246 au moins
{Recueil 54, 2, 5, 4, 5). On trouve de mtme pay, may dans les Fors de
Béarn. Les mêmes formes apparaissent aussi ailleurs, par exemple en
Provence, mais à une époque bien plus récente, et elles ne semblent pas
généralement employées K
1 5. On sait que n, venant après la voyelle accentuée, peut se trouver
dans deux conditions différentes : ou suivie d'une consonne, ou suivie
d'une voyelle. Dans le premier cas n subsiste par tous les dialectes de
la langue d'oc (grandem = grant ou gran] ; dans le second cas Vn tombe
assez généralement dans le centre des pays de langue d'oc {granum =
gra). Il se conserve dans l'est, en Provence proprement dite, dans le
nord, sur les confins de la langue d'oil, et dans l'est en Gascogne. C'est
l' « n séparable » de Diez 4. Notre charte nous offre les exemples sui-
vants : caperan 5, bons 41, Liigbon 2, etc., maison ^6, pension 40, razon
40, stipulacion 35, formes qu'on rencontrerait dans tout autre document
gascon ; mais un peu plus à l'est on aurait capcla, bos, Liigbo, etc. Le
dialecte béarnais, tout voisin du lieu où a été écrite notre charte, pré-
1. Diez {Gram., trad. i, 102) dit simplement « A la Navarre et au Béarn ; «
mais je ne suis pas sûr qu'on trouve cette particularité dans toute la Navarre.
2. Publié par M. P. Raymond en 1875.
3. Je suis bien sûr d'avoir entendu pai et mai, aux Baux (près d'Arles), mais
dans la contrée environnante on dit plutôt, comme en ancien provençal, paire,
maire (et trop souvent pao, mao !).
4. Gram., trad. I, 374.
4^8 p. MEYER
sente à cet égard une notable particularité; il laisse tomber Vn séparable,
mais double la voyelle '. Ainsi on trouve dans les Fors de Béarn anciaa,
capcrcia, bées ''fr. biens), besii wicinum). Cela n'est pas tout à fait constant
puisqu'on trouve dans un même article (^2) fazan ei fazaa {phasianum).
16. Des formes telles que tient 29, ?8, tier 45. qui seraient en d'autres
dialectes tenent, tener, montrent un effacement de \'n médial fort compa-
rable à celui qui s'observe en portugais (alhêo= alienum, boa^ona, elc.^).
Seulement dans les dialectes du S.-O. de la langue d'oc, le fait est relati-
vement rare. Au lieu qu'en portugais \'n entre deux voyelles tombe régu-
lièrement, en béarnais les seuls exemples que je trouve sont ceux-ci :
thien (tenere). Fors de Béarn, passim.
thiey^tlde (tenet). Ibid., art. 12, ?2, etc.
biey (venit). Ibid., art. 11^.
diers (denarios). Ibid., art. 143, etc.
dierade Cdenariatd). Ibid.
miar ('minare, *menare), For d'Oloron, art. 26.
miades {* minutas). Ibid.
On s'explique aisément thicy, îhie de tenet, et biey de venit : Vn sépara-
ble est tombée etl'c a été redoublé ; c'est donc le cas d'ancicia, caperaa ,
bées, etc. On a dû avoir tee de tenet et bee de venit, d'où on sera facile-
ment arrivé à tiey, biey. Mais dans thier de tenere, tient de tenentem, dier
de denariim, miar de *minare, il y a suppression d'un n qui, se trouvant
avant l'accent, n'est plus Vn séparable.
17. Un fait que je relate en dernier lieu, parce que, faute de m'en
bien rendre compte, je ne sais trop où le classer, est le passage de la
finale -m à -e dans les imparfaits et conditionnels -.ave 3, 32, ^4;deve y,
faze 24; emendere 38; ce qui serait dans le centre et dans l'est ^îv;^, dévia,
fazia, emendaria. Je constate le même fait au sud dans les Fors de Béarn,
au nord dans les documents écrits à Bordeaux ; mais à l'est, à partir
d'Agen au moins, -ia reparaît.
On verra qu'il n'y a pas trace de la déclinaison à deux cas dans notre
charte. H en est de même dans toute la région des Pyrénées depuis le
Roussillon, dans le Béarn, la partie occidentale de l'Armagnac , dans
l'ancien duché de Guyenne. On peut vérifier ce fait dans les chartes en
langue vulgaire du cartulaire de Saint-Pierre-de-Lézat s, dans le cartu-
I . Ce n'est qu'une façon de marquer le son long de la voyelle ; voy. Lespy,
Gram. béarn. § 1 .
2. Voy. Diez, Gram., trad. I, 202.
3. Le /z ne signifie rien; on trouve dans les Fors de Béarn enthicranunt où
évidemment le h n'a pas de valeur.
4. Diez, Gram., trad. I, 574.
5. Il y en a une dans mon Recueil sous le n" 52.
CHARTE LANDAISE 4^9
laire de Saint-Jean-de-Sorde qui contient quelques documents vulgaires
du xiie siècle ' et dans les chartes si nombreuses que nous possédons pour
le Bazadais et le Bordelais.
Paul Meyer.
1268 ou 1 269.
W. Ebrard, prieur de la maison du Paradis, concède à Guiraud, curé
de Losse, la maison de Lubon avec un certain nombre de livres et d'us-
tensiles énumérés dans l'acte, à charge d'une rente annuelle de 50 sous
de Morlaas. Guiraut s'engagea revêtir l'habit de la maison dans le terme
de cinq ans, ou sinon à restituer ladite maison de Lubon avec toutes ses
dépendances et libre de toute dette.
Conoguda causa sia que frai W. Ebrard, prior de la maison de! Paravis*
en l'abescad d'Ajenes, a donada e autrejada la maison de Lugbon ab tots ses
apertenements e ab tôt ço que la dita maison del Paravis ave ni aver deve
en la dita parroquia de Lugbon ' e en la parroquia d'Arolha *, an Guiraut,
5 caperan de Loça ^ a sa vita ; ab la cal maison ledit prier a livrad eautrejad
al dit en Guiraut .ij. libres en la gleisa, .j. santerum e .j. dominical, e .j.
missal cellectari, e .j. officier, e unas costumas, e .j. sautiri, e .j. pistoler, e
.]. evangelister d'entrad d'Avencs entre a Paschas complid, e .j. vestiment
cemplid de missa-cantan, e .ix. arcas paucas e granas, e .iiij. toneds, e .iij.
10 cubazs, e .j. carrejeder, e .iij. cauderas, e una sartanha, e .j. trepei, e .iij.
destraus, e duas delederas, e .ij. tareds, e .vij. fauquederas, e .j. bezoi, e .ij.
sarcs escapoers, e una beseguda, e .j. lambreis, e .j. dail, e .iiij. arresteds de
fer, e .ix. sarcs e picas, e .iiij. cosnas, e .iiij. capçers, e .v. flaçadas, e .iij.
albencs, e .vj. linçels, e .ij. cars, e .xxviij. canens, e .ij. pareils de buos, e
1 5 .Ix. cabs eissivernadsdaolhas. — E la maison deu a Peiruc .xxxij. sol., ea R.
.xxviij. sol., ea na Bera .xix. sol., e a W. l'aolhe .viij. sol., eal mud .xv. soi.,
e a la muda .xvj. sol., e a na Bona .xj. sel., e al Porquer .x. sol., e a Casau-
bon " .xij. sel., e al Basce .ij. sel. e meja cartal de forment a l'estyu, e a n'Es-
panha .iiij. sel., e an S. Casa .viij. sol. .viij. d. em.,ea. p... ' I. .vj. sol. , e a
20 W. d'Escandas. .iij. sol.,e a l'arcediage deSozs ".v. sel. — El dit en Guiraut a
1. L'éditeur, M. Paul Raymond, attribue au xiv" siècle le ms. de ce cartu-
laire. Dans un compte-rendu publié dans la Revue criticjue j'ai exprimé l'opinion
(1873, ^- '^ P- '75) "0^^) ^^^ '^ cartulaire pourrait bien, malgré le dire de l'édi-
teur, avoir été rédigé au xiii'" siècle. Cette conjecture s'est vérifiée. La Bibliothè-
que nationale a récemment acquis ce ms. qui est incontestablement du xiii" siècle.
2. Le Paradis (Paravis dans Cassini) sur la Garonne, commune de Feugerolles, canton
de Lavardac (Lot-et-Garonne).
5. Lubon au N.-E. du dép. des Landes. Manque, sous cette forme, au Dict. des Postes.
4. Arouille, cant. de Roquefort (Landes).
5. Losse, cant. de Gabarret (Landes), à 8 kil. à l'ouest de Lubon.
6. Y a-t-il ici omission d'un nom propre? Cazaubon est un chef-lieu de cant., arr. et
à l'O. de Condom.
7. Il y a ici dans l'original un trou qui emporte aussi quelques lettres de la lipne suiv.
8. Sos, ch.-l. de c. au S. 0. du dép. de Lot-ci-Garonnc.
440 P- MEYER
donat a la dita maison si mezis e .j. pareil de buos, e x... ' eissivernads de
crabas e d'aolhas, e .xv. canens. E es assaber quel dit prior a donad e au-
treiad lezer al dit en Guiraut que no vcsta los draps de l'avid de la dita
maison, si per sa propria volontad no a faze, entre denz .v. ans après la
2< prumera festa de Arrams. El dit en Guiraut a prometut e autrejad per bona
e per ferma e per leia! stipulacion que ed al plus tard vestira los draps de
l'avid de la dita maison denz lodit terme. E si far non a vole, a orometud e
autrejad per bona e per ferma e per ieiai stipulacion que ed al dit prior o
al tient son log après lui en la dita maison del Paravis redra la dita maison
30 de Lugbon ab tots sos apertenements, solta e quiti de tots los deutes sober-
dits, ab totas las causas mobles e ab las autras causas de la gleisa desus
ditas quel dit prior li ave livradas, e ab totas las causas mobles quel dit en
Guiraut ave portadas en la dita maison, 0 ab la valença de totas las causas
mobles desus ditas. — Item, a prometud e autrejad lo dit en G. per bona e
: <, per ferma e per leial stipulacion que ed las causas mobles e no mobles de la
dita maison de Lugbon enançera a bona fe a son leial poder. E si per aben-
tura per fauta de lui valen mens las ditas causas, e^ a prometud e autrejad
que ed ag emendere al dit prior 0 a son log tient tôt ço que per fauta de
lui valessan mens. — Item, a prometud e autrejad lo dit en G. que ed dera
40 cadaan per pension .xxx. sol. de bons morl. per razon de la dita maison de
Lugbon a la dita maison del Paravis, en questa maneira : .xv. sol. de bons
morl. totas festas de Arrams, e .xv. sol. de bons morl. totas festas de Mar-
teror. — Mandadors e fermanças per lo dit en G., per far e per tier tots los
combents desus mentaùds, que ed a autrejadz al dit prior segont que plus
45 plenerament es dit ni contengud en aquesta présent carta : N'Ar. d'Arribes fil
d'en B., en R. del Bedored, en S. Casa, en A. del Berger, en P. de Malevad
caperan ; li cal an prometud e autrejad que no s'en reclamaran lus per
l'autre ni per nul garent, e n'an renonciad a la exception que prumer deu
hom domanar al cabaler que a la fizança. E de ço volon lo dit prior ei dit
50 en G. que fosson feitas duas cartas d'una mezissa ténor, a cada partida la
sua. Aiço fo aissi acordad .xij. dies a l'entrad de Fevrer. Testimonis en
Bernon de Lugbon, en Guassiat de Lugbon, en P. Angol, e frai W. Aime-
rig, e frai B. de Lanugs, e frai R. de Garbiei ', e frai A. de Gauba*, e frai
P. Barta, en E. del Berger, caperan de Sauboeras', en A. W. d'ArroIhan,
55 cominal notari de Gavarred, qui aquesta carta e una autra d'una mezissa
ténor n'escrisco ab volontad de l'una partida e de l'autra. Anno Domini
M. ce. LX. VIII, dominante Costancia, primogenita Gastonis vice-comitis
Bearn., Aman, archiepiscopo Auxit.
(Arch. de Lot-et-Garonne.)
1. Suppléez x.[l. cabs] ; cf. 1. 15.
2. Sic. on préférerait ed.
3. Garbiei, commune de Cazaubon (Gers).
4. Gaube, commune de Perquié, canton de Villeneuve-de-Marsan (Landes).
5. Soubouères, commune d'Arouilie, cant. de Roquefort fLandesj.
CHARTE LANDAISE
441
VOCABULAIRE.
(Les mots marqués d'un astérisque manquent au Lexique roman de Raynouard.)
*ag, devant une voy., 38, a devant
une consonne, 24, 27, 37, pronom
neutre, cela. Mot très-fréquent en
béarnais et en gascon : ac dm mus-
trarauSenhor, Fors de Béarri, art. 6 ;
que aixi ac thierKjuen... et aquegs qui
far no a voleran, ibid. art. 79, etc.
« Vient incontestablement du basque »
selon Cénac - Moncaut , Dictionn.
gascon-français. Ne pourrait-on pas
aussi supposer que c'est le mot qui
entre en composition dans aquest,
aquel, aco ? forme que l'on explique
d'une manière peu satisfaisante par
l'addition de ecce aux démonstratifs
latins (voy. Diez, Gram. II, 449).
*albenc 14, vêtement blanc, aube? Il
y a dans Raynouard II, 49, l'adjectif
subalbenc.
*aolha 15, brebis, bête à laine. Arch.
de la Gir. V, 213. — Rayn. IV,
392, n'a que ovella, ovelha.
*arreited 12, râteau. Rayn. V, 4^,
rastelar.
and 23, habit. Rayn. III, <y2i,abil\
ex. relativement récents.
'Beseguda 12, besaigiie.
besoi II, bêche, hoyau. Voy. Rayn.
V, 559, vezoig, etsurtout Du Gange,
besogium.
carreterius 2, car r aria 4.
caudera 10, chaudière.
*cosna 13... .'' Je lis dans un document
béarnais de 1370 [Arch. de la Gi-
ronde XII, 264) : « Une grosse maie
per portar la cosne e lo capsus de
Mossenhor. »
cubas 10, cuves.
Dail 12, faux. Rayn. III, 2, dalh,
dcstrau 11, coignée. Rayn. V, 77.
*doledera 11, doloire. Rayn., III, 64,
n'a que dolar.
''Eissivernads 15,21, moutons ou chèvres
qui ont passé un hiver. S'agit-il de
troupeaux transhumants }
*escapocrs 12....?
' Fauquedera 1 1, instrument à faucher?
Falcatoria se trouve dans Du Gange,
mais en un sens qui ne saurait con-
venir ici.
'flaçada 13, couverture de lit. Du
Gange, flassada etflansada.
*Lambrois 12...? Le sens du fr. lam-
brois, lambris ne saurait convenir ici.
Missa-cantan 9 , [vêtement] que l'on
revêt pour dire la messe.
*cabaler 49, le possesseur d'un bien 'Sarc 12, 12...?
quelconque {capitale). 'sartanha, poêle à frire. Rayn. V, i 58,
'canens (ou p.-ê. cavens) 22... ? sarta.
'capçer 1 3 , oreiller. Du Gange, capse-
rium. 'Tarcd 1 1, grosse tarière. Cénac-Mon-
cars 14, chariots. caut, taret.
*carrejeder \o, tonneau? Du Gange, /onft/ 9, tonneau. Rayn. ro«t/, V, 362.
442
p. MEYER
NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX.
(Les noms de personnes sont précédés d'un astérisque.)
'A. de Gauba (frai — ), 55.
'A. del Berger, 46.
*A. W. d'Arolhan, 54.
Ajenes, i.
*Amanieu, archev. d'Auch, ^8.
'Ar. d'Arribes, 45.
Arolha, 4, 54.
Arribes, 45.
'B. de Lanugs (frai — ), 53.
•Basco (lo— ), 18.
'Bera (na — ), 16.
Berger, 46, 54.
*Bona (na — ), 17.
Casaubon, 17.
"Costancia, fille de Gaston VII de Béarn^
57-
*E. del Berger (en — ), J4.
Escandas, 19.
*Espanha, 18.
Garbiei, 53.
Gauba, 53.
Gavarred, 55.
'Guassiat de Lugbon, 52.
*Guiraut, 4, 6, 20, 23, 25, 33, 34,
39, 43-
Lanugs, 53.
Loça, 5.
Lugbon, 2, 30, 36, ^2.
Malevad, 47.
*P. Angol, 52.
*P. Barta (Irai — ;, 54.
*P. de Malevad (en — ), 46.
Paravis, i , 3, 29, 41 .
*Peiruc, 1 5.
*Porquer (lo — ), 17.
*R., 15.
*R. de Garbiei (frai — ), 53.
*S. Casa, 19.
Sauboeras, 54.
Sozs, 20.
*W. Aimerig (frai—), 52.
*W. d'Escandas, 19.
*W. Ebrard, i.
*W. raolho, 16.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN
L'élégie hébraïque et l'élégie française qui font l'objet de cette étude
m'ont été communiquées par mon ami M. Ad. Neubauer, vice-bibliothé-
caire de la Bodleienne. Chargé par la commission de VHistoirc littéraire
de recueillir en Italie les documents concernant les rabbins français, il a
copié ces deux pièces l'année dernière, durant son séjour à Rome, et me
les a remises pour déchiffrer la pièce française. Elles devaient paraître
dans le tome prochain de ['Histoire littéraire. Mais M. E. Renan, avec
cette obligeance qui le caractérise, a consenti à s'en dessaisir et m'a
autorisé à les publier dans la Romania, à condition toutefois que la pièce
hébraïque paraîtrait avec la pièce française. D'ailleurs on ne peut guère
les séparer et elles se complètent l'une l'autre. C'est ainsi que les lecteurs
de la Romania aborderont aujourd'hui avec nous un coin d'une littérature
quelque peu étrangère à cette revue.
Comme la pièce française est d'une lecture très-difficile, et que l'hy-
pothèse avait eu une large part dans le premier déchiffrement, j'avais de-
mandé à la Bibliothèque du Vatican l'autorisation de faire prendre une
photographie des feuillets du ms. qui la contiennent avec la pièce
hébraïque. Grâce aux démarches commencées par M. l'abbé Duchesne,
de l'école des Hautes-Etudes, et poursuivies, après son départ, par
M. Eug. Mùntz, attaché à l'école française de Rome ', l'autorisation me
fut accordée. Mais l'obstacle devait venir d'autre part. Le photographe
déclara que le mauvais état du ms. ne permettait pas d'en faire une
reproduction, et que la photogravure ne donnerait qu'une couche unifor-
1. Que MM. Duchesne et Mùntz reçoivent ici mes remerciements pour l'obli-
seance vrciimcnt inépuisable avec laquelle ils se sont prêtés .\ mes demandes. Je
dois particulièrement à M. l'abbé Duchesne une collation très-soignée de la pièce
hébraïque, qui m'a permis d'en rectifier et d'en expliquer spécialement un passage
obscur.
444 A- DARMESTETER
mément noire ou jaune sur un fond grisâtre. M. Muntz alors me procura
de la copie de M. Neubauer une collation due à un Israélite de Rome,
M. Angelo G. G. di Capua, et j'eus le plaisir de constater que
presque toutes mes conjectures, sauf une ou deux, étaient confirmées
par la collation. Toutefois, même après cette collation, il reste encore
des passages obscurs ; les difficultés du texte sont en effet d'une nature
si particulière que rien ne peut remplacer la vue même du ms. ; et je ne
puis que regretter la cause fâcheuse qui m'interdit de mettre un fac-
similé sous les yeux du lecteur.
Le ms. du Vatican d'où sont tirées les deux élégies est coté, dans le
catalogue d'Assemani ', sous le n» cccxxii. C'est un volume in-4'' vélin
de 189 feuillets, écrit en caractères hébreux carrés, et qui semble
être du xiir' siècle. Il contient le rituel des Grandes Fêtes juives de
l'arrière-saison : fête des Tabernacles, fête du Grand-Pardon, fête du
Nouvel-An, d'après le rite à\t porUigais. Puis viennent au folio 188,
écrites en caractères rabbiniques, les pièces qui font l'objet de ce tra-
vail. Ces deux pièces, .si elles ne sont pas de la même date que le
reste du ms., ne doivent pas lui être de beaucoup postérieures, à en
juger par l'écriture. En tout cas, la date à leur assigner ne dépasse pas
le commencement du xiV* siècle.
Le folio 188 verso est occupé par l'élégie hébraïque et par une notice
historique sur l'événement qui l'a inspirée. L'élégie française s'étend sur
le folio 189 recto et sur la moitié du verso, et elle termine le ms. La
place qu'elle occupe à la fin du volume explique l'état de délabrement
dans lequel elle nous est parvenue. Le parchemin est en effet partielle-
ment rongé à la partie supérieure et sur les côtés du verso du dernier
feuillet.
Si nos deux élégies sont inédites, elles ont déjà été signalées. La plus
ancienne mention que j'en connaisse est due à Bartolocci, qui s'exprime
ainsi au t. IV (p. 322; n» 1579) de sa Biblioîheca rabblnica (Rome,
1693) : « Peloni Almoni - : kinnoth, Threni sive Lamentaiiones decanta-
tae pro occisione XIIÎ Judaeorum qui Trecis, in Gallia, combusti sunt,
anno $048, Christi 1288, lingua quidem gallica, sed characteribus
hebraicis. Ms. extat in Vaticano, in-4°, papyr. » Cette notice contient
plusieurs erreurs : la pièce n'est pas anonyme ; outre l'élégie française,
on trouve une élégie hébraïque, et enfin le ms. n'est pas sur papier,
mais sur parchemin. Wolf, en 171^, dans sa Biblioîheca hebràica (I, p.
141 5), cite également l'élégie française, sans doute d'après Bartolocci :
1. Manuscriptorum codicum Bibliothecae apostolicae Vaticanae catalogus a
Steph. et Joseph. Assemani, Romae 1750, in-fol., tome I, p. 307.
2 . Mots hébreux signifiant : Anonyme.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 445
<' In Vaticano mss. exstant lamentationes in memoriam judseorum trede-
cim, Trecis in Gallia, anno 1288 combustorum, gallice. »
Assemani, en 1756, revient au ms. qu'il décrit ;/. c.) : « Codex anti-
quus in quarto, membraneus, foliis 189, charactere partim quadrato,
partim rabbinico exaratus. » Suit la description du Machzor ou Rituel ;
puis, arrivant à nos élégies, il s'exprime de la manière suivante :
« Kinnoth al scuilosc assar Jelmdim, seu Neniae in memoriam Tredecim
Judaeorum, Trecis in Gallia, anno mundi 5048, Christi 1288 combusto-
rum, nempe R. Isaac Caîalauni cum conjuge, duobus filiis et nuru; R.
Simson sacerdotis ; R. Salomonis et R. Baruc dcAverio; R. Simeonis scribae
de Marsiano; R. Jonae ; R. Isaaci sacerdotis ; R. Chaiim, BeroUnensium,
et R. Chananelis ; Ebraico-gallice, literis tamen rabbinicis conscriptae,
a R. Jacobo fdio Judae Volaterrano, ut in titulo legitur. Hinc corrigendi
Bartoloccius et Wolfius qui hasce nenias nondum typis consignâtas
anonymo adtribuunt. » Suit la citation du début de la pièce hébraïque.
Si cette notice rectifie une erreur, en revanche elle en commet d'autres
singulièrement graves et nombreuses. Sans parler d'une faute de lecture
qui se trouve dans la citation, R. Simson sacerdos doit se lire R. Simson
Hakkadmon, ce nom propre Hakkadmon (l'ancien) est traduit à tort par
le prêtre; Baruc de Averio est Baruc de Avirey ; R. Siméon le scribe n'est
pas de Marsian, mais de Châtillon ; les trois docteurs Jona, Isaac le prêtre
et Chaiim ne sont pas des Berlinois (!), comme le donne à entendre le
BeroUnensium; le texte dit simplement que R. Haiim est de Brinon (dans
l'Yonne). Le R. Hananel qui termine la liste est un personnage de pure
fantaisie; le ms. ne connaît qu'un R. Haiim. Enfin la patrie de l'auteur,
qu'Assemani reproche à WolfetàBartolocci d'avoir méconnue, n'est pas
moins défigurée. Après avoir fait de R. Haiim et de ses compagnons des
Prussiens, il fait de l'auteur un Italien, en lisant : R. Jacob fils de Juda
de Volaterra, au lieu de : R. Jacob fils de Juda, de Lotra, c'est-à-dire
de Lorraine. Impossible d'accumuler plus d'erreurs en moins de lignes.
Après les bibliographes du xviic et du xviii'= siècle, il faut descendre
jusqu'à nos jours pour trouver une mention des élégies. Zunz résume la
notice erronée d'Assemani dans sa Poésie de la synagogue au moyen-âge
(p. ^3) ' et fait allusion à la pièce hébraïque dans son Histoire littéraire
delà poésie delà synagogue (p. 362). M. Steinschneider, dans le dernier
numéro du Jalirbuch f. rom. Liter. (1874, p. ^67,), signale également
d'après Zunz et d'après Assemani la pièce française. Enfin, M. Neu-
bauer, dans son Rapport sur une mission en Italie -, en fait remarquer en
quelques mots l'importance littéraire.
1. et. Misccllany of Hcbrcw littérature, t. 1. p. 191. Londres, 1874.
2. Archives des missions, 3'' série, I, p. ^^8.
446 A. DARMESTETER
II.
Comme la plupart des poésies juives du moyen-âge, l'élégie hébraïque
est en centons. Régulièrement le dernier vers de chaque strophe est pris
tout entier à un verset de la Eiible ' ; les autres vers sont le plus souvent
formés de fragments d'expressions bibliques cousues ensemble, tantôt
prises littéralement au texte sacré, tantôt modifiées plus ou moins pro-
fondément. C'est là ce qui distingue les centons hébreux des centons,
beaucoup plus sévères, des poètes grecs et latins. D'ailleurs ce genre de
poésie, chez les auteurs juifs du moyen-âge, n'a pas le caractère artifi-
ciel propre au centon. L'imitation n'y est pas un jeu d'esprit.
Comme la Bible était pour les Juifs le seul livre dont ils se nourrissaient,
qu'ils ne pensaient et ne sentaient que par elle, leurs idées naturellement
prenaient corps dans une expression biblique. Cette différence à l'avan-
tage des centons hébreux n'empêche pas toutefois les poésies juives du
moyen-âge d'être en général assez faibles. Les Pioutim ^, hymnes reli-
gieux qui se lisent aux grandes fêtes, sont remarquables d'obscurité et
de recherche. Les belles pièces, comme partout d'ailleurs, sont rares;
celle du Vatican peut compter parmi les meilleures, et elle est de beaucoup
supérieure à deux autres élégies hébraïques composées sur le même
sujet, dont nous parlerons plus loin. L'expression y est en général, et
sauf en deux ou trois endroits, naturelle et bien amenée, et les phrases
bibliques se laissent facilement détourner de leur sens original pour
prendre sans grand effort celui que veut leur donner l'auteur. Dans notre
traduction nous avons essayé de rendre aussi fidèlement que possible
cette double physionomie du texte, cherchant à la fois à serrer le sens
des phrases bibliques et à reproduire la signification nouvelle qu'elles
prennent sous la plume du poète. Un commentaire, qui accompagne la
traduction, indique les passages imités de l'Écriture ; ce qui permettra
au lecteur de se faire une idée exacte de ces sortes de compositions qui
forment la littérature poétique des Juifs au moyen-âge.
Quoique la notice historique suive l'élégie dans le ms., nous com-
mençons par elle, parce qu'elle sert d'introduction naturelle. Nous
mettons les vers à la ligne ; dans le ms., les strophes seules sont à la
ligne. Nous imprimons en majuscule la première lettre de chaque stro-
phe, pour faire ressortir l'acrostiche : pTn m-rr^ i2"i -13 ^ps"', Jacob
fils de Rabbi Juda, Hazakh Nous reproduisons les petits points qui sur-
1 . Excepté pour la strophe XII.
2. Du grec Tvoir.TTÎ;.
3. Hazak est une interjection signifiant à peu près macte ! apage! Elle termine
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 447
montent les noms propres et quelques autres mots importants ', ainsi
que la ponctuation qui est donnée çà et là, et presque toujours incor-
rectement *.
/ riîabcj 'nnni , in^-ipri -i-Tri^so '"inni , inbDi i-^an '^aiu'i in^:;}*!
« Cette Selicha4 a été composée par R. Jacob, fils de Juda de Lotra
(Lorraine), au sujet de treize saints qui furent brûlés à Troyes, deux
semaines avant la Pentecôte, en 48, petit comput s. Les voici, désignés
par leurs noms : R. Isaac Châtelain, sa femme, ses deux fils et sa bru,
R. Sam.son Hakkadmôn, R. Salomon, R. Baruch d'Avirey, R. Siméon
le scribe de Châtilon ('Châtillon;, R. Comlon, R. Isaac Cohen (ou le
Prêtre), R. Haïm de Brinon et R. Haïm. Que leur souvenir soit en
bénédiction. — Dieu Roi ! '^ .»
fréquemment les acrostiches des poèmes hébreux du moyen-âge.
1. Les mots correspondants de la traduction sont en italique. — Dans la
notice les mots qui ne sont pas ponctués ont en surcharge le signe v plusieurs
fois répété. Ce sont des enjolivements fréquents dans les mss. hébreu.x, et qu'il
était inutile de reproduire.
2. La pièce hébraïque, ainsi que la française, est écrite en caractères semi-
cursifs du moyen-âge. Nous donnons la première en caractères carrés. Quant à
la seconde, comme les caractères rabbiniques se rapprochent beaucoup plusdêcette
écriture cursive que les caractères carrés, et qu'avec eux on se rend plus facile-
ment compte des confusions de lettres, nous avons dû l'imprimer en caractères
rabbiniques.
3 . Cette notice est précédée de quelques mots qui semblent ne pas s'y rapporter.
Ces mots que M. Neubauer n'avait pas cru devoir reproduire nous sont ainsi
donnés par M. l'abbé Duchesne : 1112b •:3-i':p: mar )'>pss ; nous n'en com-
prenons pas le sens.
4. La selicha est une élégie qui se récite à la synagogue, les jours de péni-
tence, à l'effet d'implorer l'indulgence ou la m.isèricorde divine.
5. Le petit comput ne compte pas les milliers ; 48 est donc 5048 a. m. =
1288 de l'ère chrétienne. Signalons ici une malencontreuse faute d'impression qiii
s'est glissée dans le rapport de M. Neubauer sur sa mission en Italie'/. cit.K On
a imprimé 1238 au lieu de 128S pour la date qu'il donne de cette élégie.
6. Ces mots sont le commencement d'une prière qui se récite au temple, les
jours de pénitence, après les sclichoth. Us prouvent que la pièce était récitée
solennellement au cours de l'office, ce ûue d'ailleurs faisait supposer le titre de
selichd donné à cette pièce par l'auteur de la notice.
448 A. DARMESTETER
ÉLÉGIE HÉBRAK^UE.
TEXTE.
. 'is's isnj xi ti\2JB32 npiï iiTNia
Tibia 1 piiN b'j nn?2Uj ss n^np II
1 . Pour ■izN ; le 1 marque ici simplement \'o. Cette orthographe incorrecte
est habituelle dans les textes hébreux non ponctués ; on la retrouve plusieurs
fois dans notre élégie, p. ex., str. VII, 3 : inai^-'b pour in^yb ; str. VII, 1,
niSi£"i pour n"SEi ; etc.
2. Lire i;p3'irn. On serait tenté de corriger ce mot en ■'35i\:Ji1, m'a saisi;
l'expression serait plus naturelle.
COMMENTAIRE.
I i. Le cilice et la cendre sont étendus comme un lit pour beaucoup
(Esther, IV, 3). Est-ce qu'il étendra le cilice et la cendre?
(Isaie, LVIII, 5).
2. (Les ennemis de Dieu; disparaissent dans la fumée (Psaumes,
XXXVII, 20). Pour les instruire dans le livre (c.-à-d. l'écri-
ture [chaldaïque] ; Dan. l, 4).
3. Ceints d'étincelles (Isaïe, L, 11). — Et chacun donnera une
rançon pour sa personne ''ou sa vie) (Ex. XXX, 12).
4. Où est celui qui pèse? celui quicompte les tours ? ^'Isaïe, XXXIII,
18). ' ■
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 449
ÉLÉGIE HÉBRAÏQ_UE.
TRADUCTION.
I J'ai étendu sur mon corps le ciliée et la cendre ; [Livre;
Car ils ont disparu dans la fumée, les hommes instruits dans le
Ceints d'étincelles, ils n'ont pu donner de rançon pour leur vie.
Où est celui qui pesait, où est celui qui comptait (les lettres') ?
II Toute joie s'est évanouie devant la destruction de ma famille.
Elle est descendue au tombeau la gloire de mon orgueil ;
La crainte m^abreuve ; mais ce que je redoutais 2,
Je n'en ai pas détourné la tête.
1 . Allusion aux grands docteurs de la synagogue, qui savaient rendre compte
de tous les mots, de toutes les lettres de la Sainte Ecriture, et en tirer des ensei-
gnements. Cf. Derenbourg, Essai sur l'histoire de la Palestine, p. 396, 397.
2. On peut traduire encore : La crainte et ce que je redoutais m'abreuvent.
COMMENTAIRE.
II. I . Toute joie s'est évanouie (Isaïe, XXIV, 1 1). — Pour la destruc-
tion de ma famille (Esther, VIII, 6).
2. Elle est descendue au tombeau, la fierté (Isaïe, XIV, 11;. — La
gloire de son orgueil (Isaïe, XXVIII, i et 4),
5. « La crainte m'abreuve » je n'ai pas retrouvé l'origine de
cette expression. — Et ce que je redoutais est tombé sur moi
(Job, III, 25;.
4. Je n'en ai pas détourné la tcte (Isaïe, L, 6).
m 1. Plus légers que les aigles (Samuel, II, 1, 2^). -- La fm du vers
n'est pas imitée.
2. Le rejeton que j^ ai planté (Isaïe, LX, 21). — La fm du vers
n'est pas imitée.
?. Allez dans la flamme ardente f Isaïe, L, 11). — Et tes construc-
teurs hâtèrent le pas (Isaïe, XLIX, 17).
Remania, III 29
450 A. DARMRSTF.TER
.' ■!■':: 13 ■^:z c^iirïïi ib P III
• nn u)x on isnm
. nisan nipab nb s-^iî s ^ IV
. x^i'iî na niax'^i pns"< iinii
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. tji'i^' '* nnïs nh neiisn 3 inan
. ti"in bx "iT» na pitnnb m^x tx
. Qinis'i-j ^ ibb-i^; D'^S'iarw ini "^ VI
. n-ininn ex 'pn 1x2 ciïuj
. n-^nx "^ nïia nia "lax^ iny^b •j'^x
: ninni inat'ii nibis ibyr
1 . Lire i3s"^. Les deux ^'^ qui terminent les trois premiers vers et le mot
11^1:52 sont pour rimer à l'œil avec le quatrième.
2. Lire -niax ; de même str. V, 2 : nnîË, lire nn^s ; 4 : rp':;m, lirerj-Dm.
3. En marge, le n initial est corrigé en in.
4 et 5. Voir note 2.
6. Lire ibbi'ï.
7. Lire nattJ.
COMMENTAIRE.
4. E; /e/eu de Dieu les consuma (Nombres, XI, i).
IV 1. Tout homme de cœur fit yenir (Exode, XXXV, 22}. — Ce lieu
fut appelé embrasement (Nombres, XI, 3).
2. Isaacfut ému (Genèse, XXVII, 33). — // dit : que c'est terrible
(Genèse, XXVIII, 17).
3. Et quand finiront les jours de pureté (purification) (Lévitique,
XII, 4 et 6). — Le jour de sabbat (passim).
4. Ils approchèrent de Dieu (offrirent à Dieu) un feu profane (Lévi-
tique, X, i).
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 45 1
m Plus légers que les aigles sont les fils de mes persécuteurs.
Les rejetons que j'ai plantés ', mes oppresseurs les ont détruits.
« Allez, dirent-ils, dans la flamme ardente » et mes enfants
Et un feu de Dieu^ les consuma, [hâtèrent leur pas,
IV Venu au lieu de l'embrasement, l'homme de cœur
Isaac 5 fut ému. Il dit : c Que c'est terrible ! «
Au jour du Sabbat finirent pour lui ses jours de pureté 4,
Quand on l'approcha du feu profane.
V La préférée de sa mère 5, saisie par la main du bourreau,
Dans sa piété éprouvée, ne détourna pas la tête.
Elle ordonna qu'on la saisît : « Ne retiens pas ta main ! «
On la fit sortir et on la brûla.
VI Enfants d'amour^, objets des plus tendres soins,
Les deux (frères) vinrent dans le feu de ronces ; [semble! »
Ils se disaient l'un à l'autre : « Heureux les frères d'être en-
Ils offrirent l'holocauste et accomplirent le sacrifice.
1 . On pourrait lire nôçrê au lieu de niçrê, ce qui donnerait « les gardiens de
mes plantations. » — Mais le texte fait évidemment allusion au verset d'Isaïe
(LX, 21) qui signifie : les rejetons que j'ai plantés. Voir au commentaire.
2. C.-à-d. terrible, ou: affronté pour l'amour de Dieu.
3. Isaac Châtelain.
4. Sa vie pure.
5. La femme d'Isaac Châtelain.
6. Les deux fils d'Isaac Châtelain.
COMMENTAIRE.
V I. Elle est la préférée de sa mère (Cantique, VI, 9). — w Saisie
par la main du bourreau (tôrêph) » : il saisit sa proie (téreph)
(Isaïe, V, 29).
2. « Dans sa piété {thoumatlw) éprouvée » ; thoumatho, forme rare
prise à Job, II, 3. — « Ne détourna pas la tête » propre-
ment : ne tourna pas la nuque : Ils m'ont tourné la nui]uc
(le dos) et non le visage (Jérémie, II, 27).
?. Le commencement n'est pas imité. — Ne retiens pas tes mains
(Josué, X, 6).
4. « On la fit sortir (hoçihouha) et on la brûla (vAthissarôph) n :
Faites-la sortir (hoçihouhaj et qu'on la brûle (vEthissarêph)
(Genèse, XXXVIII^ 24).
VI 1 . « Enfants d'amour » expression talmudique. — Objets des plus
tendres soins (Lament. II, 20).
452 A. DARMESTETER
, n'iE'^E'' n!::^ , z'^wiKb isn p-^ "^ Vil
: ni nanbia \yx ''E\ai niBUJ"i
. ûnD-i-i 153 m'^an im 'pn ^ VIII
. dmxasb i3)t)3 Qipnca binaas
. cmnDiaa iix nini , crTi3S D^anÎ! 133
: onsiu wx ;ap3 iin nsn
. "'lax'i tDia 'jM'ii i^b nxtn i^n "i IX
. iia-nm ^ itti;^ n-iix -135 "«j
, nann pasjn ia ias3 fr^-u 1 X
. ns'isjan «jx b» pnn =n -i-ina
. naoa -5103)31 ni^ ti^n tx
1. Sb, abréviation pour bxb.
2. Lire m<;q. Pour le mot qui suit, voir la note 3 de la page 448.
3. Dans le ms. les deux "il sont surmontés d'un trait lîrÎTj
COMMENTAIRE.
2. (Comme une rose) dans les ronces (Cantique, II, 2).
3. Ils se disaient l'un à l'autre (Juges, VI, 29). — Heureux les
frères d'être ensemble (Psaumes, CXXXIII, i),
4. Ils offrirent des holocaustes et accomplirent des sacrifices (Exode,
XXIV, 5). — La phrase de l'Exode est reproduite textuelle-
ment dans l'élégie.
VII I. Vainement la foule médite (Psaumes, II, 1). Le verset hébreu
est reproduit textuellement. — 0 ma fiancée, que sont belles
tes amours (Cant. IV, 10). Fiancée el bru sont exprimées en
hébreu par le même mot.
2. Un Dieu étranger (passim). — Ta femme sera ... comme une
vigne fertile (Psaumes, CXXVIII, 3).
3. Ce vers n'est pas imité.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 45 5
VII En vain la foule engageait la bru au beau visage' :
« Vers le dieu étranger tourne-toi, ô vigne fertile ^ ! »
L'enfant juive a refusé de se soumettre ; [Dieu !
Ses embrasements sont des embrasements de feu, une flamme de
VIII D'un concert unanime, ils ? entonnèrent les cantiques ;
Comme des danseurs joyeux, ils partirent en ordre ;
Leur visage rayonnait ; la lumière était avec eux...
Semblables à la paille, le feu les consuma,
IX Ah ! mon cœur s'émeut, ma tête se fond en larmes ;
Car il a été assez fort, l'ennemi qui me dévaste et m'écrase,
Pour livrer en pâture aux flammes l'enfant précieux de ma sain-
Samson 4 dit : « Périsse mon âme ! » [teté !
X Dirigeant son âme vers la vallée des pleurs
L'élu de Dieu fut lié sur le bûcher préparé.
Il a ranimé son courage, s'est armé de résolution.
Et Salomon 5 est assis au trône de la gloire''.
1 . La femme de l'un des fils.
2. Comparaison fréquente dans la Bible. Voir spécialement le Psaume 128,
auquel cette ligne fait allusion. Cf. au commentaire.
j. Les cinq victimes.
4. Samson le kadmôn.
5. R. Salomon.
6. De la gloire céleste.
COMMENTAIRE.
4. (L'amour est fort comme la mort ;) ses embrasements sont des
embrasements de feu, une flamme de Dieu 'Cantique, VIII, 6).
VIII I. Dans le concert unanime (des étoiles) (Job, XXXVIII, 7). —
Entonnez te cantique avec des cris de joie (Psaumes, XXXIII, ^).
2. Comme des danseurs joyeux (Jérémie, XXXI, 4). — En ordre,
ils partirent (Nombres X, 28).
3. Leur visage rayonne (Isa'ie, XIII, 8). — « La lumière était avec
eux (proprement : dans leur demeure » : La lumière est dans
leur demeure (Exode, X, 23).
4. Semblables à la paille, le feu les consuma (Isaïe, XLVII, 14).
IX I. Mon cœur s'émeut (Job, XXXVII, i). — Puisse ma tête se fondre
en larmes (Jérémie, VIII, 25).
2. Il a été assez fort, l'ennemi (Lament., I, 16). Le reste n'est pas
imité.
5. En pâture aux flammes (Isaïe, IX, 4). — [Ephraim] , enfant
précieux (Jérémie, XXXI, 20).
454 *• DARMESTETER
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1 . Mots entre parenthèses dans le texte. Il n'en faut pas tenir compte. •
2. Ms. naïc:.
COMMENTAIRE.
4. Samson dit : Périsse mon âme! (c.-à-d. ma personne) (Juges,
XVI, 30).
X I. Dirigeant son âme au bien (Habacuc, II, 4). — La vallée des
pleurs (Psaume, LXXXIV,7).
2. L'élu de Dieu (Samuel, II, xxi, 6). — Ils furent liés (de chaînes),
(Nahum, III, 11).
^. Il a ranimé son courage (Habacuc, 1, 11). — S'est armé de
résolution (Isaïe, XXX, i). Ce passage d'Isaïe est obscur, et
le sens en est contesté.
4. Et Salomon s'assit sur le trône de la royauté (Rois, I, i, 46).
XI I. Sans que personne le puisse délivrer (Isaïe, V, 29). — (Il
délivre Israël) de ses persécuteurs (Samuel, I, XIV, 48).
2. // incline son épaule pour prendre son fardeau (Genèse, XLIX,
15). — « Du sort, (proprement : de ce qui lui arrive) « tout
ce qui lui arrive (Esther, IV, 7).
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 4^5
XI II va, sans que nul le puisse délivrer de ses persécuteurs,
Il incline son épaule pour prendre son fardeau du sort.
On l'enveloppe de flammes; le feu le consume;
Il est béni '.
XII Le chantre s'approche, et le barbare n'en a pas pitié.
La flamme ne s'éteint pas ; elle le dévore,
Le chantre, le scribe habile ; et Dieu le conduit seul
Et le prend avec lui. Siméon * n'est plus !
XIII (Comme un) arbre à la cime haute et touffue, l'ami (de Dieu)
Reste ferme dans sa piété : il ne change pas de visage.
Le feu qui le dévore, il le reçoit comme sa part;
Et le sort frappe Jona ?,
XIV Le chef de la troupe 4, affermi par la Grâce,
Debout à son poste, se dispose à l'œuvre.
Il était prêtre du Très-Haut. Son âme se dévoue [flammes.
Et la splendeur d'isaac 5 est livrée au feu, et sa sainteté aux
1. R. Baruch d'Avirey. (Baruch = Benedictus.)
2. Siméon, le scribe, de Châtilion.
5. R. Jona ou Comlon ou mieux Colon : Jona en hébreu veut dire colombe
(en V. fr. colomb ou colon). Peut-on rapprocher de ce nom celui de Coluniis
(Fulch.) qui se trouve dans une charte du XI" siècle (vers 1070) (Cartulairc de
Savigny, p. p. A. Bernard, p. 241)? Le b de colombus, tombé au XIK' siècle ne
doit pas avoir encore disparu au XI° s.
4. De !a troupe des martyrs.
5. Isaac Cohen ou le prêtre.
COMMENTAIRE.
1. On l'enveloppe de toutes parts (Isaïe,XLIl, 25). — Le feu le
consume (Job, XV, 54).
4. Il est béni (Nombres, XXII, 13).
XII I. Des chantres s'approchèrent (Ezras, IX, 1). — Et il n'en a pas
pitié (Isaïe, XXVII, 11).
2. La flamme ne s'éteint pas (Ezéchiel,XX, 47). — « Elle le dévore;
(proprement : car le feu le dévore) » : Car le feu k dévore
(Deutér., V, 24).
3 . ((Le chantre habile ; proprement : habile à chanter » ; Habiles
à chanter (Psaumes, XXXIll, 3); Homme habile à chanter
(Samuel, I, xiv, 17). — Dieu le conduit seul {Dénier., XWU,
12).
4. Dieu l'a pris (Genèse, V, 24). — Et Siméon n'est plus (Genèse,
XLII, 36).
4^6 A. DARMESTETER
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. n-nas ujiiuj niT^aa i^ois» rr^ ixn p XVII
. xii ^ 1211 nax s-it ibiD
. n-iis rtisb ni b:? oisx ■n^îa ixira
I . Vers obscur ; le texte est évidemment corrompu ; je lis : "'".15 ''pi"' / ÛW
cnn "^yj^ ds»
COMMENTAIRE.
XIII 1. Littéralement : Sa cime est parmi les touffes épaisses; expres-
sion prise à Ezéchiel XXXI, 3.
2. Cf. strophe V, vers 2. — Et son visage {sévère) est changé
(Ecclésiaste, VIII, i).
3. Le feu le dévore (Isaïe, XXIX, 6). — Tu le recevras comme ta
part (ton lot) (Exode, XXIX, 26).
4. Et le sort frappe Jona (Jonas, I, 7).
XIV i. Affermi par la grâce {lsaie,XV], 5).
2. Debout à mon poste (Habacuc, II, i). — Pour se disposera
Pœuvre 'au travail) (Exode, XXXVI, 2).
3. Il était prêtre du Très- Haut (Genèse, XIV, 18). — Ceux dont
l'âme se dévoue (Exode, XXXV, 21).
4. La splendeur d'Israël est livrée au feu... Et sa sainteté aux
flammes (Isaïe, X, 17 et 16).
XV I. La violence du bourreau (Isaïe, LI, 1 3). La violence éclata contre
lui (Esther, I, 12).
2, // doit le brûler fson dieu de bois) (Isaïe, XLIV, 15). — La
fm du vers rappelle le passage de la Genèse, XIV, 20 : « Béni
soit le Dieu suprême qui a livré tes ennemis entre tes mains. »
3, Et tous les visages en seront contractés (Ezéchiel, XXI, 3].
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 457
XV La violence du bourreau éclate contre un homme honoré ;
Il doit le brûler. (La victime) est livrée en ses mains ;
Son visage se contracte, qui était plus brillant que la lune,
Et l'arbre de vie est au Paradis ' .
XVI Plus pur que l'huile du luminaire, comme un lionceau rugissant
Il s'écrie : « Que mon corps soit brûlé avec mes amis ! »
— Telles volent les colombes regagnant leur colombier.
Là 2 est la vie pour ceux qui la cherchent ?.
XVII Invoquez Dieu aux treize attributs 4,
Vous tous, race fidèle, craignant la parole divine !
Un petit nombre a survécu à travers les amertumes.
Dieu jugera et avisera !
1. R, Haiimde Brinon. Haiim en hébreu veut dire vie.
2. Au ciel.
3. Ce verset désigne le treizième martyr, appelé également R. Haiim. Cf. note i.
4. Epithète habituelle de Dieu dans les poésies liturgiques du moyen-âge.
COMMENTAIRE.
4. Et l'arbre de vie [était] au milieu du paradis (Genèse, II, 9).
XVI I. De l'huile d'olive pure, raffinée, pour le luminaire (Exode,
XXVII, 20). — Rugissant comme un lionceau (Proverbes, XIX,
24).
2. Les concordances n'indiquent aucun passage auquel on puisse
rapporter ce vers.
5 . (Comme des nuées) ils volent, comme des pigeons rejoignant leur
colombier (Isaïe, LXI, 8).
4. Là (dans les conseils de morale) est la vie pour ceux qui la
trouvent (Proverbes, IV, 22). Notre texte dit également /loiir
ceux qui la trouvent. Mais nous avons cru devoir modifier la
traduction d'après le sens du contexte.
XVII 1. Je t'invoque, ô Dieu! (Psaumes, XXVIII, i).
2. Tout entière, race de vérité (Jérémie, II, 21; c.-à-d., race
pure, sans mélange). Craindre Dieu; la parole de Dieu (pass\m).
3. Un petit nombre a survécu (Isaïe, XXIV, 6). — « A travers les
amertumes » littéralement : par ce qui porte l'amertume ;
imitation du Deutéronome, XXIX, 17: racine qui porte le
poison et l'amertume (l'absinthe).
4. Dieu vous jugera et avisera (^Exode, V, 21).
458 A. DARMESTETER
111.
Le déchiffrement de l'élégie française présente des difficultés considé-
rables. Dans sa plus grande partie, elle n'est pas ponctuée, ce qui sup-
prime les a et les e ; les 0 et les u {u, ou) d'un côté, les é{è, ê) et les / de
l'autre se trouvent de la sorte représentés par deux semi-voyelles qui
peuvent avoir encore la valeur de v et de j. Les tildes qui, placés sur les
g, les k, les p, doivent les changer en g, en /, en cli, manquent souvent.
Ainsi ' vankere iXVIl, i) est pour vankere == vavchere ; porments fIX, 2)
est pour forments ; etc. Plusieurs mots sont coupés à tort: i 'ou e)
laveî pour // aveî [avait] (IX, 4). Presque à chaque strophe, plusieurs
mots sont réunis en un : elejour elanult pour e le jour e la nuit (II, 3);
delatrémale pour de la très maie (III, 1), cilkideîos pour cil ki de tos iIV,
3), etc. Par suite de l'état défectueux du ms. et de la nature de l'écri-
ture, plusieurs lettres se confondent entre elles. L'alef {h muette, a ou e)
se confond avec le mini 'm) et les double vav [v^ . Le premier mot de la
pièce avait été lu par M. Neubauer et M. Angelo hont (ont), ce qui n'of-
frait aucun sens; j'étais tenté de corriger ont en [lijores, bien que
les lettres ont fussent certaines ; un examen plus approfondi de la forme
des lettres demandé à M. Angelo me montra qu'il fallait lire mont, leçon
satisfaisante d'ailleurs pour le sens. Le daleth (d) se confond perpétuelle-
ment avec le resch (r); le vav (v, 0, u, ou) avec le yod {é, i, jj ; le zaïn
[Z, s douce) avec le koph 'k) ; Vn dans les groupes an, en, on manque gé-
néralement. Ainsi le ms. porte ou semble porter : deruit déduit, U, 2j,
coruit [conduit II, 5), doled [dolor III, i), cdi [cri, V, 21, onelement (ine-
lement, XI, i), oneseos [0 no seos = 0 nos seons^^où nous séons,
XVII, 3) ; zangeler [kangeler, changeler, III, 2); zant ikant, V, i), etc.,
etc. Dans certains cas, tel trait effacé défigure des lettres et par suite
des mots. I, 4, le ms. porte lui\ il faut lire lur (lor), \'i n'étant que le
reste d'une r effacée. Le sin (s) s'est souvent réduit à un teth {t . Str.
XVII, 2, M. Neubauer lisait jort au lieu de /ors. Comme l'écriture est
quelque peu cursive, des lettres, reliées entre elles, paraissent former
de nouvelles lettres ; le tv ou le vt n'est souvent qu'une s et réciproque-
ment. Ainsi nsre (II, 1) donné par les copies de MM. Neubauer et
Angelo doit se lire nvtre = notre. Je ne parle pas des passages entière-
ment corrompus que je renonce à expliquer.
Comme je l'ai dit au début, un grand nombre de mes corrections,
1. Pour rendre plus facile la lecture des exemples cités, j'ajoute les voyelles
dans les mots que le texte hébreu ne ponctue pas.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 459
inspirées par l'étude de la copie de M. Neubauer, ont trouvé leur con-
firmation dans la collation de M. Angelo, à qui j'avais demandé si elles
étaient autorisées par le ms. Celles-là, je n'ai pas hésité à les transpor-
ter dans le texte que je publie. Quant aux passages pour lesquels la col-
lation concorde avec la copie, et qui appellent des corrections, je donne
la leçon corrigée soit dans le texte, soit dans le commentaire qui accom-
pagne le texte ; dans les deux cas, elle y est discutée.
Le tableau suivant donne le système de transcription que j'ai suivi.
et
(alef) ' (esprit doux) *
(beth) b
(ghimel) ë i= g dur
quelquefois pour g = y)
(ghimel tilde) g (= y)
(daleth) d
(hé) h
(vav) V (= V, 0, u, ou)
TÎ (double vav tilde) w(= v; quelquefois
le tilde manque; j'écris alors vv)
r (zaïn) z [= s douce)
f (zaïn tilde) z même valeur que
le zaïn simple
p (heth) h- n'existe que dans
les mots hébreux *
V (teth) t
(yod)
3 —
i, e ou y,
c. àd. /consonne)
" (double yod tilde) ïjri^ (= > /)
3 (kaph) kh ne se trouve pas
dans notre texte
S (lamed) I
P (mem) m
3 (noun) n
Cl (samech) s (n'existe que dans les
mots hébreux ; Vs française est
notée par C)
y ('aïn) h- (n'existe que dans les
mots hébreux)
D (pé) p (et quelquefois pour
P = f)
D (pé tilde) p (= /)
i (çadé) ç (= ts, ds)
(koph) k (et quelquefois pour
■q = ch)
(koph tilde) q (= ch)
(resch) r
■sin) s {=s forte; dans les
mots hébreux le i: = sch)
(thav) th (n'existe que dans les
mots hébreux)
Les cinq dernières strophes sont ponctuées ; je les transcris en déter-
minant la valeur du v, de \'r, et de Valef, telle qu'elle résulte de la ponc-
tuation. On remarquera dans la transcription trois sortes d'e : e féminin
= le scheva mobile du texte hébreu (:) ; é — \e çcrc ( •• ) ; c — le séi^oi
(•.•); le texte n'a qu'un signe !— o\ pour ô, o, eu, oji ; il réserve le point-
voyelle de Vou pour Vu français.
1. L'alef n'a de valeur vocalique que par le point-voyelle ou !a semi-voyelle
qui l'accompagne. Non suivi du i (v) ou du "^ (r,), il reçoit comme point-voyelle
un a ou un c muet. Suivi du v, il donne o, ou, ii; avec un ri, il devient c, c, i.
2. La pièce française renferme quelques mots hébreux, spécialement des noms
propres qui n'ont pas été francisés.
3. Nous représentons le 1 par l'ri grec, cette lettre pouvant être lue c ou i.
4. N'ayant pas de caractères spéciaux pour rendre la combinaison des deux
yod tildes, nous recourons, faute de mieux, :\ dcuxTj avec circonflexes.
^60 A. DARMESTETER
ÉLÉGIE FRANÇAISE.
TEXTE,
....>jf)'7:f) v:>))bc c:bc vr> ufM::f?3 cf)
, vii^t 6"nip p-^D p>P nt> u^id cib 6-5Ui|S7-)p
: v:>hb7 t:»pf)T cf?i: on u-)ii: f)^ivn oii) -îid >p
t:»i7'7 ob')^)o >b ri6"^iJ r)6")uo u>6 rif5''i3ni: II
. u^ivip -715:6 vb'))bh >6 n^ini uf)'7P'p cicn
. U»M3i>f) -îl^i'^) frpf'U u6':>D3 zib
: u»i:p-) rif">6")ii o îip>p cwf) nf) u:ic mf)
. D^u b'o>c p-)Dit: U3f5j 6:i5d 6ip>'îui7 III
. ■îliipi 'jf'iP >f> •î'ijJDp UIDCO îb'3
: -îiiin bvtb u>p htd (?)c6>if' u»:^id "^p
TRANSCRIPTION.
I mont svnt 'mr/q-r;p r,sr. Iv/'grr/h g'nt,
'y]S n'pv't m-r;s s'ns s'vvnt 'nr'g-/;...
qrd'ntr' 'vs pvrt 'rs miqnç prvç qvrs^r/ 'vignt,
q-/; pvr Ivr vvY;vvr' nvvrt dvnv] nv's r'qr,t d'rgnt.
Il trvblY)'h 'Y)t nvtr'h gv'fjvi'h '•/; nvtr'h dr^dvYjYjt
dvsvs q-qmd-ri't Ithvrh '-^ l'wY;'t 'rjvr qvdvr)?it,
'vs npYjnr/t t'q' 'r^lr^Y^vr '•/;lnv^f,t,
'vrs svnt 'rs 'Y;pnY]S qr^qvn gv] vvr'r/r/h rqnvY)rjt.
m dltrY)mr plun' g'nt svprvs SY)t' dvlvr,
bér/n nvspvt qngl-fjf '-q mv'r Iqvlvr,
gY] prntn pYjtr^ 'y; 'ntn qrm 'Y]plvr,
qr pvrnr,r(t 'vyj's (?) pr,rdv mr^l 'vm' dwlvr.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 46 1
ÉLÉGIE FRANÇAISE. •
TEXTE RECONSTITUÉ.
Ceci est la version de la Selicha.
I Mont sont a mechief Isr(ael), l'égarée gent,
E is ne poet mes s'is se vont enraj[ant] ;
Car d'entre os furet ars meinz proz cors sage e gent
Ki por lor vivre n'oret doné nus rachet d'argent.
II Troblee et notre joie e notre déduit
Do SOS ki medeet la Thora e l'aveet en lor coduit ;
Os ne fineet tache e le jor e la nuit.
Ors sont ars e fenis; checun Gé vraie rekenuit.
III De la tre maie felone jant sofros sete dolor;
Bein nos pot changeler e muer la color.
Gé ! prent en piti e enten cri e plor ;
Car por niet avons perdu met home de valor.
COMMENTAIRE DE LA TRANSCRIPTION.
Dans cette restitution, tout en donnant aux mots leurs formes fran-
çaises, nous avons cherché à conserver les traits de phonétique qu'in-
dique la transcription hébra'ique. Toutefois, pour \'e nous nous sommes
écartés de ce principe. L'e, Vé et l'è (ces deux derniers quand ils sont
indiqués dans le texte hébreu par r^ non ponctué) sont représentés par e.
Quand é termine un mot, nous mettons cependant é, pour éviter la con-
fusion avec Ve fém. Quand le texte hébreu distingue par la ponctuation
é de c, nous reportons cette distinction dans le texte reconstitué. Le mot
G-q étant ponctué Gé en plusieurs endroits, nous écrivons partout Gc.
I. I. 'mT,'qr,p ^ameqiep :=: a méchief [kcmre due à M. Paul Meyer) ;
après !'•/) de m-q il y a un alef qui semble indiquer une sorte d'c muet,
ou plutôt d'/; douce ; quelque chose comme a meechief ou mieux a meh-
cliief; de même l'eegaree ou mieux l'ebgaree. Cf. plus bas, p. 473. — Isr.
— Israël. — 2. \s ; ce mot pourrait se lire encore 'vs — os, eus, c. û d.
eux; s'ns; le n peut être aussi bien un v ou un r,; je corrige en sis, et lis:
s'is c. à d. s'ils, si ils. enraj\ant\, c'est la rime qui détermine les
dernières lettres de ce mot, lettres effacées dans le ms. où elles occu-
paient la fin de la première ligne. — 5. Cors sage ; le ms. porte cvrsr,Tt'
=; corsage. — 4. Nus est obscur ; le sens demanderait nul.
462 A. DARMESTETER
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: uî-^pf? f)U" v)v ne P76")d6 u'7'5'f)
TRANSCRIPTION,
IV 'npls' pv amnY) r. r,cj}k q'tl-^Y;n
q-^pvr g-^ 'lésa rnts 'r^mr,zy's tvt 'plr/r,n
'gr, vvip srnd-^ çr,lqr,dtvs br,ns 'r,Vr,l p\r,r,n
bvn dpvrtvr 'r,tr,r,t dthvsphvth 'r^dplr/rjn.
V l'prv'd' p'nm' qnt 'r,!' vvyj't 'rdr,r svn mrr„
mvnt l-^pr,t mah l'dprtr/h, de' gr,t' mvt grnt qr-/j,
'rX dr,t gw'h mvrr.r dtr/ mvrt qvmmvn 'mr, mvry;,
d'pnt 'Tjtr^t grvs' pvrç' grnt pvY;rjn' svpry;.
VI dvs pr/;rs '-opvrt 'rs, 'vn ptr,t 'y; 'vn grnt,
Ivptr^t pv "bhr, dvpv'h qr^ s-^ s'prnt, •
'r^àr^\. hrv' g'r tvs. 'r, Iy; grnt H 'prnt,
'r,\r,dTti 'pr'd-r;s srs tvt yjfjt' 'qrnt.
II. I. Joie; ms. gof,r,eh — y (5 y g avec 0 accentué, v fortement prononcé
et e féminin sonore comme dans le, je. — 2. D0505 = t/t^fo^, de ceux. —
md'r^t z=. médée[n]t; je ne comprends pas ce mot. — Thora, mot hébreu,
=; Loi. — 3. Ta[s]che, MM. Neubauer et Angelo s'accordent à lire hskr
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 463
IV En plasse fu amené R. Içliak Chatelein
Ki por Gé lessa rentes e mesos tôt a plein ;
A Gé vif se rendi cil ki de tos biens etet plein ;
Bon deportor etet de Thosephoth et de plain.
V La prude fanme kant ele vit ardir son mari,
Mont li fit ma la départie ; de ce jeta mot grant cri ;
Ele dit : je va morir de tee mort com mon ami mori.
D'efant etet grosse ; por ce grant poine sofri.
VI Dos frères i furet ars, un petit e un grant.
Lo petit fut ébahi du foe ki si s'eprent
E dit : haro! j'ar tos! E li grant li aprent
E li dit : a paradis seras ; tôt je te acrant.
avec un 'aïn pour le h et un samedi pour 1'^; leçon inadmissible, parce
que le 'aïn et le samech ne se rencontrent pas dans nos transcriptions
françaises, et que le groupe hskr ne peut former aucun mot hébreu. Le
'aïn et le samech du ms. se corrigent sans peine en teîh et en alef ; ce
qui nous donne avec le k : tak ; l'r seul fait difficulté ; mais il n'est pas
impossible que ce soit le reste d'un autre alej dont le trait vertical a dis-
paru, ce qui nous donne îake et par suite ta[s]che, d'où le vers
devient os [eux] ne finée[n]t (lor) ta[s]che. — jor, ms. : 'r,Wr,rj — elevjr
la correction 'rjr,r,vr = elejvr s'impose d'elle-même. — :,. Gé, c. à d.
Djé, Dié, Dieu; ainsi partout dans la pièce. — 4. vraie, faute pour vrai.
III. I. dolor; ms. doled; la rime et le sens exigent dohr. — 3. Pitiou
pité ou pitié; ms.: pr^t-q. — 4. avons — ('vy;'s), mot à demi effacé ; le
r, pourrait être aussi bien un v et le second ' une autre lettre quelconque;
nous lisons avons ('vvnsj d'après le contexte.
IV. 2. Rentes; ms. dentés (dnts), ce qui n'a pas de sens. Le blanc
qu'on remarque dans ce vers vient non d'une lacune, mais d'un défaut
dans le parchemin; toutefois le alef (') isolé qui se trouve devant lésa
(Jessà) est singulier. — 3. çrjkr,dtps = cil ki de tos, telle est la leçon
qui se dégage de la variante de M. Angelo, et que j'avais supposée sous
les mots çrjkvrtvs (= cil cortois) donnés par la copie de M. Neubauer.
— 4. Deportor ou Reportor. Les thosephoth sont des gloses talmudiques.
V. p. 478, n. I.
V. 2. Cri. Le ms. porte cdr^ = cdi. La correction est imposée par la rime
et le sens. — 5. Mori; c.à.d. mourut. — 4. sofri; ms.: svpr-r, pour svprr,.
VI. I. 3. Foe (sic) ; cette forme se rencontre encore plus bas. — ^
hrv' ^'r tvs = haro' j'ar tos fardeo totus\ Je dois l'explication de jar tos
à MM. Paris et Meyer.
464 A. DARMESTETER
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. pp6 iB jr>n 6pip uDpjjoif) f'iDîf' IX
. p:r)>6c cwp'îiD Dcnp fiof^c 6")>D7
. piD ^•?^f' 6di37 D'v-^vif' 06 nuf>'i) uvj
TRANSCRIPTION.
VII Ibrvs q-^tn't 'r,\r,i hr^, 'ni' wr^nt pvr prr,qr,r,
'vn'qv'yjr r^qe ddvnrvs qr^t'lnr' mvt qr/r,
tntv't 'r^iri 'qmns' 'nqvntr' as 'qrqr^r,
r^YJ' nlr^rT; Ig-^ vvrjp, pvrtt mpvFYjS 'qvrc[r,r.
VIII 'h 'vn wrjfjS tvs 'nsbl' qnt-o't h't V^klr^r,
pvrnvîYit pv/jr^sr/t g't dp-r]t' qr,dvs-rj't qrvl-/]r,
lrjmr,ns Ivr '-^tr/t l-^'-/;'s, pr q'vs npv'r/'t blr^r,
\nqs gns 'nwr^t sr,hr,t'/]'mnt 'Ir^r,
IX 'npv' Vn-^lmnt qvm' lithn pv 'mnr,ç,
dp-^jr' s'br,!' qdvschh pvrmnts s'-/;pnr,ç,
tvt li'trs 'h 'hrdr^t dbvn' Vr' pvnr,ç,
'yj l'vvTjt 'nvn r. schm/ivn Igvn' 'l'qdmnth.
VII. I. Ibrvs ^ la brus ; mots lus par M. Neubauer. Tant; ms. tn't
erreur sans doute pour t'nt. — 2. Lecture plus qu'hypothétique, ms. :
qv'-qr, je lis qrt\r— kier{é]; ddvnrvs ne peut se lire de denrées; comme
le V peut être corrigé en -q, je lis ddr,nr,rs = de deniers. Je change égale-
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 465
VII La brus ki tant etet bêle, an la vint por prechier,
Une ki er riche de deniers ke tenret mot chier,
Tantôt ele akemense encontre as a crachier :
Je ne 1ère le Gé vif ; portât me pores ecorchier.
VIII A un vois tos enseble chanteet hat e cler.
Por niet fuiset jat de fête qui dusset caroler.
Le mains lor eteet liées ; par cous ne poeet baler ;
Onkes gens en vit si bêtement aler.
IX En foe inelement corne Hathan fu amenez;
De fere sa bêle kedouschah forments s'é penez ;
Tôt li atres a ehardit ; de bone hore fu nez ;
Il avet a non R. Simeon le jone e le kadmenath.
ment f /) Ytnr' en qrfnr't = ke tenret = que tinrent. — Le reste de la
strophe n'offre pas de difficulté.
VIII. I. Un, faute pour une. — Vois ou Veis. — 2. Vers difficile. Le
ms. porte qr^dvsr't^ que je lis qui dussent (notre texte hébreu imprimé
a par erreur qr/us-r^'t] et pvr nfi-qt, que je lis por nie\n]t. Le sens général
serait donc : « pour néant^ pour rien ils fussent, ils seraient gens de fête
qui dussent caroler ; peu s'en faudrait qu'ils ne se considérassent comme
des gens de fête prêts à caroler; mais leurs mains étant liées, ils ne pou-
vaient danser. « — Je dois l'idée de cette interprétation à M. G. Paris.
— ^. Le meins, c. à d. les meins. — Cous est bizarre; je ne vois pas
pourtant le moyen de lire autrement l'hébreu. — 4. En vit; ms. : 'n)rr,t
= envit; peut-être doit-on intercaler un scheva entre \'n et le w et lire
enevit = en (on) ne vit; ce qu'exigent la mesure et le sens.
IX. I. Inelement; ms. 'vnrjmnt :=. onelement. — Hathan, mot hébreu
signifiant gendre ou fiancé. — 2. Kedouschah, mot hébreu signifiant sancti-
fication, et spécialement célébration du mariage. — forments ; ms. pvrmnts
pour pvrmnts; \'s finale est une faute , amenée sans doute par 1'^ initiale
du mot suivant. — s'é penez, c. à d. s'est penez. — Le sens des deux
premiers vers est peu net. Toutefois il est déterminé quelque peu par
le rapprochement de Hathan et de Kedouscha qui doivent vouloir dire
ici, l'un fiancé, l'autre célébration du mariage. Le sens général serait
donc : « Siméon s'est efforcé d'accomplir son mariage au moment de
mourir » ou : « Siméon s'est affligé, pour accomplir, parce qu'il ne
pouvait accomplir son mariage. >> — 3. Le jone; ms. : grne; Vr sans
doute est un v mal fait. Pour le dernier mot, le kadmenath, le texte ici
est évidemment corrompu, puisque la rime manque ; le mot répond au
Romania,Ul ^0
466 A. DARMESTETER
, >[6")3f) u)'u«f)'p fjiDii t::77 coô iS'f^
: 'mi:6 iD:f) î»3 odic u-îip -îip^c iiD-)p
, u»7>5 cnpi5 -(Hf) . 6")i;65 cnsfr p!) T7-)fi7
. u>7'îr)fic ■)'p6i37 jib mp id u:^J cu>d
: U'763:67 >-)')067 J'DfîC 1D fi'3 uip
.T^iiDf) i^DHD i::p-)iD >p 6pnnD jib uifî'i'f) XII
. y^D'b 'f7 '5 c6nipp df'O'pf'P iid u'f^c u'7'6
. ■)nip7 îf)c u'Dt: ")>7-)f) mpip "jid cf>D uoc
: y))b urne ]f)'3 >c 'p ")D1d ji^ipc '"> idc
TRANSCRIPTION.
X 'pr/iS.VjWY]nt r. schlmh q-q mvt 'r^l-qr^X prvjz-r;,
'•/) pv g'r;tr,s ddns Ivpv' qi'r^t-^t 'br'zvj,
d'vpr-/]r svn qvrs pvr gr, V^nn-r^t p's rvz-/],
qrpvr s'mvr mvrt svprrj bT//jn 'npv 'nw/jz-zj.
XI mvt Vjtrjt 'nwn-r]m-/5 Ivplvn Im'dïj't,
d'rdïjf Ivn 'prr^s l'tr', 'dvn Ivqdvsch l-^d-^t,
pTjts grnt pv mwr^s 'vn dbl'mr,r s'hrdrjt,
mvt b-rjl' pv s'pr,n d'nwr,rrj d'nb'dr^t.
XII 'l-zj'vt 'vn prvdvm' qi pvrmnt pr/)nt 'pIvrYjr,
'■qdr,l s'Y]t pvr m'm-qwri'h qmw^'s cr, dz-r] 'prr^r,
sriTjt p's pvr mvqvrs 'rdr^r sp-r;t s'ndmvrir]r,
spv r. schm/ivn svphr qy^ syj b-/]'n sw/)t 'vrr;r.
nom hébreu que lui donne !a notice : le kadmôn (l'Ancien ou l'Oriental).
— Siméon est une erreur pour Siinson, nom donné à notre personnage
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 467
X Apres i vint R. Schelomo ki mot etet prisé,
E fu getes dedans lo foe ki etet ebrasé ;
D'ofrir son cors por Gé i n'ot pas rusé ;
Car por s'amor mort sofri ; bien en fu envesé.
XI Mot etet envenimé lo félon, le madit
D'ardir l'un après l'atre. Adon lo kadosch li dit :
Fêtes grant fo, mavés hon ! De blâmer s'ehardit,
Mot bêle fu sa fin d'enviré d'enbadit.
XII II i ot un prodome ki forment print a plorer
E dit : s'et por ma menie ke me veés ci deseperer
Se n'et pas por mo cors. Ardir se fit san demorer :
Se fu R. Simon Sopher ki si bien savet orer.
par la notice, l'élégie hébraïque (cf. la citation de la str. IX, 4) et
d'autres documents ; l'erreur est très-facile à expliquer.
X. 3. D'ofrir; ms. d'vpr'r,r pour d'vprr^r. — / n'ot; ms. : 'r,nnr,t; je
corrige en 'r,nnvt — in not pour / n'ot.
XI. i. Le madit; ms. le madiet (Imdi't); erreur évidente comme le
montrent les rimes. — 2. Kadosch, mot hébreu signifiant 5j/a/?. — 3.
Fêtes; ms. : p-qts, lire pTits. — 4. La fin de la strophe est obscure;
on est réduit aux hypothèses. Le personnage dont il s'agit ici est
Baruch d'Avirey. N'y aurait-il pas une inversion amenée parles exigences
de la rime : Mot bêle fut sa fin d'enbadit d'enviré ? Je vois dans enviré le
nom propre Avirey, et dans d'enbadit (ou plus exactement denbadit) une
faute pour de Bandit {Bendit) nom de Baruch en français (voir plus loin,
p. 482, et n. i).
XII. 2. Me veés ci dese[s]perer; ms. ç-q rrct 'r,prr/, •=. ci resc epercr,
leçon qui n'offre rien de satisfaisant. En changeant l'r de rz-Q en d, ce qui
peut toujours être supposé dans notre texte, et en admettant une inter-
version du z et de l'r, [r,z à la place de zyj), interversion dont on a
d'autres exemples dans la pièce, on arrive à un sens qui concorde on ne
peut mieux avec le contexte. — s'et, se, se des vers 2, 5 et 4, sont pour
c'et, ce, ce. — 4. Soplier, mot hébreu signifiant scribe.
XIII. Cette strophe est pour moi un locus dcspcratus. Elle est trop
corrompue pour qu'on puisse en tirer un seul vers complet. Elle commence
le verso du dernier feuillet du ms., c'est ce qui explique qu'à peine la
moitié en soit lisible. — Le mot scfiti se trouve à la marge, sur la
ligne 2 : un signe de renvoi indique qu'il faut le placer, ligne i , après
468 A. DARMESTETER
. ni'cf) cf)' ... iD (-'C'p .mvb jiiiip f^'oii^ XIII
=^ipc pSip ; nr»03 cpif) c'D'ifjp f'if).'....-)iD
. yip-) p:) pri' '■) u;->:'n nfî'ipos XIV
.T"îD i2-):iip 'i'^i6 ^if)np -ji!) tu u:-)iu 6i'p
: ^oDifj m mp pp7 f57:")rif)'6 jw "ic-î
. pue .... c»iD nDpf) c:2»Df) XV
. p: u'c ]ic: <|'n uii n'b f^j j"f)>p ....ni "^iD
: pn37 6")i:'rfî ^.nnni en '■) i:>iD^i:6
TRANSCRIPTION.
XIII I lobja qolon r^wr^t, qr,svn po...-r;'s atizh,
spiti pvr... bsrr,r vvr,tmt V/vzh,
loayes por randre 'g?; swr,r,s asé-?;r(Zah,
pvr.... eze qalipit oqes ne nuizah, — {Colon est son nom.)^
XIV préqôrs winrt r. içlik qhn reqerir,
qiçe tornat WY;r lor qréaçe oili qewanrét périr,
idit qeabé-^-os tant gewl por gé morir,
gesur/f, qhn éoprande démon qors vos oprir.
XV apeynes eqaperas puis... tetenon,
pislobalifir^ devvér/^ç qritayyç, W, i repondi tan tôt non,
pvr \v/... qéeyyn ge neléré le gé WY]p ne son set non,
anlapelet r. li-r;Y;m loserorge amétre debrinon.
1. Verso du folio 189. Les cinq stroplies qui se trouvent sur ce verso sont
ponctuées.
2. Mots en hébreu dans le texte. C'est une glose interprétative. Cf. str. XVI, 4.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 469
XIII Lo bia Colon i vint ki son ... atisa
Sefiti por vitemel osa '?}
Loais por randre a Gé s a seisa (?)
Por ... ese kalifit okes ne nuisa. — (Colon est son nom.)
XIV Préchors vinret R. Ichak Cohen rekerir :
K'i se tornat ver lor creace o il li kevanrel périr.
I dit : ke avés tant ? Je vol por Gé morir ;
Je sui Cohen, e ofrande de mon cors vos ofrir.
XV A peines echaperas, puis [que nos] te tenon,
Fis lo bailli, deveiz critain — E i repondi tantôt : non ;
Por 1... chein, je ne 1ère le Gé vif ne son set non.
An l'apelet R. Haiim, lo serorge e mètre de Brinon.
atisa. — Le premier vers doit se lire sans doute: Lo bia colon (le beau
Colon) / vint qui son feu atisa. Dans le reste on déchiffre les mots ce
fit i[l] ; viteme[n]t; loainYjes por randre à Gé; Por [mes]cse qu'on li fi[s]t
o[n]kes. — Les mots entre parenthèses : « Colon est son nom >■> traduisent
des mots hébreux correspondants. Voir à la transcription.
XIV. I. Cohen, mot hébreu signifiant prêtre. — 2. K'i se tornat, etc.
G. à d. « qu'il se tournât à leur croyance ou il lui conviendrait de périr »
— aves =^ avez:
XV. i. Le ms. donne clairement a peines echaperas puis, ici lacune,
puis tetenon. — 2. Ms.: deveiz critaiz. Nous lisons devein critain, en chan-
geant le çadé final en n finale, changement facilement supposablc, vu la
similitude à peu près complète des deux lettres. — Je dois la lecture de
ces deux mots à M. G. Paris. — ]. Por lo... chien ; lacune de deux ou
trois lettres que je ne puis remplir. — Set non = se[in]t nom. —
ametre dans le ms., faute pour e mètre.
XVI. 2. / l'alei an grivant c. à d. et l allait an grevant. On pourrait lire
encore il [le feu] alet angrivant. — Les mots entre parenthèses qui termi-
nent la strophe [tel est son nom) traduisent des mots hébreux correspon-
dants. Voir à la transcription. Ces mots se rapportent au mot vivant qui
finit le vers 4; le nom du Kadoscli est en effet Haiim, c. à d. vivant.
470 A. DARMESTETER
. i2:i'if) ':pf> ô»p P7p ]it> ci^•^ nipf) XVI
. o^noj jfio'Si'f) , iD CCD \>t> u'D 6:)b
. VOIVC'b h:P ")lf"p p37 »3 U'p.\-) 'f-
. t:3i55'i7 n:p2n / f^yyiti jf» >6 6Tp:ii '.ï XVII
. wi5 ni.i>!) f'i-sfîc co u'ip f'ifjpnf'i: 6-)7i^i:67
. obb'b c)b'C':''b f'S "^'c^f) -)ip7 Tf)nD6o7
; Dii)D6c i:f)p ô \)d-> . c^biDb 'b cpid c^od
i^rx) 'i;ip iD5'i> CCD irio rien
XVI eqores i ot un qadvsch ki pu amené awant,
anli pit un petit pv, ilalétan griwant,
i huqet gé debon qor menu ésowant,
doçemant çofri poyne por serwir igr^ wivant. — (Tel est son nom)
XVII gé wankère é an prinére, vanqnos decépelons,
deatadre tavaqace mot nos sable légors Ions
detepréer deqor antér la onr^séos éalos,
prées somes é apareléyys, repon g-^ qat tapelos.
Hasselath halla'az. Haschschem yaçilénou miggoy 'az ^.
1, Glose explicative qui se trouve dans le texte hébreu. Cf. str. XIII^ 4.
2. Mots hébreux. En voir la traduction à la fin du texte restitué.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 47 I
XVI Ecores i ot un kadosch ki fu amené avant.
An li fit un petit fo, i l'alet an grivant.
I huchet Gé de bon cor menu e sovant [nom.)
Docemant çofri poine por servir le Gé vivant. — (Tel est son
XVII Gé vanchère e anprlnere, vanch' nos de ce félons :
De atadre ta vachace mot nos sable lé jors Ions.
De te preer de cor anter la o nos seos e alos
Près Sûmes e apareleis. Repon, Gé, kat t'apelos !
Est finie la version. Que Dieu nous sauve de peuple violent!
XVII. I. Vanchère, avec è onven ; anprinere avec e fermé. — de ce
félons pour de ces félons ; de même, v. 5, léjors = les jors. — i. Lào nos
séo\n\s e alo[n]s; ms. : laoneseos ealos; ne doit se changer évidem-
ment en no. — 4. Près, voir plus bas, p. 472. — katfapelos^^kanl t'ape-
lons. — Les mots qui suivent : est finie, etc., sont en hébreu dans le texte.
IV.
Malgré le caractère hypothétique de quelques-unes de nos restitutions,
la pièce que nous venons de retranscrire en français présente assez
de formes curieuses assurées pour mériter une étude philologique.
Voyelles atones. Ve mi-muet remplace des voyelles atones dans reke-
nuit [n, 4), akemanse (vu, 3), kevanret (conviendrait, xiv, 2), ecores
(xvi, i) ; ajoutons /?enr(xiv, 2), rekerir (xiv, i). L'c féminin final est en-
core sonore, car il est noté dans certains mots ponctués par le scheva
mobile: vanchère (xvii, i), anprinere (xvii, 1,1 d'atandre (xvii, 2;,
va[n]cha[n]ce (xvii, 2,) etc. Dans d'autres mots non ponctués la notation
para/e/et hé montre bien la prononciation de cette lettre : égarée (1, 1 ;
écrit pour la finale : rr///) , joie (11, i ; jàyy'h) etc.
Voyelles accentuées. Rien à remarquer. — Une observation sur la nota-
tion 0, qui, comme nous l'avons vu plus haut, représente ô, 0, ou, eu, et
la notation ou qui représente Vu fr. N'a-t-on pas le droit de conclure de
ces notations que le son ou se confondait encore pour le copiste avec le
son 0^ Autrement, en effet, rien ne l'empêchait de réserver l'o pour à, 0,
eu et ou pour ou, u.
Diphthongues. Les diphthongues oi, ui sont encore fortes, c'est-i\-dire
qu'elles ont l'accent sur la première voyelle 6, ù, la seconde ; restant
encore à l'état de yod, comme on le voit par les transcriptions des mots
joie, déduit, conduit, nuit, rekenuit, etc. (II, i, 2, ?, 4, etc.); 1'/ y est
472 A. DARMESTETER
en effet représenté par deux yod, ce qui lui donne la valeur d'une con-
sonne. — La diphthongue ié est-elle déjà réduite à é, ou sonne-t-elle
encore ié^ Les éléments d'une solution précise manquent. La strophe
VII rime en cliier, ou, si l'on veut, en c/;cr; les strophes viii et ix en ér et
en nez ) rien à tirer de tout cela. La strophe x a pour rimes prisé (ou
prisie), embrasé (qui ne peut être embrasié), reiïsé (quinepeut être reiïsié),
envesé (qui peut être envesié). De la présence ùt embrasé et Atreùsé, doit-
on conclure qu'il faut lire pnVe, e/7v«^', et que par suite la strophe vu doit
rimer en cher ? La conclusion est peut-être téméraire. Toutefois, remar-
quons que la transcription de la syllabe ier est partout absolument iden-
tique à celle de la syllabe er [yod et r ; cf. par exemple les rimes des
strophes vu et viii) et que l'on ne trouve nulle part les deux yo^qui sem-
blent nécessaires pour indiquer la prononciation de cette diphthongue cf.
la transcription àebien, str. x, 4) '. Notons encore la forme curieuse ^/z/er
pour antier (xvii, 2), qui semblerait indiquer pour ce mot une réduc-
tion de la diphthongue ié (de e ; inîëgrum) à é, réduction analogue à
celle que présente par exemple le mot vacher pour vachier (' vacca-
rius) 2. Anîer supposerait donc la réduction générale de ié (de a), si
toutefois ce n'est pas une forme dialectale (du champenois-lorrain , ce que
semblerait confirmer une autre forme quelque peu analogue apareleis
(xvii, 4). Mais tout cela est peu convaincant, et la conclusion est qu'on
ne peut rien affirmer sur l'état de la diphthongue ie dans notre texte.
Signalons devE]n pour deviEn, (xv, 3) critAin pour crestiKn^ (id. ibid.),
c/;ei/2 pour c/n En (id. 4); ce sont là autant de particularités propres aux
dialectes de l'est, ainsi que la diphthongue oi (pour ci) dans poine
(v, 4 ; XVI, 4). Grivant (xvi, i) pour grevant doit être également dialec-
tal; il vient par analogie de grive forme contractée de grieve igrevat).
Notons encore la forme i pour e (et) devant une voyelle (xvi, 2) ; cepen-
dant elle est douteuse.
Nasales. En sonne an. Voir les rimes de i, vi, etc. et les notations
par an : docemant (xvi, 4), san (xii, 2), etc.
Consonnes. J. Partout le mot Dieu est noté Gé. Cette forme suppose
d'abord que Dié (de Dc[um]) est devenu Djé. Ici l'on peut se demander
si Djé s'est réduit à Je (Gé) ou si, gardant encore sa valeur primitive, le y
ne sonnait pas dj ?. Toutefois la notation de ; par deux yod, aussi fré-
1. La transcription de cher (chier) psivyod et aleph à la strophe VII, 2, semble
indiquer la présence de la diphthongue. Mais cette notation est isolée.
2. Là la diphthongue ic s'est réduite à é par suite d'une assimilation erronée
de cette terminaison chicr (* carius) avec la terminaison -chicr de -care. On sait
que ic de arius s'est maintenu, comme ié de c, intact jusqu'à nos jours.
3. On ne pourrait rien conclure pour le cli; car le tc/z pouvait déjà être devenu
ch quand le ; était encore dj.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 473
quente que la notation par g tilde montre que dans notre texte le ;
avait perdu le son dental pour ne conserver que le son chuintant. Dié
était donc devenu dans notre texte Gé.
L devant une consonne tombe purement et simplem.ent comme dans
les dialectes de Pest : ma (v, 2), liât (viii, i), madit (xi, 1;, aîres (xi, 2),
mot (non moût, ni moli ; i, i ; vu, 2).
N est supprimée d'ordinaire dans les groupes an, en, on et dans les
finales verbales en ent. Dans les syllabes nasales, Vn était-elle tombée
dans la prononciation? Les rimes de la strophe xvii prouvent le con-
traire. Le scribe à qui on doit la copie du Vatican avait-il devant les
yeux un texte écrit en français avec l'abréviation de 1'/^ marquée par un
trait sur la voyelle précédente, et a-t-il supprimé dans sa transcription
ce tilde qu'il ne pouvait rendre ? Je n'oserais le dire. Pour les finales
atones en ent, Vn est certainement tombée dans la prononciation. Les
formes poet, furet, oret, aveet, etc. sont incontestablement établies par
les glossaires hébreux du xiii^ siècle.
S dans l'intérieur des mots, devant une consonne, ne se fait plus
entendre. Partout, dans notre texte, elle est tombée. La chute de cette
consonne semble avoir amené une sorte d'allongement de la voyelle pré-
cédente, qui, quand c'est un é, paraît se faire suivre d'un e mi-muet
ou d'une sorte d'/z douce. C'est du moins ce qu'on peut conclure de
l'orthographe des mots mechief, (1, i), égarée (i, i), prés (xvii, 4). En
effet, après le yod qui représente \'é, vient un alef qui indique soit une
sorte d'e muet, soit plutôt une légère aspiration. Cf. les formes dialec-
tales de l'est : ahne, maihnie, etc. Les autres exemples de e = es ne pré-
sentent pas trace de cet allongement : déduit, [n, i), etct (iv, ? ; etc.),
ecorchier (vu, 4), etc. Pour les autres voyelles, je note biimer (xi, ? ;
et non blâmer), tantôt (vu, 3).
5 finale tombe dans les, ces, très, devant une consonne : Icmcins {v\u, ^'i,
léjors (xvii, 2), céfélons (xvii, i), trcmale (m, i) ; elle tombe également
dans le même cas dans san (xii, 3), ver {x\v, 2), no (xvii, 5I.
Z et Ç se sont réduits de ts, ds à s : sete pour ceste (m, i) ; dosos pour
de ços (il, 2),plasse (iv, 1^, etc. \fenis pourfeniz (11, 4],porrés (vu, 4), etc.
Avant de passer aux formes grammaticales, signalons quelques mots
curieux ou rares. Mont 11, i ; v, 2), pour molt ou plutôt mot ; on en a
des exemples dans la vieille langue ; racket pour rachat (1, 4), de rache-
ter; conduit RU sens de conduite (11, 2); changeler pour changer (m, 2) ';
anprinere au sens de défenseur (xvii, 1) S plain au lieu de plaint (élégie,
1. Changeler est dérivé de changer, comme vcntekr de venter, sautcler de sauter,
etc. Je ne connais pas d'autre exemple de ehangeler.
2. Anprinere. Le sens de ce mot est donné par Rasclii qui traduit en plusieurs
passages de la Bible l'iicbrcu kinhah « jalousie » pur cnprenement. Anisi Nombres,
474 A. DARMESTETER
(m, 4), serorge fxv, 4) pour serorgien. Ce mot n'est pas en effet soro-
rius, beau-frère, mais dnrur^us, comme le montre le contexte : « serorge
et maître de Brinon. » D'ailleurs dans un document dont nous parle-
rons plus loin, le Rabbi Haiim appelé ici serorge et maître de Brinon est
vanté comme rendant la vue aux aveugles. Il est donc incontestable
que c'était un chirurgien, et serorge qui, traduit par sororius, n'offre ici
aucun sens, ne peut s'expliquer que par chirurgus, bien que cette forme
ait été plus habituellement remplacée par chirurgianus = serorgien,
surgien. Fcnme (v, i) n'est peut-être pas une faute pour femne, et indi-
que une prononciation nasale /Jme. Le mot /eu est tantôt écrit /o (c. à d.
feu) (xi, 3 ; XVI, 2 ; etc.), tantôt /og (x, 2 ; ix, i , etc.j ; sous cette forme
il reste masculin : la foeki éîet e[m]brasé (x, 2). Forment, bien écrit xii, i,
est écrh forments ix, 2. Comme le mot qui suit commence par une s,
peut-être est-ce une erreur du copiste qui a recommencé deux fois la
même lettre. Dans efant (v, 4), le scribe a-t-il fait tomber Vn suivant
son habitude ou a-t-on affaire à une forme dialectale ^ Prechors (xiv, i)
montre la contraction de eor {eeur) en or [eur] : precheeur, prêcheur,
ou bien c'est un dérivé direct de prêcher à l'aide du suffixe moderne eur.
Pour les formes grammaticales, je remarque dans les déterminatifs et
les pronoms le dat. masc. sing. li (xiv, 2], le fém s': s'amor (x, 4) , la
forme régulière c/? ou mieux an pour on (vni, 4; vu, i ; xv, 4) à côté
du nominatif singulier on =^ hom (xi, 3), qui montre bien la différence
de sens de ces deux mots étymologiquement identiques; le pluriel 05
(c. à d. eux; VII, 3) à côté de as [i, 3). Notons la forme i pour //
devant une consonne : k'i se îornat (xv, 2) '. L'article se présente sous
les formes li, la, le (rare), la, lé (les).
La conjugaison offre un archaïsme; je vol (xiv, 3) de vouloir à
côté de (je) vos (xiv, 4) ; 'facrant n'est pas encore devenu j'acrante dans
je te acrant (vi, 4); print (xii, i) est un néologisme. Nous avons
déjà signalé la réduction de la terminaison cnt à et. Dans certaines
formes, le / de la troisième personne du singulier est tombé : ju [\x, et
passim), sofri(y, 4), e pour est (ix, 2). Il est inutile de rappeler les
parfaits dit, fit pour dist, fist (vi, 3 ; v, 2 ; etc.) et une ioh fis pour fist
(xiv 2). Il y a quelques impératifs irréguliers : enten (m, 3) , repon
(xvii, 4); m-dh prent (m, 3) et devein (xiv, 2) sont corrects. Ce que la
XI, 29, sur les mots es-tu jaloux pour moi? Raschi explique que pour moi veut
dire dans mon inicrêt et il ajoute : « le mot kinhah (jalousie) indique le senti-
ment de celui qui met son cœur à une chose, soit pour se venger, soit pour
venir au secours. Fr. enprcnement. » Le Dieu enprenerc de notre texte est donc le
« Dieu jaloux » {El Kanah) de l'Ecriture, c. à d. le Dieu zélé (pour Israël).
Anprinerc a exactement le sens du latin zclosus.
1. Il est souvent difficile de distinguer le pronom i (il) de la conjonction c (et).
Dans les cas douteux nous nous sommes laissés guider par le contexte.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 475
conjugaison présente de plus remarquable ce sont les imparfaits, tous en
et, cet ('= éent) : aurions-nous là déjà notre imparfait moderne ?
La conjugaison et certaines formes de mots présente déjà quelque
caractère de la langue duxiv«s., mais c'est dans la déclinaison que
ce caractère se montre nettement. Là on voit l'oubli le plus complet
des règles de la vieille langue; les formes de l'accusatif et du nominatif
se remplacent sans raison les unes les autres et 1'^ paraît mise ou
omise au hasard. Sujet singulier, formes correctes : 'il. fu amenez
(ix, i) ; s'c penez [ix, 2) ; (il) fu nez (ix, 3), et au vocatif : vanchere,
anprinére (xvii, i ; remarquons toutefois l'archaïsme de ces formes où
manque 1'^ finale analogique) et on (xi, 3). Formes incorrectes : (il) fu
amené (iv, i), Châtelain {iv, \), plein (iv, 3); bon deportor (iv, 4) ; un
petit e un grant (y\, 1) ; lo petit fu ébahi (vi, 2) ; // grant li aprant (vi,3) ;
ki mot étet prisé [x, ï) {lo fo) ki etet e[m]hrasé 'x, 2); bien enfu envesé
(x, 4); mot etet envenimé lo félon, le madit (xi, i), etc., etc. — Régime
singulier, formes correctes : dedans lo foe (x, 21, je ne lerrai le Dieu vif
[\\\, 4) ; mais nus pour nul d, 4). — Sujet pluriel : la ligne suivante
montre l'application et la violation de la règle : furet ars meinz proz cors
sage et gent (i, 3). Ajoutons (^o/zi) fenis (11, 4;; dos frères i furet ars
(VI, 1) ; préchors vinreî (xiv, i), etc. — Régime pluriel : Si de tos biens
est correct (iv, 3), ainsi que de céls^felons (xvu, 1), en revanche : toi
li atres a e[n]hardit est d'une incorrection remarquable ' . Ces exemples suf-
fisent. Ils montrent que l'élégie du Vatican ne connaît rien aux règles
de la décHnaison de l'article et des noms. Et remarquons que ces
fautes ne sont pas des fautes de scribe, mais appartiennent à l'auteur
de l'élégie, ainsi qu'on peut s'en assurer par les rimes déduit (n, i) à
côté de nuit, conduit, rekenuit; plein (iv, 3^ à côté de tôt à plein, etc.;
grant (vi, i) à côté dit aprant, etc.; prisé, embrasé, envesé {x, i, 2,
4) à côté de reiisé ; madit (xi, ,1) à côté de dit, etc. Le chaos orthogra-
phique qui règne dans ce texte est celui qu'on est habitué à rencontrer
chez les écrivains de la seconde partie du xiv- siècle. Il faut en conclure
que déjà à la fin du xiii^ siècle ou au commencement du xiV, la langue
populaire avait abandonné son système de déclinaison, et tendait vers les
formes qui ont prévalu au siècle suivant, et si notre élégie paraît en
avance d'un demi-siècle sur les monuments français proprement dits, c'est
que la langue littéraire — toujours plus conservatrice — a été en retard
d'un demi-siècle sur la langue populaire^.
1 . On ne peut lire lé atres, parce que te pour les ne se trouve que devant une
consonne.
2. D'ailleurs la transcription en lettres héhraïques n'a pas dû peu contribuer
à faire négliger au copiste les traditions orthographiques et i l'engager à re-
produire son texte tel qu'il le prononçait.
476 A. DARMESTETER
Tels sont les traits, curieux en somme, de notre texte. Y trouve-
t-on un caractère franchement dialectal ? Nous avons signalé des formes
qui indiquent un dialecte de l'est; mais l'absence des diphthongues
caractéristiques ai pour a, ei pour é, etc., prouve en faveur du fran-
çais', il faut sans doute supposer un dialecte intermédiaire entre le
français et le lorrain, le champenois, le dialecte de Troyes, par
exemple. Toutefois, il est vraisemblable que la langue primitive de cette
pièce a été altérée par les scribes qui nous l'ont transmise. En effet, il
ne faut pas se flatter d'avoir là l'œuvre originale de l'auteur (bien que
la copie ne soit guère postérieure à la fin du xiii^ siècle ou au commen-
cement du xivf, comme le montre l'écriture du ms.l La copie du
Vatican est vraisemblablement l'oeuvre d'un Juif méridional, qui aura
reproduit — plus ou moins exactement, on ne peut l'affirmer — une
copie écrite en caractères hébreux ou français 2, laquelle est une
reproduction, sans doute faite de mémoire, comme nous le verrons plus
loin, de la pièce originale. Maintenant, entre ces intermédiaires qui
nous paraissent assurés, on est libre d'en supposer encore d'autres,
dont rien, il est vrai, ne prouve l'existence. Est-il admissible que
la langue primitive, à travers ces copies successives, soit restée intacte .''
Il nous paraît difficile de l'affirmer. C'est ce qui diminue la valeur philo-
logique de notre texte, valeur qui toutefois, même avec ces restrictions,
garde encore de l'importance.
L'élégie est en quatrains monorimes, comme nombre de petites pièces
du xiiie siècle. Mais les vers sont d'une mesure singulièrement arbitraire,
tantôt trop longs, tantôt trop courts. Il n'est pas vraisemblable que
l'auteur de la pièce se soit amusé à faire des alexandrins aussi gro-
tesques ; d'ailleurs, pour peu qu'on lise l'élégie avec attention, on y
sent un rhythme caché qui semble avoir été déformé après coup. D'un
autre côté, les phrases sont souvent embarrassées de particules qui
gênent la mesure en même tempsque la construction; parfois aussi le sens
paraît appeler des mots qui viennent heureusement remplir la mesure.
Par exemple, m, ^ : Gé ! prent en pitié, l'hémistiche est évidemment:
Gé! prent nos en pitié, iv, 7,. A Gé vif se rendi cil ki de tos biens estet plein,
ce cil ki est singulièrement prosaïque ; qu'on le supprime, et le rhythme
est rétabli en même temps que la phrase reprend une allure plus poé-
tique. III, 4, le sens exige la négation ne; la mesure s'en trouve égale-
ment satisfaite. On peut multiplier ces exemples: je me contenterai d'en
ajouter un seul : x, 5, D'ofrir son cors por Gé i n'ot pas rusé. Si l'on
1. La forme tée pour ta est douteuse, j'y vois une faute pour tê ^ tel.
2. Je penche pour le français à cause de la suppression systématique de \'n
dans des nasales an, en, on. Voir plus haut, p. 458.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 477
songe qu'au xiii^ siècle la forme de rusé était encore reiisé, que ce n'est
qu'au milieu du xiv^ siècle qu'on voit paraître dans les textes rusé, et
que par suite c'est au plus tôt au commencement du xiv^ siècle que
rusé a dû se produire dans la prononciation, il faut voir dans cette
forme l'œuvre du copiste. Et l'on est en droit de corriger rusé en
reiisé qui rétablit précisément la mesure.
De ces observations diverses on peut conclure que l'élégie a été com-
posée en alexandrins, et retranscrite — sans doute de mémoire — par
un scribe qui l'a reproduite avec plus ou moins d'exactitude. Il n'y a
donc pas de témérité à en essayer la restitution. On verra que les vers se
laissent rétablir sans grande difficulté, hormis la strophe finale dont les
deux derniers vers paraissent composés de quatre vers de huit syllabes.
Toutefois avant d'essayer la restitution, il faut se demander dans quel dia-
lecte elle se fera. Comme il est impossible de déterminer exactement
le dialecte primitif de l'élégie, comme, en outre, notre première resti-
tution conserve aussi fidèlement que possible la physionomie du texte, et
que le lecteur pourra y étudier à l'aise les traits intéressants de phoné-
tique ou de morphologie qu'il peut présenter, nous nous croyons en droit
d'user maintenant d'un peu plus de liberté. Nous voulons donner un
texte moins hérissé et de lecture plus facile^ et nous essayons une resti-
tution en langue commune, rétablissant les formes telles qu'elles se
seraient présentées à un bon copiste français de la fin du xiir" siècle,
conservant cependant les incorrections ou les particularités dialectales
qu'exigent la mesure des vers et la rime, ou qui peuvent donner un
cachet propre au style de l'élégie.
TEXTE RESTAURÉ.
I Mont sont il a meschief mis l'esgaree gent,
Et il n'en poent mes si se vont enrajant ;
Car d'entre eus furent ars maint proz cors sage et gent,
Qui por lor vivre n'orent doné rachet d'argent.
II Troblee est nostre joie a tôt nostre desduit
De ceus qui m et l'ont en lor conduit ;
Ne finoient lor tasche et le jor et la nuit :
Or sont ars et feni ; chescun Gé rekenuit.
III De la felone gent sofrons ceste dolor ;
Bien nos pot changeler et muer la color.
Gé ! prent nos en pitié e entend cri et plor :
Pcr nient avons perdu maint home de valor.
478 A. DARMESTETER
IV En place est amenez Rab Içak Chastelains
Qui por Gé lessa rentes et mesons tôt a plein,
A Gé vif se rendi : de tos biens estoit pleins.
Bon deportor estoit de Thosfoîh et de plain ' .
V La prude fenme, quant vit ardir son mari.
Ma li fist li deparz; de ce jeta grand cri :
« De tel mort vais morir com mon ami mori ! » ^
D'enfant ele estoit grosse; por ce poine sofri.
VI Dos frères furent ars, uns petiz et unz granz.
Li petiz s'esbahit du feu qui si s'esprent,
E dit : « Haro î j'ar toz! » E li granz li aprent
E dit : « A Paradis seras ; tôt je t'acrant. ;>
VII La brus qui tant fu bêle, an la vint por prechier.
Riche estoit de deniers que tenoient molt chier ?.
Tantost ele aquemence encontre as a crachier :
« Ne lerrai Gé ; por tant me porrez escorchier. »
VIII D'une vois tuit ensemble chantoient hat et cler
Com fuissent gens de feste qui dussent caroler.
Les mains orent liées ; ne pooient baler ;
Onques gens an ne vit si bêtement aler.
IX En feu isnellement com Hathan fu menez.
De fere sa kdouscha'^ forment il s'est penez ;
Les atres enhardit ; de bone hore fu nez ;
Il ot a nom Samson le jone et le séné 5,
X Apres vint Rab Schlomo^ qui mot estoit prisiez.
1. Thosfoth (prononciation vulgaire; plus correctement Thosafoth). Ce sont
des commentaires talmudiques. Cf. Romania, I, 160. Pour le mot plain qui
suit, voyez plus haut p. 473. — Il n'est resté, en dehors de ce témoignage,
aucune trace des œuvres de R. Isaac Châtelain.
2. Je supprime de dist. Dans les complaintes populaires, telles qu'est notre
élégie, les dialogues d'ordinaire se suivent sans indication des personnages, les
différences d'intonation dans le récit suffisent en effet pour les désigner. — De tel
mort. Le texte porte tce qu'on peut corriger en tê := tel.
3. Restitution plus que douteuse. Voir p. 464 et 465.
4. Kdouscha , prononciation vulgaire de kedoiischah (sanctification) ; cf. la
note 1.
5. Le texte porte : « le jone et le kadmenath » ; ce dernier mot qui corres-
pond à l'hébreu kadmôn est sans doute une glose du scribe. Je restitue hypo-
thétiquement ce vers avec l'adj. séné (sensé 1, épithète commune en vieux fran-
çais. La rime exigerait bien le nominatif /;' senez; mais notre texte comporte plus
d'une incorrection de ce genre.
6. Sclîlomo, prononciation vulgaire pour Schelomo (Salomon) ; cf. la note i .
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 479
Fu jetez dans le feu qui estoit embrasez ;
D'ofrir son cors por Gé il n'ot pas reùsé ;
Por s'amor mort sofri ; bien en fu envesiez.
XI Mot fu envenimez li félon, li madit
D'ardir l'un après l'atre. Dont le kadosch^ li dit;
« Fai grand feu, maves hon ! » De blasmer s'enhardit.
Mot bêle fu sa fin d'Avirey de Bendit.
XÎI II i ot un prodome qui fort print a plorer
E dist : « Por ma mesnie me veez desperer,
Non por mon cors. » Ardir se fist sansdemorer;
Ce fu Simon Sopher ^ qui si bien sot orer.
XU\ Li biaus Colons i vint qui son feu atiza
Por rendre a Gé loanges '
XIV Prechors vinrent Içak le Cohen^ requérir :
« Tast a lor créance ou 1' kevanroit périr. »
Il dist : « Que avez tant ? Je voil por Gé morir.
Je sui Cohen : ofrande de mon cors voil ofrir. 4 »
XV « A peine eschaperas, puis que nos te tenons
Deviencrestiens» 5. E il respondi tantost : « Non!
Por les chiens ne lerrai le Gé vif ne son nom. «
Anl'apeloit Haiim, le mestre de Brinon"^.
XVI Encore ot un kadoschi qui fut menez avant.
An li fist petit feu e l'aloit on grevant ;
Huchoit Gé de bon cor e menu e sovant;
Docement sofri poine por servir Gé vivant s.
1 . Kadosch, saint. Ce mot chez les Juifs a généralement le sens de martyr. Sous
Louis XV, un Juif de Boulay (Moselle) mourait sur le bûcher. J'ai vu des vieil-
lards de Metz qui se rappelaient avoir jeûné, étant enfants, à l'anniversaire delà
mort de cet homme qu'ils appelaient le kadosch de Boulay, le saint de Boulay.
2. Le scribe. — 3 . Le prêtre.
4. Félix : Adore-les ou meurs. — Polyeucte : Je suis chrétien.
(Potyeucte, V, ?).
5. Le texte porte : Fist li baillis, dcvien crestiens, etc. Fist li baillis doit être
une glose postérieure du scribe. Cf. p. 478, n. 2.
6. Des deux ép'ilhèies serorgc et mestre de Brinon, je supprime la première qui
doit être une glose, comme me le fait remarquer M. P. Meyer. Le maître de
Brinon, tel devait être en effet le titre qu'on donnait au chirurgien Haiim.
7. Voir n. i. — 8. Cf. p. 469, en bas.
480 A. DARMESTETER
XVII Gé venchére, emprinére ' ! vanche nos des félons !
D'alandre ta vanchance nos semble li jors Ions !
De te preer de cor entier
La ou nos seons et alons ^
Près somes et aparellié.
Respon, Gé, quand nos t'apelons !
Abordons maintenant la question historique.
La notice et les deux élégies nous apprennent que des frères prê-
cheurs^ c'est-à-dire des Dominicains, ou membres de l'Inquisition, livrè-
rent au bûcher treize Juifs, à savoir :
R. Isaac Chastelain.
Sa femme, qui était enceinte.
Ses deux fils, l'un marié, l'autre encore enfant.
La femme du fils aîné.
R. Simsôn, fiancé, appelé le kadmàn ou le jeune alakadmenath.
R. Salomon,
R. Baruch d'Avirey.
R. Siméon, scribe, de Châtillon.
R. Jonahou Colon3 (Comlon dans lanotice, sans douteparerreur).
R. Isaac Cohen.
Maître R. Haiim de Brinon, chirurgien.
Et R. Haiim.
Le supplice eut lieu à Troyes^, le samedi, quinze jours avant la Pente-
côte de l'an 5048 (ère juive). R. Jacob, fils de Juda, de Lorraine, com-
posa sur les victimes une élégie hébraïque et peut-être une élégie fran-
çaise 4 — si les deux poésies viennent d'un même auteur — et l'élégie
hébraïque fut récitée officiellement dans les synagogues françaises, même
dans celles du midi, puisque c'est dans un rituel des Juifs dits portugais
qu'on l'a trouvée.
D'autres documents viennent confirmer ce fait en y ajoutant quelques
détails nouveaux.
1. Comparez pour le mouvement : « Dieu des vengeances, Eternel! Dieu
des vengeances, apparais! » (Psaumes, xciv, i).
2. Souvenir du Deutéronome, VI, 7 : « Tu répéteras les paroles de Dieu et
en restant dans ta demeure et en allant en chemin. »
3. Cf. plus haut, p. 45 5, n. 3.
4. Ces deux pièces ont été faites évidemment aussitôt après l'événement. On
y sent l'impression profonde et immédiate d'un contemporain, et, j ajouterais,
d'un témoin oculaire. D'ailleurs, composées longtemps après l'événement, on ne
comprend pas l'intérêt qu'elles auraient otiert.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 48 l
M. d'Arbois de Jubainville, à qui je me suis adressé pour savoir si les
archives de Troyes ne contenaient aucun document relatif à cet événe-
ment, me signala une note publiée sur ce sujet par M. Boutiot dans son
Histoire de Troyes (I, p. 487). Cette note, comme me l'a écrit M. Bou-
tiot, était prise à l'Annuaire israélite de 185 5-1 856, où se trouve une
notice due à M. Carmoly et intitulée : Un auto-da-jé à Troyes en 1288.
L'historien juif, après avoir rappelé les accusations générales qu'on por-
tait contre les Juifs, d'égorger les chrétiens, de tuer leurs enfants pour
recueillir leur sang, etc., s'exprime ainsi : « A Troyes, la patrie de l'il-
» lustre Raschi, on les accusa ainsi en i288_, et, pour les punir, on les
» condamna au feu. Treize personnes innocentes furent brûlées vives au
» cri : Ecoute, Israël, l'Eternel Notre Dieu, l'Eternel est un. Un ancien
» martyrologe, qui fait partie de notre cabinet des manuscrits, nous a
» conservé les noms de ces martyrs de la foi ; les voici (je supprime la
» liste hébraïque, et ne donne que la traduction de M. Carmoly) : Isaac
» Castelien, — sa femme,— ses deux enfants,— et sa bru, — Isaac Cohen,
» — Salamin, fils de Phébus, receveur, — Chaïm de Bérigny, — Chaïm de
» Coursan, — Siméon scribe, — Bénédict d'Aviré, — Rabbi Jona, — et
» Siméon, gendre du précédent. «
Je me suis adressé à M. Carmoly qui habite Francfort-sur-le-Mein,
pour obtenir communication du passage du ms. que résume cette
notice; mais M. Carmoly, affaibli par l'âge et la maladie, ne peut plus
s'occuper d'études ; et les démarches réitérées qu'a tentées auprès de lui
mon ami M. Joseph Herz sont restées sans résultat. Je suis donc réduit
à me contenter de ce document tel quel.
Il est très-vraisemblable, comme le dit M. Carmoly, que les Juifs
furent condamnés sous le coup d'une fausse accusation ; ce détail est en
effet confirmé par un autre texte dont nous parlerons tout à l'heure. Que
les victimes soient allées à la mort au cri de Schéma, Israël ! « Ecoute
Israël », ceci encore n'offre rien d'invraisemblable. D'ailleurs nos deux
élégies disent que Isaac Châtelain et les siens moururent en chantant ;
et assurément c'est le Schéma, ce Credo des Juifs, qu'ils durent entonner
en allant au supplice.
Pour la liste, elle présente, — en dehors des interversions, — de
légères différences avec la nôtre. — Isaac Castelien doit être corrigé en
Isaac Chastelain, la forme hébraïque du nom telle que la donne M. Car-
moly se prêtant aussi bien à la seconde lecture qu'ù la première.
— Salamin, fds de Phébus, receveur, est notre R. Salomon qui, à côté
de son nom hébreu, avait ainsi un nom français correspondant'. —
I. Le nom de S^j/am//î doit se lire SiiUmin ou Sjlmin (forme que favorise
l'orthographe hébraïque) ; le nom de Salemin a été porté par plusieurs Juifs
Romania,lll V
482 A. DARMESTETER
Le Chaïm de Bérigny est notre Haiim de Brinon, chirurgien. Le nom de
ville a été mal lu. En effet, le mot hébreu tel que le donne M. C, ne
peut se lire Bérigny, mais Brigne ou quelque chose d'approchant ; et il
était facile de prendre pour un e la terminaison on du mot dans le ms.
qui, selon nous, portait Brignon. Après ce Haiim de Brignon ou Brinon
vient, comme dans notre liste du Vatican, un autre Haiim que la liste
hébraïque de M. C. appelle Chaim de Caorse ou Corse ou Course, ce que
M. C. corrige sans raison en Coursan, puisque il existe un Chaource
dans l'Aube. Le Siméon scribe est notre scribe de Châtillon. — Benedict
d'Aviré est notre Baruch d'Avirey. Le nom de Barucli (bénit) se trouve ici
sous une forme française. Toutefois je ferai remarquer que le ms. de M. C.
pone non Benedict, mais Bendit^. — R. Jona est le Colon de l'élégie
française, appelé d'ailleurs Jona dans l'élégie hébraïque. — Le dernier
personnage de la liste est Siméon gendre du précédent (c. à d. de Jona),
traduction inexacte de l'hébreu: Siméon Hatlian Kadmenath. Siméon
doit d'abord être changé en Simson ou Samson 2. Quant à cette qualité
de gendre de Jonah, que M. C. voit dans les mots Hathan Kadmenath, le
texte du Vatican nous montre (\\iQ Kadmenath nQ signifie pas pre'ceW^^f (dé-
rivé de l'adjectif Kadmôn « antérieur »), mais que c'est un nom propre;
et le mot Hathan qui veut dire fiancé et gendre doit signifier ici fiancé,
comme on le voit par l'élégie française.
En somme il résulte de cette discussion que notre liste du Vatican ne
doit se modifier qu'en quelques points :
R. Salomon devient Salemin, fils de Phébus, receveur,
R. Baruch Bendit (Biendit), d'Avirey,
et le second Haiim Haiim de Chaource.
Outre ce document, il existe encore deux élégies hébraïques ou Seli-
choth composées sur le même sujet. Elles sont signalées et analysées par
français au moyen-âge. Ainsi, dans un document qui se trouve aux Archives
nationales (J, 227, 34) et qui est un accord de Philippe-le-Bel entre des gens de
son royaume et des gens du comte d'Anjou au sujet de la possession de 45 Juifs
désignés nominativement, je trouve un Salminus films Bochardi de argentorio.
Cf. Histoire générale de Bourgogne III, 78 : « I! (le duc de Bourgogne) donna
pouvoir à Joseph de S. Mier, Salemin de Balmes et David de Balmes son père,
demeurant en la ville de Dijon, de choisir les 52 familles à volonté. »
r. Le document cité dans la note précédente parle également d'un Banditus de
Montigniaco, ce qui prouve l'exactitude de la forme Bendit = Benedictus Baruch.
2. L'élégie française, comme nous l'avons vu, donne également à ce person-
nage le nom de Siméon ; mais la correction de Siméon en Simson (Samson)
s'impose là d'elle-même. Il est possible même que le ms. porte Simson et
que MM. Neubauer et Angelo aient lu Siméon; il suffit pour cela que le troisième
petit trait vertical à gauche du schin soit quelque peu effacé. Cf. p. 466 et
467. Le nom de Samson se retrouve encore dans deux autres documents
dont nous parlerons plus loin. Le nom de Siméon donné par M. C. est donc
isolé, et l'on a le droit de corriger dans sa notice Siméon en Samson.
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 483
M. Léop. Zunz dans sa Literaturgeschichte der Synagogalen Poésie (Ber-
lin, 1865, p. ^62). Il a bien voulu m'en envoyer une copie' ; elles
ajoutent quelques faits intéressants. La première composée par Meïr hen
Eliab est en 22 strophes de quatre vers monorimes ^ comme la pièce du
Vatican, mais à refrain. Ecrite avec une abondance quelquefois élégante,
assez souvent plate et diffuse, elle lui est passablement-inférieure. En
voici le résumé : « Je pleure sur les malheurs de la communauté de
Troyes ; le septième jour de Pâque, chacun dans sa demeure s'apprê-
tait, disant : Demain, Dieu reconnaîtra les siens. En effet, les méchants,
affligés de la mort de leur seigneur 2, prirent prétexte, et vinrent armés
dans la maison d^Isaac, lui parlèrent amicalement et lui dressèrent
des embûches. Le deuil entra dans sa demeure, et Isaac fut suivi par
ses deux fils, sa femme et sa bru. On pilla sa maison. Vint le tour du
jeune Salomon, d'Isaac le prêtre, de Siméon le scribe, de Simson qui
fut lié sur le bûcher avec des cordes neuves , ainsi que Haiim et
Salomon. Jonah périt aussi et Haiim qui rendait la vue aux aveugles.
Dieu ! prends pitié d'Israël. » Cette pièce est alphabétique ; c'est-
à-dire que la première strophe commence par Valej, la seconde par
le beth, et ainsi de suite pour les 22 strophes dont les initiales épuisent
les 22 lettres de l'alphabet hébreu. Les poésies hébraïques du moyen-
âge emploient souvent cette disposition dont le modèle se trouve dans
quelques psaumes. Sans nous arrêter aux faits nouveaux que nous apprend
cette élégie, signalons une divergence au sujet d'un nom. Baruch d'Avi-
rey est remplacé par un second Salomon. Peut-être est-ce un même per-
sonnage portant les deux noms de Salomon et de Baruch (ou Biendii).
La seconde élégie communiquée par M. Zunz, signée en acrostiche
Salomon Sinicha (poète connu aussi sous le nom de Salomon le scribe^j , est
en neuf grandes strophes à refrain. Ecrite dans un style prolixe, bizarre
et obscur, elle se laisse difficilement résumer : « Le feu a dévoré
1 1 jeunes hommes et deux femmes dont une enceinte. 0 Dieu ! vois le
bûcher de Troyes où périt R. Isaac avec ses enfants. On s'était caché le
sixième jour maudit 3, et il y eut des victimes. Salomon se dévoua et
Baruch Tob Elem, et les deux Haiim et Simson. 0 Dieu ! nous oublie-
ras-tu ? ))
Cette dernière élégie, incomplète comme on le voit, ne nous apprend
rien de plus, sinon que Baruch d\\virc\ appartenait à la famille connue au
moyen-âge des Tob Elem ou Bon fils qui a produit un certain nombre de
littérateurs.
I . il ne me désigne pas le ms. ou les mss. d'où il les n tirées.
2 et 3. Allusion au vendredi-saint.
484 A. DARMESTETER
Des divers documents qui précèdent combinés entre eux, on peut
tirer le récit suivant :
Le vendredi-saint, 26 mars 1288, avant-dernier jour de Pâque', des
chrétiens de Troyes, voulant venger « la mort de leur Seigneur », enva-
hirent la maison d'un riche Juif, Isaac Châtelain, auteur de commentaires
talmudiques et de poésies élégiaques. Ils lui dressèrent des embûches,
sans doute en l'accusant de quelque crime supposé, l'arrêtèrent avec sa
famille, mirent sa maison au pillage, et s'emparèrent également de huit
autres notables Juifs qu'ils livrèrent aux frères Dominicains. L'inquisition
instruisit le procès et condamna les treize prisonniers au supplice du feu.
Ceux-ci offrirent de se racheter à prix d'or ; on leur accorda la vie
sauve s'ils voulaient abjurer ; ils refusèrent et le samedi 24 avril, un
mois après l'attaque de la maison d'Isaac Châtelain, ils montèrent sur le
bûcher.
Isaac Châtelain, sa femme qui était enceinte, ses deux fils, sa bru,
« qui tant était belle », furent amenés les premiers au heu du supplice.
Les mains liées derrière le dos, ils allèrent à la mort avec intrépidité,
entonnant le schéma, s'encourageant mutuellement, et outrageant le bour-
reau et la foule.
Vint ensuite Samson Hakkadmôn, fiancé, qui mourut en adressant
des paroles d'encouragement aux autres victimes. Puis ce fut le tour de
Salomon^ ou Salmin fils de Phébus, receveur ; de Baruch ou Biendit,
d'Avirey - qui « s'enhardit de blâmer le bourreau » ; de Siméon le
chantre et scribe, de Châtillon?, «qui si bien savait orer» et qui mourut
en pleurant sur ses enfants; du «beau» Colon; Isaac le prêtre, requis par
les frères prêcheurs de se tourner à leur croyance, déclara que, prêtre
de Dieu, il voulait lui faire offrande de son corps. Haiim le chirurgien, le
maître de Brinon4, « qui rendait la vue aux aveugles », refusa le salut
que lui offrait le bailli. Enfin, périt à petit feu Haiim de Chaource$.
Tels sont les treize saints qui, le samedi 24 avril, quinze jours avant
la Pentecôte juive, périrent au milieu des flammes, en confessant « le
vrai Dieu ».
1. La Pâque juive dure huit jours.
2. Avirey-Lingey (Aube, arrondissement de Bar-sur-Seine, canton des Riceys).
3. M. Boutiol voudrait identifier le Marsianum donné à la place de
Châtillon par Assemani dans sa notice, et y voir le village de Marcenay, situé
près de Chàtillon-sur-Seine. C'est peu probable. Pourquoi Assemani, n'ayant
d'autre document que la notice historique du Vatican, aurait-il eu l'idée de rem-
placer Châtillon par Marcenay? Et d'ailleurs Marsianum n'est pas Marciniacum.
Assemani a défiguré simplement le nom hébreu de Châtillon, et Ta changé
au hasard en Marsian, comme il a changé Brinon en Berlin, Haiim en Hana-
ml, Lolra en Volaterra.
4. Brinon-l'Archevêque (Yonne, arrondissement deJoigny).
5. Chaource (Aube, arrondissement de Bar-sur-Seine, chef-lieu de canton).
DEUX ÉLÉGIES DU VATICAN 485
La justice royale semble être restée étrangère à cet événement. Il
parait même que les protestations que cette exécution dut soulever,
furent entendues par Philippe-le-Bel ' . Car, trois semaines après, le
17 mai 128S, lundi de la Pentecôte, le roi de France dans une séance
du Parlement interdit, par ordonnance spéciale, aux pères et aux frères
de tout ordre de poursuivre aucun Juif du royaume de France sans
information préalable faite par le bailli ou le sénéchal et sur des faits
clairs et patents 2.
Il n'y a pas de témérité à supposer que cette ordonnance, qui restrei-
gnait le pouvoir de l'inquisition au profit de la justice royale, fut inspirée
par l'exécution du 24 avril 1288.
VI.
Il est temps de conclure cette étude. Les deux élégies du Vatican,
comme on le voit, ne sont pas sans valeur. A divers égards, et comme
document historique, et comme document philologique et comme docu-
ment littéraire, elles apportent des faits nouveaux à la science. Elles
ajoutent une page de plus à la sombre histoire des Juifs au moyen-
1 . Toutefois, nous voyons un bailli offrir à Haïm de Brinon de racheter sa
vie par l'apostasie. Mais vraisemblablement ce n'était pas un bailli royal (la
Champagne était réunie depuis quatre ans à la couronne de France), mais
un bailli comtal appartenant à l'administration de Jeanne de Navarre : la
comtesse Jeanne, après son mariage avec Philippe-le-Bel , avait conservé
l'administration de ses états de Champagne et de Navarre, et la Champagne ne
fut réellement réunie à la couronne qu'en 131 i. On s'explique donc qu'une
condamnation prononcée par l'inquisition ait été exécutée par la justice seigneu-
riale, mais que le fait une lois accompli, Philippe-le-Bel qui n'était pas favorable
à l'inquisition ait pris ses mesures pour empêcher le retour de pareils événements.
Au dernier moment, M. G. Pans me lait observer que certains passages de
l'ordonnance citée dans la note suivante pourraient faire croire que le bjtlli du
texte était un bailli royal, qui s'était excusé per ignorantiam.
2. Archives Nationales, Trcsor Jcs Chartes, JJ 34 (ancien 35), fol, 54,
pièce 25. Ordonnances des rois de France, I, p. 317. Cf. Boutaric , /.; France
sous Philippc-le-Bcl, p. 83. Voici cette ordonnance, d'après le texte ms. des
Archives, le texte des Ordonnances offrant quelques inexactitudes.
« Expeditiones parlamenti penthecostes, anno domini M°. CC". octogesinio
octavo. — Ordinatum est quod Judei rcgni Francie, vel aliqui aut aliquis eorum
non capiantur seu incarcerentur ad mandatum vel requisitioncm aliqnorum patriim,
fratrum alicujus ordinis, vel aliorum, quocunque fungantur ofticio, nisi prius
informato Senescallo aut Baillivo nostro, sub cujus jurisdictione moram faciant,
capiendi aut capiendusdecasu proquocapi mandabuntur aut requircnlur, et quod
sit talis casus sic clarus pro quo capi debcant aliqui vel aliquis eorumdem et qui
ad jurisdictionem mandantium eos capi pertineat, ex forma mandati apostolici,
cujus mandati copiam habere mandamus et volumus universos Scnescallos et
Baillivos et alios officiales nostros, ne possint per ignoranliam excusari nostri
officiales predicti, in dictum mandatum apostolicum exequendum. Et si sil super
hoc aliquod dubium vel obscurum, non capiant aliquem vel aliquos coruni, nisi
prius consulta Uomuii Régis curia et magislris. )>
486 A. DARMESTETER
âge ; elles permettent de constater certaines expressions nouvelles de
la vieille langue et nous donnent une idée de la prononciation du fran-
çais à la fin du xiii" siècle. Enfin, comme œuvre poétique, la pièce
hébraïque est un bel échantillon de la poésie juive en France au
moyen-âge ; la pièce française, remarquable également par la simplicité,
la naiveté de l'expression et l'énergie contenue du sentiment, mérite
d'occuper une place parmi les poésies de notre vieille littérature. Enfm,
comme l'a fait remarquer M. Neubauer ', c'est la première œuvre litté-
raire transcrite en caractères hébreux que l'on connaisse. La littérature
des glosses et des glossaires ^, quoique très-abondante, en son genre,
est bornée. Avec l'élégie française du Vatican, on peut concevoir l'espé-
rance de trouver des œuvres littéraires dues aux Juifs de France, d'un
caractère plus large, et d'un intérêt plus grand.
Arsène Darmesteter.
1 . Rapport sur une mission en France et en Italie. Archives des missions,
3' série, t. I, p. ss8.
2. Voir la Romanui, I, p. 146-176.
LETTRE A M. GASTON PARIS
SUR
LE TEXTE DE JOINVILLE.
^ Monsieur,
C'est, une bonne fortune pour moi d'avoir obtenu, comme éditeur de
Joinviile, l'approbation d'un juge aussi compétent que vous l'êtes; mais
ce qui rend cette approbation plus précieuse encore, ce sont vos obser-
vations sur un certain nombre de leçons qui vous ont paru douteuses
ou mauvaises. Grâce à vous, je pourrai corriger dans ma prochaine édi-
tion plusieurs fautes que j'avais laissées subsister, tantôt parce qu'elles
m'avaient échappé, tantôt parce que je n'avais pas su trouver les heu-
reuses restitutions que vous me suggérez. Il en est une surtout qui me
satisfait d'autant plus qu'elle me fournit à la fois la correction d'une
erreur évidente, et la confirmation d'une pensée que j'avais négligé de
mûrir et de vérifier. Le résultat du petit travail que je viens d'entre-
prendre, c'est que le clerc chargé de recueillir la dictée de Joinviile a
commis quelques méprises parce que, de loin en loin, il lui arrivait d'en-
tendre mal ce qu'on lui dictait. Si vous le permettez, Monsieur, je cite-
rai quelques mauvaises leçons qui peuvent s'expliquer ainsi, et j'e.xami-
nerai ensuite quelles conséquences on en peut tirer pour la classification
des manuscrits. Sur ce point il existe entre votre opinion et la mienne
une nuance bien légère, que j'aurais l'ambition de faire disparaître.
Qu'est-ce que la locution liui et le jor, critiquée par vous avec raison ?
c'est à mon avis une faute commise par le clerc, à qui Joinviile avait
dicté liai el jor, équivalent de la restitution liui cel jor, que vous m'indi-
quez. La faute hui et le jor pourrait s'expliquer à la rigueur par l'étour-
derie d'un copiste, si elle ne se rencontrait qu'une fois; mais elle se lit
textuellement dans trois passages du ms. A (§ 25, 62 et 670), et elle
est contenue implicitement, d'abord dans BL aux §§ 25 et 62 {liui et
tous les jours) , puis dans Menard au g 2) [tous les jours maintendrit\ . Si
on en perd la trace dans BL au g 670, c'est que le hasard a conduit à
488 N. DE WAILLY
une traduction meilleure ('/;owr /e/our^'/î/iy;. Quanta l'édition de Menard,
elle omet en entier ce dernier paragraphe et n'offre au paragraphe 62
aucun équivalent des mots hui et le jor. Il est néanmoins permis d'affir-
mer que si ces mots ont été reproduits trois fois dans A c'est qu'ils se
lisaient trois fois dans la dictée du clerc. Je considère aussi le mot aïdier
comme une des fautes que le clerc, trompé par son oreille, avait intro-
duites dans sa dictée '^ 184). Si troubler se présente en cet endroit dans
B, c'est que le sens avait suggéré cette correction au copiste du manus-
crit; mais cette leçon isolée ne peut prévaloir contre l'accord des autres
textes (aïdier dans A, haydier dans L, secourir dans Rieux et Menard).
J'en conclus que pendant que Joinville dictait hardier, le clerc entendait
et écrivait aïdier.
C'est d'une méprise semblable qu'est sortie cette armée de mille che-
valiers que vous avez dissipéed'untraitde plume, et qui ne reparaîtra désor-
mais dans aucune édition de Joinville. Vous avez trouvé, suivant l'expres-
sion des géomètres, la solution élégante d'un problème difficile, en réta-
blissant à coup sûr les propres paroles de Joinville, mi chevalier, à la
place de l'erreur du clerc, mil chevalier. Voilà comment vous m'avez
remis en mémoire mon ancienne conjecture sur les mauvaises leçons qui
pouvaient s'expliquer par des consonnances. J'ai reconnu alors que telle
devait être l'origine de quelques-unes des fautes signalées par vous.
Vous penserez comme moi, Monsieur, que le clerc de Joinville a pu
entendre Bichiers au lieu de Vichiers (§, 185), ses branches au lieu de set
branches (§ 191), Guis Guibelin au lieu de Guis d'Ibelin (§, 2681. De telles
coïncidences, qui ne sauraient être fortuites, suffisent pour justifier ma
thèse. Permettez-moi cependant de citer encore une mauvaise leçon du
paragraphe 479 [la chose), à la place de laquelle vous proposez la chace.
Cette correction, qui satisfait parfaitement au sens, m'a conduit à cher-
cher un synonyme dont la consonnance avec le mot chose pût expliquer
l'erreur commise par le clerc; et il m'a paru que Joinville avait proba-
blement dicté Penchaus.
On peut demander pourquoi je cherche l'explication de cette mauvaise
leçon dans une consonnance plutôt que dans une étourderie de copiste.
La raison en est que cette mauvaise leçon la chose, comme toutes celles
dont j'ai parlé jusqu'ici, existe à la fois dans tous les textes, y compris
celui de Menard ; c'est donc une faute originelle, qui a précédé la sépa-
ration des familles de manuscrits, et qui par conséquent doit remonter
à la dictée du clerc. Or quand les fautes de cette dictée peuvent être
attribuées à des consonnances de mots, il est plus naturel de s'en tenir
à cette explication.
Ce point une fois établi, je vais essayer de déterminer l'origine du
texte reproduit dans M (l'édition de Menard). M ne peut appartenir à la
LETTRE A M. G. PARIS 489
même famille que ABL, puisqu'il fournit' seul: Pies mots au col
(§ 3 h) 5 2° Morentaigne au lieu de Morîaing {^ 372); 3" les mots sur
mer (§,404) que j'ai reproduits sous une forme dont Joinville fournit ail-
leurs l'exemple [en la mer]. Puisque A dérive certainement de H manus-
crit de Louis le Hutin), M ne peut dériver que de J ^manuscrit de Join-
ville) ou de D (dictée du clerc). Il ne peut s'agir d'une dérivation immé-
diate, car M reproduit une traduction moderne, tantôt abrégée, tantôt
paraphrasée, et si grossièrement inexacte à son début que le traducteur
avait nécessairement sous les yeux un manuscrit dont la première page
était devenue illisible. J'ajoute que ce manuscrit avait probablement
perdu un assez grand nombre de feuillets puisqu'il manque dans cette
traduction (telle que nous la connaissons aujourd'hui) à peu près la hui-
tième partie du texte original. Est-ce le manuscrit personnel de Joinville
ou la dictée du clerc qui avait dû subir de telles injures? Je crois que
c'est la dictée du clerc, qu'on avait dû négliger comme inutile du jour
où elle avait été transcrite. Je rattache donc l'édition de Menard à une
traduction de cette dictée que je désigne par les lettres TD.
M, qui diffère si évidemment de A comme de BL, a cependant quel-
ques points de ressemblance avec ces deux derniers manuscrits. En effet
M omet, comme BL, non-seulement la date fmale du mois d'octobre 1 ^09,
mais encore la sévère apostrophe à Philippe le Bel du § 42, les détails
donnés par Joinville sur la manière dont il ordonna son affaire pendant
son séjour en Orient (§ 501, 502 et 503I, enfin le passage que vous
avez si bien corrigé sur son commandement militaire ig, 504). On trouve
de plus dans M, comme dans BL, à l'exclusion de A : 1° la mauvaise
leqon les patriarches au lieu de // patriarches (§ 529); 2° dans la même
phrase le verbe combatre; 3" les mots et lis autres choses, etc., ou des
mots équivalents, qui terminent le paragraphe 768. Ainsi donc, par des
considérations indépendantes de celles que j'avais présentées il y a plu-
sieurs années, avant que j'eusse à me préparer des arguments contre
M. Corrard et contre le P. Gros, je suis ramené à ranger BL dans une
autre famille que A, en faisant dériver ces deux manuscrits du manuscrit
de Joinville par l'intermédiaire d'une traduction presque toujours litté-
rale, qui fut entreprise au seizième siècle pour Antoinette de Bourbon,
et que je désignerai par les lettres TJ.
Je crois avoir affaibli déj;^ votre objection principale ; car les fautes
qui dérivent de la dictée sont à déduire de celles qui vous engageaient ;^
comprendre ABL dans une seule et môme famille. Il faut en déduire
1. Pour plus de simplicité, je fais abstraction ici de l'édition de F^ierre de
Rieux qui altère systématiquement le texte dont Menard a voulu donner la
reproduction fidèle.
490 N. DE WAILLY
également les trois leçons vaillant (§, 2^1, disait des mors 'Z 54^ et Jaques
(S 39? )> 'î^' sont antérieures à la formation des familles puisqu'elles se
trouvent aussi dans M. J'en dis autant de la leçon encoste 'S ^^9) ^"i est
textuelle dans A, et qui est représentée par une périphrase équivalente
dans M aussi bien que dans BL. Mais ce qui diminue de beaucoup le
nombre des leçons à signaler comme indice d'une origine commune, c'est
que vos citations appartiennent pour près de moitié au seul manuscrit A.
Une fois qu'on a opéré ce dernier retranchement, qui est le plus consi-
dérable, au lieu de soixante exemples il vous en reste moins de vingt que
vous puissiez invoquer contre mon système de classification. Je pourrais
encore réduire ce nombre en essayant de justifier quelques-uns de ces
passages, qui me paraissent, sauf examen ultérieur, susceptibles d'être
maintenus dans le texte; mais j'aime mieux vous montrer tout de suite
qu'en modifiant mon opinion sans l'abandonner dans ce qu'elle a d'es-
sentiel, j'ai pu, si je ne me trompe, donner satisfaction entière à tous vos
scrupules.
A l'origine, je m'étais persuadé que le manuscrit offert à Louis le
Hutin avait été exécuté directement d'après la copie du clerc, comme
l'exemplaire personnel de Joinville. Les nouvelles vérifications que je
viens de faire m'ont amené à croire que H doit être une copie de J,
mais une copie augmentée des paragraphes 42 et 501 à 504, que Join-
ville y aura fait entrer pour réparer une omission dont il se serait aperçu
après l'achèvement de J. Cette hypothèse a aussi l'avantage d'expliquer
d'une manière plus naturelle l'altération du texte dans les trois paragra-
phes où M a conservé les bonnes leçons de la dictée ; le copiste de H
n'a fait que reproduire les trois fautes dont le copiste de J est seul
responsable. Ce raisonnement s'applique à toutes les mauvaises leçons
qui se rencontrent à la fois dans A et dans BL puisque J est la souche
commune de ces trois manuscrits.
En résumé, je propose la classification suivante :
D, dictée écrite par le clerc ;
J, ms. de Joinville, copie de D ;
H, ms. donné à Louis le Hutin, copie de J ;
A, ms. 1 3 $68 du fonds français, copie de H ;
TD, traduction abrégée ou paraphrasée de la dictée ;
R, édition de Pierre de Rieux, altérant volontairement TD:
M, édition de Menard reproduisant ce qui restait de TD ;
TJ, brouillon de la traduction littérale de J, avec additions ;
L, ms. d'Antoinette de Bourbon, dit de Lucques, copie de TJ ;
B, ms. de M. Brissart-Binet, autre copie de TJ.
B L
49'
R
M
Ainsi que vous avez pu le remarquer, Monsieur, la courte légende
qui précède répond sommairement à la question subsidiaire que vous
avez posée dans les termes suivants : « dans quel rapport précis les mss.
B. et L sont-ils entre eux ? » Comme la traduction littérale entreprise
pour Antoinette de Bourbon présentait d'assez grandes difficultés, elle
a dû être préparée à tête reposée sur un brouillon qui est la source
commune et immédiate de BL. Si B a quelquefois des leçons meilleures,
c'est parce que le copiste se permettait de modifier ce brouillon ; mais
ce qui empêche de le dériver de L c'est que, dans des cas d'ailleurs
assez rares, le texte de ce dernier manuscrit offre de courtes lacunes qui
sont comblées dans B. D'un autre côté, il y a dans B un assez grand
nombre de ces petites lacunes, qui sont comblées dans L parce que le
brouillon y a été transcrit avec une plus grande attention. B et L sont
donc des copies indépendantes de TJ.
Il a été fait aussi sur la dictée une traduction que je considère comme
la source directe et immédiate des éditions de Rieux et de Menard. On
ne pourrait avoir qu'une idée fort inexacte de cette traduction si on ne
la connaissait que par Pierre de Rieux, qui se vante de l'avoir polie et
dressée en meilleur ordre. Menard, au contraire, qui reproche à son
devancier de ne s'être pas contenté de gaster le langage et peslcmcsler
l'ordre de l auteur, mais d'avoir ajouté beaucoup de choses qui n'en étaient
pas, offre dans son édition un moyen de contrôle qui mérite toute con-
fiance. Je me suis donc imposé la tùche de collationner l'édition princcps
de R et celle de M avec le texte original, afin de savoir aussi exacte-
ment qu'il est possible en quoi consistait le texte TD, dont ils se sont
successivement servis.
Pour montrer que TD était une traduction quelquefois abrégée, je
citerai les paragraphes ^^83 à 585 qui, étant identiques dans R et M,
sont par conséquent reproduits fidèlement d'après TD. Or le texte de
ces paragraphes, qui se compose ù peine de onze lignes dans l'une et
492 N. DE WAILLY
l'autre édition (R, cxx verso, 1. 1 1 à 21 ; M, p. 162, 1. 19 à 29, en
aurait fourni plus du triple si le texte original n'avait pas été écourté.
Au contraire, en se reportant aux paragraphes 4^9 et 440, on trouvera
que R et M ont un texte deux fois plus long qu'il ne serait si l'original
n'avait pas été paraphrasé (R, cxxxvi verso 1. 1 5 à cxxxviii recto 1. 2 ;
M, 178 I. 16 à i79 1. 30). Le texte de TD joignait probablement à ce
double défaut celui de n'être pas complet; car il y a quatre-vingt-douze
paragraphes qui manquent à la fois dans R et dans M. Or il est vraisem-
blable, comme je l'ai dit plus haut, qu'une partie de ces lacunes résultait
du mauvais état dans lequel se trouvait la dictée du clerc lorsque la tra-
duction en a été entreprise. Je vous ferai remarquer, par exemple,
qu'outre les deux premiers paragraphes dont la grossière altération
atteste assez le déplorable état de la dictée, on ne retrouve dans R ni
dans M aucune trace des paragraphes 5, 6 à 8 et 10 à 17. J'en conclus
que tout le commencement de la dictée avait beaucoup souffert.
Quant à Pierre de Rieux il a systématiquement altéré le texte de TD,
d'abord en voulant le polir, ensuite en y introduisant un ordre qu'il pré-
tendait meilleur, ce qui a entraîné le déplacement des paragraphes 19,
24, 26 à 28, :;o à 38, 54, $7 à 60, 66 et 67, 76 à 78, sans parler de
quelques autres. En outre, il a supprimé cinquante et un paragraphes,
qui existaient dans TD puisque Menard les a rétablis. Enfin, il a fait des
contresens (voyez-en un échantillon g) 171); il a introduit des person-
nages, comme Arnauld de Comminges, dont Joinville ne parle pas
(§§ 223 et 224), et il a même ajouté de longs morceaux qu'il emprun-
tait à diverses chroniques. Je vous citerai entre autres un chapitre entier
sur la prise de Castel-Sarrazin par le comte de Toulouse (fol. vi) , et
un autre sur la conquête de la Sicile par Charles d'Anjou (fol. ccii).
Menard, au contraire, a reproduit fidèlement le texte de TD dans
l'état où il l'a trouvé. S'il a omis vingt-trois des paragraphes qui
existent dans R, c'est à coup sûr parce que le ms. TD avait subi entre
1 548 et 1617 des altérations qui s'expliquent assez par les troubles qu'ont
entraînés nos guerres de religion. Il a poussé l'exactitude si loin qu'ayant
trouvé dans TD mon frère sire Gilles de Bruyn (leçon suivie aussi dans R)
au lieu de monseigneur Cille le Brun, il a laissé subsister dans son édi-
tion ce prétendu frère de Joinville. Un tel exemple montre assez que
s'il faut se défier de sa critique on doit avoir confiance dans sa fidélité.
Il est fâcheux que les paragraphes 605 à 608 soient omis dans son édi-
tion; on manque ainsi de tout moyen de contrôle pour savoir si c'est à
l'auteur du texte TD, ou à Pierre de Rieux, que revient le mérite d'avoir
imaginé que les huissiers de la chambre avertissaient le roi de l'arrivée
de sa mère en battant de leurs verges, non plus les huis, mais les chiens
affin de les faire crier (R, clxxix verso).
LETTRE A M. G. PARIS 493
Jusqu'ici, Monsieur, je ne vous ai parlé que du texte de Joinville, et
je crois que nous serions entièrement d'accord sur la filiation des ma-
nuscrits, si la miniature de présentation n'était pas pour vous la preuve
que le ms. L dérive nécessairement de l'exemplaire royal. J'avoue que
sur ce point mon impression est contraire à la vôtre. Remarquez que je
parle d'impression, et non d'opinion, parce que vous n'alléguez pas de
preuves. On m'assure que j'en pourrais trouver plusieurs qui me donne-
raient raison; mais le temps me manque pour les chercher. Je me borne
à vous dire pourquoi mon impression diffère de la vôtre. Il me semble à
moi que Joinville a dû éprouver le désir d'avoir dans son exemplaire une
peinture qui lui rappelât une des circonstances les plus mémorables de
sa vie, et qui en transmît le souvenir à ses descendants. Cette explica-
tion une fois donnée, je m'empresse d'ajouter que sur ce point encore je
puis vous proposer un moyen terme qui nous mettra d'accord. Un juge
fort éclairé en pareille matière m'a suggéré la pensée que l'exemplaire
conservé par l'auteur avait pu être primitivement destiné au roi, mais
que Joinville se serait décidé à le garder pour lui parce qu'il y aurait
aperçu quelque défaut. Ce défaut ne serait-il pas l'omission des paragra-
phes que je vous ai signalés plus haut comme manquant à la fois, non-
seulement dans BL, mais encore dans M, et par conséquent dans la
dictée .'' Joinville, dans cette hypothèse, aurait voulu réparer une omission
dont il était lui-même coupable. Ne pourrait-on pas croire aussi que la
miniature de présentation, telle que l'artiste l'avait exécutée d'abord,
n'avait pas répondu à son désir ? Si vous comparez la copie de A et
celle de L, vous y apercevrez tout de suite des différences considérables.
Dans la première, Joinville occupe le centre du petit tableau; il est,
comme cela convient, un personnage principal qui attire l'attention au
moins autant que le roi, et beaucoup plus que le groupe des assistants.
Aucune de ces convenances n'est observée dans l'autre miniature; la
tête de Joinville est dominée par toutes les autres, et les assistants, au
lieu de s'effacer avec discrétion, sont posés de manière à se faire regarder
à l'envi les uns des autres. Vous m'accorderez facilement que si le
premier essai ressemblait à cette copie, Joinville n'a pas eu tort de le
garder dans son château et de le faire recommencer.
Vous voyez, Monsieur, que j'ai mis à profit toutes vos observations,
et qu'elles m'ont été utiles alors même que je ne les adopte pas entière-
ment. Cette discussion, qui m'a fait apprécier mieux encore le service
que vous m'avez rendu en me critiquant sur quelques points accessoires,
ne peut avoir d'autre conclusion que des remerciements bien sincères,
dont je vous prie d'agréer l'expression avec celle de mes sentiments les
plus dévoués.
N. DE W'ailly.
COMPTES-RENDUS.
Ueber die Beziehungen der Ortnit zu Huon de Bordeaux. Inau-
gural-Dissertation der piiilosophischen Facult;tt der Universitaet Rostock vor-
gelegt von D' F. Li.ndner. Rostock, 1872, in-8% 45 p.
11 y a longtemps qu'on a signalé la ressemblance qui existe entre Huon de
Bordeaux et le poème allemand d'Ortnit. On regardait autrefois Huon comme
imité d'0r//»7; M. Lindner s'efforce de prouver que c'est l'inverse qui est le
vrai. J'ai cherché jadis à faire prévaloir une troisième solution, qui me paraît
encore la meilleure^ : les deux poèmes sont indépendants l'un de l'autre, mais
ils sont la mise en œuvre d'une même tradition. M. L. n'a pas connu mon
article, qui peut-être aurait modifié son opinion. Il paraît d'ailleurs à plusieurs
reprises se rapprocher de la thèse que j'ai soutenue ; les raisons qui le détermi-
nent à ne pas l'admettre m'ont paru peu probantes. Au reste, ses raisonnements
et ses conclusions n'ont pas toujours toute la précision désirable. — On saura gré
à M. L. d'avoir établi d'une manière irréfutable l'identité d'Alberich et d'Au-
beron; mais il aurait àù faire suivre l'analyse de Huon de celle d'Ortnit: on
aurait ainsi vu les différences, qu'il passe sous silence, et qui ne permettent pas
de regarder l'un comme une imitation de l'autre. — Un trait curieux , sur
lequel M. L. passe trop vite, c'est la substitution, dans le poème de DUtrichs
Flucht, du nom de Godian à celui de Machorel pour le roi dont Ortnit épouse
la fille. Il est possible, comme le dit trop affirmativement l'auteur, que ce nom
soit identique à celui de Gaudise, porté dans le poème français par le père d'Es-
clarmonde. Il faudrait alors en conclure que ce nom faisait déjà partie de la tra-
dition quand elle a passé en France. Mais M. L. aurait dû nous dire où le
poème de Dietrichs Flucht a puisé ce nom : si c'est dans une forme d'Ortnit plus
ancienne que la nôtre, tout son système est renversé. — M. L. suppose que
l'histoire d'Auberon est le fond du poème français, et que l'auteur l'a rattachée
arbitrairement au cycle carolingien. Cela est à peu près vrai, mais avec quelques
modifications : l'histoire de Huon et de son exil était le sujet d'un ancien
poème, dans lequel un habile remanieur du XII' siècle a intercalé le fantastique
épisode du roi de faerie. C'est ce que j'avais conjecturé autrefois et ce qui s'est
trouvé confirmé par la précieuse allusion d'un autre poème (voy. Romania III
I. Revue Germanique, 1861.
// Contrasta di Ciullo d'Alcamo, p. p. d'ancona 495
iio)^. — Quelques légères inadvertances* n'empêchent pas que le travail de
M. Lindner n'ait été fait avec soin ; mais je ne pense pas que la critique en
accepte les conclusions*.
G. P.
Il Contraste di Ciullo d'Alcamo, ristampato seconde la lezione del cod.
Vaticano 3793, con commenti e illustrazioni di Alessandro d'AxcoNA. Bolo-
gna, 1874, in-S", 217 p. (tirage à part, à 30 ex., de la Raccolta di rime an-
tiche qui fait partie de la Colkzione officielle di opère inédite 0 rare).
Ce nouveau mémoire de M. d'Ancona comptera parmi ses meilleures produc-
tions et parmi les plus grands services qu'il aura rendus à la littérature italienne.
Il débute par une édition du texte qui annule toutes les précédentes : elle repro-
duit le manuscrit du Vatican, et donne en note toutes Us variantes des autres édi-
tions, ainsi que toutes les corrections, explications, discussions auxquelles le
texte, fort difficile en maint endroit, a donné lieu. — Viennent ensuite, sous le
nom d'Appendices, huit petites dissertations que je n'hésite pas à signaler comme
des chefs-d'œuvre en leur genre : c'est le bon sens le plus lumineux appuyé sur
une érudition à laquelle rien n'échappe et dirigé par une impartialité absolue.
Pour comprendre l'utilité de ces morceaux et le mérite qu'a eu l'auteur à les
écrire, il faut lire — car il les rapporte en substance — toutes les hypothèses
aventureuses, contradictoires, souvent absurdes, dont ce petit poème a été l'ob-
jet : on ne peut savoir sans cela de quoi sont capables en Italie le patriotisme
local et la fantaisie érudite. Je donne de ces appendices une analyse malheureuse-
ment trop courte.
I. // poeta. Natura délia poesia. — M. d'A. montre que c'est tout à fait sans
raison qu'on a fait de Ciullo (= Vincenziullo) un haut baron, un puissant feu-
dataire, et que toutes les allusions qu'on a trouvées dans le poème, à sa puis-
sance^ à sa richesse ou à celles de sa belle, sont purement imaginaires, c'est-à-
dire qu'on a pris lourdement pour des réalités des plaisanteries ou des formules
populaires. — On a tracé des tableaux fort compliqués des voyages de Ciullo
d'après ces vers :
Ciercat' aio Calabria, Toscana e Lombardia,
Pulglia, Costantinopoli, Gienoa, Pisa, Soria,
Lamagna e Babilonia e tutta Barberia,
Donna non trovai tanto cortese ;
mais le savant critique fait voir que la poésie populaire italienne emploie encore
constamment des formules semblables, notamment en Sicile. — La chanson du
poète d'Alcamo (bourg voisin de Palerme) est en effet imitée de la poésie popu-
1. Au reste, à un autre endroit, M. L. semble comprendre à peu près de niéiiie
l'état des choses.
2. M. L. prend (p. 31) la Bibliothèque protypognipluiiiif de Barrois pour une collec-
tion de livres appartenant à cet amateur ; il ignore l'existence du Hiiy^he vjn Bourdeus
publié dans le t. jj de la bibliothèque du Cercle littéraire de Stuttgart, etc. — Je
m'étonne qu'il regarde avec Mone Otnit comme dérivé d'Odin (') ; la forme la plus
ancienne est Ortriit : cf. Ortwin, Ortluiri, etc.
5. Je me permettrai d'appeler l'attention, A propos d'Ortnit et des poèmes lombards en
général, sur le livre récent de M. Kirpitchnikof, l'ocm'i lombardskago Tsiklii (Moscou,
1873), ouvrage plein de recherches et d'idées du plus grand intérêt.
496 COMPTES-RENDUS
laire et notamment de la poésie populaire sicilienne : elle appartient à ce genre
éminemment national de la dispute poétique, du chant Amébée, que Théocrite
avait déjà trouvé florissant parmi les bergers grecs de la Trinacrie, et qui ne l'est
pas moins chez les paysans siciliens de nos jours: ce genre de pièces s'appelle
contrasta, et M. d'Ancona a très-justement donné ce nom au poème de Ciullo. Il
rapproche avec un grand bonheur certains traits du contrasta du treizième siècle
de traits analogues des poésies siciliennes modernes, parmi lesquelles il s'en
trouve qui offrent avec la pièce de Ciullo une ressemblance suivie. Dans plusieurs
d'entre elles, comme ici, nous avons une longue lutte de paroles entre un amou-
reux et sa belle, qui le rebute d'abord durement, lui annonce tout ce qu'elle
fera pour lui échapper', mais finalement s'avoue vaincue et se rend à l'amour
(c'est, comme on voit, une oaristys, et Théocrite a dû trouver son thème dans
quelque antique contrasta) ; les frères, les parents jouent dans ces pièces tout à
fait le même rôle que dans la nôtre.
II. Dclla lingua in chc j'u scritto il contrasta. — Cette dissertation est la plus
importante de toutes ; elle résout définitivement, à mon avis, une question qui
paraît d'ailleurs assez simple, mais qui a été tellement embrouillée par les idées
fausses, les préjugés, les méprises de toutes sortes, que ce n'est pas un petit mérite
d'avoir remis l'ordre et la lumière dans ce chaos. Il y a en réalité deux points
distincts à examiner : dans quelle langue ont écrit les poètes siciliens du treizième
siècle en général.? Dans quelle langue a écrit en particulier Ciullo d'Alcamo .? —
On sait que les plus anciens poètes lyriques de l'Italie ont été des Siciliens,
groupés à la cour des Hohenstaufen ; il est clair que ces poètes qui, à l'imita-
tion des troubadours et des Minnesinger, essayaient de créer en langue vulgaire
une poésie courtoise, employèrent le dialecte du pays oi!i ils vivaient. Cependant
les œuvres qui nous sont parvenues sous leur nom ne diffèrent pas des œuvres
toscanes postérieures. On en a conclu que dès la première moitié du treizième
siècle il y avait en Italie un vulgaire illustre, une langue littéraire, dans laquelle
ces poètes auraient écrit comme plus tard les Toscans. Il fallait évidemment tirer
de ce fait la conclusion inverse : la brillante culture sicilienne ayant disparu avec
la dynastie souabe, les poésies siciliennes se perdirent dans l'île, où le mouve-
ment littéraire de la cour des Hohenstaufen n'avait été qu'une fugitive et su-
perficielle apparition, tandis qu'elles furent en partie transcrites à Florence, oiî
commençait à s'éveiller le goût de tous les arts. Seulement les Florentins tosca-
nisèrent les pièces qu'ils copiaient. C'est là un procédé qui est tellement familier
à tous ceux qui s'occupent des littératures de la France ou de l'Allemagne au
moyen-âge qu'une seule chose est surprenante, c'est qu'il n'ait pas été univer-
sellement admis pour l'Italie. Dante a beaucoup contribué à répandre l'erreur :
comme pour lui, à son insu d'ailleurs, le vulgaire illustre dont il voulait établir
l'usage était un toscan choisiz; il crut que les poésies des Siciliens avaient été
1. Par là le contrasta se rapproche de la plus jolie variété de ce genre de débat
amoureux, la chanson des Métamorphoses, si connue par Magali. Deux menaces de la
belle de Ciullo, de se faire nonne et de se tuer, se retrouvent dans la plupart des ver-
sions des Métamorphoses.
2. Voy. ci-dessous l'extrait de l'article de M. d'Ovidio sur le De vulgari eloquio de
Dante dans l'Archivio glottologico. M. d'Ovidio exprime sur les poètes siciliens les mêmes
idées que M. d'A., et se réfère à un cours professé par lui.
// Contrasta di Ciullo d'Alcamo, p. p. d'ancona 497
composées dans la forme où il les lisait^ et s'en autorisa pour dire que le vul-
gaire illustre était, non tel ou tel dialecte italien, mais un type supérieur à tous.
M. d'A. donne des preuves irrécusables du caractère dialectal que les poésies
lyriques des Siciliens ont dû avoir à l'origine. Il faut espérer que la question est
maintenant vidée. — Mais le contrasta de Ciullo se présente dans des conditions
toutes particulières : au milieu de formes toscanes, il en offre en assez grand
nombre de siciliennes. Le savant critique explique que, la pièce de Ciullo étant
essentiellement populaire et répandue comme telle, comme spécimen des chan-
sons populaires de la Sicile, on lui conserva, bien qu'impariaitement, ce cachet
local, ce goût de terroir dont on dépouillait au contraire avec soin les poésies
courtoises : c'est ainsi que Dante en cite un vers (quelque peu toscanisé d'ail-
leurs) comme échantillon de ce que pouvaient composer en Sicile les médiocres
terrigcnac. On a répété longtemps que le contrasta était plein de formes emprun-
tées presque à toutes les langues romanes (sans compter le grec et l'arabe) ;
M. Grion, qui avait d'abord restitué (un peu hardiment) au poème la forme sici-
lienne, s'est repenti d'avoir été une fois judicieux et a plus tard découvert dans
ce qu'il s'appelle le sirventese ou le sermontese[\) de Ciullo un mélange voulu de tous
les dialectes de l'Italie; M. Vigo y a du moins reconnu l'influence du dialecte de
la Fouille. M. d'A., patiemment, solidement, brièvement, réfute toutes ces fan-
taisies : le dialecte de Ciullo est purement sicilien, mais il est fort altéré dans les
deux manuscrits qui nous l'ont transmis. Des formes françaises (la plus remar-
quable est mon péri = mon père) n'y sont pas rares : cela tient à ce que la
domination des Normands avait laissé dans le parler de l'île des traces nom-
breuses, qui n'y sont pas encore effacées.
lU. Del métro adoperato da Ciullo. —M. d'A. justifie sa division de la
strophe en cinq vers et non en huit, et rapporte les opinions émises sur la cons-
truction du vers de Ciullo. Le sujet, comme il le remarque d'ailleurs lui-même,
prêterait à des observations plus étendues, mais elles auraient trop dépassé le
cadre d'une notice sur le contrasta.
IV-VIII. Dd tempo in che fu scritto il contrasta : la Defcnsa; Gli Agostari; Bari;
L'Imperatare ; // Saladino. — Chacun de ces titres exprime une des données
chronologiques contenues dans le poème et dont on s'est servi pour en fi.xer la
date. M. d'A., les examinant à son tour avec autant d érudition que de critique,
conclut que le contrasta a été nécessairement écrit après 1 2 5 1 ; comme d'autre part
l'empereur auquel il souhaite longue vie ne peut être que Frédéric II, on a pour
terminus ad (juem Vannée 1250. C'est une antiquité déjà fort respectable, mais
elle ne suffit pas à tout le monde : les Siciliens notamment veulent à tout prix
faire remonter Ciullo au douzième siècle. M. d'A. montre d'ailleurs fort sage-
ment tout ce qu'il y a d'exagéré et de faux dans l'importance qu'on attache au
titre plus ou moins mérité de primo pocta.
En terminant ce long mémoire, pour lequel on lui doit tant de reconnais-
sance et où il a rompu en visière avec des préjugés fort répandus autour de lui,
M. d'A. s'exprime ainsi : « Tralti dall' occasione ad esporre cio che da più
tempo avevamo pensato e raccolto intorno a quest' argomento, ce ne togliamo
colla ferma intenzione di non più ritornarvi sopra. Se siamo caduti in qualche
errore di fatto, saremo grati a chi vûrr.\ facernc convinti, comc a chi rccher.i
Romania,!!! >~
49^ COMPTES-RENDUS
in questa controversia documenti nuovi c sinceri ; ma quanto a divergenze
d'opinioni e a battaglie di giudizj, ci sembra potersi dire : Claudite jam rivos.
Il lettore illuminato trova qui raccolte ampiamente e ieaimente esposte tutte
le varie sentenze : porti egli ormai il définitive giudizio suH' argomento. «
G. P.
Ein altladinisches Gedicht in Oberengadiner Mundart. Herausge-
geben, ùbersetzt und erklaert von A. Rochat. Ziirich, Schmidt, 1874, in-8*,
56 p.
Ce petit poème en vingt strophes de sept vers est du pasteur J. Gritti. Il fut
composé en 1618, à l'occasion de la terrible catastrophe de la petite ville de
Plurs (ou Pleurs), engloutie avec tous ses habitants par la chute d'une mon-
tagne. Les catholiques et les protestants, qui se partageaient le pays, furent
d'accord pour voir dans la ruine de cette nouvelle Gomorrhe un châtiment de
Dieu : notre pasteur l'attribue surtout à ce que le? habitants de Plurs goûtaient
peu la crctta reformaeda (cependant les protestants de l'endroit étaient occupés à
la prière, comme les catholiques, quand l'éboulement les surprit). — M. Rochat
publie ce petit poème d'après le ms. original : les monuments anciens des dia-
lectes ladins sont trop rares pour que toutes les publications de ce genre ne
soient pas les bienvenues. — Il le fait suivre d'un commentaire philologique
très-soigneux, où sont surtout relevés les faits intéressant les voyelles toniques,
sur lesquelles l'auteur avait depuis longtemps fait des études qu'il a çà et là
complétées à l'aide du grand travail d'Ascoli. — La traduction n'étant pas litté-
rale, un glossaire alphabétique aurait été commode.
Chansons hébraïco-provençales des Juifs Gontadins, réunies et
transcrites par E. Sabatier. Nîmes, Catèlan, 1874, in- 12, 22 p.
En parlant ici de la Chanson du chevreau (Rom. I 224) et des versions en
patois, à l'usage des Juifs du Midi, que M. Darmesteter en avait signalées, nous
disions : « Il serait curieux de connaître ces traductions ; peut-être un de nos
lecteurs des pays de langue d'oc serait-il en état de nous les communiquer. »
Ce vœu a été réalisé par M. E. Sabatier, qui a publié, dans la petite brochure
dont on vient délire le titre, la version méridionale du chant Had gadjah. Cette
version est absolument conforme au texte hébraïque {Romania, 1. 1.), si ce n'est
que le chevreau a été acheté « pero un escu, dous escu » au lieu de « pour
deux zouz. » M. S. a ajouté à ce chant plusieurs petites poésies, mélangées
d'hébreu et de provençal, usitées chez les Juifs du Midi dans certaines cérémo-
nies religieuses. Il les a tirées d'un rituel du XVIII« siècle, et il ajoute qu'elles
« commencent à tomber en désuétude. » Il signale avec raison l'intérêt que peut
avoir la transcription en caractères hébraïques employée dans ce rituel pour la
prononciation du provençal au siècle dernier. — M. S. nous donne enfin une
liste curieuse de premiers vers de chansons populaires provençales d'après les-
quelles se chantaient diverses poésies hébraïques insérées dans le même rituel. —
On voit que ce petit opuscule est intéressant à divers titres.
PÉRIODIQUES.
I. Revue des Langues Romanes, VI, i. — P. i. E. Egger : les Substan-
tifs verbaux formés par apocope de l'infinitif] deuxième édition, revue, corrigée,
augmentée, d'un mémoire bien connu des philologues, publié pour la première
fois il y a dix ans. — P. 39 : le Mémorial des Nobles (suite et fin). Nous espé-
rons qu'on publiera un jour de ce précieux cartulaire une édition complète,
revue avec soin sur le manuscrit. — P. 68 : Acte de procuration ; pièce béarnaise
de 1409, publiée par M. Alart. — P. 70 : le Cérémonial des consuls, document
du XV^ siècle, en français, publié par M. Alart; peu intéressant, au moins comme
texte de langue. — [P. 94, Chabaneau : du z final en français et en langue d'oc (fin).
On trouve dans ce travail la bonne méthode et la pénétration qui distinguent l'au-
teur. Il me fait sur plusieurs points des critiques qui, en général, paraissent fondées.
Sur Iz pour Ihs, phénomène qui n'est pas encore absolument éclairci, je m'étonne
que M. Ch. ne renvoie pas à la note publiée ici par M. Schuchardt {Romania III,
285). Je ne trouve pas les raisons alléguées pour tirer z de ti {tuz toti) tout-à-
fait suffisantes. C'est par inadvertance que M. Ch. traduit, dans l'ancienne imi-
tation du Canti(jue des Cantiques, Icuz par Hliunt : c'est simplement locus. L'au-
teur s'est borné à la partie étymologique du sujet, et n'a pas suivi l'histoire du
z final passé le milieu du XII^ siècle ; mais son étude fournit une base solide à
ceux qui voudront la continuer. — G. P.] — P. 103-134, Fesquet : Pro-
verbes et dictons recueillis à Colognac (arr. du Vigan, Gard) ; intéressant
recueil. Ces proverbes sont numérotés, ce qui est d'un grand avantage
pour les citations. L'auteur a fait effort pour classer méthodiquement les
faits du dialecte auquel appartiennent les proverbes qu'il a rassemblés : il
ne s'est pas gardé de certaines petites erreurs qu'il serait trop long de
relever, et qui, du reste, ne tirent point à conséquence. Parmi ces proverbes,
dont beaucoup sont relatifs au temps et aux saisons, il s'en trouve un qui se
rapporte aux jours d'emprunt ou de la vieille (ci-dessus, p. -94). M. Fesquet
indique à ce propos, en note, quelques témoignages qui m'avaient échappé. Ce ne
sont pas les seuls. En voici un autre que je viens de retrouver. Dans le Recueil
des proverbes météorologiques et agronomiques des Cévennois.., par M. L. A. D. F.
{Annales de l'agriculture française, 2" série, t. XIX, 1822), je lis sous le n* 15:
Aco soun bus vacheirious, Quatre de mars e très d'abriou. M. Fesquet a pris la
peine de signaler en note, d'après divers recueils méridionaux, d'autres leçons
des proverbes qu'il a recueillis à Colognac. Le Livre des proverbes français de Le
Roux de Lincy lui aurait fourni l'occasion de nouveaux rapprochements. Ainsi
les prov. VI et VII se retrouvent dans Le Roux de Lincy, I, p. 109; de même
X = Le Roux, I, 124, 125 ; XLl =^ Le Roux, I, 219; LXXI (Besounh fo la
vielho troutà) = Le Roux, II, 247 et 486; c'est un prov. bien ancien en fran-
500 pÉRiODiQ^!r-:s
çais, et qui existe aussi en anglais; voir mes Rapports, l, 174 ; prov. CV = Le
Roux, I, 162, etc. — P. 168. Epigraphk romane (suite;. Il nous semble que
le terme épigraphie est ici mal appliqué. Les pièces dont il s'agit, qui sont très-
modernes et d'une valeur souvent contestable, ont à la vérité été gravées ou
écrites sur la pierre, mais ordinairement elles ne ressemblent à une inscription
par aucun caractère intrinsèque. — P. 171. Chabaneau, Grammaire limousine
(suite). Deux menues observations : il ne faut pas dire (p. 172), Amanieu des
Escas, mais de Sescas, voy. Romania, I, 384. Les poésies contenues dans le ms.
lat. 1 139, provenant de Saint-Martial de Limoges, ne sont pas du XI* siècle,
mais du XII", ou du moins il n'y a aucune raison pour les croire plus anciennes.
Je suis étonné de voir un homme aussi attentif que M. Chabaneau tomber dans
cette erreur (p. 184) que j'ai relevée un grand nombre de fois, et dans la
publication même d'après laquelle il cite les poésies en question '. Nous n'atten-
dons que la fin de cette excellente grammaire pour en rendre compte avec tout
le soin qu'elle mérite. — P. 206. Noulet, Histoire littéraire des patois du Midi de
la France au XVIII' siècle. Travail exécuté avec beaucoup de goût et de mesure. —
P. 244. Atger, Poésies populaires recueillies en Languedoc, petite collection
intéressante, oià nous remarquerons une variante de la Porcheronne (voy. Roma-
nia, \, 3 54), et une autre de la chanson si répandue de l'Escrivoto. La chanson
du Galant est bien connue aussi dans la France du Nord et donnerait lieu à
des remarques curieuses; notons seulement qu'une version à peu près pareille à
celle-ci, recueillie par Fr. Mistral et écrite sous sa dictée, a été donnée dans le
Pèlerinage de Mireille, par A. Lexandre (Paris, 1864), p. 170. — P. 278.
P. Glaize, Le centenaire de Pétrarque, relation en style coloré. — Bibliographie.
Compte-rendu, par M. Chabaneau, de ma notice sur Guillaume de la Barre
(1868) et de l'Etude consacrée à cette notice par M. Noulet (voy. Romania, II,
274). Diverses observations judicieuses. M. Ch. conteste avec raison l'interpré-
tation du mot azempriu proposée par M. Noulet, et en revient à la mienne,
qu'il justifie en rattachant ce mot à adimperare. J'en sais maintenant beaucoup
plus long sur azempriu et azemprar qu'en 1868, mais la place me fait défaut dans
ce n° pour rapporter les nombreux exemples que j'ai recueillis de ces mots. Ce
sera l'objet d'une prochaine note dans nos Mélanges. M. Ch. constate en limou-
sin le passage de g spirant à d, que j'ai relevé dans Guillaume de la Barre (p. ex.
ditar, dinolh pour gitar, ginolh). J'en trouve un autre exemple dans la Chanson
de la croisade contre les Albigeois, v. 5865, oij le ms. porte fort lisiblement
adenolha, que Fauriel a corrigé (sans en avertir, selon son habitude) en agenolha.
L'explication que donne M. Ch. des mots solas am luy (pour am lieu, en liège) et
solas de vaca dans mes Derniers troubadours, p. 119, me paraît très-satisfaisante,
ou, à tout le moins, beaucoup plus probable que celle à laquelle je m'étais résigné.
— Compte-rendu par M. Roques Ferrier des Anciens proverbes basques et gascons
recueillis par Voltaire, et remis au jour par G. Brunet, et des Chansons hébraico-
provençales des Juifs contadins, publiées par M. Sabatier. — P. 3 17. La Bibliothèque
de Tours et ses manuscrits. Nous croyons que l'auteur de cette notice (M. Dorange,
bibliothécaire de Tours?) exagère quelque peu les dangers que la Bibliothèque de
I. Anciennes poésies religieuses en langue d'oc, p. 6; cf. Revue critique, 1868, t. 11,
p. 20, etc.
PÉRIODIQUES 501
Tours aurait courus pendant l'invasion. Ce n'est pas du reste la première fois qu'on
nous fait part de ces dangers et de la sollicitude du bibliothécaire pour le dépôt
confié à sa garde'. Nous sommes obligés de dire que l'assertion de la p. 519,
relative à la Bibliothèque de Montbéliard, est fausse. — Périodiques. Le compte-
rendu du n° 10 de la Romania consiste uniquement en une note dans laquelle
M. Alart maintient le sens qu'il a attribué au mol exaugar {d. ci-dessus, p. 313),
en quoi il peut avoir raison, et propose pour étymologie soit exhaurirc, soit
exsiccare, en quoi il a tort. Nous préférerions en tout cas exaquarc.
P. M.
II. RrviSTA ])i FiLOLOGiA ROMANZA, I, 4 2. — P. 207-225, Canello : il
Vocalismo tonico italiano ; travail fait avec soin et méthode, et qui n'est pas sans
contenir des choses neuves ; ce premier article est consacré tout entier à 1'/, par
lequel l'auteur commence, sans nous dire pourquoi il a choisi cet ordre inusité.
— P. 226-234, P. Rajna : contrastare, contastare ; l'auteur rattache l'une et
l'autre forme au lat. contestari. — P. 235-270, E. Monaci : Uffizl drammalicl dei
Disciplinati dcll' Umbria ; commencement d'une publication faite avec beaucoup
de soin d'après trois manuscrits, et précédée d'une intéressante étude sur les
origines du théâtre italien.
III. Jahrbuch fur romaxische Literatuu, N.F.,II,i . — P.;-3 1, R. Kœhler,
les exemples de Cirait de Roussillon ; il s'agit du poème du XIV<= siècle publié
par M. Mignard ; M. K. y relève, avec son érudition habituelle, un grand
nombre de petits contes pieux ou moraux, intercalés dans le récit, et qu'il
ramène à leur source immédiate, qui lui paraît être Vincent de Beauvais, et à
leurs sources plus éloignées. 11 faut toutefois remarquer que le poème français
est en grande partie traduit du latin, et que le travail de comparaison aurait été
plus complet si M. K. avait connu la légende latine. Nous reviendrons sur ce sujet.
— P. 32-41, C. Horstmann, les Légendes de S.Dunstan et S. Christophe, en anglais,
d'après le ms. Laud 108. — P. 42-62, Schmid : le Faust de Marlowe et son
rapport avec les livres anglais et allemands de Faust. — P. 65-80, A. Morel-Fatio:
Poésies burlesques et satiriques inédites de Diego Hurtado de Mendoza, d'après le ms.
de la B. N. Esp. 258; publication curieuse, qui n'est que commencée ici. —
P._ 81-105, Bœddeker : Chansons et ballades anglaises du XVl^ siècle, d'après un
ms. du British Muséum. — P. 101-118, Comptes-rendus : Papanti, Catalogo
di Novellun in prosa (L.); Meyer, Recueil d'anciens textes (K. Bartsch) ; Péri-
odiques {Romania; Rivista di filologia romanza).
IV. Archivio Glottologico italiano. II, 1. — p. 1-58, Flechia, Postilk
etimologiche, observations pleines d'érudition et de critique sur le Glossaire
modcnais de G. Galvani. — P. 59-1 10, D'Ovidio, Sul de vulgari eloquentia <//
Dante] l'auteur examine l'ouvrage de Dante au point de vue linguistique, appré-
cie très-sainement les idées sous l'empire desquelles il juge et caractérise les
différents dialectes italiens, et démontre qu'en croyant parler d'un « vulgaire
1. Voy. par ex. le Petit Moniteur du 28 avril 1872.
2. Le fascicule n'est pas complet ; la suite est promise prochainement.
502 PÉRIODIQUES
illustre, » Dante ne parle en réalité que d'un usage choisi du dialecte florentin.
— P. 1 1 1-160, Ascoli, Del poslo che spetta al genovese ntl sislema da diatetti
italiani; avec cette méthode rigoureuse qu'il manie si bien, l'auteur s'efforce de
démontrer, surtout par une phonologie comparée du génois et du piémontais,
que le premier de ces dialectes n'est pas, comme le dit Diez, intermédiaire entre
les dialectes de la Basse-Italie, notamment de la Sardaigne, et ceux de la Haute-
Italie, mais qu'il appartient, tout en ayant quelques traits en propre, au groupe
gallo-italique; en passant, M. A. nous donne une phonétique succincte, mais
suffisante et très-précieuse, du sarde central et du sicilien.
II, 2. — P. 161-312. Poésie genovesi dclla fine del S. XIII e del pnnctpio
dcl XIV, édite ed illustrate da N. Lagomaggiore. Ce fascicule ne contient que les
textes ; nous en reparlerons en rendant compte de la livraison suivante.
V. The EducationalReview of the french languageand literature, IV.
— P. 5-17, G. Masson , French mediaeval romances (suite). — P. 17-24,
Th. Karcher^ analyse d'une leçon de M. Cassai sur les homonymes français.
VI. Bibliothèque de l'École des Chartes, XXXV, 3. — P. 217-248, N.
de Wailly, Mémoire sur le ramant ou chronicjue en langue vulgaire, dont Joinville a
reproduit plusieurs passages. Ce très-intéressant mémoire se rattache à celui de
M. Viollet contenu dans le n" précédent (voy. Romania III, 429). Dans la pre-
mière partie, M. de W. étudie le ms. 2615, signalé par M. Viollet, et en
montre l'importance pour l'histoire de l'historiographie à Saint-Denis. Dans la
seconde, il défend contre M. Viollet l'authenticité des, passages des Enseignements
de Saint Louis qui, manquant à la fois dans le texte étendu et dans l'abrégé de
Geoffroi de Beaulieu, ne se trouvent que dans la version des Chroniques de
S. Denis (empruntée par Joinville), version qui est d'ailleurs tirée de l'abrégé de
Geoffroi de Beaulieu. M. de W. soutient cette authenticité, parce qu'il ne lui
paraît pas admissible qu'une fraude ait été commise à Saint-Denis, avant
1297, dans un texte si récent, si vénérable, et qu'on pouvait si bien con-
naître, quand d'ailleurs il est impossible de trouver à cette fraude un motif et un
but. Il présente alors deux hypothèses pour expliquer comment des passages
authentiques, absents du texte officiel et de l'abrégé qu'en a fait Beaulieu, peuvent
se trouver dans une version tirée de cet abrégé ; mais il n'est pas pleinement
satisfait des explications qu'il donne, car il ajoute : « S'il s'en présente d'autres
qui scient meilleures, je suis prêt à les accepter, pourvu qu'elles se concilient
avec ma conclusion principale, qui est de repousser absolument l'hypothèse
d'une interpolation frauduleuse. » Peut-être l'éminent critique grossit-il à ses
propres yeux la difficulté, en qualifiant de « fraude « et « d'interpolation frau-
duleuse, » le fait, pour le rédacteur des Chroniques, d'avoir introduit quel-
ques phrases dans le texte qu'il copiait : nul ne sait mieux que lui que les scru-
pules modernes, en fait d'intégrité des textes, n'existaient guère au moyen-âge.
M. de W. n'acceplerait-il pas l'hypothèse d'additions faites à Saint-Denis à
l'abrégé de Beaulieu, si on ajoutait que les idées prêtées au roi par ces addi-
tions étaient réellement les siennes, qu'il les avait exprimées (ce qui paraît bien
assuré pour ce qui concerne les bonnes villes), qu'une tradition sincère, directe
PÉRIODIQUES 505
peut-être, ies avait conservées dans l'abbaye, seulement qu'elles ne faisaient pas
partie du texte des Enseignements, et ne doivent figurer en tout cas dans ce
morceau qu'à titre de gloses marginales ? Cette explication simple me paraît de
nature à concilier les deux savants et courtois adversaires; il est cependant fort
possible qu'ils ne l'acceptent ni l'un ni l'autre. — P. 256-265, Charte sarde écrite
en caractères grecs; texte par Wescher, notice par Blancard, fac-simile par
Pilinski. Nous reviendrons sur cet important document, qui sera dans la Bibl.
de l'Éc. des Ch. l'objet d'une notice philologique. — Bibliographie : Marty-
Laveaux, Cours historiques de langue française iLéopold Pannier) ; Bonnardot,
Chartes françaises de Lorraine (L. P.).
XXXV, 4. — Mélanges, p. 43 5-6 : les Manuscrits de Froissart de lord Mostyn;
notice de ces deux mss. extraite du Catalogue des manuscrits historiques, publié par
la Commission officielle (anglaise). G. P.
VII. Zeitschrift fur deutsches Alterthum, N. F., VI, i. — P. 1-9,
K. Mûllenhoff. ûber Reinhart Fuchs. Ce court et substantiel article est d'une
grande importance pour nous : M. M. abandonne définitivement la théorie sou-
tenue par J. Grimm avec tant de science et de passion sur l'origine des romans
de Rcnart, et accepte à peu près complètement le système qu'a exposé
M. P. Paris. Qu'on en juge : d'après l'éminent critique, la théorie d'une
« épopée animale >■> primitive, commune aux peuples germaniques, est insoute-
nable ; les fables où Grimm a cru en reconnaître des vestiges proviennent de
l'antiquité; « l'épopée animale n'est pas sortie d'une ancienne tradition populaire,
mais est un produit de la poésie des clercs; » les noms des héros n'ont pas le
sens que leur attribuait Grimm ; ce sont des noms propres devenus français, et
c'est du nord de la France qu'ils ont passé dans les autres pays. Il ne reste qu'un
point sur lequel M. M. ne se prononce pas : c'est l'hypothèse de la fabrication
postérieure de la seconde partie du Rcinaert flamand, hypothèse contre laquelle
Grimm n'avait pas assez d'indignation (voy. Kl. Schr. V, p. 463) ; mais M. Martin,
le dernier éditeur de Reinaert, l'accepte sans hésitation fp. XXXVII), de même
qu'il se range en général au système de M. Mûllenhoff. On ne peut que féliciter
la science allemande d'avoir renoncé à une théorie édifiée par l'imagination et
soutenue par le patriotisme. — P. 58-70, Poésies de Naso, publiées par
E. Dùmmler, d'après un ms. du British Muséum. Ces poésies composées,
comme le montre l'éditeur, entre 804 et 814, ajoutent aux noms fictifs de
l'académie palatine celui de Nason, c'est-à-dire Ovide ; peut-être le personnage
qui s'appelait ainsi est-il Modoïn, plus tard évcque d'Autun. Les poésies en
elles-mêmes, consacrées à la gloire de Charlemagne, ne sont pas sans mérite. —
P. 124-136, Ganymcdes et Helena, poème en quatrains latins rhythmiques, sur le
même thème que les Amores attribués à Lucien, extrêmement curieux pour la
connaissance des mœurs du monde des écoles au XII"^ siècle ; aussi doit-on savoir
gré à M. Wattcnbach de l'avoir publié (d'après deux mss. de Rome et un de
Berlin) malgré ce que le sujet a de répugnant. Il serait très-intéressant de savoir
si ce poème a servi de modèle au De Planctu Nature qui a le même sujet, ou si
au contraire c'est le poète rhythmique qui a imité Alain de Lille 1 cette seconde
hypothèse me paraît plus vraisemblable : ainsi le vers VIII 3 n'a de sens que
^04 PÉRIODIQUES
par une allusion grammaticale qui est plusieurs fois répétée dans le De Planclu).
G. P.
VIII. MlOMOinES DE LA SOCIKTÉ ACADEMIQUE DE MAlNE-ET-LoinE. T. XXVII
(Lettres et Arts). — P. 205-J12, A. Loiseau. Progrès delà Grammaire en France
depuis la Renaissance jusqu'à nos jours. Ce mémoire déjà long s'annonce comme
n'étant que la première partie d'un ouvrage considérable : mais il faut espérer
que la Société académique d'Angers ne prêtera pas son assistance à la conti-
nuation d'une œuvre dénuée de toute valeur. L'auteur parle de grammaire sans
comprendre les questions qu'il traite, à plus forte raison sans être en état
de démêler les points intéressants des livres qu'il analyse. Il se lance sans hésita-
tion dans des domaines où il est complètement étranger, comme l'onomastique
allemande (voy. les étymologies bouffonnes des pp. 273 ss.). Il affecte une éru-
dition qui lui fait défaut et ne craint pas de citer des ouvrages qui n'ont jamais
été imprimés (p. 305 : « Paul Meyer, Thèse de l'Ecole des chartes, d'après
l'étude des textes latins aux temps mérovingiens, i86o »). Il ne connaît même
pas les éléments de la grammaire comparée, car il soutient encore (p. 297) que
« le grec n'a admis le duel qu'à une époque assez avancée de son existence ».
On jugera de sa critique et de son instruction par l'explication qu'il donne de
l'x qui termine nos pluriels en aux et eux: après avoir raillé Ménage, dont l'expli-
cation contient cependant une parcelle de vérité, M. L. ajoute : « Nous aimons
mieux voir là l'influence du patois champenois sur la langue littéraire. Effectivement,
en Champagne, les paysans, aujourd'hui encore, disent deusse pour deux, chc
eusse pour chez eux ; comme au XVI<^ siècle, grâce à la présence des Italiens à la
cour, on prononçait Massime, Alessandre, l'x pour 1'^ ne proviendrait-il pas tout
simplement de la confusion de cette lettre double avec \'s (p. 300)? » Ce qui
est particulièrement plaisant, c'est de voir de quel ton M. L. reprend les autres,
de quelle hauteur il traite nos plus grands écrivains. Bossuet ayant écrit une
phrase parfaitement correcte suivant l'usage de son temps, qui n'a d'autre
défaut que d'être suranné aujourd'hui, M. L. (p. 260) s'écrie : « Voilà ce que
produisait, même dans les ouvrages les mieux écrits, l'ignorance prolongée des
saines doctrines grammaticales! » — Il est à regretter que nos Sociétés savantes
de province accueillent des productions aussi faibles. G. P.
IX. Revue Critique d'Histoire et de Littérature, juillet-septembre. —
113, Laubert, Esquisse des progrès de la philologie sur le terrain de la langue
française (M. B.). — 15^, Papanti, Dante suivant la légende (G. P.). -- 167,
Pamphile ou VArt d'être aimé, p.p. Baudouin (G. P.).
X. The Acâdemy, n" 118 (8 août). — Joret, du c dans les langues romanes,
compte-rendu de M. H. Nicol, qui contient beaucoup de critiques, justes en
partie, mais en partie émises un peu hâtivement.
XI. Saturdav Review, n" 987 (26 sept.). — P. 410-41 1, Romania ; long
et très bienveillant article sur notre recueil (fasc. i-io), dont nous remercions
vivement l'auteur (M. Ralston, si connu par ses excellents livres sur la littéra-
ture populaire russej. M. R. analyse surtout l'article par lequel s'est ouvert
PÉRIODIQUES 505
la Romania ; il observe que l'auteur de cet article « n'aborde pas la question
souvent agitée du rapport du nom walh ou walah avec le sanscrit mleccha. » Nous
avons annoncé, dans cet article même, un travail spécial sur le mot walah ; dès
à présent nous pouvons dire qu'il n'y a pour nous aucune connexité entre le mot
allemand et le mot indien.
XII. LiTERARiscHES Centralrlatt, juillct-septembre. — N" 34, Zupitza,
zur Literaturgeschichte des Guy von Wanvick.
XIII.GoETTiNGER Gelehrte Anzeigen, 1874, n° 3 3 (19 août). — P. 1029-
1050, Rickars II hiaus, p. p. Fœrster. Je reparlerai de cet important article de
M. Ad. Tobler en rendant compte à mon tour de la publication de M. Fœrster,
que le critique de Berlin apprécie très-favorablement. Je relèverai seulement
aujourd'hui quelques observations d'une portée générale. — L'ê de l'art, féminin
rég. picard le peut-il s'élider devant une consonne ? il est sûr qu'on dit ordi-
nairement de k cose et del castel, mais peut-on dire dcl cose? J'en doute, comme
je l'ai déjà dit ici (Romania, II, 4); M. T. en cite quelques exemples qui parais-
sent assurés, mais qui auraient cependant besoin d'être contrôlés avec rigueur:
dans Richart même il est facile au v. 1846 de changer n«/ en w, et il ne reste ainsi
qu'un exemple (v. 501), ce qui est bien peu. Il me semble que si ce procédé avait
été en usage, il serait employé très-fréquemment ; en outre il se concilie mal avec
l'usage du pays, qui a conservé les noms propres Delepierre Delebergue,e\.c.; Delpierrc,
Delbergue sont modernes. — Le pronom /i, datif deilelc, peut-il élider son /devant
une voyelle (p. ex. // l'aporta une lance) ? Je l'ai dit dans V Alexis par une
distraction que relève M. T. ; je crois qu'il a raison de repousser cette élision.
— M. T. sépare résolument le mot seri, « doux, calme, suave, » du lat. serenus,
auquel on l'a toujours rapporté: je suis depuis longtemps d'avis que cette étymo-
logie est en effet insoutenable; mais celle qu'il propose, secretus, me paraît
offrir de grandes difficultés : comme il promet de revenir sur ce point, il faut
attendre sa démonstration. — Le mot renais [Richart, v. 5428) lui paraît très-dou-
teux, car la forme du régime renoit (voy. le Dict. de Cachet) empêche de le
rattacher à renegare; aussi le considère-t-il, avec M. Scheler (Dict. Et. s. v.
revéche), comme une faute de lecture pour revois, nom. de revoit, provenant de
revictus; il s'appuie sur un passage de Villehardouin où revoiz a certainement
le sens de « convaincu » ; il aurait pu y joindre le mot revit, dont le sens est
encore plus clair, dans Girart de Rossilho (voy. Bartsch, Chrest. prov.^, 32, 35).
Il reste encore cependant quelques doutes, tant sur l'existence d'un adj. ravis
que sur l'impossibilité de rattacher renoit à renegare (renegitus pour renegatusf).
C'est une question que résoudra un examen minutieux des textes.
G. P.
CHRONIQUE
Cours intéressant la philologie romane pendant le semestre d'hiver 1874-75.
Paris. Collège de France. G. Paris : les Contes orientaux dans la littérature fran-
çaise du moyen âge (i h.); explication de textes (i h.).
École pratique des Hautes-Études. Première année : G. Paris, exer-
cices pratiques (i h. 1/2); — A. Darmesteter, Grammaire des langues
romanes : introduction et lexicologie (i h. 1/2).
Deuxième année. G. Paris: Études critiques sur le Fierabras (1 h. 1/2); —
A. Darmesteter^ Grammaire des langues romanes : morphologie et
syntaxe (i h. 1/2),
École des chartes. P. Meyer : Grammaire comparée de l'ancien français
et du provençal; explications de textes (2 leçons).
Neuchâtel. Ayer : Grammaire historique de la langue française (phonologie) ;
lecture et interprétation étymologique de textes.
Genève. Ritter : Origine de la langue française; Grammaire historique; la
langue française au moyen-âge.
Strasbourg. Bœhmer : Grammaire comparée des langues romanes; Rhétoro-
man ; exercices pratiques.
Leipzig. Ebert : Introduction à l'étude comparée des langues romanes ; Gram-
maire provençale et explication de la Chrestomathie provençale de Bartsch.
Gœttingen. Muller : Histoire du drame français; exercices d'ancien français
d'après la Chrestomathie française de Bartsch.
Zurich. Suchier : Premiers monuments de la langue française; métrique fran-
çaise; exercices pratiques.
Heidelberg. Bartsch : Grammaire provençale ; exercices pratiques d'ancien
français.
Berlin. Tobler: Grammaire française; morceaux choisis provençaux; exercices
pratiques.
Académie de philologie moderne. Herrig : introduction à la philologie
moderne ; — Mahn : grammaire provençale; poésies lyriques et épiques
provençales ; Girart de Rossilho ; grammaire italienne ; — Lucking : phoné-
tique historique du français ; — Goldbeck : formation des mots en
français ; — Benecke : prononciation française éclaircie par l'histoire et
la physiologie; — Scholle : Introduction à l'étude de l'ancien français,
avec explications d'après la Chrestomathie de Bartsch ; — Bucholtz :
syntaxe italienne ; le Purgatoire de Dante.
Munich. Hofmann : Explications romanes (anc. franc., prov., cat. et anc. esp.);
exercices pratiques {Mcraugis^ Tristan, Girart de Rossilho).
CHRONIQUE 507
Breslau. Grœber: Histoire de la littérature française au moyen âge; grammaire
provençale; exercices pratiques.
Rostock. Bechstein : Explication de morceaux choisis dans la Chrestomathie
française de Bartsch.
LiNONER, pr. doc. : Grammaire historique de la langue française.
Bonn, DiEz : Histoire des langues romanes.
Delius : Vie et œuvres de Dante.
Halle. Schuchardt: Grammaire italienne; exercices pratiques.
Kœnigsberg. Schipher : Histoire de la littérature française au moyen âge.
Munster. Mall : Métrique française; exercices pratiques.
Giessen. Lemcke : Grammaire comparée des langues romanes; exercices pra-
tiques.
Marbourg. Stengel : Histoire des langues romanes; formation et composition
des mots en français; exercices pratiques.
Vienne. Mussafia : Vie et œuvres de Dante; grammaire de l'ancien français,
avec lectures.
— M. W. Fœrster vient d'être nommé professeur extraordinaire de langues
et littératures romanes à l'Université de Prague.
— (I La Société pour l'étude des langues romanes vient de prendre une décision
qui était depuis longtemps dans la pensée de ses membres : elle a résolu qu'un
concours, philologique et littéraire à la fois, aurait lieu à Montpellier, en 1875.
» Dans la séance qu'elle tiendra le lundi de Pâques, 29 mars, des prix seront
décernés :
» Au meilleur travail philologique (géographie dialectale, grammaire, phoné-
tique, préparation d'un texte inédit ou peu connu, étude d'un dialecte particu-
lier, etc.) sur la langue d'oc ancienne ou moderne, le catalan compris.
») A la meilleure pièce de poésie en langue d'oc;
» Au meilleur écrit en prose en langue d'oc.
» Les pièces envoyées devront être inédites. Toutefois le prix de philologie
pourra être distribué à un ouvrage ayant paru depuis le i" janvier 1874 et
n'ayant concouru nulle part.
» Les manuscrits et les ouvragés imprimés devront être adressés franco avant
le 10 mars, terme de rigueur, au secrétaire de la Société pour l'étude des langues
romanes, à Montpellier. » — (Revue des langues romanes.)
— P. Meyer a continué en août et septembre dernier l'exploration des
bibliothèques de Cambridge qu'il avait commencée en 1871. Ses recherches ont
été cette fois particulièrement fructueuses. Il a trouvé de nouveaux manuscrits
de Maugis d'Aigremont, de Renaut de Montauban, de Guillaume d'Angleterre,
d'Evrart et de Heli de Winchester, traducteurs des Distiques de Caton (ce qui
porte à trois le nombre des mss. connus de chacun d'eux), divers lapidaires
français en vers et en prose (dont M. Pannier pourra encore faire usage dans son
travail sur les Lapidaires du moyen-âge), un ouvrage inconnu de Jean de Gar-
lande où abondent les glosses françaises, etc., etc.
— Dans un feuillet joint au cahier de la Revue des langues romanes dont nous
avons rendu compte ci-dessus, la rédaction de ce recueil demande qu'il soit crée
JOS CHRONIQUE
deux chaires de provençal, l'une à Paris, l'autre à Montpellier. C'est, à notre
avis, dans une grande ville du midi comme celle où se publie la Revue que l'en-
seignement scientifique de la langue d'oc et de sa littérature pourrait le mieux
trouver sa place. Mais nous doutons que la voie indiquée par le recueil de
Montpellier soit la meilleure pour atteindre le but. Comprenant combien un
cours purement scientifique et d'un caractère aussi spécial est en dehors du cadre
et des habitudes de nos F"acultés des lettres, la Revue (/« langues romanes propose
de rattacher directement au Collège de France la chaire qu'on instituerait à
Montpellier. Il est à craindre qu'une semblable proposition rencontre des
objections de plus d'un genre. Il nous semble qu'il y a un moyen plus simple et
peut-être plus pratique. Dans un grand pays voisin, quand le besoin d'une
création de ce genre se fait sentir, c'est à l'initiative privée qu'on s'adresse, et
elle fait bien rarement défaut. Pourquoi ne pas essayer d'imiter l'Angleterre.?
Le patriotisme et l'amour de la science se réuniraient pour faire réussir une
entreprise de ce genre. Une somme de cent mille francs suffirait pour assurer à tout
jamais l'existence d'une chaire de provençal, et il ne semble pas qu'il soit impos-
sible de la réunira Montpellier. Ce mode de dotation^ outre qu'il serait d'un très-
heureux exemple, aurait encore un immense avantage: ce serait de permettre au
comité désigné par les souscripteurs et aux exécuteurs qui le remplaceraient
dans des conditions prévues par lui de déterminer le caractère de l'enseigne-
ment, de fixer le nombre d'heures hebdomadaires qui paraîtrait utile, de choisir
le titulaire, de régler la manière dont se ferait l'élection des titulaires futurs, etc.
Si la Société des langues romanes se décide à prendre l'initiative d'une souscrip-
tion de ce genre, la Romania annonce dès aujourd'hui qu'elle souscrit pour une
somme de mille francs.
— L'Institut a décidé de ne point décerner cette année le prix Volney, mais
a accordé, sur les fonds de ce prix, une récompense à M, Charles Joret, pour
son livre sur le c dans les langues romanes.
— La Société pour la publication des anciens textes français et provençaux
n'est pas encore fondée, mais elle ne tardera pas à l'être. Nous tiendrons nos
lecteurs au courant de tout ce qui se fera pour mettre à exécution une entre-
prise qui ne peut manquer d'avoir toutes leurs sympathies.
— M. Karl Bartsch a entrepris la publication d'un recueil général des poé-
sies des troubadours, dans des textes critiques établis par une révision générale
des manuscrits. Nous rendrons compte de cette importante publication dès
qu'elle commencera à paraître.
— M. H. Suchier prépare une édition de la Vie de sainte Modewenne, poème
anglo-normand du XII'' siècle^ en 6,000 verS;, qui paraîtra dans la collection du
Cercle littéraire de Stuttgart.
— On publiera prochainement à Munich une traduction allemande de VYs-
toire de li Normant, version franco-italienne de la chronique latine (perdue)
d'Amatus du Mont-Cassin. M. Conrad Hofinann, qui a revu cette traduction,
s'occupe actuellement, avec un de ses élèves^ de traduire en allemand le Perceval
de Crestien.
CHRONIQUE 509
— M. Léon Gautier a mis sous presse, pour Marne, une nouvelle édition de
la Chanson de Roland.
— M. Pio Rajna va prochainement publier un grand travail sur les Sources de
l'Arioste.
, — MM. de Tourtoulon et Bringuier, qui ont commencé l'année dernière,
sous les auspices du ministère de l'instruction publique, une exploration à l'effet
de déterminer, s'il est possible, la limite de la langue d'oïl et de la langue d'oc,
l'ont reprise et terminée cet été. Le rapport sur la première partie de leur mis-
sion sera prochainement publié dans les Archives des missions scientifiques et litté-
raires.
— Il est bien tard maintenant pour parler avec quelque détail des belles fêtes
célébrées à Avignon en l'honneur de Pétrarque, les 18, 19 et 20 juillet. Il y a
longtemps que nos lecteurs ont lu et admiré le charmant discours qu'a prononcé
à cette occasion M. Nigra. Nous voulons cependant en reproduire ce passage,
oili l'orateur a si heureusement mêlé des souvenirs personnels à des remarques
érudites, et qui, sous sa forme gracieuse, a une véritable valeur scientifique.
« Vous savez. Messieurs, a dit aux Provençaux le représentant de l'Italie,
qu'il fut un temps oij votre belle langue était parlée et cultivée de l'autre côté
des Alpes, et que vos troubadours ont souvent rencontré en Italie des émules
célèbres. Les rois de Sicile n'ont pas dédaigné de toucher aux cordes de la lyre
provençale, et l'histoire nous a conservé les noms et parfois les compositions de
plus de trente troubadours italiens, parmi lesquels vous me permettrez de citer
Nicolet de Turin, le Génois Lanfranc Cicala, Boniface Calvo, Luc de Lascaris,
Parcival et Lanfranc Doria, le Vénitien Barthélémy Zorgi, Ferrari de Ferrare,
le marquis Albert Malaspina, Bernard Arnaud et Sordel de Mantoue.
» Nos châteaux et nos villes résonnaient de sons provençaux. Nous voyons
accueillis et fêtés aux cours de Montferrat, de Ferrare, de Mantoue, à V^enise,
à Gênes, en Lombardie, en Toscane, Foulquet de Romans, Élie Cairel, Albert
de Sisteron, Bernard de Ventadour, Guillaume Figueira, Guillaume de la Tour,
Hugues de Saint-Cir, Rambaud de Vaqueiras, Peirol et d'autres non moins
illustres. Mon cher pays du Canaves, où je suis né et à qui j'envoie d'ici le meil-
leur de mes souvenirs, est mentionné par Pierre Vidal de Toulouse, dans des
termes qui encore maintenant seraient compris par le plus illettré de mes mon-
tagnards :
Ara m'alberc Dieus e sans Julias,
E la doussa terra de Canaves ! >>
— Annonçons quelques livres qui viennent d'être publiés, et dont nous espé-
rons bien rendre compte un jour ou l'autre: Bartsch, Chrestomathie provenfitle
(troisième édition); Milà y Fontanals, de la Poesia heroico-popular castcllana (Bar-
celona, Verdaguer); Brachet, Nouvelle grammaire française (Paris, Hachette);
Scheler, les Enfances Ogier le Danois, Glossaire de Froissart (Bruxelles); G. Storni,
Sagnkredserne von Karl dem Store og Dulrik af Bern hos de nordiske Folk (Chris-
tiania) ; Braga, Historia de Camôes, I, II (Porto); Bladé, Contes populaires âge-
nais (Paris, Baer).
TABLR DES MATIKRES.
H ScHuciiARDT, Phonétique comparée. — De quelques modifications de la con-
sonne initiale dans les dialectes de la Sardaigne, du Centre et du Sud de
l'Italie I
P. Rajna, Uggeri il Danese nella letteratura romanzesca degl' Italiani (2" art.) 31.
F. BoNNARDOT, Sur un nouveau manuscrit des Loherains 78
Th. de Puymaigre, Chants populaires recueillis dans la vallée d'Ossau 89
Historia Daretis Frigii de origine Francorum p. p. G. Paris 129
S. BucGE, Etymologies françaises et romanes 145
A. d'Ancona, le Fonti del Novellino (2" art.) 164
F. Bonnardot, Essai de classement des manuscrits des Loherains, suivi d'un nou-
veau fragment de Girbert de Metz 19 j
A. CoELHo, Romances sacros, oraçôes e ensalmos popuiares do Minho .... 26}
L. Havet, 0( et ui en français 321
Berta de li gran pié p. p. A. Mussafia 339
V. Smith, Chants du Velay et du Forez 365
P. Meyer, Etude sur une charte landaise de 1268 ou 1269 433
A. Darmesteter, Deux élégies du Vatican 443
N. DE Wailly, Lettre à M. Gaston Paris sur le texte de Joinville. ..... 487
MÉLANGES.
Le Savetier Baillet, chanson comique 103
Mier (meruj) dans les patois (J. Cornu) 106
Phonétique française : 0/, u/; fft ; Iz; nz (H. Schuchardt) 279
Etude sur le vocalisme des Serments de 842 (J. Storm) 286
Tableau rectificatif des assonances du Roland (G. Raynaud) 290
Frammento di una raccolta di favole in provenzale (P. Rajna) 291
Les jours d'emprunt (P. M.) 294
Le vocalisme des Serments de Strasbourg (P. M.) 371
Un fragment de Renart (G. P.) 373
Etymologies ; admoUstare, maie habitus (J. Cornu) 377
CORRECTIONS.
Les lettres satiriques de Diego Hurtado de Mendoza (A. Morel-Fatio) 298
COMPTES-RENDUS.
Ancona (d'), Il Contrasto di CiuUo d'Alcamo 495
Bernoni, Fiabe popolari veneziane 418
Cancionero de Stuniga, p. p. le marquis de la Fuensanta del Valle et Rayon
(A. Morel-Fatio) 413
TABLE DES MATIÈRES 5 I I
CoELHO, Questôes da lingua portugueza (A. Morel-Fatio) jio
De Wailly, voy. Joinville.
Flugi, Die Volkslieder des Engadin (J. Cornu) 11}
HiLL, Ueber das Metrum der Chanson de Roland (G. P.) 598
HoFMANN, Ein katalanisches Thierepos von Ramon Lull 111
Joinville, Œuvres, par N. de Wailly (G. P.) ' . . . 401
JoRET, Du C dans les langues romanes (A. Darmesteter) 379
JUBINAL, voy. RUTEBEUF.
LiNDNER, Ueber die Beziehungen des Ortnit zu Huon de Bordeaux [G. P.). . . 494
Mahn, Gedichte der Troubadours (P. M.) 305
Meyer, voy. Recueil d'anciens textes.
MussAFiA, Beitrag zur Kunde der norditalienischen Mundarten im XV. Jarhrun-
derte (G. P.) 112
— Zur Katharinenlegende 413
Recueil d'anciens textes bas-latins, provençaux et français, accompagnés de deux
glossaires, par P. Meyer (P. M.) 107
RocHAT, ein altladinisches Gedicht 498
Rocher, Les Rapports de la ville du Puy avec Girone (G. P.) 309
Rutebeuf, Œuvres complètes, par Jubinal (P. M.) 401
Sabatier, Chansons hébraïco-provençales des Juifs contadins (G. P.) . . . . 498
Stencel, Mittheilungen aus franzœsischen Handschriften der Turiner Universitaets-
Bibliothek (G. P.) 109
PÉRIODIQUES.
Academy, n" 48 J04
Alemannia, 11 431
Archiv fur das Studium der neueren Sprachen, Ll, i 314
Archives des missions scientifiques et littéraires, 3" série, I, 2 126
Archivio glottologico italiano, I 121
— — II, 1-2 501
Archivio storico Italiano, 1873-1875 126
Ateneo, vol. I, fasc. 9 429
Bibliothèque de l'École des chartes, XXXIV, j-6 316
— — XXXV, 1-2 429
— XXXV, 3 J02
Bibliographia critica, fasc. IX-X 127
Bulletin de la Société des sciences, lettres et arts de Pau, 1872-187} 316
Educational Review of the French Language and Literature, III 421
— - — IV 502
Germania, XVIII, } 123
— XVlll,4 31S
— XIX, 2 4^0
Gœttingische gelehrte Anzeigen, n" 9 jiS
— — — n° 33 $os
Il Propugnatore, VI, 6 122
Jahrbuch fiir romanische und englische Sprache und Literatur, N. F., 1, }. . n4
— _ N. F.,1, 4. . . 421
— — N. F. II, 1. . . )0i
Literarisches t.entralblatt 127, u8. 452, (05
Mémoires de la Société académique de Maine-et-Loire, XXVII 404
^12 TABLE DES MATIÈRES
Mémoires de la Société de linguistique de Paris, II, 3 124
— — 11,4 322
Nuova Antologia, 1873, t. III • . }i6
Revista contimporana, n" 9, novembre 1873 125
Revue celtique, 11, 2 451
Revue critique d'histoire et de littérature 127, 318,432, 504
Revue de Gascogne, 1873, novembre 430
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Rivista di Filologia romanza, I, 3 118
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Romanische Studien, I, 3 118
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Saturday Review, n" 987 504
Séances et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques. Juillet et
novembre 1873, mars-avril 1874 431
Tidskrift for Philologie og Paedagogik, N. S., I 317
Transactions of the philological Society for 1873-4 428
Wissenschaftliche Monatshefte, I, 9 318
Zeitschrift fiJr deutsche Philologie, V, 2 315
Zeitschrift fur deutsches Alterthum N. F., V, 3 430
— — N. P., VI, I J03
Zeitschrift fur die Œsterreichischen Gymnasien, 1874, II et III 430
Zeitschrift fur vergleichende Sprachforschung, N. P. 1. vi. — II, 2 422
CHRONIQUE.
Janvier. . . .' 128
Avril 319
Juillet 432
Octobre 506
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
PC Romania
2
R6
t. 3
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